Avenir de la filière automobile

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir de la filière automobile, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) La commission des affaires économiques a adopté les conclusions de la mission d'information sur l'avenir de l'industrie automobile française. Nous avons alerté sur la situation catastrophique de la filière : elle est à l'agonie. La possibilité d'un avenir pour la filière automobile est de plus en plus hypothétique. Il y a un an, Luc Chatel nous disait : « l'industrie automobile française peut disparaître. » C'est ce qui est en train de se produire : après les plans sociaux chez Michelin et Valeo à l'automne dernier, les usines Stellantis de Sochaux, Mulhouse et Poissy ont été partiellement mises à l'arrêt. La crise se propage aux sous-traitants : chez NovAsco, 500 emplois sont supprimés et trois usines seront fermées.

Les causes sont connues : d'abord, nous assistons à une contraction sans précédent du marché. Depuis la crise sanitaire, les ventes de véhicules neufs ont chuté de 20 %. La part des ventes des véhicules électriques et hybrides rechargeables a même baissé en 2024 et 2025.

Ensuite, la Chine exerce une concurrence débridée et massive : elle représente un tiers de la production mondiale, deux tiers des voitures électriques. Elle produit plus de véhicules que l'Europe et les États-Unis réunis, et est devenue en 2023 le premier exportateur mondial. Inexistantes il y a quelques années, les importations chinoises dans l'Union européenne ont été multipliées par quinze depuis 2019, en raison de prix 30 % moins cher qu'en Europe.

L'Europe décroche en raison de son manque d'ambition industrielle, alors que la Chine, volontariste et planificatrice, a anticipé les évolutions. Nous avons réglementé le marché, sans nous demander si l'industrie allait suivre. Quelque 80 % des batteries utilisées viennent d'Asie. Le péché originel : le Green Deal européen, qui a fixé la date de fin de vente des véhicules thermiques neufs à 2035 - sans étude d'impact, sans concertation. Avec la Californie, nous sommes les seuls à avoir commis cette folie. Réglementer, ce n'est pas une politique industrielle. Le marché de la voiture électrique ne décolle pas.

La transition vers l'électrique à marche forcée est une menace existentielle, or l'industrie automobile constitue un enjeu de souveraineté : elle fait vivre 350 000 salariés, répartis sur 4 000 sites. Épine dorsale de l'industrie française, elle irrigue d'autres secteurs. La disparition de certains sous-traitants aurait des conséquences dramatiques sur la chimie ou la métallurgie. Notre capacité militaire pourrait être affaiblie.

Dans notre rapport, nous proposons dix-huit mesures, à mettre en oeuvre principalement à l'échelle européenne, à l'instar du relèvement massif des droits de douane sur les véhicules chinois, étendus aux composants clefs, ainsi que d'un seuil minimum de contenu européen dans les véhicules vendus en Europe. Cela évitera que notre industrie ne soit balayée, comme en matière de téléphonie ou de sidérurgie.

Nous proposons également de repousser la date d'interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs. S'arc-bouter aurait un coût social, économique et écologique démentiel. Alors que l'âge moyen du parc ne cesse de s'allonger, les solutions décarbonées pour les véhicules thermiques feront aussi baisser leurs émissions carbone.

Je plaide pour une réelle application du principe de neutralité technologique. Il faut tirer parti des biocarburants, solution que nous maîtrisons. Or vous proposez d'augmenter les taxes en la matière. Le Président de la République a réaffirmé sa volonté de maintenir l'échéance de 2035. (On le déplore à droite.) À quoi joue-t-on, alors que l'on parle sans cesse de réindustrialisation ? Même les « vertueux » Allemands s'y sont convertis.

Constructeurs, équipementiers, sous-traitants, concessionnaires nous l'ont dit : l'industrie française est en ordre de marche pour retrouver la place qu'elle détenait dans la compétition mondiale. Elle a besoin de temps, de nous et de vous, c'est-à-dire de la voix de la France à Bruxelles. Pas de réindustrialisation du pays sans l'automobile ! Il faut une stratégie claire et ambitieuse ne pas devenir de simples consommateurs de produits dont nous aurions perdu la maîtrise.

Quelles sont les intentions du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie.  - Ne doutez pas de la volonté du Gouvernement d'être aux côtés de son industrie. Depuis octobre 2024, des droits de douane -  de 30 % à 50 % en fonction des véhicules  - sont appliqués, réduisant la part de marché des véhicules chinois de 18 % à 14 %. L'écoconditionnalité, mise en place en octobre 2023, a fait chuter la part de véhicules chinois de 41 % à 14 %. J'aurais aimé vous entendre parler de la préférence européenne ou du contenu local.

M. Alain Cadec.  - J'en ai parlé...

M. Rémi Cardon .  - Nous partageons tous le constat alarmant sur cette industrie qui fut un fleuron. Notre filière automobile, pilier historique de l'industrie française, traverse l'une des plus profondes crises de son histoire. Elle est le produit de deux décennies de délocalisation et de notre affaiblissement industriel. Notre rapport tire la sonnette d'alarme. Les ventes chutent, la production s'effondre, les marges des producteurs diminuent alors qu'il faut investir des dizaines de milliards d'euros ; pendant ce temps, la concurrence chinoise roule sur l'Europe, notamment grâce à son avance technologique et son accès privilégié aux matières critiques. Notre responsabilité politique est immense, pour non pas ralentir la transition énergétique, mais l'accélérer pour tous les Français. Nous ne devons pas nous résigner. Déjouons les pronostics qui parient sur le crash programmé de notre industrie.

La première exigence relève de la politique de l'offre et de la politique commerciale : nous devons protéger notre industrie avec des contenus locaux et européens. Les droits de douane sont-ils suffisants ? L'éco-score permet de nous protéger de l'invasion des véhicules chinois. La fourchette de 30 % à 50 % nous paraît trop juste. Il faut voir s'il n'y a pas de concurrence intraeuropéenne déloyale. La Commission européenne devrait mieux réguler le marché à ce niveau également. Nous devons protéger les différentes étapes en allant, pourquoi pas, jusqu'à conditionner l'accès au marché européen à des transferts de technologies. Certains pays à proximité de l'Union européenne n'ont pas de droits de douane, comme le Maroc ou la Turquie. Une usine de BYD s'implanterait même en Hongrie... Il faut surveiller tout cela.

