Améliorer le dispositif de protection temporaire en France

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France, présentée par Mme Nadia Sollogoub et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Nadia Sollogoub, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Merci au président du Sénat et au président Marseille d'avoir inscrit ce texte, certes technique, dans l'espace réservé du groupe UC. Je salue aussi le travail d'Isabelle Florennes, rapporteure, ainsi que la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda.

Le 3 mars 2022, à la suite de l'agression russe contre l'Ukraine, le Conseil de l'Union européenne a enclenché la protection temporaire pour la première fois, dispositif à destination des ressortissants non européens contraints à l'exil face à des violences ou à des violations graves des droits de l'homme. Il s'agit de gérer le cas particulier de mouvements migratoires temporaires.

Face à l'afflux des populations civiles, l'Union européenne a estimé que les conditions exceptionnelles étaient réunies pour accueillir les Ukrainiens sous ce régime. La France a instauré un panier de droits et, unanimement, les Ukrainiens nous ont exprimé leur reconnaissance. Mes chers collègues, je vous remercie d'avoir légiféré en urgence pour rendre ces dispositions opérationnelles.

Personne n'imaginait que ce conflit durerait autant. Or le dispositif de protection temporaire n'est pas adapté dans la durée : il doit être ajusté.

Ce texte part d'un constat : les bénéficiaires de la protection temporaire se tournent maintenant vers la demande d'asile, ce qui est contraire à l'esprit du dispositif. La France est le neuvième pays d'accueil, mais elle reçoit 50 % des demandes d'asile. Le phénomène s'accélère : 3 250 demandes en 2023, 12 031 en 2024, déjà 5 000 en 2025. Ces demandes reçoivent généralement une réponse positive.

Il faut enrayer le phénomène, pour plusieurs raisons. La grande majorité des Ukrainiens souhaitent retourner dans leur pays. De plus, la France n'a pas vocation à garder ces personnes sur son sol. Enfin, l'administration est déjà embolisée par les demandes d'autres réfugiés. Les protégés demandent l'asile par défaut, alors qu'ils souhaitent retourner in fine chez eux.

Ce texte traite de l'exemple ukrainien, mais ce n'est pas un texte pour les Ukrainiens. Nous améliorons un dispositif qui, demain, hélas, bénéficiera peut-être à d'autres peuples fuyant la barbarie et la guerre.

Plusieurs raisons expliquent ces demandes d'asile.

À l'article 1er, j'ai souhaité améliorer la reconnaissance des diplômes, notamment médicaux. Une autorisation d'exercice temporaire avait été accordée jusqu'au 27 décembre 2023.

Un amendement du Gouvernement, adopté hier lors de l'examen de la proposition de loi sur l'amélioration de l'accès aux soins, permet aux réfugiés apatrides d'exercer temporairement en attendant leur réussite aux épreuves de vérification des connaissances (EVC) et accorde aux bénéficiaires de la protection temporaire la même faculté.

Monsieur le ministre, il faut trouver une solution pour le problème de la non-reconnaissance du permis de conduire ukrainien, alors que le permis russe est reconnu, à la suite d'accords bilatéraux -  c'est choquant. Rien ne s'oppose à la signature d'un accord bilatéral, d'autant que les services ukrainiens ont dématérialisé la procédure. Ce serait en outre un signe diplomatique fort envers un pays ami. Cela faciliterait le retour à l'emploi. Je salue la présence du consul d'Ukraine en tribune.

J'espère que cette proposition de loi résoudra ces difficultés.

La très grande majorité des protégés ukrainiens basculent vers des demandes d'asile, accordées dans 98 % des cas, asile qui donne droit à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), au RSA, à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et à l'allocation aux adultes handicapés (AAH). La solution la plus coûteuse pour le budget des collectivités territoriales et de l'État, c'est de laisser faire.

Dans tous les cas, ces bénéficiaires obtiendront une prise en charge sociale. Si nous ne changeons rien, ce sera par le biais d'une demande d'asile, difficilement réversible, et coûteuse. Si nous rendons la protection temporaire plus protectrice, ce sera par le biais de cette solution limitée dans le temps, moins coûteuse.

Évitons que la protection temporaire ne devienne l'antichambre de l'asile.

