Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant reconnaissance par la nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.
Discussion générale
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Le devoir de mémoire n'est pas un exercice de confort ; c'est une exigence de vérité et un acte de justice.
Avec cette proposition de loi, nous parlons d'une histoire trop longtemps étouffée, trop longtemps tue par ceux-là mêmes qui l'ont subie, tant la honte et l'invisibilité les empêchaient de parler. Aujourd'hui encore, malgré les travaux menés depuis les années 1990, l'histoire de la répression de l'homosexualité en France demeure méconnue.
Nous parlons aussi de l'histoire d'un mythe : celui d'une France pionnière, patrie des Lumières et modèle de tolérance, qui, en 1791, supprima le crime de sodomie, qui pouvait conduire au bûcher.
Notre pays n'en est pas moins resté un espace où l'homosexualité demeurait stigmatisée et poursuivie. De fait, le droit s'est reconfiguré pour continuer à punir, de manière déguisée, à travers d'autres infractions : outrage public à la pudeur, excitation de mineurs à la débauche, atteinte aux bonnes moeurs, racolage, proxénétisme... Derrière la légalité de façade, un ciblage systématique.
L'outrage public à la pudeur est devenu l'un des principaux outils de répression : dans la plupart des cas, l'outrage n'avait rien de public et la pudeur offensée était celle d'un ordre profondément réactionnaire. Souvent, la police provoquait elle-même l'infraction.
En 1942, un cap est franchi : le régime de Vichy introduit dans le code pénal des dispositions explicitement discriminatoires envers les homosexuels. La loi du 6 août institue en effet une majorité sexuelle différenciée : 13 ans pour les hétérosexuels, 21 ans pour les homosexuels. Il s'agit de faciliter les condamnations et, dans le contexte de Vichy, les déportations et l'extermination.
À la Libération, cette loi est confirmée par l'ordonnance du 8 février 1945, dont l'exposé des motifs affirme : « cette réforme, inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appeler aucune critique ». Cette continuité s'enracine dans une société d'après-guerre qui valorise la virilité, redoute le désordre et efface le rôle des résistants homosexuels et lesbiennes.
C'est dans une atmosphère de croisade morale que le député Paul Mirguet, en 1960, fait classer l'homosexualité dans la liste des « fléaux sociaux » : l'ordonnance du 25 novembre instaure une circonstance aggravante pour l'outrage à la pudeur commis entre personnes de même sexe, justifiant un doublement des peines.
Nous parlons de l'histoire de milliers de vies humaines, profondément et durablement marquées par cette répression : l'histoire de ceux dont le seul délit était d'aimer une personne du même sexe.
Traqués par Vichy, marqués d'un triangle rose, ils ont été internés, déportés, exterminés. La République a continué de les poursuivre. Ils étaient ouvriers, manoeuvres agricoles, manutentionnaires, cuisiniers, coiffeurs, étudiants, maîtres-nageurs, porteurs de valises... Ils aimaient en cachette, dans des lieux de fortune, parce que c'était cela ou rien.
Ils ont été piégés, provoqués, embarqués dans les paniers à salade. On leur cassait la gueule, leur disait au commissariat : « vous êtes pédé, vous l'avez bien cherché ». Au tribunal, on leur demandait : « Monsieur, êtes-vous un inverti ? » Leur nom paraissait dans le journal local comme une deuxième sentence. Ils ont connu les interpellations sans suite et les gardes à vue humiliantes. Ils passaient six mois en préventive et étaient condamnés avec sursis. Surveillés, soumis au chantage, ils vivaient sous une menace permanente, perdaient leur emploi ou étaient mis à la porte de leur logement sur une rumeur ou après une dénonciation. Certains ne voyaient d'autre issue que le suicide.
La société les tenait pour des malades ou des délinquants. Ils devaient raser les murs et baisser les yeux, aimer sans jamais le dire, inventer des alibis.
Je pense aussi à celles qu'on n'a pas accusées, parce que, pour le patriarcat, une femme sans homme, cela n'existe pas.
Ce sont toutes ces vies qu'il nous faut aujourd'hui reconnaître.
Dans cette nuit épaisse, certains ont dit non. Grâce à eux, l'histoire dont nous parlons cet après-midi est aussi celle de la dépénalisation.
Dans le sillage de mai 68 et des émeutes de Stonewall, à New York, une génération s'éveille et réclame égalité et justice. Le 25 juin 1977, 400 personnes marchent de République à Place des Fêtes à l'appel du groupe de libération homosexuel (GLH) et du MLF. Les mouvements s'affirment, les voix se multiplient, les résistances s'organisent.
Au Parlement, quelques voix tentent de briser le mur. En 1978, le sénateur Henri Caillavet dépose une proposition de loi visant à abroger les dispositions discriminatoires du code pénal : rejetée, elle fissure pourtant l'édifice.
Le 19 novembre 1980, l'Assemblée nationale abroge l'ordonnance du 25 novembre 1960, mais l'héritage de Vichy résiste encore. Jusqu'au printemps 1981 : le 4 avril, 10 000 manifestants rassemblés par le Comité d'urgence anti-répression homosexuelle défilent à Paris ; après le 10 mai, sous l'autorité de Gaston Deferre, le préfet Grimaud ordonne à la police de cesser toute discrimination ; la France se retire de la classification de l'OMS assimilant l'homosexualité à un trouble mental.