La deuxième exigence est de maintenir l'ambition d'électrification de notre parc automobile - je diffère de mes co-rapporteurs à ce sujet. La taxe CAFE (Corporate Average Fuel Economy) pose davantage problème que la date de 2035, qui correspond à la fin des ventes de véhicules thermiques neufs -  et non l'interdiction de rouler avec !

La troisième exigence est de rendre la voiture électrique accessible. Il faut une politique de demande. Le leasing social est réalisé avec l'éco-score. Mais il faut toucher surtout les classes moyennes et populaires. Le leasing social se concentre sur une tranche à 16 000 euros, alors que le Smic est à 17 000 euros par an - les personnes qui touchent le Smic n'y auraient pas droit. Repensons tout cela et multiplions les efforts pour accélérer l'achat de voitures électriques.

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - La date de 2035 ne doit pas être un dogme. (Marques de soulagement sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Rémy Pointereau.  - Enfin !

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Nous sommes ouverts à des assouplissements, mais devons dans le même temps avancer sur le contenu local et la préférence européenne pour pérenniser une industrie européenne et française.

M. Rémy Pointereau.  - C'est mal parti...

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Si le contenu local est inférieur à 75 %, on fermera des usines ; au-delà, on en rouvrira. Il s'agit donc d'assouplir, mais aussi de mieux protéger l'industrie européenne.

Oui à la souplesse, mais en défendant nos usines par la préférence européenne. (MM. Alain Cadec et Pierre Cuypers applaudissent.)

M. Rémi Cardon.  - Les batteries sont un sujet majeur, notamment dans les Hauts de France, avec la perspective de 30 000 nouveaux emplois. Continuons, car cela va dans le bon sens.

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Absolument !

M. Fabien Gay .  - Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat.

Souveraineté, réindustrialisation et transition écologique sont dans toutes les bouches, mais dans les ateliers, les fonderies et les usines, les salariés voient les chaînes s'arrêter et les sites fermer. En vingt ans, nous avons perdu 114 000 emplois dans l'automobile, et on anticipe 80 000 suppressions supplémentaires d'ici à 2030. La production nationale est au plus bas depuis 1962. Notre déficit commercial automobile atteint 24 milliards d'euros.

Cette spirale de désindustrialisation est la conséquence de choix politiques. Dans le même temps, l'argent public coule, sans transparence ni suivi. Près de 6 milliards d'euros d'aides ont été versés à la filière entre 2020 et 2022, sans être conditionnés au maintien de l'emploi ou à la relocalisation de productions stratégiques.

Les gouvernements successifs n'ont jamais essayé de corriger le tir. Les donneurs d'ordre ont les mains libres pour fermer les sous-traitants les uns après les autres. Toujours le même schéma : baisse des commandes, mise en concurrence avec des pays moins-disant, puis la liquidation. Et lorsque les salariés s'insurgent, le même le refrain : impossible d'aller contre le marché, d'intervenir sur les décisions des donneurs d'ordre, l'Europe l'interdit. Résultat, la sous-traitance, colonne vertébrale de la filière, s'effondre. Nos PME disparaissent dans l'indifférence. Sur le site historique de PSA à Aulnay, MA France a délocalisé sa production en Turquie.

La responsabilité est aussi politique : en sacrifiant la logique industrielle sur l'autel de la baisse du coût du travail, on organise notre désindustrialisation. L'incertitude autour du prix de l'énergie, du fait de la dérégulation du marché, décourage les investissements.

Une voiture neuve coûte désormais autour de 35 000 euros. L'âge moyen du premier achat est de 57 ans. La voiture populaire a disparu et avec elle, l'accès pour les jeunes et les classes populaires. Quand la Chine propose des voitures électriques à moins de 10 000 euros et le Japon, de petites voitures fiables et économiques, nous nous enfermons dans des modèles toujours plus lourds et plus chers.

M. Thomas Dossus.  - C'est vrai !

M. Fabien Gay.  - Il est temps de reprendre la main, de conditionner l'argent public, de renverser le rapport de force avec les donneurs d'ordres, de garantir un prix de l'énergie stable, de relancer une voiture populaire française. Nous avons les savoir-faire, il nous faut une volonté politique ferme. Écoutons les travailleurs et travailleuses de la filière ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et Les Républicains ; MM. Marc Laménie, Henri Cabanel et Guislain Cambier applaudissent également.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Je connais votre combat sur la question des aides publiques - mais si nos entreprises allaient si bien, elles n'en auraient pas besoin. Notre tissu économique a besoin d'être soutenu. Face à la concurrence déloyale de la Chine, il faut une intervention publique.

Il est faux de dire que les 6 milliards d'aides ne sont pas conditionnés. Les 3,5 milliards qui vont à la batterie sont conditionnés à la sortie d'une vraie filière dans les Hauts-de-France. En face des 2 milliards pour les constructeurs et équipementiers, il y a des projets d'investissement, de transition, de soutien à la filière.

M. Fabien Gay.  - Le combat sur les aides publiques devrait être le nôtre, le vôtre. Il faut bien sûr soutenir l'économie réelle, mais les aides publiques doivent venir en appui de politiques publiques ciblées.

Les sous-traitants qui avaient reçu des aides pendant la pandémie pour maintenir l'emploi n'ont pas hésité à licencier, car les aides n'étaient pas conditionnées au maintien des savoir-faire et des sites.

Attention : nous sommes en train de nous hyperspécialiser sur la batterie électrique, mais tout le reste part ailleurs. Nous perdons en réalité notre souveraineté sur l'ensemble de la chaîne de production.

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La voiture est une histoire industrielle française, celle d'un pays pionnier. Elle a longtemps été le symbole de la mobilité, donc de la liberté. Elle reste indispensable au quotidien de nombreux Français. Il y a une évolution, mais pas une révolution des modes de déplacement. Alors, comment expliquer l'agonie de la filière automobile ?

