Réuni le mercredi 5 mars 2025, sous la présidence de M. Pierre-Jean VERZELEN (Les Indépendants – Aisne), président, le groupe d’amitié France-Syrie s’est entretenu, en visioconférence, avec le Dr Samira MOBAIED, Membre indépendante du Conseil constitutionnel syrien.

Ont également participé à la réunion : MM. Rémi FÉRAUD (Socialiste, Écologiste et Républicain – Paris), vice-président, et Pierre OUZOULIAS (Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste - Kanaky – Hauts-de-Seine), vice-président.

Le Dr Samira MOBAIED a, dans un premier temps, procédé à une description chronologique de l’ethno-géographie de la Syrie, en comparant les évolutions sur trois périodes : la première couvre les années 1960 à 1980, la deuxième les années 1980 aux années 2010, et la troisième période débute en 2011. La comparaison des chiffres illustre une augmentation de la part des musulmans au sein de la population syrienne, passant de 85 % à 95 % entre les deux premières périodes, avec une hausse des sunnites et une stabilité des alaouites, communauté de la famille EL-ASSAD. Dans le même temps, la part des chrétiens a sensiblement reculé, passant de 15 % en 1970 à moins de 3 % en 2018, ce recul ayant toutefois débuté bien avant la guerre civile de 2011, puisque les chrétiens n’étaient plus que 10 % en 2009. Pour ce qui concerne les groupes ethniques, la part des Arabes a augmenté, passant de 69 % à 89 % de la population syrienne entre les deux premières périodes. La troisième période est marquée par de très importants déplacements de populations : 6 millions de personnes, soit le quart de la population, ont été déplacées depuis le début de la guerre. En outre, la répartition géographique de ces populations a, elle aussi, beaucoup changé : la répartition des communautés sur le territoire syrien a été bouleversée.

Le Dr Samira MOBAIED a ensuite rappelé des faits importants ayant marqué la période révolutionnaire, entamée en 2011. Les manifestations pacifiques de 2011, qui ont duré six mois, ont été réprimées de façon sanglante par le régime de Bachar EL-ASSAD. Différents groupes armés sont ensuite apparus et ont alimenté les combats. Le régime contrôlait environ 50 % du territoire, les Kurdes 38 %, au Nord, et les Turcs et les différents groupes islamistes 12 %, l’État islamique occupant quelques poches disséminées. Le régime s’est effondré le 8 décembre, lorsque Bachar EL-ASSAD a fui à Moscou ; pour autant, plusieurs groupes armés restent actifs, dont le Hayat Tahrir al-Cham (HTC), dirigé par Ahmed Hussein AL-CHARAA. Au niveau politique, l’opposition au régime, qui avait adopté la Déclaration de Damas dès 2005, a d’abord participé aux travaux du Conseil révolutionnaire national syrien en 2011, à Genève, puis les forces d’opposition se sont coalisées au sein du Comité des négociations avant de mettre en place un Conseil constitutionnel syrien, dont le Dr MOBAIED est une membre indépendante depuis 2019 ; celui-ci a toutefois cessé ses activités depuis le début de la guerre en Ukraine et devant le constat de l’échec des négociations politiques. Pendant toutes ces années, les femmes syriennes ont fait l’objet de multiples instrumentalisations, idéologiques, religieuses et militaires, mais elles ont continué de faire vivre la société civile et ont poursuivi des études, scientifiques notamment.

Dans un troisième temps, le Dr Samira MOBAIED a évoqué la propagation des groupes armés en Syrie. Depuis l’effondrement du régime EL-ASSAD début décembre 2024, sous les coups de boutoir de groupes armés islamistes venant du Nord-Ouest du pays, ces derniers se propagent sur l’ensemble du territoire. Toutefois, la Syrie demeure privée d’État, et HTC, qui exerce de facto le pouvoir, utilise les mêmes méthodes que par le passé, y compris des assassinats de civils et de femmes, qui, selon elle, relèvent du génocide. Le chef du HTC s’est autoproclamé Président de la République, mais n’a aucune légitimité, ni nationale ni internationale, et n’a pas mis en place une transition politique juste et inclusive.

Enfin, le Dr Samira MOBAIED a présenté le nouveau régime constitutionnel que pourrait adopter la Syrie. Certains scenarios envisagés, tels que les cantons identitaires ou un État centralisé, lui paraissent voués à l’échec, car ils comportent des risques de divisions, de sécession ou de dérives autoritaires. Selon elle, il conviendrait d’envisager une nouvelle solution constitutionnelle s’inscrivant dans un contexte marqué par la relance des discussions politiques au niveau international, l’affirmation de la neutralité de la Syrie pour que le pays se tienne à l’écart de tous les conflits et la restructuration du Conseil constitutionnel syrien. Le nouveau régime constitutionnel qu’elle propose, et qu’elle avait formalisé dès 2023, comporterait trois aspects : séquencer le processus en trois volets (militaire, aide humanitaire et rédaction d’une nouvelle Constitution), recentrer le Conseil constitutionnel sur sa dimension société civile en prenant en compte les nouvelles réalités du terrain après plus de treize ans de guerre, programmer trois périodes de deux ans chacune (discussions au sein de chaque région syrienne, synthèse entre toutes les régions puis interaction avec les pays voisins et au niveau international dans une perspective fédérale).

En réponse à des questions de M. Pierre OUZOULIAS, vice-président, le Dr Samira MOBAIED a indiqué que plusieurs sites archéologiques syriens avaient été endommagés, voire détruits pendant la guerre, mais que la situation était meilleure au Sud du pays. Le droit international protège les sites archéologiques en cas de conflits interétatiques, ce que n’était pas le conflit syrien. La population syrienne, après une période de soulagement, commence à prendre conscience de la réalité des méthodes du HTC, en particulier dans les villes où ni l’État de droit, ni les libertés fondamentales ne sont respectés, comme sous l’ancien régime, et alors même que la sécurité publique n’est pas assurée. Il n’est pas possible de travailler à la rédaction d’une nouvelle Constitution sous la menace de groupes armés. Il s’agit d’éviter la « libanisation » du pays ; la neutralité et le fédéralisme permettraient, selon elle, d’atteindre cet objectif.

Répondant à M. Pierre-Jean VERZELEN, président, le Dr Samira MOBAIED a estimé que le HTC mettait en scène sa prise de pouvoir pour le légitimer. Les Kurdes sont d’ailleurs hostiles à ce nouveau régime. Les autorités saoudiennes ne le soutiennent pas financièrement, compte tenu des sanctions américaines qui vont sans doute perdurer. Passé les premières semaines, la réalité de l’idéologie et des méthodes de HTC apparaît ; ce pouvoir ne va probablement pas durer longtemps, selon elle.

À M. Rémi FÉRAUD, vice-président, le Dr Samira MOBAIED a répondu que le processus constitionnel qu’elle propose durerait effectivement six ans au total, mais que cela ne paraît pas si long après cinquante-quatre ans de dictature et treize ans de guerre civile. Selon elle, la vision du Moyen-Orient issue de la Seconde Guerre mondiale est de toute façon obsolète : il est nécessaire d’adopter une nouvelle approche, ce que n’a malheureusement pas fait, selon elle, la récente conférence internationale sur la Syrie, tenue à Paris, en février.

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