Bien sûr, cela ne résoudra pas tout. Certaines dispositions sont d'ordre réglementaire. Quant à l'apprentissage de la langue, il exige des moyens suffisants.

J'entends les craintes. Améliorer la protection temporaire en France n'est en aucun cas créer une charge supplémentaire : c'est clarifier et simplifier les tâches administratives, permettre une insertion temporaire et aider ceux qui sont arrivés malgré eux à rester debout en attendant la paix et le jour tant espéré du retour. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Christophe Chaillou applaudit également.)

Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le régime de la protection temporaire a été introduit par une directive du 20 juillet 2001 laissant aux États membres des marges d'appréciation importantes. Appliqué pour la première fois après l'invasion de l'Ukraine, c'est une réussite. Toutes les personnes auditionnées - consul ici présent, associations, administrations centrales ou préfet de la région Île-de-France - ont souligné la qualité de la protection temporaire et de l'accueil en France, qui ont donné aux Ukrainiens accès au logement, au travail et à l'éducation.

Nous devons améliorer ce régime dans la perspective de futures crises, même si certaines évolutions ont déjà permis d'atteindre plusieurs objectifs poursuivis par le texte.

L'article 1er de la proposition de loi étend aux bénéficiaires de la protection temporaire un dispositif dérogatoire qui s'applique notamment aux réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire. Celui-ci prévoit que le nombre maximum de praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ne leur est pas opposable, favorisant l'intégration des professionnels de santé bénéficiaires de ce statut.

L'article 2 favorisait la souscription d'une assurance automobile. Puisque le permis de conduire ukrainien n'est pas reconnu par la France, l'article permettait l'immatriculation en France. Ce n'est pas judicieux, car les conséquences potentielles excèdent tant les sujets de l'assurance automobile que de la protection temporaire. Cela ne relève pas de la loi, mais du réglementaire. La commission a supprimé l'article.

L'article 3 permet aux bénéficiaires de la protection temporaire d'attester d'une résidence normale au sens du code de la route. Mais le droit actuel satisfait déjà cet objectif. L'arrêté du 10 février 2025 prévoit expressément que l'autorisation provisoire de séjour (APS) permet de justifier d'une résidence normale. Idem, l'article a été supprimé.

L'article 4, coeur du dispositif, résulte d'un constat préoccupant. De plus en plus de bénéficiaires de la protection temporaire demandent l'asile : 3 250 en 2023, 12 000 en 2024. Le chiffre a sextuplé depuis 2021. L'Ukraine est devenue le premier pays en matière de demandes d'asile déposées dans notre pays.

La France reçoit la moitié des demandes d'asile des Ukrainiens ; or ce régime n'est pas adapté : un bénéficiaire de la protection subsidiaire ne peut regagner son pays d'origine pendant quatre ans. Les associations ukrainiennes sont très inquiètes de voir leurs concitoyens s'engager dans cette procédure.

Quelles sont les causes ? D'abord, la fréquence des démarches administratives : l'APS doit être renouvelée en préfecture tous les six mois. Un amendement visant à remédier à ce problème a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40. Il faudra envisager une adaptation du dispositif actuel ; le Gouvernement pourrait y procéder par décret. Ensuite, il existe des incertitudes quant à la sortie du dispositif, avec l'échéance du 4 mars 2026. Les États membres devraient le prolonger, mais les bénéficiaires cherchent un statut pérenne. De plus, certains ont des difficultés à se loger. Or l'asile permet de bénéficier du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile (DNA). Enfin, la couverture sociale de la protection temporaire est insuffisante.

L'article 4 étend aux bénéficiaires de la protection temporaire certaines aides sociales : APA, Aspa, allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), AAH et RSA. Nous vous proposons d'écarter le RSA du dispositif, car cette prestation n'est pas appropriée au régime de la protection temporaire, provisoire, et qui se caractérise par la mobilité de ses bénéficiaires.

La question des aides sociales n'épuise pas le sujet : il faut informer de la prolongation vraisemblable du régime en orientant les bénéficiaires de la protection temporaire vers des titres de séjour de droit commun, plus adaptés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Il y a trois ans, la guerre que nous pensions reléguée aux musées de l'histoire s'abattait sur notre continent. Des centaines de milliers d'hommes ont été jetés les uns contre les autres. Des familles ont été décimées. Une grande partie de la population ukrainienne a été contrainte à l'exode.