Puis, au mois d'août, Robert Badinter fait adopter une loi d'amnistie et demande aux parquets de cesser toute poursuite. Enfin, le 4 août 1982, l'article 331-2 du code pénal est abrogé.
Robert Badinter déclara devant le Parlement : « Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d'un grand pays de liberté comme le nôtre ». Et Gisèle Halimi d'ajouter : « La norme sexuelle ne se définit pas, à condition de n'agresser ou violenter personne ». Ils avaient raison.
Nous parlons, enfin, de l'histoire d'une responsabilité. Et, d'abord, de la responsabilité historique de l'État, qui, par ses lois, ses tribunaux, sa police et sa médecine, a organisé la répression pendant des décennies. L'homophobie n'a pas été simplement tolérée : elle a été institutionnalisée, orchestrée. L'État n'a pas seulement laissé faire : il a condamné et persécuté. L'homophobie a été une politique.
Cette responsabilité ne peut être ni esquivée ni diluée. Elle doit être pleinement assumée. Pour celles et ceux qui ont été condamnés, la République doit regarder son passé sans détourner les yeux ; la nation doit demander pardon.
Le travail remarquable du Sénat honore le devoir de mémoire de notre démocratie. Je rends hommage aussi aux historiens, chercheurs, artistes, qui font émerger des vérités trop longtemps tues. Sans leur travail, pas de reconnaissance ni de transmission.
Cette histoire nous oblige et engage notre responsabilité collective. L'histoire ne va pas toujours en ligne droite. Il suffit d'un souffle pour que l'égalité vacille. Nous voyons ce souffle se lever, la haine se redéployer.
Les attaques contre les personnes LGBT et les campagnes contre la supposée théorie du genre - qui n'existe pas - reprennent des rhétoriques anciennes et sournoises : c'est le même poison, versé dans de nouvelles coupes.
Partout en Europe, les droits des personnes LGBT+ sont attaqués. Le mois dernier, en Pologne, j'ai réaffirmé la position de la France, après les récentes décisions de la Hongrie : pas de pause ni d'exception pour les droits humains, qui s'appliquent partout, tout le temps et pour tous !
C'est pourquoi ce texte n'est pas qu'un acte de mémoire. Aux générations passées, nous devons la vigilance, pour refuser l'effacement, le relativisme et le retour en arrière. Aux générations futures, nous devons l'espérance, pour une humanité plus digne, plus juste et plus libre. Entre les deux se tient notre devoir : un engagement international pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité ; un engagement européen et national pour consolider ce qui a été arraché de haute lutte et enclencher de nouveaux progrès. C'est dans cet esprit que, le 26 mai prochain, je présiderai le comité de suivi du plan national pour l'égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+.
Je veux dire toute ma reconnaissance aux associations, centres LGBT, militantes et militants, vigies de cette action. Ils sont des partenaires indispensables et exigeants. Je serai toujours à leurs côtés.
Face à la haine, la République ne reculera pas. Face à l'indifférence, elle ne cédera rien, car nous défendons l'universalité de l'émancipation, le droit de chacun à être qui il est, à aimer sans peur et sans masque : cela, ce n'est pas négociable. (Applaudissements)
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois . - L'initiative de Hussein Bourgi, à l'été 2022, était bienvenue.
Ce texte, adopté par le Sénat à l'unanimité, puis modifié par l'Assemblée nationale, constate que, pendant de longues années, notre pays a pratiqué une discrimination.
La recherche a montré que plus de 10 000 personnes ont été condamnées sur le fondement de ces dispositions discriminatoires. De plus, la répression de l'outrage public à la pudeur relevait souvent de l'arbitraire, les comportements n'étant pas appréciés de la même manière selon qu'il s'agissait de couples homosexuels ou hétérosexuels.
Le Sénat a affirmé avec force que les homosexuels ont été victimes de discrimination. Mais à partir de quand cette responsabilité était-elle engagée ? Hussein Bourgi avait visé la période 1942-1982. Mais la République n'a pas à s'excuser des actes de l'État français : Vichy n'était pas la République. La France légitime était la France libre, à Londres. (M. Clément Pernot applaudit.) Les événements survenus entre 1942 et 1945 procédaient de l'idéologie de Vichy, dans une logique de répression globale. La recherche sociologique distingue ces deux périodes, qui ne sont pas comparables. C'est pourquoi la commission a modifié l'intitulé du texte et son article 1er, pour retenir la période 1945-1982 : la République ne peut s'excuser que de ses fautes.
M. Yannick Jadot. - C'était l'État français !
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Chacun sait d'où je viens. Jacques Chirac a prononcé le magnifique discours du Vél' d'Hiv...
M. Yannick Jadot. - En effet !
M. Hussein Bourgi. - Tout à fait !
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Merci, monsieur Jadot, de saluer Jacques Chirac. Comme quoi, tout arrive dans cet hémicycle...
Reconnaître que la France de Vichy a participé à la politique d'extermination ne signifie pas que la République doit endosser les crimes de Vichy.
Comme le Sénat, l'Assemblée nationale n'a pas retenu le délit de négationnisme, une innovation qui soulève des risques juridiques majeurs, notamment pour les contentieux en cours. De telles dispositions figurent en outre dans la loi de 1881, notamment son article 24 bis. Je me réjouis de cet accord entre les deux chambres.