Cela tient d'abord à l'explosion du coût des voitures neuves, les constructeurs s'entêtant à privilégier les berlines et SUV toujours plus spacieux, toujours plus lourds et bardés de gadgets inutiles. En six ans, le prix moyen d'un véhicule neuf est passé de 26 000 à 36 000 euros. Les marchés extérieurs pour ces gros modèles thermiques onéreux se sont fermés, en particulier le marché chinois. Dire que certains voudraient brader notre agriculture avec le Mercosur pour essayer de vendre quelques berlines thermiques en Amérique latine...

Les constructeurs sont devenus des groupes mondialisés qui délocalisent, sous-traitent, méprisent leurs salariés, ne cherchent qu'à maximiser leurs marges, sans réinvestir dans l'outil industriel.

À l'heure des vérités alternatives, beaucoup ont l'explication : tout serait la faute des écologistes !

MM. Rémy Pointereau et Pierre Cuypers.  - C'est vrai !

M. Daniel Salmon.  - La faute aussi de Bruxelles, ou de l'Allemagne. Quelle clairvoyance ! Nous faisons fausse route, mais ne changeons pas de cap ! Dommage, il n'y aura pas de retour vers le véhicule thermique, car malgré la désinformation et le climatoscepticisme, l'avenir est à la sobriété, l'efficacité et la décarbonation.

La voiture restera indispensable, mais pas n'importe laquelle : une voiture électrique, plus petite, plus légère, plus sobre en gadgets, bien moins chère et beaucoup plus écologique.

M. Rémy Pointereau.  - Ce n'est pas le cas !

M. Daniel Salmon.  - La France avait pourtant de bonnes bases, avec la Zoe et la Kangoo. Quatorze milliards d'euros d'aides, pour un tel résultat... L'État doit redevenir stratège. La France peut redevenir un pilier européen en choisissant ses batailles, en coordination avec ses voisins. Cela implique de conditionner strictement l'argent public. Chaque euro doit créer de l'emploi ici, renforcer nos capacités industrielles et accélérer la transition écologique. L'État doit assumer son rôle d'actionnaire chez Renault et Stellantis. Les flottes d'entreprise doivent s'orienter massivement vers l'électrique pour abonder le marché de seconde main.

Rien ne tiendra toutefois si l'Europe reste une passoire. Elle doit lutter contre les importations déloyales et assumer la préférence européenne. Enfin nous devons revoir les règles sur les aides d'État, pour bâtir ensemble les Airbus de l'électromobilité. Regardons vers l'avenir, arrêtons le stop and go et fuyons le populisme et son obscurantisme. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Nous ne relèverons pas les défis sans les constructeurs. Nous avons besoin de champions industriels ; nous avons besoin de fixer un cap avec eux.

L'échéance de 2035 n'est pas un totem, mais faut maintenir un signal de marché. Ce n'est pas un point final, mais un nouveau départ.

Nous travaillons avec la Commission européenne sur le petit véhicule électrique. Nous voulons de la sécurité, mais ajouter des options renchérit le coût du véhicule. Ces petits véhicules plus sobres en équipement devront être construits en Europe, avec une part de préférence européenne autour de 75 % dans nos véhicules.

M. Daniel Salmon.  - La nostalgie ne peut pas tenir lieu de politique. Le véhicule thermique a un rendement de 30 %, le véhicule électrique de 80 % : on voit bien dans quelle direction aller.

Il faut allier écologie, économie, santé - les particules fines tuent 40 000 personnes par an - et vision sociale.

Là où nous divergeons, c'est sur la confiance aux constructeurs. Ces capitaines d'industrie se sont surtout préoccupés de leur portefeuille et de celui de leurs actionnaires, et leur vision court-termiste nous a conduits dans l'impasse. Il est temps que le politique reprenne la main !

M. Philippe Grosvalet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.) Forte de ses capacités d'innovation, de ses sites industriels et d'une main d'oeuvre qualifiée, la France a longtemps été le deuxième producteur européen de véhicules particuliers. Hélas, ce temps est révolu. La production domestique est passée de 3,3 millions de véhicules à 1,5 million en 2023. Notre part dans la production européenne a été divisée par plus de deux. Au niveau mondial, elle a reculé de 5 % à 2 % entre 2000 et 2023.

Les causes sont à la fois structurelles et conjoncturelles. Le secteur a fait le choix stratégique des délocalisations vers les pays à bas coût depuis les années 2000 - d'abord la production finale, puis les sous-traitants. L'addition est sévère : 125 000 emplois perdus en vingt ans.

Le secteur traverse crise sur crise : covid, semi-conducteurs, énergie. Résultat, entre 2019 et 2024, le marché automobile européen a perdu plus de 2 millions d'unités.

La hausse des droits de douane américains et la prédation chinoise sur les véhicules électriques et les pièces détachées hystérisent la concurrence, alors que le secteur doit accélérer la transition énergétique.

La filière automobile est structurante pour nos territoires, avec 350 000 salariés sur 4 000 sites. Or depuis janvier 2024, près de 7 000 emplois ont été supprimés ou menacés chez les équipementiers et fournisseurs. Cette saignée doit cesser. Il faut un cadre européen protecteur. Ce qu'ont parfaitement souligné Alain Cadec, Annick Jacquemet et Rémi Cardon. Il est temps de protéger notre marché.

Comment comptez-vous maintenir et développer notre activité industrielle automobile dans nos territoires ?

Sur le volet énergétique, la transition passe par un déploiement massif des bornes de recharge, notamment en zone rurale, et par plus de sobriété sur le poids, la taille et les technologies embarquées. C'est aussi une question d'accessibilité, alors que le prix des voitures neuves a augmenté de 40 % entre 2018 et 2024.

Enfin il ne faut pas détricoter l'objectif de 2035, mais travailler avec les industriels en gardant le cap. Monsieur le ministre, vous inscrivez-vous toujours dans le cadre du Green New Deal ?

L'automobile, c'est aussi la promesse d'une mobilité accessible, populaire, or trop de nos concitoyens peinent à se déplacer, surtout en zone rurale. Cela affecte les trajectoires personnelles et professionnelles, et creuse les inégalités. Il faut intégrer les enjeux de partage des véhicules, de recyclage des pièces, de covoiturage. Quelles propositions du Gouvernement sur ces sujets ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Que de questions ! Sur l'échéance de 2035, je veux être précis. J'ai rencontré les industriels. Personne ne veut d'un retour en arrière technologique. Personne ne dit qu'il faut annuler l'échéance de 2035.