Souvent critiquée, l'Union européenne a su être au rendez-vous de notre destin commun, en faisant bloc pour dénoncer l'agresseur, en faisant corps avec l'agressé, en soutenant militairement l'Ukraine, en accueillant ces femmes et hommes contraints de quitter leur foyer.

Au 19 février 2025, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 6,5 millions d'Ukrainiens avaient cherché refuge sur les terres européennes : en Pologne, en Allemagne, de Chypre à l'Irlande, en passant par la France - nous accueillions 115 000 Ukrainiens en décembre 2024.

En activant pour la première fois la directive Protection temporaire, le Conseil européen a offert une protection efficace, sans désorganiser les régimes d'asile nationaux. Trois ans plus tard, 4,3 millions de personnes bénéficient de ce statut dans un des 27 États membres.

Nous devons nous féliciter du travail accompli et envisager des améliorations. Si la protection temporaire constituait une réponse souple et agile à la précarité de ces familles, elle connaît certaines limites, notamment en France.

Je remercie Mme Sollogoub, dont je connais l'infatigable engagement. (Mme Nadia Sollogoub apprécie l'hommage.)

Quelque 56 000 ressortissants ukrainiens bénéficient de ce dispositif en France, chiffre faible en raison du nombre croissant de demandes d'asile : en 2024, les Ukrainiens représentent 10 % des premières demandes d'asile.

Or les bénéficiaires de la protection temporaire n'ont pas vocation à demander l'asile, mais à retrouver leur foyer. Leurs proches et leur gouvernement les attendent. Mon homologue ukrainien me l'a dit clairement : eux-mêmes y aspirent.

Si le refuge transitoire constitue une étape vers l'installation pérenne, c'est qu'il est inadapté. Nous devons désormais l'ajuster et interrompre ce jeu de vases communicants, coûteux pour les collectivités territoriales, car le statut de réfugié donne lieu à une installation et à des prestations durables, comme le RSA, sans délai de carence.

Je remercie la commission des lois et sa rapporteure pour leur sens de l'écoute et du dialogue. Les modifications apportées ont sensiblement amélioré le dispositif de la protection temporaire, renforçant l'autonomie des bénéficiaires.

Le permis de conduire relève soit du domaine réglementaire, soit du supranational. J'ai évoqué ce point avec le ministre ukrainien. Des démarches sont engagées pour trouver des solutions pragmatiques.

Les Ukrainiens ont vocation à rentrer dans leur pays. Nous devons préparer leur retour et leur permettre de conserver la même autonomie professionnelle et familiale. La France a fait des efforts pour les intégrer au marché du travail, scolariser leurs enfants. Le Gouvernement soutient d'ailleurs les mesures pour les professionnels de santé. Cependant, nous nous opposons à toute trappe à inactivité, notamment via le RSA.

En renforçant l'intégration professionnelle et en adoptant un équilibre subtil sur les droits sociaux, cette proposition de loi vise juste. Le Gouvernement est favorable à son adoption.

Ce texte traduit l'engagement du Sénat à soutenir nos amis ukrainiens. En février 2023, le Sénat avait reçu Rouslan Stefantchouk, président de la Rada, qui s'était exprimé à cette tribune. Ce symbole a non seulement illustré les liens de confiance entre le Sénat et la Rada, mais surtout consolidé la solidarité entre nos deux peuples. Elle ne se démentira pas. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

M. Christophe Chaillou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il y a plus de trois ans, la Russie agressait l'Ukraine, en violation du droit international. Dès les premiers jours du conflit, des centaines de milliers de civils ont fui. Les citoyens européens se sont mobilisés, traduisant concrètement la solidarité européenne et internationale. En Pologne, en Allemagne, en Roumanie, dans tous les pays européens, les citoyens ont accueilli les déplacés. De nombreuses initiatives ont fleuri dans nos communes.

L'Union européenne a activé, pour la première fois, la directive de 2001 sur la protection temporaire, qui garantit un accès immédiat au séjour, au logement, à la santé et à l'éducation - déjà reconduit deux fois.