Enfin, la proposition de loi prévoyait un régime de réparation financière au bénéfice des personnes condamnées. À l'étranger, les réparations ont été minoritaires - elles ont surtout concerné l'Allemagne nazie et l'Espagne franquiste -, l'immense majorité des États se contentant d'une reconnaissance symbolique. La loi d'amnistie de 1981 en France a effacé les condamnations.
Il s'agirait d'indemniser les conséquences directes de l'application de la loi pénale. Or personne n'aurait pu attaquer l'État en réparation, car le requérant se serait heurté à la prescription - les faits remontent à plus de quarante-cinq ans, et jusqu'à quatre-vingts ans.
Vous proposez d'indemniser les dommages d'une loi, certes moralement condamnable, mais régulière à l'époque. La seule loi d'indemnisation a porté sur les harkis : or cette réparation ne relevait pas de l'application d'une loi régulière, mais bien de circonstances de fait. Cela n'est pas transposable.
Enfin, cela ouvrirait la porte à d'autres contentieux. Prenons l'exemple de l'IVG, inscrit dans la Constitution. Si la République s'excuse auprès des femmes de cette répression abominable, cela ouvre-t-il la voie à la réparation ? Chaque évolution heureuse de la société donnera-t-elle droit à réparation ? Sur ce point, je suis en désaccord avec le texte de l'Assemblée nationale.
La République doit s'excuser d'une situation indiscutablement discriminatoire. Au-delà de la répression, la publicité a plongé des gens dans des situations atroces. La réparation morale est heureuse, mais aller au-delà serait juridiquement déraisonnable.
Cette déclaration solennelle envoie aussi un message à ceux qui, ailleurs en Europe, veulent revenir sur les droits des homosexuels. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Cédric Chevalier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) En 1791, la France a été pionnière en dépénalisant l'homosexualité. Une avancée brutalement broyée en 1940, avec le rétablissement d'infractions pénales visant l'homosexualité. Fait regrettable, alors que la plupart des lois de Vichy ont été annulées à la Libération, l'ordonnance du 8 février 1945 a maintenu cette répression. Pis : la législation fut durcie en 1960. Ce n'est que le 4 août 1982 que la France abrogea enfin ces dispositions.
Nous déplorons que notre code pénal ait contenu, pendant si longtemps, de telles dispositions discriminatoires. Oui, cette répression fut indigne de notre République. Nul ici ne saurait le contester.
Je salue l'initiative de notre collègue Hussein Bourgi, à l'occasion des 40 ans du texte fondateur de 1982. Sa proposition de loi visait à reconnaître les souffrances et à engager des réparations. Mais le texte adopté par l'Assemblée nationale soulève plusieurs difficultés juridiques.
Premièrement, il paraît nécessaire de distinguer les persécutions de nature totalitaire perpétrées sous Vichy, des discriminations qui ont perduré ensuite. J'approuve donc le choix de la commission de recentrer le texte sur la période 1945-1982.
Deuxièmement, le principe de réparation heurterait le principe de prescription et la grande majorité des pays n'ont pas instauré un tel mécanisme.
Je remercie Francis Szpiner pour la qualité de son travail et la clarté de son analyse juridique.
Ce texte contient une charge symbolique forte : il dit haut et fort que la République reconnaît la répression dont ont été victimes des milliers de personnes. Le groupe INDEP le votera, dans sa rédaction issue de la commission des lois. (MM. Pierre Jean Rochette, Francis Szpiner, Clément Pernot et Mme Patricia Schillinger applaudissent.)
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi revêt une portée historique et symbolique forte.
Notre pays, pourtant précurseur dès 1791, a remis en cause la dépénalisation de l'homosexualité sous le régime de l'État français, en 1940. Après la Libération, la République a maintenu ces dispositions discriminatoires, prolongeant l'injustice. De 1945 à 1982, entre 10 000 et 50 000 personnes, presque que des hommes, ont été condamnées, dans plus de 90 % des cas à de la prison ferme, entraînant des blessures individuelles et collectives profondes.
La commission des lois a admis sans ambiguïté le caractère discriminatoire de cette législation. Reconnaître les erreurs du passé est un acte de mémoire ; c'est aussi un acte de fidélité à nos principes fondamentaux - la liberté, l'égalité et la dignité humaine.
Mais nos principes juridiques doivent être respectés : le dispositif d'indemnisation financière posait de sérieuses difficultés et aurait été constitutionnellement fragile. De même, la création d'un nouveau délit n'était pas nécessaire, l'arsenal juridique étant déjà suffisant.
L'Assemblée nationale a choisi une reconnaissance plus large, de 1942 à 1982, et a prévu une indemnisation financière. Le Sénat a lui privilégié une reconnaissance solennelle limitée à la République. Dès le 9 août 1944, le Gouvernement provisoire a affirmé que la République n'avait jamais cessé d'exister et que tous les actes de Vichy étaient nuls et non avenus.
Cela dit, c'est bien la responsabilité de la République d'avoir maintenu ce régime après 1945. C'est pourquoi la reconnaissance porte sur la période à compter de 1945, quand la République a failli à son devoir de protéger tous ses citoyens.