M. Rémy Pointereau.  - Reporter !

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Ce qu'ils demandent, c'est un assouplissement, à travers le concept de neutralité technologique.

Ce que je vous demande, c'est que nous nous accordions pour dire que cela doit impérativement s'accompagner de la préférence européenne et du contenu local. Ce combat n'est pas forcément gagné.

Si nous sommes capables, en Europe, de produire des véhicules avec 75 % de contenu local, nous devons, dans le cadre de la négociation sur 2035, élaborer, avec nos constructeurs européens, cette stratégie de la préférence européenne qui fera vivre nos sous-traitants et nos territoires. Si nous ne tenons pas ce cap de 75 % de contenu local, alors nous ne serons pas au rendez-vous de l'emploi dans nos territoires.

Mme Annick Jacquemet .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Élue du Doubs, berceau historique de l'automobile, je sais la crise existentielle que traverse ce secteur, colonne vertébrale de notre tissu industriel.

Le constat que dresse notre rapport d'information est sans appel : avec la succession des crises, le marché automobile européen a perdu deux millions de voitures entre 2019 et 2024. Affaiblie par deux décennies de délocalisation, l'industrie française a moins bien résisté que ses voisins. En 2023, notre production restait inférieure de 40 % à celle de 2019.

Le problème n'est pas que conjoncturel. Notre production est passée de 3,3 millions de véhicules en 2000 à 1,5 million en 2023, soit son niveau des années 1960. La part de la France dans la production européenne a chuté de 20 à 8 %, et de 5,6 à 1,6 % dans la production mondiale. Conséquence des délocalisations, la part de production réalisée en France par les constructeurs nationaux a été divisée par deux entre 2003 et 2019, passant de 64 % à 31 %.

En parallèle, soulignons l'ascension fulgurante des constructeurs chinois, avec des voitures à des prix 30 % inférieurs à ceux des véhicules européens, qui ont quadruplé entre 2021 et 2023.

Face à ce péril mortel, nous avons formulé dix-huit recommandations pour redonner un avenir à la filière. Nos chefs d'entreprise sont aux abois. Il faut assouplir les règles européennes, reporter l'interdiction de vente des véhicules thermiques neufs, protéger notre industrie de la concurrence internationale et soutenir la demande. Notre industrie doit impérativement restaurer ses marges. Cela suppose d'agir sur les coûts, dont celui de l'énergie, d'adapter la réglementation et de favoriser l'émergence de petits véhicules abordables produits en France.

Il y a urgence. Le 10 décembre prochain, la Commission européenne doit faire des annonces. La France doit porter une voix forte dans ces discussions pour assurer la pérennité de son secteur automobile. Le Gouvernement a affirmé qu'il défendrait des flexibilités en matière de neutralité technologique, dès lors qu'elles s'accompagneraient d'une préférence européenne - c'est une de nos propositions.

J'ai entendu que la position du Gouvernement avait déjà été assouplie. J'ai l'impression que vous avez lu notre rapport... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - J'ai bien sûr lu votre rapport avant notre débat ; il est très riche.

Je note que vous soutenez la préférence européenne. On en parle beaucoup pour les marchés publics, pour l'accès au soutien public, mais il faut aussi l'étendre au contenu local à l'intérieur des véhicules.

Le déclin du marché automobile commence dès 2019 ; à l'époque, la part du véhicule électrique dans le marché français était de 1,9 %. Tout lui imputer est un raccourci facile.

Ensuite, la crise des semi-conducteurs est la conséquence d'une dépendance trop forte à la Chine. Nous n'en sommes pas sortis, comme l'a illustré l'affaire Nexperia. La préférence européenne, c'est aussi sortir de la dépendance.

Enfin, la France est en passe de réussir un pari sur le véhicule électrique : en octobre, sur les dix véhicules électriques les plus vendus en France, sept étaient de marque française !

Mme Annick Jacquemet.  - C'est parce que nous avons confiance en eux que nous voulons aider nos constructeurs à poursuivre leur adaptation, dans laquelle ils ont déjà investi des dizaines de milliards. Laissons-leur le temps de s'adapter pour produire en France des véhicules de plus petite taille, ainsi que des batteries. Dans le Doubs, nous avons senti la grande fragilité des sous-traitants. Ne les laissons pas tomber. Ces sous-traitants travaillent aussi dans l'armement, nous avons besoin de leur savoir-faire.

M. Jean-Luc Brault .  - En matière d'industrie, combien de belles histoires se sont soldées par des tragédies ? Merci à la présidente Estrosi-Sassone d'avoir reconstitué le groupe d'études dédié. Chaque famille du Loir-et-Cher compte un membre, un proche qui a travaillé dans la filière automobile. Bien optimiste celui qui pense que ce sera la dernière fois que nous parlerons du sujet...

La filière automobile représente encore 4 000 emplois en Loir-et-Cher, pour un chiffre d'affaires de 710 millions d'euros - après avoir perdu 4 000 emplois avec la disparition de Matra.

Il ne s'agit pas de maintenir artificiellement des emplois appelés à disparaître : la stratégie ultra-interventionniste mène à la faillite. Mais il faut soutenir les filières stratégiques pour notre souveraineté industrielle.

Nous pensons à toutes ces vies de labeurs, mais personne ne mérite de n'être sauvé que pour sa capacité de production.

À l'approche de la clause de revoyure de 2026, les débats s'intensifient : constructeurs allemands, italiens, français plaident pour le report de l'interdiction des moteurs thermiques prévue pour 2035. Le Président Macron semble désormais ouvert à une certaine flexibilité - je l'espère. Parfois nous voulons faire trop vite, trop bien, sans mesurer les conséquences. Et c'est face au mur que nous rétropédalons...

Un simple report suffirait-il à relancer la filière ? Certainement pas. Le débat porte aussi sur la neutralité technologique. Pourquoi imposer le 100 % électrique dont les composants viennent d'Asie, alors que nous développons dans le même temps des biocarburants ?