Alors que la guerre se poursuit, des difficultés opérationnelles ont été identifiées : difficultés d'accès à certains droits sociaux et en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles, incertitude prolongée pour les familles... De plus en plus de bénéficiaires se tournent vers l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) voit affluer les demandes : 12 000 premières demandes en 2024, contre 3 000 en 2023. La quasi-totalité émane de personnes sous protection temporaire. Cette pression fragilise la qualité de traitement des demandes et compromet une politique d'accueil déjà sous tension.

Je salue la constance de l'engagement de Nadia Sollogoub, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine. (Mme Élisabeth Doineau renchérit.) Son initiative répond à un besoin identifié par les acteurs.

Le texte initial visait à ouvrir des prestations sociales et lever des freins. Il corrigeait quelques angles morts, sans remettre en cause la logique du droit européen.

Dans un souci de dialogue, la commission des lois l'a modifié pour ne retenir que les articles 1er et 4, les plus adaptés aux situations critiques, notamment pour faciliter l'intégration des professionnels de santé dans nos établissements de santé, qui, au reste, en ont grandement besoin.

L'article 4 ouvre l'accès à certaines prestations sociales. L'élargissement au RSA n'a pas été retenu. Nous le regrettons, d'autant que les conséquences auraient été marginales. Nous voterons tout de même cette proposition de loi, qui apporte des avancées concrètes et fait évoluer notre droit dans le sens des principes d'humanité qui ont toujours guidé notre politique d'accueil. La réflexion n'est pas close.

Trois ans après leur arrivée, des familles ont été fondées, le français est maîtrisé, l'emploi est trouvé... Nous devrons envisager d'autres évolutions. Ce n'est pas le petit-fils de réfugiés espagnols ayant connu ce parcours d'intégration républicaine qui le contestera.

Ce texte est positif et bienvenu. Le groupe SER le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC)

Mme Corinne Bourcier .  - Le 24 février 2022, la Russie envahissait l'Ukraine, provoquant un exode massif de la population. Trois ans plus tard, le HCR recense 6,9 millions de réfugiés ukrainiens dans le monde ; Eurostat en dénombre 4,3 millions dans l'Union européenne, bénéficiant du statut de la protection temporaire. Ce statut particulier a été enclenché pour la première fois en mars 2022 face au risque de débordement du système d'asile standard.

Néanmoins, ce statut, plus précaire que l'asile, présente des failles. Aussi je tiens à saluer l'initiative de Nadia Sollogoub, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine.

Cette proposition de loi se veut pragmatique, en apportant des solutions concrètes à certaines difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la protection temporaire.

L'article 1er étend à ses bénéficiaires un dispositif dérogatoire d'accès aux EVC pour les Padhue. L'article 2 institue une procédure dérogatoire d'immatriculation d'un véhicule. L'article 3 attribue à l'APS la qualité de justificatif de la résidence normale requise pour solliciter le permis de conduire. L'article 4 étend l'octroi de plusieurs aides sociales aux bénéficiaires. L'article 5 gage les conséquences financières de la proposition de loi.

La commission des lois a opportunément supprimé le dispositif dérogatoire d'immatriculation, qui relève du domaine réglementaire, tout comme ce qui a trait au passage du permis de conduire. Enfin, si je partage l'objectif de l'article 4, je me félicite de la suppression de l'éligibilité au RSA, en raison de la mobilité des bénéficiaires de la protection temporaire. Je félicite la rapporteure pour son travail.

Le monde se trouve confronté à une forte hausse du nombre de personnes déplacées en raison de guerres, de persécutions ou du changement climatique. Leur situation mérite toute notre attention.

Cette proposition de loi parfait dès à présent le régime de protection temporaire en France. Le groupe Les Indépendants la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Catherine Di Folco .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La protection temporaire est un régime distinct de l'asile et de la protection subsidiaire, créé par la directive du 20 juillet 2001. Conçu comme une réponse rapide à une crise aiguë, il a été activé pour la première fois par le Conseil de l'Union européenne le 24 février 2022 au bénéfice des Ukrainiens, après l'invasion russe. En principe, il arrivera à échéance le 4 mars 2026.

