Loi du 18 mars 1880 relative à la liberté de l'enseignement supérieur

A ces critiques, les sénateurs favorables au texte objectent que les premiers articles sont des mesures nécessaires, qui précisent et complètent les lois en vigueur. Le changement de nom des établissements libres n'a pour but que d'éviter les équivoques. La suppression des jurys mixtes est un gage d'impartialité : les professeurs d'État n'ont d'autre intérêt que l'État à la différence de leurs confrères directement concernés par les succès de leurs établissements.

C'est aussi un gage d'unité des études. Mais de l'aveu de tous, la question essentielle est la situation des congrégations non autorisées. Depuis les lois de 1790 et 1792 et le décret de messidor an XII, toujours en vigueur, les congrégations sont prohibées et par conséquent n'ont plus le droit d'enseigner.

« La liberté enfin ! Mais la tenez-vous donc en si médiocre estime que vous allez en confier l'enseignement à ceux-là même qui, par leur vœu d'obéissance absolue, ont reculé si loin les bornes du despotisme en haut et de la servitude en bas, qu'ils ne sont même plus au point de vue du libre arbitre, des esclaves, qu'ils ne sont plus que des cadavres ambulants, selon l'énergique expression de leur fondateur. »

Eugène Pelletan

Les sénateurs qui défendent le texte du Gouvernement, Eugène Pelletan, Alfred Bertauld, Abel Ronjat entre autres, accusent les jésuites de vouloir se servir des enfants pour reconquérir une place prépondérante dans la société et dénoncent leur appartenance à un ordre religieux étranger. Jules Ferry conforte leur thèse en affirmant le droit de contrôle de l'État sur l'éducation des enfants.

« La composition du jury ainsi que l'examen sous la surveillance de l'État est le seul moyen de maintenir à travers les diversités de méthodes, de système de l'enseignement libre, l'unité des études et par conséquent cette unité nationale qui est la grandeur de la France.  »

Jules Ferry

« Puisqu'il existe... une congrégation aussi puissante que célèbre, qui domine toutes les autres par ses succès spéciaux et qui ne peut être défendue dans ses principes ni par les libéraux, ni par les catholiques et qui est véhémentiellement soupçonnée d'être en état de conspiration permanente contre nos institutions... je dis qu'il n'est pas permis au Gouvernement de la considérer d'un œil indifférent et de se croiser les bras. »

Jules Ferry

Quant aux droits des pères de famille que l'opposition prétend bafoués, le ministre rappelle que pour les respecter tous, il faudrait autant de modes d'enseignement qu'il y a de familles afin de prendre en compte les différences en matière de religion, de politique, de philosophie et de morale. En outre, les sénateurs républicains estiment que la liberté d'enseigner ne se rattache pas aux grands principes de la Révolution et ne se confond pas avec les autres libertés ; elle n'est qu'une permission de l'État et ne dispense en aucune façon les congrégations de faire approuver leurs statuts par les pouvoirs publics.

« Si cette loi n'était pas votée, le pouvoir exécutif quel qu'il soit, serait mis en demeure d'appliquer des lois beaucoup plus dures que celle-là. »

Louis-Charles Freycinet

Le 9 mars 1880, dernier jour de la discussion au Sénat, l'agitation est extrême sur les bancs de l'hémicycle. Le public au premier rang duquel se trouvent des personnalités telles que le nonce apostolique, l'ambassadeur d'Espagne, le maréchal de Mac Mahon, est encore plus nombreux que les autres jours. Le journal "Le Temps" commente cette affluence : « jamais le Palais du Luxembourg ne s'est vu à pareille fête... Il n'y a pas dans toute la salle un espace de 10 cm² où un être pensant puisse trouver place... Des députés qui n'ont pu trouver place dans la tribune qui leur est réservée, emplissent les bas-côtés de la salle des séances. » Le Président du conseil, Louis-Charles de Freycinet vient apporter son soutien au projet de loi. Il constate que l'article 7 est devenu « un champs clos » où s'affrontent les passions. Son intervention est faite à la fois de conciliation, avec l'assurance d'une application modérée du texte, et de mise en garde.

L'article 7 est finalement rejeté par 148 voix contre 129 et le projet de loi ainsi modifié est adopté. Le 15 mars 1880 a lieu une seconde délibération. Eugène Pelletan reprend sous forme d'amendement l'article 7 mais ne souhaitant pas recommencer le débat, il se borne à demander un nouveau vote. Son amendement est repoussé par 149 voix contre 132 et le texte, toujours amputé de l'article 7, est à nouveau adopté.

Le vote du Sénat donne lieu à de nombreux commentaires dans le public et dans la presse. La droite se félicite de son succès dont elle grossit les proportions et la gauche exagère la portée de l'article 7 qui a été rejeté. Les journaux épiloguent sur le déplacement de la majorité sénatoriale à l'occasion de ce vote, de la gauche vers la droite. Toutefois "Le Temps" estime que ce changement tient plus de l'apparence que de la réalité et souligne qu'il existe surtout « au Sénat une majorité cléricale résolue à se mettre en opposition sur ce qu'on peut appeler la question des jésuites, avec le Gouvernement et avec la Chambre des députés. »