L'objectif européen est celui de la neutralité carbone, pas des moyens de l'atteindre. Alors que le marché de l'électrique se rétracte, gardons nos options ouvertes, y compris le thermique décarboné.

Le rapport sénatorial propose une vingtaine de pistes. Nous devons conjuguer ambition, flexibilité, pragmatisme. Il y va de notre sécurité. Voulons-nous que les données des véhicules connectés soient gérées par des acteurs extraeuropéens ? Nous devons produire en Europe des véhicules intelligents, des batteries et des logiciels. Il y va de notre souveraineté.

Ayons une vision engagée, une concurrence modérée, une politique publique favorable. Militons pour des politiques industrielles ambitieuses. Restons optimistes et innovons. Selon moi, une économie moderne et juste doit conjuguer liberté, progrès, solidarité, justice et écologie. (Applaudissement sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Tout est une question de mesure. La neutralité technologique doit être intégrée à la réflexion. Au rythme où vont les choses, l'objectif de 100 % de véhicules électriques en 2035 est difficilement atteignable. Il faut s'ouvrir à d'autres technologies, sans renoncer à l'électrification. C'est bien la technologie de demain, celle qui a le plus fort rendement énergétique - et c'est pourquoi nous soutenons le développement de la vallée de la batterie des Hauts-de-France.

Nous devons aussi veiller à ce que le principe de neutralité technologique nous protège en termes de contenu local.

Tout est une question de mesure et d'équilibre, sur le chemin vers un véhicule électrique produit en France et en Europe, en préservant l'emploi local.

M. Jean-Luc Brault.  - Faisons travailler l'Europe. Il faut que les Allemands, les Italiens, les Français, et les Anglais s'unissent autour de projets industriels, comme on a su le faire à une époque, pour travailler notamment sur les petits véhicules, dont ont besoin les habitants de nos territoires.

M. Marc Séné .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) L'automobile est au carrefour de son histoire. Pilier de notre économie, elle irrigue des pans entiers de notre industrie et façonne encore nos territoires.

Mais la filière est profondément fragilisée. Les difficultés sont multiples : ralentissement de la production, hausse des coûts, concurrence internationale exacerbée, dépendance croissante à des technologies étrangères. À cet affaiblissement structurel s'ajoute un choc conjoncturel inédit, entre crise sanitaire, crise des semi-conducteurs et crise énergétique. Résultat : moins deux millions de véhicules sur le marché européen entre 2019 et 2024. En France, les immatriculations ne cessent de baisser. Le secteur devrait perdre 3,5 milliards d'euros de chiffres d'affaires cette année, soit plus d'un milliard d'euros de pertes fiscales.

Une dizaine de projets industriels ont échappé à la France au profit de pays voisins. Résultat : moins de recettes publiques et une désindustrialisation qui se poursuit.

À ces fragilités s'ajoute la perspective de l'interdiction par l'Union européenne de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035. Cette échéance impose des investissements colossaux, alors même que le marché ne parvient plus à absorber les volumes qui permettraient de les financer. Le danger d'un recul industriel préjudiciable à nos territoires est réel.

Ces derniers ne vivent pas la mobilité de manière uniforme. Dans les zones rurales et périurbaines, l'automobile est une nécessité quotidienne, faute de transports collectifs suffisants ou accessibles. Une transition mal pensée et imposée indistinctement risque de créer une nouvelle fracture territoriale et, à terme, sociale.

La voiture électrique est un levier pour réduire nos émissions, mais sa démocratisation exige du pragmatisme. Son coût demeure trop élevé et les infrastructures de recharge, insuffisantes, inégalement réparties et même inexistantes dans certains endroits. Notre dépendance à l'Asie pour 80 % des batteries met en péril notre souveraineté technologique.

En outre, notre industrie automobile a subi plus de dix modifications réglementaires en seulement un an : éco-score, suppression du bonus, abaissement des malus, création d'un malus sur les véhicules électriques à batterie... Pire, cette instabilité s'accompagne d'incohérences profondes : l'éco-score pénalise surtout les véhicules européens et un malus masse frappe désormais les véhicules électriques !

Dans ces conditions, la France connaît un ralentissement de l'électrification de son parc roulant, contrairement à ses partenaires européens. L'État se désengage budgétairement, puisqu'aides à l'achat, bonus et leasing social sont basculés sur les certificats d'économie d'énergie, financés par les consommateurs.

Pour autant, nous ne devons pas céder à la fatalité, car la France dispose encore d'atouts considérables. En Europe, 250 millions de véhicules sont à renouveler d'ici à 2040, dont 40 millions en France. C'est une opportunité industrielle majeure.

Nous n'avons pas besoin de nouvelles subventions, mais d'un cadre stable, cohérent et fondé sur une concurrence loyale au sein de l'Union européenne. Préservons nos emplois, renforçons notre souveraineté et veillons à l'équilibre de nos territoires. C'est ainsi que nous réussirons la transition, pour que nul ne soit laissé au bord de la route. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Oui, nos concitoyens sont attachés à l'automobile, en particulier dans la ruralité.

En 2024, le nombre de bornes de recharge était sans commune mesure avec celui de 2021 : 150 000 contre 30 000. Autre donnée intéressante : nous avons une borne pour neuf véhicules, contre vingt-trois en Allemagne. Cela reste bien sûr insuffisant, mais, non, la France n'est pas en retard.

Nous avons besoin de stabilité normative et de simplification. La Commission européenne présentera prochainement un omnibus de simplification sur l'automobile.

Vous avez raison, il faut se protéger. Car lorsqu'on met en place des dispositifs de protection, le résultat est au rendez-vous. J'ai sous les yeux un graphique montrant que, en 2023, avant l'écocontribution et les droits de douane, il y avait 41 % de véhicules chinois et 8 % de français parmi les voitures électriques vendues ; grâce à ces mesures, c'est 14 % et 23 %. Preuve que les mesures de protection sont efficaces.

M. Marc Séné.  - Dans l'intercommunalité que je présidais jusqu'à peu, seuls quatre villages sur quarante-cinq disposent d'une borne - elle est souvent à recharge lente, pour des raisons de coût.