La protection temporaire a permis d'accueillir dignement plusieurs millions d'Ukrainiens dans l'Union européenne, notamment des femmes et des enfants, dont plus de 110 000 en France. C'était une réponse salutaire au défi humanitaire, et une démonstration de notre solidarité ; c'était la bonne réponse face à une situation unique et urgente.

Après plusieurs années d'application, ses limites sont toutefois illustrées par le glissement de certaines personnes protégées temporairement vers le statut de réfugié. Il fallait donc l'améliorer.

La proposition de loi garantit l'accès des bénéficiaires de la protection temporaire aux EVC des Padhue, pour les intégrer plus solidement plutôt que de multiplier dérogations et expédients.

Elle aménage aussi l'octroi de plusieurs aides sociales, telles que l'AAH ou l'APA, pour se rapprocher des garanties associées à d'autres formes de protection internationale.

Il s'agit d'éviter un report vers les demandes d'asile, qui dénature la protection temporaire pour en faire une simple antichambre de l'asile plutôt qu'un régime à part entière, limité à la durée de la guerre.

C'est aussi pourquoi nous soutenons la décision de la rapporteure de retirer de la liste des prestations le RSA, inadapté au cadre provisoire de la protection temporaire et à la mobilité de ses bénéficiaires.

Nous serons vigilants sur les conséquences financières, notamment dans le champ des aides sociales. Le texte ne doit pas peser sur les collectivités territoriales, dont les finances sont fragiles et qui ont déjà contribué largement au bon accueil des Ukrainiens sur notre territoire. Il faudra de solides assurances politiques et juridiques du Gouvernement.

Nous formons le voeu que la guerre cesse rapidement et que les réfugiés puissent retrouver leur patrie et reconstruire leur vie.

Le groupe Les Républicains votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) Le 24 février 2022, la Russie agressait l'Ukraine. En mars, l'Union européenne activait la protection temporaire pour garantir un accueil digne aux populations fuyant le conflit. La France a accueilli 85 000 ressortissants ukrainiens dans ce cadre.

Ce dispositif requiert désormais des ajustements. C'est l'objet de la proposition de loi de Mme Sollogoub, que je félicite. (Mme Nadia Sollogoub apprécie.) Je salue aussi le travail de la rapporteure.

L'utilisation de la protection temporaire doit être plus pérenne à l'avenir, le contexte géopolitique nous faisant craindre que d'autres populations soient chassées de leur pays par la guerre.

Il s'agit d'une part de garantir l'accueil digne des personnes protégées ; d'autre part, de prévenir le contournement du caractère temporaire du dispositif en sollicitant le statut de réfugié.

La protection temporaire n'a pas vocation à se substituer à l'asile, dont l'octroi dépend d'un autre régime. C'est une réponse d'urgence, activée pour faire face à des déplacements massifs de population.

La proposition de loi apporte des améliorations substantielles.

L'article 1er ouvre la possibilité aux bénéficiaires professionnels de santé d'exercer, sous certaines conditions - d'autant que notre pays a besoin de leur expertise dans ces secteurs tendus.

Les ajustements en commission vont dans le bon sens. La commission a ainsi retiré le RSA de la liste des prestations ouvertes aux bénéficiaires de la protection temporaire. Le maintien de l'accès aux autres allocations garantira un soutien nécessaire aux intéressés.

Une protection temporaire qui n'offre pas de conditions de vie stable ni un accompagnement suffisant pousse mécaniquement ses bénéficiaires vers des procédures plus protectrices, mais moins adaptées. En 2024, plus de 11 800 premières demandes d'asile ont été déposées par des Ukrainiens, quatre fois plus qu'en 2023. C'est ce que ce texte entend corriger, en apportant une sécurité juridique et matérielle aux bénéficiaires de la protection temporaire. Elle permet aussi de mieux organiser leur retour, dès lors que la situation le permet.

Il s'agit de maintenir un équilibre : assurer une intégration suffisante, tout en évitant une installation définitive des personnes protégées.

Ce texte réaffirme la vocation transitoire de la protection temporaire. Il clarifie ses contours et améliore son contenu, afin de ne pas accentuer la pression sur notre système d'asile.