Le Sénat a supprimé le mécanisme de réparation financière, pour des raisons juridiques solides - amnistie de 1981, prescription, expériences étrangères non directement transposables. Notre tradition juridique repose sur l'effacement des condamnations injustes et sur la reconnaissance symbolique, sans indemnisation systématique, à l'instar de la restitution d'oeuvres d'art spoliées sous l'Occupation.
Je salue le travail des historiens, de notre rapporteur, des associations et de la société civile. Il est grand temps que la France dise à ceux qui ont souffert de ces lois injustes : « Vous n'étiez coupable de rien ». (L'oratrice est gagnée par l'émotion.) Que cette reconnaissance soit un jalon supplémentaire vers une République toujours plus fidèle à sa promesse d'égalité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Mme Patricia Schillinger . - (M. Cédric Chevalier applaudit.) Ce texte vise un objectif nécessaire et incontestable. Cette discrimination, légalement instituée, a constitué une entrave à nos valeurs fondamentales. Pendant près de quarante ans, ces lois ont brisé des vies et assigné nombre de nos concitoyens au silence et à la honte. Ce texte vise à réparer ces fautes, symboliquement.
Nous saluons l'initiative de notre collègue Hussein Bourgi : sa proposition de loi s'inscrit dans la lutte contre l'homophobie, qui doit être poursuivie, inlassablement. Nous réaffirmons notre solidarité républicaine à celles et à ceux qui en sont encore victimes aujourd'hui.
Il aura fallu quarante ans pour que la République revienne sur ces dispositions iniques. L'homosexualité fut dépénalisée dès 1791, mais de nouveau criminalisée en 1942, avant la dépénalisation de 1982.
Cette proposition de loi dépasse les clivages politiques : un large consensus s'est exprimé pour reconnaître les souffrances endurées et la responsabilité de la nation.
Toutefois, des divergences sont apparues : l'Assemblée nationale a retenu la période de Vichy et réintroduit la réparation financière. Ces deux points feront l'objet d'un dialogue approfondi au cours de la navette.
Un accord est toutefois intervenu sur la suppression de la création d'un délit de négationnisme, car le droit actuel permet déjà d'agir.
Ce texte ne répare pas tout et ne pourra jamais effacer les violences. Mais il reconnaît clairement les fautes de la République. Nous formons le voeu qu'un consensus soit trouvé, dans une rédaction équilibrée. C'est un signal fort, attendu, nécessaire : le RDPI votera cette proposition de loi. (M. Cédric Chevalier applaudit.)
Mme Sophie Briante Guillemont . - Le 6 août 1942, Vichy instaurait une différence de majorité sexuelle, renforçant la répression envers les homosexuels. Cette réforme discriminatoire attendait dans les couloirs de la Chancellerie dès le gouvernement Daladier.
Certes, l'infraction de sodomie a été abrogée en 1791. Mais cela ne nous a pas empêchés d'user et d'abuser de toutes les contorsions possibles pour réprimer les homosexuels, en utilisant l'attentat à la pudeur, notamment.
Entre 1791 et 1942, la France a connu de nombreux régimes politiques, qui ont tous dénoncé les pédérastes et stigmatisé des amours antinaturelles. La loi de 1942 n'est donc pas une rupture : elle s'inscrit dans une tradition de répression.
À la Libération, il est estimé que « la loi du 6 août 1942 (...) ne saurait en son principe appeler aucune critique ». Tout est dit ! Et on retiendra plus les collabos homosexuels que les résistants gays...
Il faudra attendre la proposition de loi Forni de 1982 pour qu'il en soit autrement.
Il me semble fondamental de reconnaître que c'est bien la nation française qui a discriminé les homosexuels, et je salue la proposition de loi de Hussein Bourgi.
L'article 1er a été rétabli en commission dans la rédaction assez intransigeante du rapporteur. Il est pourtant important de conserver le terme de nation - et non de République - et de faire débuter la reconnaissance dès 1942. Ce terme a déjà été utilisé en 2022 dans la loi sur les harkis et il est cité à plusieurs reprises dans la Constitution. Vichy n'était pas la République, mais c'était bien la France. Refuser de reconnaître la responsabilité de l'État français au cours de cette période constitue un incommensurable recul.
Avec l'arrêt Papon, le Conseil d'État a reconnu que l'État pouvait être condamné à indemniser les victimes de Vichy. Rien ne s'oppose à la création d'un régime spécifique d'indemnisation. Le texte issu de la commission est un texte vidé de sa substance, sans une once de normativité. Les députés ont dénoncé la frilosité du Sénat. Le RDSE, favorable à l'indemnisation, a de l'ambition pour ce texte, à la hauteur des discriminations subies, d'autant que les condamnations se sont accompagnées d'une exclusion des cercles familiaux et professionnels.
Pour toutes ces raisons et parce que l'homophobie est encore bien présente, le RDSE est favorable à ce texte, dans sa version issue de l'Assemblée. (MM. Jacques Fernique et Ian Brossat applaudissent.)
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » L'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 porte les idéaux universalistes de la Révolution française. C'est ainsi que nous avons posé les bases de l'État moderne : divorce par consentement mutuel en 1793, première abolition de l'esclavage en 1794, dépénalisation du crime de sodomie en 1791.