M. Bernard Buis .  - Selon l'Organisation internationale des constructeurs automobiles, la France a perdu 38 % de sa production automobile en six ans. En dépit des efforts des gouvernements, notre industrie automobile est dans une situation très inquiétante par rapport à celles de nos voisins.

La potentielle reprise en main de Stellantis par l'actionnaire italien Exor est un autre signal inquiétant : que deviendront les 39 000 salariés du groupe toujours basés en France ? Rappelons que PSA employait plus de 120 000 personnes il y a vingt ans.

Le marché français présente certaines limites pour les constructeurs, dont notre coût horaire élevé. Mais notre économie possède des capacités humaines nous permettant de tirer parti des opportunités de l'électrification. Dans les cinq prochaines années, le secteur de la mobilité propre créera ou transformera environ 250 000 emplois : l'enjeu est donc majeur.

Or les constructeurs européens semblent en retard face aux géants asiatiques et américains, sans parler de notre dépendance dans le domaine des matériaux. Accélérons en matière de recherche et développement. Reprenons la main sur les éléments qui comptent dans la conception d'une voiture électrique : batteries, électronique, logiciels.

Lors d'un déplacement en Chine de la commission des affaires économiques, il y a un an, nous avons constaté l'avance des constructeurs de ce pays, notamment en matière de vitesse de charge des batteries. Faisons en sorte de ne pas décrocher ! Nous avons les talents et les instituts de formation, comme l'Institut supérieur de l'automobile et des transports, à Nevers.

Nous devons aussi densifier le maillage territorial des bornes de recharge et construire des véhicules à prix compétitifs, pour que le plus grand nombre de Français puissent les acheter.

Par ailleurs, nos constructeurs ont besoin de stabilité. Certains constructeurs demandent un report ou un aménagement de l'échéance de 2035, mais toute notre industrie se met en ordre de marche depuis plusieurs années pour la tenir.

Enfin, nous ne pouvons pas demander toujours plus à nos usines et laisser entrer en Europe des véhicules produits dans des conditions sociales et environnementales bien moins exigeantes que les nôtres.

Ouvriers, techniciens, ingénieurs : tous se demandent s'ils auront encore un emploi dans cinq ans. Soit nous nous résignons à la disparition de sites et de savoir-faire, soit nous décidons de faire de la transition environnementale une chance pour notre industrie et nos territoires. Comment comptez-vous répondre à ces enjeux et défendre l'avenir de la filière automobile française ? (Mme Solanges Nadille applaudit.)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Oui, nous avons les talents, et c'est essentiel.

Je suis élu d'un territoire où il y avait Kodak : l'entreprise avait des talents mais n'a pas su prendre le virage technologique.

Mme Audrey Linkenheld.  - C'est faux !

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Je connais bien le sujet...

Mme Audrey Linkenheld.  - Ce n'est pas ce que disent les dernières sources.

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Je vous invite à venir sur place, mais, visiblement, vous savez mieux de là où vous êtes...

En matière automobile, le virage est en train d'être pris. Sept véhicules électriques sur dix vendus en France sont de marque française.

Le rapport sénatorial ne préconise pas de renoncer à l'objectif de 2035, mais de prévoir des adaptations. Faut-il encore que ce soient les bonnes. Les biocarburants peuvent représenter une petite part, mais veillons à pouvoir continuer à nous nourrir à un coût abordable. Quant au véhicule hybride, s'il peut parcourir 100 kilomètres en électrique, c'est une bonne réponse ; si c'est 20, ce n'en est pas une.

M. Bernard Buis.  - Faisons confiance à nos talents et oeuvrons ensemble à restaurer notre compétitivité.

M. Michaël Weber .  - Les normes européennes pour l'électrification et l'objectif de 2035 sont non seulement une réponse à l'urgence climatique, mais aussi un cadre de stabilité indispensable aux investissements et un levier de souveraineté essentiel.

La transition ne repose pas sur le 100 % électrique. Les technologies hybrides jouent un rôle structurant pour remplacer rapidement les ventes thermiques et accompagner les usages jusqu'à la période de bascule. N'opposons pas les motorisations, mais bâtissons une trajectoire réaliste, progressive et protectrice de nos intérêts.

Les objectifs européens de décarbonation attirent des investissements massifs et créent des milliers d'emplois. En 2023, 265 milliards d'euros ont été investis dans les batteries et les véhicules électriques ou hybrides, dont plus de 80 % par des constructeurs européens. Remettre en cause nos engagements ralentirait la transformation de notre industrie, vitale pour les régions historiques de l'automobile, dont la Moselle.

Notre responsabilité est d'assurer que la transition écologique soit aussi une transition sociale : protégeons les emplois, accompagnons les reconversions, formons aux nouveaux métiers.

Alors que la concurrence mondiale n'a jamais été aussi forte, nous ne pouvons plus dépendre des énergies fossiles ni laisser l'Europe s'exposer aux surcapacités chinoises. Structurons une filière européenne intégrant batteries, moteurs hybrides et électriques, matériaux critiques et assemblage en assumant un protectionnisme européen, garantie que les investissements créent de l'emploi dans nos régions.

Pour atteindre l'objectif de 2035, les constructeurs devront accélérer la production de véhicules électriques d'entrée de gamme. Ces modèles abordables sont essentiels pour démocratiser la transition et redonner du souffle à nos sites industriels, notamment dans le Grand-Est. Retarder l'échéance reviendrait à retarder la mise sur le marché de ces modèles, accentuant notre dépendance et mettant en danger nos emplois.

Sans production européenne de batteries, nous resterons dépendants d'importations et vulnérables aux surcapacités mondiales. Pour que la transition écologique de l'automobile ne soit pas synonyme de déclassement industriel, construisons une filière européenne porteuse d'avenir pour les travailleurs et nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDPI et sur des travées du groupe INDEP)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - En effet, nous ne pouvons plus dépendre des énergies fossiles. Mais à moins que quelque chose m'ait échappé, nous avons peu de puits de pétrole... En revanche, nous maîtrisons le nucléaire et le renouvelable : défendre la voiture électrique, c'est défendre aussi notre modèle de production d'énergie électrique, fondé sur un mix équilibré entre ces deux sources. Notre stratégie repose sur une cohérence d'ensemble.