L'accueil des Ukrainiens est un enjeu d'humanité et de dignité. C'est un impératif moral. Le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. André Guiol .  - Je salue la pugnacité de Nadia Sollogoub. Depuis le déclenchement de la directive de 2001, le 4 mars 2022, près de 4,2 millions de déplacés ont bénéficié de la protection temporaire dans l'Union européenne. En France, environ 120 000 APS ont été délivrées ; 56 000 personnes en bénéficient encore, surtout des femmes et des enfants.

Ils bénéficient d'une protection immédiate, collective, temporaire, mais sont en pratique traités comme des demandeurs d'asile. Ils perçoivent une aide transitoire prévue pour les personnes sans droit au séjour établi -  incongruité juridique qui conduit un nombre croissant d'entre eux à déposer une demande d'asile.

La proposition de loi aligne les droits des bénéficiaires de la protection temporaire sur ceux des bénéficiaires du droit d'asile.

La commission a cependant supprimé l'ouverture du RSA, par crainte de peser financièrement sur les départements. On peut le comprendre, même si le surcoût aurait sans doute été modéré...

Au titre des avancées, la proposition de loi ouvre l'accès à l'AAH, l'APA, l'ASI et l'Aspa, et facilite l'intégration des professionnels de santé. Cela répond à des besoins réels, exprimés par les collectivités territoriales et les ARS.

Je veux insister sur le caractère géopolitique de ce texte, qui est aussi un geste de solidarité et de cohérence diplomatique. Nous contribuons ainsi à la résilience d'un peuple et au soutien moral qu'il est en droit d'attendre de ses partenaires européens.

Ce texte est nécessaire, équilibré et conforme à nos engagements multilatéraux. Le RDSE le votera. (MmeNadia Sollogoub et Isabelle Florennes applaudissent.)

Mme Olivia Richard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans le cadre d'une mission de notre délégation aux droits des femmes sur les femmes sans abri, nous avons suivi le Samu social de Paris. Cette nuit-là, il n'y avait que deux places pour les femmes seules. Le premier appel émanait d'une Ukrainienne, suppliant qu'on l'abrite pour la nuit avec son fils, qui toussait derrière.

Sur les 3 000 femmes qui passent la nuit à la rue, 40 % sont étrangères, souvent ukrainiennes, souvent avec des enfants.

L'hébergement d'urgence est débordé : sont prioritaires les femmes enceintes d'au moins sept mois, ou accompagnées d'un bébé - jusqu'à ses trois mois. Le fils de cette femme avait 7 ans. Aucune solution n'a été trouvée ce soir-là.

Les associations d'aide aux Ukrainiens n'ont pas plus de visibilité budgétaire que les autres. Nadia Sollogoub a obtenu de haute lutte 10 000 places d'hébergement d'urgence pour les Ukrainiennes - il en faudrait le triple. Je crains le pire avec les restrictions budgétaires à venir.

Nous avons accueilli massivement, mais selon des modalités telles que les Ukrainiens se tournent massivement vers la demande d'asile - plus coûteux pour nous et moins adapté pour eux.

Nadia Sollogoub tire la sonnette d'alarme. Certaines dispositions sont d'ordre réglementaire, mais pourtant essentielles. Ma stagiaire Orane m'a parlé des trois Ukrainiennes accueillies dans sa famille, dans un village où même la boulangerie n'est accessible qu'en voiture : âgées, ne parlant pas français, elles ont fini par demander à être relogées ailleurs. La reconnaissance du permis de conduire est indispensable : je compte sur le ministère pour la conclusion rapide d'un accord.

Nous avons promis protection aux Ukrainiens, le temps nécessaire à la négociation de la paix. Trois ans plus tard, ce provisoire qui dure montre ses limites.

Pouvoir travailler, apprendre notre langue, bénéficier d'une protection sociale adaptée au grand âge - ce sont des propositions de bon sens. Cette proposition de loi permettra d'améliorer certains aspects de notre droit. Je salue les travaux de notre rapporteure en ce sens.

Cette proposition de loi a vocation à s'appliquer à l'ensemble des personnes qui seraient amenées à rechercher la protection de la France.

J'entends les préoccupations financières, mais la recherche d'économies peut coûter cher. Un étranger bien intégré coûte moins cher à notre société ! Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Laurent Somon applaudit également.)