Mais le gouvernement vichyste, ouvertement homophobe, rétablit le crime d'homosexualité, par une loi du 6 août 1942. À la Libération, on ne modifia qu'à la marge cette discrimination, qui demeura en vigueur jusqu'en 1982. S'y ajoutait l'outrage public à la pudeur, qui visait « un acte contre nature avec un individu de même sexe ». Durant quatre décennies, cette discrimination a été acceptée.
Dès 1978, le Sénat, sans être suivi par l'Assemblée nationale, en avait voté l'abrogation. Mais il faudra attendre la loi du 4 août 1982 pour que l'homosexualité soit officiellement dépénalisée.
Comme le dit le rapporteur, le législateur s'est fourvoyé en opérant une discrimination sur le fondement de l'orientation sexuelle. En aucun cas, notre République ne peut réprimer un individu pour ce qu'il est. Durant quatre décennies, la France a laissé subsister une « pesanteur », selon les mots de Robert Badinter.
En commission, le groupe UC a suivi le souhait du rapporteur de recentrer le dispositif sur la période 1945-1982.
Le Sénat et l'Assemblée nationale ont trouvé un accord sur la suppression de l'article 2. Si l'intention était louable, l'article 24 bis de la loi de 1981 suffit et l'autonomisation de ce délit aurait perturbé les contentieux en cours.
La mise en place d'un mécanisme de réparation financière semble juridiquement contestable, car incompatible avec l'amnistie de 1981, avec nos règles de prescription et avec la jurisprudence du Conseil d'État sur la responsabilité de l'État du fait des lois. De plus, de très nombreux pays n'ont pas mis en place une telle réparation.
Nous devons tirer les enseignements du passé pour les transmettre aux générations futures. L'éducation et la transmission permettent à une nation de ne pas oublier son histoire. Nous devons lutter contre l'homophobie et toute forme d'exclusion.
Je remercie Hussein Bourgi pour son engagement personnel, et toutes les associations et les citoyens qui ont permis ce débat. Toutes les victimes de ces discriminations méritent notre respect. Le groupe UC votera la proposition de loi dans la version du rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du GEST)
M. Ian Brossat . - Certains textes interrogent notre mémoire collective ; c'est le cas de celui-ci, qui parle de ce que la République assume, de ce qu'elle répare et de ce qu'elle transmet.
Entre 1942 et 1982, des milliers d'hommes ont été harcelés et condamnés, pour une seule raison, leur homosexualité, pour avoir aimé et été eux-mêmes. La répression de Vichy a été renforcée en 1960 par l'amendement Mirguet, qui qualifiait l'homosexualité de « fléau social ».
Ces temps-là paraissent lointains. Ma génération, née dans les années 1980, n'a connu que des progrès : 1982 et la dépénalisation de l'homosexualité, 2000 et le Pacs, 2013 et le mariage pour tous.
Pour autant, nous devons regarder notre passé en face et tâcher de le réparer. D'abord, parce que les avancées conquises sont le fruit de combats menés par des femmes et des hommes qui ont vécu, souvent douloureusement, ces discriminations et ces humiliations.
Mais ces évolutions législatives peuvent toujours être remises en cause et des forces réactionnaires sont à l'oeuvre pour revenir en arrière, en Europe, comme outre-Atlantique - voyez la Hongrie d'Orban.
En France, les discriminations et les violences sur les personnes LGBT persistent. Le combat contre les LGBT-phobies n'est pas derrière nous. Or nous ne pouvons le mener qu'en regardant notre passé en face : au-delà de « l'État », abstrait, des parlementaires ont voté ces lois discriminatoires.
Nous soutenons ce texte dans sa version initiale, pour une reconnaissance symbolique et une réparation de cette homophobie d'État. D'où nos amendements de rétablissement du texte de Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDSE)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Dans l'histoire de toutes les grandes nations, face à l'inexcusable et à la dissonance, il n'y a d'autre option digne que l'aveu de nos fautes. C'est à cela que les lois mémorielles servent, à dire que nous avons eu tort et à promettre que plus jamais cela n'arrivera.
Alors que les textes contre les droits fondamentaux s'enchaînent dans cet hémicycle, alors que nous pourrions faire de la France le pays le plus répressif d'Europe en matière d'accès aux soins des mineurs trans - si un certain texte était adopté définitivement - , il est bon de voter cette proposition de loi aujourd'hui.
Face aux offensives de l'Internationale réactionnaire qui, de Washington à Moscou, de Buenos Aires à Budapest, de Téhéran à Rome, prennent les personnes LBGT pour cible, la France doit réaffirmer qu'elle est pour la liberté, l'égalité, la dignité, la diversité, l'humanité pleine et entière de chacune et de chacun.
À la Libération, la France a choisi de faire sienne la loi de Vichy de 1942, amorcée sous la IIIe République. Avec ce crime sans victime, les homosexuels étaient coupables d'être. Ils ont été arrêtés, emprisonnés, déportés, fichés, traqués. Cela fait honte à la France.
Éluder la période de Vichy, c'est abandonner une partie des victimes et entretenir leur souffrance. Si nous n'endossons pas cette responsabilité, qui le fera ? Pour le rapporteur, Vichy n'est pas la France ; mais la République a prolongé et renforcé l'oeuvre de Vichy : elle en porte donc la responsabilité.