M. Michaël Weber.  - Nous sommes tout à fait d'accord, mais la cohérence doit être plus large encore. Il y a quelques instants, j'ai posé une question d'actualité sur ArcelorMittal et NovAsco ; on pourrait penser aussi à la Fonderie lorraine. Accompagnons ces entreprises pour qu'elles réussissent la transition !

Mme Audrey Linkenheld.  - Très bien !

M. Guislain Cambier .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Ce débat n'est pas technique, mais stratégique, social et de souveraineté.

Notre industrie automobile est une fierté, mais surtout l'un des piliers de notre puissance industrielle. C'est particulièrement vrai dans les Hauts-de-France, où la filière emploie 56 000 salariés. Nous comptons 7 sites de production, d'où sort un tiers de la production française.

Tous les interlocuteurs que je rencontre partagent le diagnostic du rapport sénatorial : la filière automobile française traverse une crise sans précédent. Il nous faut une stratégie industrielle cohérente et protectrice pour éviter la perte de souveraineté, de savoir-faire et d'emplois.

Au niveau local, les collectivités agissent déjà. La région Hauts-de-France soutient le développement massif des gigafactories. Les intercommunalités accompagnent l'implantation de nouvelles usines.

Les industriels investissent pour moderniser leurs sites. Stellantis a investi plus de 3 milliards d'euros, Renault a développé un pôle Ampère qui emploie 5 000 personnes avec des succès commerciaux remarquables, comme la R5 électrique, produite à Douai -  de même, je ne doute pas du succès de la 4L électrique, produite à Maubeuge.

Reste que ces succès sont exceptionnels dans une filière à laquelle on impose l'adoption d'une seule technologie, sur laquelle les Chinois disposent d'un avantage compétitif majeur. Cette transition précipitée et déconnectée du marché menace la pérennité de notre industrie.

Au niveau européen, il faut promouvoir des mesures compensatoires. Au niveau national, des mesures simples et rapides peuvent être prises en matière de réglementation pour encourager toutes les technologies contribuant à la décarbonation. Je pense en particulier à la Toyota Yaris, produite à Valenciennes.

Or, dans le PLF, les véhicules hybrides sont la cible de malus : je défendrai des amendements pour que des modèles vertueux et fabriqués en France n'y soient pas soumis. Il faut aussi pérenniser les mesures incitatives, dont le leasing social.

Encourageons nos industriels à créer une nouvelle catégorie de petites voitures électriques à petit prix : c'est essentiel pour la mobilité accessible et l'emploi industriel. Les constructeurs sont prêts, il faut les accompagner, par exemple à travers un taux de TVA réduit ou une mesure de stationnement gratuit.

Les acteurs de la filière attendent une réglementation simplifiée et une fiscalité stable et incitative. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - En France, nous sommes capables de produire et de vendre des véhicules électriques : ne décourageons pas une filière qui est en train de réussir cette transition.

Vous appelez à la stabilité. Il ne faut donc pas changer la fiscalité...

M. Guislain Cambier.  - Ni l'aggraver !

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Je fais confiance au Sénat pour trouver les voies de la stabilité.

Un véhicule hybride peut être pénalisé du fait de son poids, même si une franchise est prévue jusqu'à 200 kg. Il faut regarder de près quels véhicules français et européens doivent être particulièrement soutenus : ce travail est en cours.

M. Guislain Cambier.  - On ne peut pas se contenter de nous dire : ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer. Il faut au niveau européen une volonté de protéger notre marché et au niveau national un geste d'accompagnement pour la filière.

M. Rémy Pointereau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) Merci à la présidente de la commission des affaires économiques et à M. Cadec d'avoir suscité ce débat.

Hélas, nous sommes en train d'étouffer un secteur d'excellence par une succession de contraintes administratives et fiscales absurdes qui s'ajoutent à une concurrence déloyale. Depuis des années, les politiques censées encourager le verdissement paralysent la demande, étranglent les sous-traitants et frappent les ménages et les PME de nos territoires.

Le marché est aujourd'hui bloqué, et l'attentisme domine. La production industrielle suit une trajectoire dramatique : moins de 1 million de véhicules produits l'an dernier, plus de trois fois moins que dans les années 1990. Les conséquences humaines et sociales sont majeures : 40 000 emplois perdus en dix ans, et 75 000 emplois supplémentaires pourraient disparaître d'ici à 2035 si la trajectoire n'est pas corrigée.

La marche forcée vers le tout-électrique va à l'encontre des attentes de nombre de ménages, qui souhaitent un véhicule polyvalent et abordable. Tout miser sur une réponse unique sans adapter l'offre aux usages réels est une erreur.

Nos dispositifs sont d'une complexité croissante et, parfois, incohérents. La confusion règne chez les professionnels comme chez les clients, qui disent tous : la fiscalité automobile, c'est « bienvenue chez les fous ! »

Enfin, nous souffrons d'une instabilité chronique : depuis 2017, pas moins d'une vingtaine de changements de fiscalité... Cette situation pousse à l'attentisme et empêche toute stratégie pérenne.

Les lourdeurs administratives deviennent insupportables. Prêts de trésorerie, avances d'aide, contrôles a posteriori : on demande même aux professionnels de remplir des missions de fonctionnaires d'État !

Nous avons déjà tué une partie du marché du neuf. Nous sommes en train de frapper le marché de l'occasion, dont dépendent pourtant la majorité des Français pour se déplacer.

Quelle est votre vision du secteur automobile en France ? Comment comptez-vous lutter contre la concurrence déloyale et mieux protéger le marché européen, mais aussi favoriser la compétitivité de l'industrie française ? Quelle trajectoire fiscale claire allez-vous proposer aux acteurs ? Allez-vous suivre l'exemple de l'Allemagne et donner du temps à la filière en acceptant enfin le report de l'échéance de 2035 ?