Mme Marianne Margaté .  - La directive relative à la protection temporaire était une belle endormie, inutilisée pour les Syriens ou les Afghans. Ce refus de solidarité est responsable des milliers de morts en Méditerranée, victimes des accords miniers, des concessions pétrolières, des contrats d'armement qui nous enrichissent.

Enfin déclenchée en mars 2022, la directive a constitué une bouée de sauvetage juridique pour les Ukrainiens fuyant leur pays.

La présente proposition de loi entend améliorer la protection temporaire en assurant une intégration digne des personnes protégées, en leur accordant un soutien social de droit commun. Nous y sommes naturellement favorables et notre groupe votera pour ce texte.

Il montre que nous savons parfois reconnaître, accompagner et inclure, au lieu de militariser, refouler, marginaliser.

Le 28 mars 2022, le ministre de l'intérieur débloquait 10 000 places d'hébergement pour les Ukrainiens ; pour les autres nationalités, gares et trains restent des lieux de traque et de contrôle. L'État noue un partenariat inédit avec la SNCF pour déplacer gratuitement les familles ukrainiennes ; dans la vallée de la Roya, des gendarmes mobiles contrôlent la gare TER avec pour consigne d'agir avec bienveillance - si les réfugiés sont ukrainiens. Pourquoi une telle différence de traitement ? Pourquoi un Syrien, un Soudanais, un Afghan, un Birman ne trouve-t-il pas la même grâce aux yeux de vos services ? À quand l'activation de la directive de protection temporaire pour les Palestiniens ?

D'un côté, les commandes d'armement ; de l'autre, le marché mondial de la sécurité frontalière. Expulsion en amont, capture à l'aval, double facturation sur le même mouvement humain ! La solidarité est un vain mot. La stratégie de l'Union européenne repose sur des violations avérées des droits de l'homme, tout en offrant des bénéfices substantiels aux industriels de l'armement. Personne n'est illégal. Les causes de la fuite sont presque toujours liées à la guerre ou aux inégalités de richesse. Le droit au refuge doit être effectif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du GEST et du groupe UC)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Avant tout, j'exprime l'espoir de notre groupe de retrouver la paix sur notre continent.

Cette proposition de loi vise à améliorer une situation après en avoir évalué les écueils : la démarche nous est chère.

La protection temporaire a été mise en place pour les Ukrainiens dès le début de la guerre. C'est un modèle de coopération européenne, la preuve que nous savons organiser un accueil digne. Reste juste à l'étendre à tous ceux qui fuient des conflits partout dans le monde !

La situation en Ukraine étant enlisée, ce dispositif temporaire perdure, hélas. Il a été prorogé deux fois.

Cette pérennisation du conflit n'est pas sans conséquences pour les bénéficiaires de la protection temporaire, de moins en moins nombreux à exprimer une intention de retour. Les Ukrainiens sont désormais la deuxième nationalité à demander l'asile, derrière les Afghans.

Notre groupe proposait de porter la durée de l'APS de six mois à un an, car la fréquence des démarches administratives est un des inconvénients de la protection temporaire par rapport à l'asile. On nous a opposé l'article 40 - alors que la mesure aurait permis des économies !

L'accompagnement social des bénéficiaires est essentiel. Près de la moitié de ceux qui retournent en Ukraine le font pour des raisons économiques ; pour 27 % d'entre eux, c'est près des lignes de front. C'est pourquoi nous proposerons de rétablir l'ouverture du RSA aux bénéficiaires de la protection temporaire.

Nous avons aussi alerté sur le logement ; les aléas budgétaires empêchent d'avoir une perspective de long terme.

Nous saluons la démarche de Nadia Sollogoub qui s'appuie sur un retour d'expérience. Droit au travail, au logement, à la santé et à l'école : nous voterons ce texte qui va dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et UC)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue l'initiative de Nadia Sollogoub. Depuis le début du conflit en Ukraine, la France a su répondre avec solidarité et efficacité à l'afflux de déplacés ukrainiens.

La protection temporaire déclenchée par l'Union européenne a bénéficié à 4,5 millions d'Ukrainiens ; la France a accueilli 111 299 ressortissants ukrainiens et leur a accordé le séjour, l'accès au travail et au logement, l'assistance médicale et sociale et la scolarisation.

