Réuni le mercredi 8 octobre 2025, sous la présidence de M. Daniel SALMON (Écologiste – Solidarité et territoires – Ille-et-Vilaine), président, le groupe d’amitié France – Népal s’est entretenu par visioconférence avec Mme Virginie CORTEVAL, Ambassadrice de France au Népal.

Mme Virginie CORTEVAL a rappelé que, lors de sa précédente audition en mai dernier, elle avait insisté sur les frustrations de la jeunesse népalaise, causées par le chômage, la corruption et l’absence de perspectives ; une simple étincelle pouvait allumer un incendie. Cette étincelle est apparue lorsque les autorités ont décidé, de façon brutale, de bloquer les réseaux sociaux, la liberté d’expression y ayant cours étant, avec l’émigration massive, l’une des deux soupapes dont bénéficiait jusqu’alors la jeunesse népalaise. La réaction de cette dernière au blocage des réseaux sociaux, le vendredi 5 septembre, a été immédiate : d’importantes manifestations devant le Parlement, d’abord pacifiques et dépourvues de revendications politiques, ont dégénéré le lundi suivant, lorsque la police a tiré à balles réelles, provoquant la mort de plusieurs jeunes manifestants. Le lendemain, mardi 9 septembre, l’anarchie totale a gagné le pays : les autorités et la police ont disparu, tandis que les lieux de pouvoir et les résidences des responsables politiques ont été pillés et incendiés, de même que certains intérêts privés tels que les hôtels internationaux. De surcroît, les manifestants ont envahi les prisons et libéré de très nombreux détenus.

L’Ambassadrice a indiqué qu’une commission d’enquête avait été mise en place afin de faire la lumière sur les événements et d’établir les responsabilités. Sur le plan politique, le Premier ministre a démissionné et le Président a nommé Première ministre par intérim Sushila KARKI, ancienne présidente de la Cour suprême, très appréciée par la jeunesse pour sa grande intégrité. La Chambre des Représentants a été dissoute, et les prochaines élections législatives fixées au 5 mars 2026. Le couvre-feu a été instauré dans tout le pays, permettant le déploiement de l’armée qui a rétabli l’ordre. Les défis du gouvernement intérimaire sont importants : organiser les futures élections dans le calme et s’assurer de la participation et de la représentation des jeunes ; permettre aussi le vote de la diaspora qui a une vision très différente de celle de l’intérieur ; tirer les conséquences du positionnement des partis politiques traditionnels pendant la campagne électorale ; reconstruire les infrastructures détruites, en privilégiant les acteurs nationaux et ainsi éviter les ingérences étrangères.

En réponse à des questions de M. Daniel SALMON, président, Mme Virginie CORTEVAL a indiqué que la jeunesse népalaise rejetait très clairement la classe politique traditionnelle – les partis marxiste-léniniste, maoïste et du Congrès – dont les dirigeants se relaient régulièrement au pouvoir depuis l’instauration de la République en 2008. Certains jeunes très présents sur les réseaux sociaux exigent même leur incarcération et leur jugement pour népotisme et corruption.

L’Ambassadrice a estimé qu’il n’était pas évident de prévoir quelle force politique pourrait émerger de cette crise : le nouveau parti apparu lors des précédentes élections législatives est confronté, lui aussi, à des problèmes de corruption ; le maire de Katmandou, populaire auprès des jeunes, a rapidement pris le parti des manifestants, mais il est moins présent aujourd’hui et aurait décliné le poste de Premier ministre par intérim pour se préserver pour l’avenir ; les monarchistes ont gagné en visibilité et se sont rapprochés de la jeunesse – des rumeurs circulent sur leur rôle exact pendant les manifestations et les pillages, l’ancienne famille royale et ses biens n’ayant pas du tout souffert des exactions. La période demeure tendue, et l’Ambassade effectue une veille attentive des réseaux sociaux. La génération Z népalaise n’a pas de leaders, mais manifeste une grande impatience ; il ne sera pas aisé de canaliser son énergie d’ici les élections en mars prochain, qui peuvent paraître lointaines, mais organiser des élections dans un pays aussi montagneux que le Népal demande du temps.

Mme Virginie CORTEVAL a présenté l’action du poste pendant les émeutes : les quatre agents titulaires ont vécu à l’Ambassade une semaine, se nourrissant avec les rations alimentaires prévues en cas de séisme, et les agents népalais sont restés chez eux. La communauté française au Népal a été gérée de façon organisée, et le poste a pu établir le contact avec les Français de passage, peu nombreux en cette saison guère propice au tourisme. De surcroît, le poste était en contact régulier avec le centre de crise du ministère des de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE). Au total, aucun agent ni aucun Français n’a eu à souffrir de violences ou de pillages.

Répondant à M. Daniel SALMON, président, l’Ambassadrice a indiqué que la plupart des 8 000 prisonniers libérés par les émeutiers étaient toujours en liberté, la presse relatant une recrudescence des cas de violence dans le pays, d’autant plus que de nombreuses armes sont en circulation. Trouvant leur origine à Katmandou, les pillages et incendies ont progressivement gagné tout le pays. Des rumeurs font état d’une anarchie peut-être pas vraiment spontanée, la jeunesse ayant pu être débordée. La commission d’enquête devra faire la lumière sur ce point également. Le coût des destructions est évalué à 17 milliards d’euros, ce qui est considérable, plus encore pour un pays comme le Népal. Les autorités intérimaires souhaitent que la reconstruction soit effectuée dans un cadre national, sans faire appel à l’aide internationale, américaine ou onusienne notamment ; il s’agit d’une évolution d’état d’esprit intéressante dans un pays soutenu depuis des décennies par l’aide internationale.

Mme Virginie CORTEVAL a répondu à M. Daniel SALMON, président, que les mois de septembre et octobre avaient été particulièrement pluvieux au Népal, comme en 2024 : il s’agit d’une fin de moussons tardive et violente qui a provoqué d’importants dégâts. Le gouvernement intérimaire a géré ces intempéries de façon anticipée et en faisant preuve de réactivité. Aussi le bilan humain a-t-il été moins lourd que l’année précédente, avec une cinquantaine de morts, contre plus de 200 en 2024. L’opinion publique a tout de suite perçu cette amélioration de la gestion liée au changement de gouvernement.

L’Ambassadrice a indiqué que ces événements politiques conduiraient nécessairement à envisager l’accueil d’une délégation parlementaire népalaise au Sénat plus tard que prévu initialement.

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