
Ce webinaire, à destination des élus et agents de collectivités, a été organisé à l’initiative de la délégation pour les collectivités territoriales et la société civile du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en présence de M. Pierre HEILBRONN, Envoyé spécial du Président de la République pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine, et M. Geoffroy DIDIER, Président délégué de la région d’Ile-de-France.
M. Frédéric CHOLÉ, Délégué pour les collectivités territoriales et la société civile au ministère de l’Europe et des affaires étrangères
La coopération décentralisée franco-ukrainienne, c’est :
- 20 millions d’euros en matière d’aide des collectivités territoriales en 2022 ;
- plus de 50 collectivités territoriales françaises jumelées ou en cours de jumelage avec des collectivités ukrainiennes ;
- un appel à projets franco-ukrainien 2025 : clôturé vendredi dernier, plus d’une vingtaine de projets y ont été présentés ;
- le volet territorial de l’aide à la reconstruction de l’Ukraine sera évoqué lors du sommet de Rome de juillet 2025.
M. Geoffroy DIDIER, Président délégué de la région d’Ile-de-France
La diplomatie gouvernementale et l’action internationale des collectivités territoriales sont parfaitement complémentaires sur ce sujet. Cet alignement est rendu possible, car il s’agit d’une collaboration historique entre des acteurs qui ont appris de longue date à travailler ensemble, et car les collectivités territoriales françaises ont une expertise à valoriser (par exemple, le projet urbain d’Erevan pour la région Ile-de-France) et sont des acteurs particulièrement agiles face aux crises.
Ainsi, depuis l’invasion russe, l’Ile-de-France a agi de plusieurs manières. La région a d’abord fourni une aide d’urgence à travers des associations comme la Croix Rouge (livraison de kits d’hygiène, de groupes électrogènes, d’un bloc opératoire, de chauffages à bois, etc.) et en accueillant et hébergeant des étudiants ukrainiens.
Mais la région a aussi accru sa coopération sur le long terme, en particulier au titre de sa coopération avec les oblasts de Kiev et Tchernihiv, par exemple :
- expertise urbaine au bénéfice de l’oblast de Tchernihiv en vue de la reconstruction ;
- formation/transfert d’expertise de trois ans sur les fonds européens, cofinancé avec l’Agence française de développement (AFD) à hauteur de 1,3 million d’euros ;
- création de relations privilégiées entre des maires de villes et d’arrondissements d’Ile-de-France et des collectivités ukrainiennes en vue d’éventuels jumelages ;
- accueil de jeunes et d’étudiants, notamment dans le cadre des jumelages ;
- offre de matériel informatique : don de 15 000 tablettes pour aider les jeunes dans leurs études (de la même manière que tous les élèves de seconde franciliens reçoivent une tablette) ;
- mise à disposition de matériel scolaire.
M. Cédric GUILLON-LAVOCAT, Directeur général adjoint en charge des stratégies européennes et internationales de la région Ile-de-France
La Région fait également un travail autour de la formation (à distance ou sur place) des architectes afin d’aider à une reconstruction s’appropriant les normes européennes.
Cette coopération est menée sur le long terme. Le travail de planification urbaine a ainsi débuté sur un territoire de 700 hectares à l’Est de Tchernihiv, avec l’objectif de l’étendre à l’ensemble de la ville puis à l’ensemble de l’oblast.
M. Pierre HEILBRONN, Envoyé spécial du Président de la République pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine
La reconstruction est un travail collectif conduit avec différents acteurs et organismes tels que l’AFD. Mais aussi un travail collectif de différents pays. L’objectif est de mettre autour de la table les Américains, ainsi que les Européens pour mettre fin au conflit. Or, on est très loin du point d’arrivée souhaité.
Nul n’est plus engagé en faveur d’une paix durable que les Ukrainiens. Les Russes cherchent encore à percer les lignes ukrainiennes pour occuper l’entièreté des quatre régions.
La France est vue par l’Ukraine comme un partenaire-clef dans lequel elle fonde d’importants espoirs. Elle doit se montrer à la hauteur de ces espoirs, particulièrement en termes de mobilisation européenne. En effet, elle n’est pas perçue nécessairement comme le soutien financier le plus important, mais comme un partenaire conduisant des actions très concrètes sur le terrain, et qui agit beaucoup au sein des organisations internationales.
La coopération avec l’Ukraine mobilise plusieurs instruments :
- le fonds Ukraine qui permet de soutenir les infrastructures critiques et les secteurs prioritaires de l’économie ukrainienne, soit 19 projets de reconstruction dont de nombreux sont portés par des PME, pour un budget de 200 millions d’euro. Ces projets mobilisent 57 sites de production en France. Cette initiative démontre la volonté des entreprises de s’installer en Ukraine et de rencontrer des interlocuteurs ukrainiens ;
- un mandat de l’AFD de 150 millions d’euros sur 3 ans, sur des prêts non souverains des collectivités territoriales ukrainiennes afin de ne pas aggraver la dette – cela fait une différence importante entre l’AFD et les autres banques ;
- la présence des entreprises françaises en Ukraine : la France est le premier employeur étranger en Ukraine, avec 25 000 collaborateurs sur place.
Parmi les exemples d’initiatives d’entreprises, on peut noter :
- l’ouverture récente d’une usine par Saint Gobain ;
- le rachat de Lifecell, un puissant opérateur télécom local, par le fonds de M. Xavier NIEL, afin de créer le plus gros réseau mobile d’Ukraine ;
- le déploiement de 17 entreprises françaises grâce au fonds bilatéral.