En vous écoutant, je pense à cette formule tirée d'un film célèbre : jusqu'ici, tout va bien... Non, monsieur le ministre, tout ne va pas bien et je crains l'atterrissage pour nos emplois industriels et nos territoires, si vous n'engagez pas une simplification administrative immédiate et n'entendez pas nos propositions pour un cadre clair et stable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Sébastien Martin, ministre délégué.  - Au cours de ces échanges, j'espère que vous avez perçu chez moi une volonté combative et pragmatique de trouver les bons chemins pour notre industrie. Depuis six semaines que je suis en fonction, pas un jour ne passe sans que mon cabinet et moi-même soyons en contact avec les territoires confrontés à des difficultés. Non, jusqu'ici tout ne va pas bien. Les Échos m'ont même présenté comme la personne ayant accepté la mission la moins enviable du moment...

On pense parfois que nos amis allemands auraient la réponse à tous les problèmes, mais ils se sont mis eux-mêmes dans des situations problématiques : dépendance au gaz russe, aux chaînes d'approvisionnement asiatiques... Nous essayons de bâtir une filière nouvelle autour de l'électricité qui nous assurera une forme d'indépendance.

Je sais pouvoir compter sur vous dans notre travail de conviction auprès de l'Allemagne en matière de préférence européenne et de contenu local. Nous ne pourrons construire une filière européenne durable sans volonté d'assurer dans les véhicules un contenu européen. La France porte ce combat avec ses alliés, dont l'Italie.

Mme la présidente.  - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Je remercie la présidente Estrosi Sassone et les auteurs du rapport sénatorial. Vous avez montré l'importance territoriale de l'industrie automobile, à laquelle les Français sont attachés de manière viscérale.

Nous avons pu sauver certaines entreprises, comme Amis, à Montluçon. Pour d'autres, la situation est inquiétante - nous suivons les choses de près.

Ce débat a permis de construire collectivement une position commune. Nous considérons que l'échéance de 2035 peut faire l'objet d'assouplissements. Nous ne sommes ni sourds ni aveugles : compte tenu du marché, l'objectif de 100 % de véhicules électriques en 2035 est difficilement atteignable. De plus, l'industrie vit un changement technologique qui nécessite un accompagnement, notamment dans le cadre de France 2030.

En parallèle, nous devons promouvoir le contenu local. Dans une interview récente, le directeur général de Valeo a expliqué que nous savons faire des véhicules avec 75 % de contenu local. C'est là le moyen de sortir de la dépendance à l'Asie.

Enfin, nous appelons l'Europe à sortir de la naïveté. Pour fabriquer une automobile, il faut de l'électronique, de l'acier et de la chimie. L'acier a été attaqué, nous avons pris des contre-mesures. De même, il faudra une réponse forte dans le domaine de la chimie - je suis allé chez BASF à Chalampé, où l'on fabrique une molécule de nylon pour les airbags. C'est en défendant la préférence européenne que nous soutiendrons l'industrie française ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains .  - Notre débat, de qualité, montre à quel point les difficultés de l'industrie automobile sont un enjeu majeur.

Auditionnés par la commission des affaires économiques, de grands acteurs du secteur, comme Jean-Dominique Senard, Florent Menegaux ou Luc Chatel ont pointé la situation critique des constructeurs et des équipementiers. Je félicite Annick Jacquemet, Rémi Cardon et Alain Cadec pour leur rapport, dont les conclusions sont sans appel : sans mesures drastiques, cette industrie va disparaître.

Au-delà de nos divergences, nous partageons tous le constat d'une crise profonde de la filière, qui souffre de l'instabilité réglementaire et du désengagement de l'État. En assurer la pérennité est déterminant pour notre industrie en général et pour notre souveraineté.

Les recommandations du rapport conjuguent des mesures d'urgence et des mesures de plus long terme visant à rendre à l'industrie française les moyens de rivaliser avec ses compétiteurs internationaux.

J'ai bien compris, monsieur le ministre, que vous ne faites pas partie de ceux qui s'arc-boutent sur l'échéance de 2035. Nous ne voulons pas renoncer à l'électrification, juste redonner un peu de souplesse à notre industrie. Il nous faut nous hâter lentement.

Que nous vaudrait d'avoir banni les voitures thermiques si c'est au prix de milliers d'emplois détruits, d'une fracture sociale exacerbée par le sentiment d'assignation à résidence, d'un affaiblissement de pans entiers de notre industrie et d'une dépendance totale envers la Chine ?

C'est sur le sol européen et français que nous devons concevoir et produire les technologies dont nous avons besoin pour réussir la transition écologique. Celle-ci ne doit pas se faire contre l'industrie, mais avec elle. C'est une question de souveraineté. C'est pourquoi la commission des affaires économiques soutient l'assouplissement de l'échéance de 2035 pour la fin de la vente des véhicules thermiques. Nous soutenons aussi le principe de neutralité technologique, le relèvement des droits de douane et l'application de règles locales pour les véhicules vendus en Europe.

Il faut aussi des mesures structurelles. Nous avons beaucoup de points forts : un savoir-faire historique, un maillage territorial et une recherche de très haut niveau. Toutefois, nous devons faire notre examen de conscience sur le coût du travail et de l'énergie, ainsi que sur toutes nos exceptions françaises qui grèvent notre compétitivité.

Il nous faut de la stabilité, de la cohérence et une concurrence loyale intra-européenne.

Ce débat rejoint celui, plus global, de la réindustrialisation, en échec. La politique de l'offre fonctionne. Confortons-la plutôt que de céder aux vieilles lunes fiscales. Facilitons l'accès au foncier et continuons à simplifier pour soutenir l'innovation.

Le sort de l'industrie automobile sera un avant-goût de ce qui attend toute l'industrie française et européenne. Des moyens que nous prévoirons pour la soutenir dépendra la crédibilité de toute notre politique industrielle, et, partant, celle de l'Europe, voire du politique dans son ensemble.

Soyons à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)

Prochaine séance demain, jeudi 27 novembre 2025, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 05.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 27 novembre 2025

Séance publique

À 14 h 30 et, éventuellement, le soir

Présidence : M. Loïc Hervé, vice-président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président

Projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2026 (n°138, 2025-2026)

=> Discussion générale

=> Examen de l'article liminaire

=> Examen de l'article 45 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'État au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne