2. Des élections contestées

C'est en décembre 1990 que l'Assemblée nationale adopte le cadre juridique inaugurant un multipartisme effectif.

A l'occasion de ce débat, le Président Biya affirme aux députés : "Je vous ai amenés à la démocratie et à la liberté" (3 décembre 1990). De fait, les élections législatives de mars 1992 permettent l'entrée à l'Assemblée nationale d'une partie de l'opposition : sur les 180 députés, 88 soutiennent le Gouvernement sous l'étiquette du RDPC, 68 se réclament de l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), dirigée par Bello Bouba Maïgari, ancien ministre du Président Biya, et 18 représentent l'Union des populations du Cameroun (UPC), parti de gauche implanté principalement sur le littoral, et à Douala.

Aux députés du RDPC viennent se joindre, dans le soutien au Gouvernement, 6 députés du Mouvement Démocratique pour la défense de la République (MDR), qui ont en commun, outre leur appartenance politique, d'être élus par la province de l'Extrême-Nord, ce qui diversifie l'origine géographique des soutiens au Président Biya.

Cependant, l'opposition la plus radicale, qui a refusé de participer à ces élections, notamment parce que leur date avait été fixée discrétionnairement par le Président Biya 1 ( * ) se trouve de ce fait, exclue du système institutionnel. Elle est composée pour l'essentiel par le Social Democratic Front (SDF), animé par John Fru Ndi, dirigeant anglophone de l'Ouest du pays (Bamenda).

En revanche, les résultats des élections présidentielles à un tour d'octobre 1992 traduisent la forte émergence du SDF, puisque John Fru Ndi recueille alors 35,9 % des voix ; le président Biya est réélu, de justesse, avec 39,9 %, et 18,6 % reviennent à Bello Bouba Maïgari.

L'étroitesse de la victoire du président sortant entraîne la vive contestation du scrutin par l'opposition. De violents troubles agitent la région de Bamenda, où l'état d'urgence est décrété ; John Fru Ndi est assigné à résidence jusqu'à la fin de 1992.

3. Un débat constitutionnel esquivé

A la revendication croissante de l'opposition en faveur de la réunion d'une Conférence nationale, qui statuerait sur les institutions du pays, le Président Biya a opposé un refus sans appel, estimant, dans un discours à l'Assemblée nationale, le 27 juin 1991, que : « La Conférence nationale est sans objet pour le Cameroun ». Devant le bureau politique du RDPC, en mars 1991, il avait déjà affirmé que : « là où elle fut organisée, la Conférence nationale a été à l'origine de l'ouverture démocratique. Au Cameroun, c'est chose faite, » en s'appuyant notamment sur l'exemple de l'adoption, en décembre 1990, des lois instaurant le multipartisme.

Cependant, les fortes contestations qui suivent sa réélection le conduisent à promettre « un grand débat national », qui se déroule d'avril à juin 1993, et aboutit à la décision d'une révision constitutionnelle devant être débattue par l'Assemblée nationale.

Mais les conditions de convocation, précipitées et discrétionnaires, d'un Comité consultatif constitutionnel, le 14 décembre 1994, avec l'édiction d'une double contrainte pesant sur ses débats, qui sont limités à une semaine, et doivent se dérouler à huis clos, conduisent à une impasse.

En effet, seules les personnalités politiques proches du pouvoir acceptent de délibérer dans ces conditions, et les membres de l'opposition convoqués se récusent : c'est le cas, notamment du dirigeant de l'UNDP, Bello Boula Maïgari, et de l'archevêque de Douala.

Il faut en outre relever qu'aucun texte issu de ce Comité ainsi restreint n'a été, à ce jour, ni publié, ni soumis à l'Assemblée nationale.

Le Président Biya n'a donc pas trouvé de formule acceptable de substitution à la Conférence nationale, ce qui a le double inconvénient de fragiliser encore une légitimité très ébranlée par le score serré et contesté des présidentielles d'octobre 1992, et d'enfermer l'opposition, parlementaire ou non, dans une position uniquement critique.

Aussi bien le report constant des élections municipales, qui devaient se dérouler en 1993, et pour lesquelles la période de l'automne 1995 est maintenant avancée, 1 ( * ) souligne l'indécision d'un pouvoir dont le maintien tient plus à la mésentente de l'opposition qui le conteste, qu'aux soutiens dont il bénéficie. 2 ( * )

* 1 Le SDF conteste également les modalités pratiques d'organisation de ces élections (élaboration des listes électorales et attribution des cartes d'électeur, notamment)

* 1 Alors que le président Biya avait, d'un même mouvement, annoncé le 6 novembre 1994, leur tenue au début de l'année 1995, ainsi que la relance du débat constitutionnel.

* 2 On trouvera différentes analyses de l'évolution politique récente du Cameroun dans :

- l'Afrique en transition vers le pluralisme démocratique - ed Economica - 1993

- l'Afrique politique - ed Karthala - 1994.