Séance du 22 juin 1815 à la Chambre des pairs

(extraits des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, 1846)

François-René de CHATEAUBRIAND (1768-1848). Portrait extrait de L'iconographie de contemporains et fac-similé d'écritures, par F. S. Delpech (1832). (JPG - 0.92 Mo)«  Les discussions étaient vives à la Chambre des pairs. Longtemps ennemi de Bonaparte, Carnot, qui signait l'ordre des égorgements d'Avignon sans avoir le temps de le lire, avait eu le temps, pendant les Cent-Jours, d'immoler son républicanisme au titre de comte. Le 22 juin, il avait lu au Luxembourg une lettre du ministre de la guerre, contenant un rapport exagéré sur les ressources militaires de la France. Ney, nouvellement arrivé, ne put entendre ce rapport sans colère. Napoléon, dans ses bulletins, avait parlé du maréchal avec un mécontentement mal déguisé, et Gourgaud accusa Ney d'avoir été la principale cause de la perte de la bataille de Waterloo.  Ney se leva et dit : « Ce rapport est faux, faux de tous points : Grouchy ne peut avoir sous ses ordres que vingt à vingt-cinq mille hommes tout au plus. Il n'y a plus un seul soldat de la garde à rallier : je la commandais ; je l'ai vu massacrer tout entière avant de quitter le champ de bataille. L'ennemi est à Nivelle avec quatre-vingt mille hommes ; il peut être à Paris dans six jours : vous n'avez d'autre moyen de sauver la patrie que d'ouvrir des négociations. »

L'aide de camp Flahaut veut soutenir le rapport du ministre de la guerre ; Ney répliqua avec une nouvelle véhémence : « Je le répète, vous n'avez d'autre voie de salut que la négociation. Il faut que vous rappeliez les Bourbons. Quant à moi, je me retirerai aux Etats-Unis. »

Antoine DROUOT (1774-1847). Portrait extrait de L'iconographie de contemporains et fac-similé d'écritures, par F. S. Delpech (1832). (JPG - 390 Ko)
A ces mots, Lavallette et Carnot accablèrent le maréchal de reproches ; Ney leur répondit avec dédain : « Je  ne  suis pas de ces hommes pour qui leur intérêt est tout : que gagnerai-je au retour de Louis XVIII ? d'être fusillé pour crime de désertion ; mais je dois la vérité à mon pays. »

Dans la séance des pairs du 23, le général Drouot, rappelant cette scène, dit : « J'ai vu avec chagrin ce qui fut dit hier pour diminuer la gloire de nos armes, exagérer nos désastres et diminuer nos ressources. Mon étonnement a été d'autant plus grand que ces discours étaient prononcés par un général distingué (Ney), qui par sa grande valeur et ses connaissances militaires, a tant de fois mérité la reconnaissance de la nation. » »