Les efforts déployés témoignent de notre engagement. Mais des difficultés subsistent.

L'APS n'est valable que six mois, renouvelables dans la limite de trois ans ; l'échéance est fixée au 4 mars 2026. Il faut donc choisir : demander l'asile pour continuer à bénéficier de toutes les prestations, ou rentrer en Ukraine. Sans solution coordonnée et collective, les systèmes d'asile risquent d'être submergés. Quid des personnes qui ne souhaitent pas l'asile mais espèrent rentrer un jour dans leur pays ?

Cette proposition de loi y répond en conférant aux bénéficiaires de la protection temporaire les mêmes droits qu'ouvre le bénéfice de l'asile. Elle étend l'accès à l'APA, l'AAH, l'Aspa et l'ASI. Toutefois, la protection temporaire est par définition un statut provisoire - c'est pourquoi le RSA a été exclu. Vu notre situation économique complexe, il est impératif de procéder avec prudence et discernement. Nous devons veiller à l'équilibre entre solidarité et responsabilité budgétaire.

Mais notre groupe votera le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°3 du Gouvernement.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - L'article 1er facilite les épreuves de vérification des connaissances, qui prendront la forme d'un examen et non d'un concours, pour les médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes -  mais pas pour les pharmaciens. Cet amendement y remédie, dans un souci de cohérence.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure.  - C'est opportun : avis favorable.

L'amendement n°3 est adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

Article 4

M. le président.  - Amendement n°2 de M. Benarroche et alii.

M. Guy Benarroche.  - Cet amendement réintroduit le bénéfice du RSA, supprimé par la commission des lois. Les difficultés financières rencontrées par les bénéficiaires de la protection temporaire les conduisent soit à demander l'asile, soit à retourner au pays. Cette mesure est justifiée, sans être dispendieuse.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure.  - Avis défavorable.

Le RSA n'apparaît pas adapté aux bénéficiaires de la protection temporaire, qui se caractérisent par une grande mobilité au sein de l'Union européenne. Par essence, la protection est provisoire.

La proposition de loi dépasse le seul cas des Ukrainiens, car ce régime pourrait devoir être à nouveau mobilisé : ne préjugeons pas de l'avenir, laissons une marge d'appréciation au Gouvernement.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Je ne saurai mieux dire.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté.

Article 5

M. le président.  - Amendement n°4 du Gouvernement.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Cet amendement supprime le gage. Après analyse, nous considérons que nous resterons dans l'enveloppe disponible.

Mme Isabelle Florennes, rapporteure.  - Avis favorable.

L'amendement n°4 est adopté et l'article 5 est supprimé.

À la demande du groupe UC, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°279 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 343
Contre    0

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements)

Mme Nadia Sollogoub.  - Je suis comblée et émue. En septembre 2020, quand j'ai pris la présidence du groupe d'amitié France-Ukraine, jamais je n'aurais imaginé un tel cauchemar. Notre amitié a grandi dans un contexte bien difficile et n'en est que plus forte. Merci à tous ceux qui ont été à nos côtés.

C'est dans un esprit lucide et dépassionné que j'ai porté ce texte qui se veut aussi technique.

Je remercie tous ceux qui sont en première ligne sur le deuxième front humanitaire. Je salue le consul d'Ukraine, Serhii Esaulov, présent en tribune, et les services de l'ambassade d'Ukraine en France, qui font un travail héroïque. (Applaudissements) Merci au préfet Joseph Zimet pour son expertise, son engagement et sa bienveillance. (Applaudissements) Merci aux associations engagées, à Isabelle Florennes et Olivia Richard, à tous les orateurs qui m'ont témoigné leur amitié et leur soutien, aux membres du groupe d'amitié.

Monsieur le ministre, votre approche constructive nous permet de faire un grand pas en avant. Je souhaite désormais un examen rapide à l'Assemblée nationale, et une adoption conforme.

Demain, ce sera la fête de la Vyshyvanka, les chemises brodées ukrainiennes : grâce à vous, elles seront plus légères sur nos épaules. (Applaudissements)