Il serait honteux de manquer l'occasion d'adopter définitivement ce texte pour s'exonérer de la mémoire de Vichy et refuser d'aller au bout de la démarche, l'indemnisation. Pourquoi ne pas faire comme pour les harkis, ni plus ni moins ?
Nous devons dire collectivement la honte de ce que nous avons fait il y a quatre-vingts ans, mais arrêtons aussi de faire ce dont nous aurons honte dans quatre-vingts ans ! Il a fallu attendre 2010 pour retirer le transsexualisme des affections psychiatriques, 2013 pour que le mariage cesse d'être homophobe, 2016 pour cesser la stérilisation forcée des personnes trans, 2021 pour que l'accès à la PMA ne soit plus lesbophobe ! En 2025, une personne trans ne peut toujours pas être reconnue pour qui elle est sans l'aval d'un juge ni accéder à la PMA ; en 2025, des enfants intersexes sont toujours mutilés. Il y aura, dans quatre-vingts ans, des lois pour demander pardon à toutes les victimes LGBT+. Les héritiers et les héritières de la proposition de loi Eustache-Brinio les voteront.
Alors, gagnons du temps : réduisons dès maintenant le poids de la honte de demain et faisons l'égalité aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Hussein Bourgi . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, UC et du GEST ; M. Francis Szpiner applaudit également.) Merci à tous de vos propos bienveillants.
Reconnaissance et réparation, de 1942 à 1982, tel était l'équilibre de la proposition de loi que j'ai déposée le 6 août 2022. En première lecture, mon ami Francis Szpiner a argué de difficultés juridiques pour expurger le texte de sa dimension réparatrice, au point de le déséquilibrer. Mais quelle ne fut pas mon agréable surprise de constater qu'à l'Assemblée nationale les difficultés juridiques soulevées au Sénat n'ont pas été retenues et que la réparation a été rétablie, à l'unanimité - merci aux députés de droite.
Le bornage dans le temps avait fait débat entre nous. La question « Vichy était-ce la France ? » me semblait avoir été tranchée par le Président Chirac, dans son discours du Vél' d'Hiv. Nul ne remet plus en cause ce discours fondateur de la République française. Une France forte sait regarder son passé avec lucidité et reconnaître ses erreurs.
Ce désaccord persiste donc avec le rapporteur et la majorité sénatoriale. J'aurais préféré qu'à la Libération, les textes de Vichy soient abrogés, mais tel n'a pas été le cas : François de Menthon a repris à son compte les lois de Vichy. C'est une réalité qui fait mal, mais nous devons faire avec.
J'en viens à la réparation. Il a été question de clémence, qui est une sorte d'absolution de la faute commise, à l'instar de l'amnistie : je ne m'y reconnais pas. Quand on reconnaît ses torts, on les répare. Devant les tribunaux, dès lors que la matérialité du préjudice est établie, il y a réparation. Je défends ce lien de causalité, que nous avons retenu pour nos compatriotes harkis.
Certains ont cité l'Allemagne et l'Espagne. Mais sachez que l'Autriche et le Canada ont décidé la reconnaissance et la réparation.
Je ne vois pas ce qui fait obstacle à l'adoption de cette proposition de loi dans sa version initiale. Mes amendements viseront à la rétablir.
J'invite chacune et chacun à voter en conscience et en responsabilité. Songez au regard des historiens sur nos débats. Votez en ayant à l'esprit l'histoire de la France et ses valeurs.
S'agissant de la dignité des personnes, nous n'avons pas le droit de minauder ni de mégoter. Comme le général de Gaulle, nous avons tous « une certaine idée de la France ». La France est belle quand elle est fraternelle, elle est courageuse quand elle est généreuse, elle est forte quand elle est lucide sur son passé. Alors, soyons lucides, fraternels et courageux. Votons la reconnaissance et la réparation ; ainsi serons-nous au rendez-vous de l'histoire de ce beau et grand pays que nous aimons toutes et tous. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE et du RDPI)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°1 de M. Bourgi et du groupe SER.
M. Hussein Bourgi. - Cet amendement concerne le bornage dans le temps. Il n'y a pas lieu de marquer une rupture en 1945, puisqu'il s'agit du même texte de loi, repris par le gouvernement de la Libération. Il y a un continuum législatif et juridique.
M. le président. - Amendement identique n°4 de M. Brossat et du groupe CRCE-K.
M. Ian Brossat. - Nous rétablissons l'article 1er dans sa rédaction initiale et telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale. Ce n'est pas un détail. Affirmons une vérité que la République a trop longtemps ignorée : entre 1942 et 1982, la France a réprimé des citoyens en raison de leur orientation sexuelle. De Vichy à la République, la même logique répressive a perduré, dans une incontestable continuité historique et juridique.
M. le président. - Amendement identique n°10 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Rétablissons l'article 1er, tant sur la borne de temps que sur les réparations. La loi de 1942 est issue de la IIIe République et elle a été consciemment poursuivie par la République, puis renforcée, avant d'être abandonnée en 1982. Il n'y a aucune justification à effacer la période 1942-1945.