Ces initiatives ont des retombés positives directes sur les territoires. Ces entreprises créent des emplois en France. Par exemple, dans la région Grand Est, plusieurs milliers d’emplois ont été créés pour construire des rails commandés par l’Ukraine. La reconstruction n’est pas seulement une question de solidarité ; elle est également une source d’opportunités pour les territoires français.
La coopération est aussi culturelle. Un ensemble d’actions culturelles vont être déployées au cours du dernier trimestre 2025. Les collectivités territoriales françaises sont amenées à y participer.
M. Bertrand FORT, Directeur des relations internationales à la métropole de Dijon
La métropole vient de signer un partenariat quadripartite entre la ville de Vinnytsia, la métropole de Dijon et deux autres régions. Ce partenariat s’ajoute aux actions humanitaires déjà développées par la métropole en Ukraine. Il implique une coopération technique et donc des échanges entre agents des collectivités territoriales, notamment sur des questions d’eau et d’assainissement. Cependant, bien que les collectivités françaises soient tout à fait en mesure d’accueillir des agents ukrainiens, l’envoi d’agents français en Ukraine est plus compliqué, notamment à cause de problèmes d’assurance. Les Ukrainiens sont demandeurs d’échanges de bonnes pratiques et de connaissances, et les collectivités françaises sont volontaires, d’autant plus que Vinnytsia n’est pas située sur la ligne de front.
M. Pierre HEILBRONN
Des discussions sont conduites pour mettre en place un dispositif qui, à terme, devrait s’appliquer à une plus grande échelle. Ces échanges de personnels peuvent aussi être réalisés par l’AFD et Expertise France.
Certaines parties du territoire ukrainien sont plus accessibles grâce à des contacts déjà établis ou des Français présents sur place ou connaissant déjà le terrain.
Les besoins doivent être correctement identifiés. Il est préférable de commencer par des actions aux effets ciblés puis de montrer que ces actions peuvent être menées à leur terme. D’expérience, les Ukrainiens disent oui à tout le monde du fait de l’immensité de leurs besoins. Or, il est nécessaire de cibler ces besoins tout en démontrant que les réponses apportées ont un impact effectif susceptible d’entraîner d’autres structures à intervenir. Ainsi les Danois refusent-ils d’intervenir ponctuellement ; ils n’interviennent que si leurs actions peuvent être développées à plus grande échelle.
Mme Valérie DRIOT, de l’AFD
L’AFD a ouvert un bureau à Kiev en 2024, en association (bureaux communs) avec Expertise France qui est implantée depuis longtemps en Ukraine. La plateforme va héberger le chef du projet de la région Ile-de-France relatif à la formation aux fonds européens. L’important dispositif d’accompagnement présent sur place peut ainsi aider les collectivités à mettre en œuvre leurs actions.
Mme Nicole MIQUEL-BELAUD, Conseillère municipale déléguée de Toulouse
La mise en œuvre de la loi Oudin-Santini, qui autorise les collectivités territoriales, syndicats et agences de l’eau à consacrer jusqu’à 1 % de leur budget eau et assainissement au financement des actions de solidarité internationale dans ces secteurs, suscite de nombreuses questions.
M. Pierre HEILBRONN
L’eau est un problème structurel en Ukraine, bien avant la guerre, qui appelle un traitement immédiat. En effet, sauf dans des régions proches du front ou stratégiques pour les Russes, le réseau d’eau n’est pas particulièrement ciblé par les attaques. Il n’est donc pas nécessaire d’attendre pour agir.
Mme Pauline GAUDEUL, de Lille
Les partenaires à Karkiv ont des besoins immenses, mais, compte tenu de coûts très élevés, les collectivités françaises ne peuvent pas toujours répondre aux besoins exprimés. Un nouvel appel à projets pourrait être nécessaire.
M. Geoffroy DIDIER
Les besoins sont en effet immenses et ne pourront de toute façon jamais être complétement couverts.
Cependant, de nombreux Français ressentent un devoir de solidarité envers les Ukrainiens. Il est donc important de mettre en œuvre cette solidarité sur le terrain, avec la volonté de faire de son mieux en dépit d’évidentes contraintes budgétaires.
M. Pierre HEILBRONN
Il est effectivement, d’un point de vue symbolique, très important d’aider l’Ukraine qui appartient à la famille européenne. Ce pays présente de nombreuses opportunités qui ouvrent des perspectives de partenariat à long terme et sera à nos côtés dans le futur sur de nombreux sujets.
Il est possible de soutenir des projets peu coûteux. Cibler des projets emblématiques (par exemple, la reconstruction d’un théâtre dont le toit a été détruit) peut conduire des bailleurs internationaux ou l’AFD à financer d’autres projets. Dès lors, il s’agit à la fois de soutenir des actions de solidarité très visibles aux yeux des Français et d’encourager des entreprises françaises à s’engager avec des acteurs ukrainiens identifiés comme fiables.
M. Frédéric CHOLÉ
La reconstruction de l’Ukraine se fera sur le long terme, avec des besoins qui se comptent en milliards d’euros. Les moyens de l’AFD n’y suffiront pas. Mais le soutien de projets permettra d’établir du lien et de paver la voie aux entreprises françaises de façon à ce qu’elles puissent répondre à des appels d’offres.