L'article 1er vise aussi la réparation financière, conséquence logique de la reconnaissance d'un préjudice. Si vous refusez de réparer un préjudice, vous ne l'avez pas totalement reconnu.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Dans son objet, les auteurs de l'amendement n°10 écrivent : « à qui revient-il d'endosser cette responsabilité ? » C'est très simple : la condamnation du régime de Vichy par la France libre a été unanime. Pourquoi ceux qui se sont battus contre Vichy devraient-ils endosser la responsabilité de ce régime criminel ? (Réactions sur quelques travées du groupe SER)
Je me rappelle combien, en son temps, Chirac a été vilipendé ; permettez-moi de m'en faire l'interprète (on apprécie à droite) : il a reconnu la responsabilité de la France et de l'État français, pas de la République ! Je maintiens que la République n'a pas à s'excuser d'un régime monstrueux qu'elle a combattu les armes à la main. La France légitime était à Londres. Le régime de Vichy était « nul et non avenu ». Refuser d'endosser les crimes de Vichy est un devoir pour tout républicain. Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Avis défavorable à ces amendements, comme à l'ensemble des autres amendements ; nous souhaitons conserver la rédaction de la commission.
Personne ne nie les souffrances infligées aux personnes homosexuelles pendant le régime de Vichy. Personne. Mais la République française a-t-elle à en répondre aujourd'hui ? Nous considérons que non, parce que ce n'était pas la République française. (Mme Christine Bonfanti-Dossat renchérit.) N'introduisons pas de confusion. Nous ne méconnaissons le caractère insupportable des souffrances infligées, mais la République n'est pas responsable.
Nous écartons la réparation financière pour une raison juridique. La situation des harkis n'est pas comparable. Tout d'abord, la réparation financière ne peut pas valablement découler de l'application directe d'une loi pénale. Ensuite, l'articulation avec l'amnistie prononcée en 1982 est problématique. Comment réparer des condamnations qui ont été effacées ? Enfin, comment ouvrir droit à réparation alors que les délais de prescription sont de trente ans ?
Mme Anne Souyris. - La mesure de distinction de l'âge, introduite par Vichy, marque le début de la pénalisation de l'homosexualité.
Vichy, ce n'était pas la France, répète à l'envi M. Szpiner. Mais répétition ne vaut pas vérité ! La République, pendant quarante ans, a assumé l'héritage de Vichy en le pérennisant. La République ne peut prétendre réparer les conséquences d'un système qu'elle a elle-même entretenu tout en refusant d'en reconnaître l'origine. C'est en reconnaissant cette filiation avec le régime de Vichy qu'elle pourra s'en désolidariser pleinement.
Nous constatons une forme de continuité entre la IIIe République et Vichy en matière de condamnation de l'homosexualité. La loi faisant la distinction entre personnes homosexuelles et hétérosexuelles était déjà prête sous la IIIe République. Édouard Daladier a demandé que l'on soumette à sa signature en 1939 un décret-loi reprenant les conclusions du rapport Medan.
Les amendements identiques nos1, 4 et 10 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°14 de Mme Souyris et alii.
Mme Anne Souyris. - Regardons le passé en face, sans réécrire l'histoire. La pénalisation de l'homosexualité s'est construite de façon diffuse, dans les silences du droit, dans des textes prétendument neutres : outrage public à la pudeur, excitation de mineurs à la débauche, etc. La lutte contre le vagabondage a été utilisée comme outil de contrôle des corps, pour réguler l'espace public de cette population indésirable. Sous prétexte de défendre les bonnes moeurs, la censure a permis de faire taire les voix. Tout cela sans dire son nom, car tel fut le génie noir de cette époque : punir sans nommer, condamner sans assumer.
Il faut regarder comment le droit commun et les institutions ont été détournés pour produire de la discrimination et de la souffrance. Il faut redonner une place aux invisibles, reconnaître la violence d'État qui se dissimulait sous les habits de la neutralité.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Cet amendement ajoute sept dispositions pénales, qui, selon l'auteur, étaient utilisées de façon détournée pour condamner l'homosexualité. Cette jurisprudence remonte à plus d'un siècle, puisque même un arrêt de la cour d'appel de Bourges de 1905 est cité. Avis défavorable.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement n°14 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°15 de Mme Souyris et alii.
Mme Anne Souyris. - « Pédé 1 et pédé 2 », voilà comment sont intitulés les dossiers d'archives de la préfecture de police. Ajoutons une vérité simple : l'État a permis une politique policière systématique de fichage et de harcèlement des personnes homosexuelles. La police n'a pas été un simple exécutant : elle a été le coeur du dispositif répressif, avec l'accord tacite des gouvernements. Elle a provoqué des délits qu'elle réprimait, quadrillé les lieux de drague homosexuelle, construit des carrières sur l'humiliation des autres.
Cet amendement reconnaît cette part d'ombre, pour que l'histoire soit dite en entier.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Cet amendement nous éloigne du projet initial de notre collègue Bourgi, puisqu'il vise à reconnaître la violence systématique de l'État sur une période non précisée. Or cela relève du travail des historiens. Le Sénat ne peut voter une telle écriture. Avis défavorable.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Même avis.
M. Hussein Bourgi. - Sous Vichy, des services de police étaient spécialisés dans la surveillance de catégories d'établissements et de personnes, respectivement les salles de jeux, les débits de boissons, les homosexuels et les prostituées, lesquels étaient surveillés par la brigade mondaine. Tout cela est malheureusement documenté, prouvé et étudié. Je voterai cet amendement.
L'amendement n°15 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
Article 3 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°2 de M. Bourgi et du groupe SER.
M. Hussein Bourgi. - Il faut que le préjudice soit réparé, dès lors que l'on en reconnaît la matérialité. Certains se montrent hostiles à la réparation, car elle serait trop complexe. La commission et le Gouvernement pourraient-ils préciser leurs arguments ? Les juristes que j'ai rencontrés ne partagent pas leur analyse. La seule reconnaissance, ce n'est que se donner bonne conscience !
Faute d'une telle réparation, ce texte serait inabouti, déséquilibré ; ce serait une loi symboliquement violente, comme me l'ont dit les quelques personnes concernées encore en vie - je les salue.
M. le président. - Amendement identique n°6 de M. Brossat et du groupe CRCE-K.
M. Ian Brossat. - Cet amendement réintroduit la réparation, en plus de la reconnaissance. Reconnaître sans réparer, c'est faire le chemin à moitié. J'entends les arguments de la ministre, mais j'y vois des arguties juridiques infondées. Le Gouvernement persiste à nous faire voter des lois qui ne passeront pas la censure constitutionnelle : vos arguments sont à géométrie variable.
M. le président. - Amendement identique n°11 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Défendu.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amnistie n'est pas la clémence ; c'est l'effacement de la condamnation. La responsabilité pénale résulte d'une infraction. Or l'État n'en a pas commis. La responsabilité civile résulte d'une faute : une décision de juges appliquant la loi en est-elle une ? Je ne le pense pas.
Tout le monde est conscient de la monstruosité de la répression, qui s'est accompagnée par des drames sociaux et l'opprobre jeté par la presse quotidienne régionale lors du suivi des dossiers.
Non, il ne s'agit pas d'arguties juridiques. La prescription existe. Pour l'expliquer à mes étudiants, je leur dis que la prescription, c'est le fait que Javert ne puisse pas poursuivre éternellement Jean Valjean.
La société peut se fourvoyer. Vous citez Menthon, mais le gouvernement du général de Gaulle comprenait des membres du Mouvement républicain populaire (MRP), des socialistes, des communistes : l'aveuglement était collectif.
La situation des harkis n'a strictement rien à voir...
M. le président. - Veuillez conclure, maître Szpiner ! (Sourires)
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis défavorable !
M. le président. - Je voyais poindre une plaidoirie... (Marques d'amusement)
M. Yannick Jadot. - Merci Jean Valjean...
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Soyons clairs, la reconnaissance du Gouvernement n'est en aucun cas ambiguë.
Seulement, se pose la question de l'ouverture d'un droit à la réparation, qui est d'ordre juridique. Le rôle du Gouvernement est bien de dire quelles sont les fragilités d'une rédaction. Vous êtes le premier à soulever les risques juridiques dans les textes - et je serais heureuse de débattre avec vous des textes que vous n'avez pas cités. (M. Ian Brossat s'exclame.) Avis défavorable.
Les amendements identiques nos2, 6 et 11 ne sont pas adoptés.
L'article 3 demeure supprimé.
Article 4 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°3 de M. Bourgi et du groupe SER.
M. Hussein Bourgi. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°12 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°7 de M. Brossat et du groupe CRCE-K.
M. Ian Brossat. - Défendu.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis défavorable.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Même avis.
Mme Anne Souyris. - Les conséquences de la répression furent collectives. La terreur n'a pas touché que ceux qui furent arrêtés ou condamnés, mais tous ceux qui ont été effrayés par la répression. Leur vie fut façonnée par cette crainte. Le principe de la réparation collective prend la forme d'un engagement à ne pas oublier. Il s'agit de faire oeuvre de mémoire, en finançant des archives LGBT, des projets culturels et pédagogiques, qui permettront aux jeunes générations de savoir. L'Allemagne a montré, avec le fonds Magnus Hirschfeld, qu'il était possible de transmettre cette mémoire.
Comme le rapporteur le reconnaît lui-même dans ses travaux, les dispositifs de reconnaissance sont souvent dérisoires. En Allemagne, très peu ont demandé réparation, car beaucoup étaient déjà morts ; la honte avait fait son oeuvre, le sida aussi. Quand elle est trop tardive, la réparation devient silencieuse ; c'est une réparation sans réparer, une mémoire sans témoin.
Les amendements identiques nos3 et 12 ne sont pas adoptés, non plus que l'amendement n°7.
L'article 4 demeure supprimé.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. - Amendement n°13 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Je retire cet amendement, qui était lié aux amendements qui n'ont pas été adoptés.
L'amendement n°13 est retiré.
M. Hussein Bourgi. - Avorter est un acte, être homosexuel relève de l'identité : la comparaison avec les femmes ayant avorté n'avait pas lieu d'être.
Madame la ministre, vous incarnez la maxime du « en même temps » : déclarations d'amour aux personnes concernées et aux associations qui les soutiennent, mais pas d'actes d'amour - les associations vous le rappelleront dans les jours à venir.
Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée nationale, qui, je l'espère, rétablira le texte dans sa version initiale. C'est là que le combat se poursuivra, avant que nous nous retrouvions en CMP.
À la demande du RDPI, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°265 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 340 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.