Table des matières
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Colloque Asie Centrale du
Jeudi 17 novembre 2011
« 1991 - 2011 : La France et les États d'Asie Centrale, 20 ans après les indépendances »
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Allocutions d'ouverture
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André DULAIT
Président du groupe sénatorial d'amitié France-Asie Centrale
Le groupe d'amitié au service des relations entre la France et l'Asie Centrale
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Aymeri de MONTESQUIOU
Président délégué du groupe d'amitié pour le Kazakhstan, Vice-Président de la commission des finances du Sénat
L'Asie centrale : coeur du grand jeu
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André DULAIT
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Table ronde : la présence
française en Asie Centrale depuis 1991
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Echanges avec la salle
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Approches thématiques
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Didier MAUS
Professeur à l'université Paul Cézanne Aix-Marseille III, Président émérite de l'Association internationale de droit constitutionnel
L'Asie Centrale : quelles évolutions constitutionnelles ?
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Pierre CHUVIN
Professeur émérite à l'Université Paris Ouest-Nanterre
L'Asie Centrale à l'épreuve des indépendances : destins divergents et convergences de fond
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Julien DENORMANDIE
Direction générale du Trésor - Chef du bureau CEI à la sous-direction des Relations économiques bilatérales
Situation économique et relations bilatérales avec le pays d'Asie Centrale : état des lieux et perspectives
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Bohdan KRAWCHENKO
Directeur Général de l'Université de l'Asie Centrale
Les activités de la Fondation Aga Khan pour le développement de l'Asie Centrale
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Didier MAUS
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Table ronde : le point de vue des cinq
pays
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Allocutions d'ouverture
Colloque Asie Centrale du
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Allocutions d'ouverture
André
DULAIT
Président du groupe sénatorial d'amitié
France-Asie Centrale
Le groupe d'amitié au service des relations
entre la France et l'Asie Centrale
Monsieur le Président, Messieurs les Ambassadeurs, Chers collègues, Mesdames, Messieurs.
Le groupe d'amitié est heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat. Comme vous le savez, notre assemblée vient de se renouveler, et les groupes d'amitié doivent, eux-aussi, se reconstituer dans les prochaines semaines, mais nous tenions à organiser cette rencontre dès maintenant, car l'année 2011 marque le 20ème anniversaire de l'indépendance du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan.
Ces cinq États nous font aujourd'hui l'honneur de leur présence, quatre à travers leurs ambassadeurs et le cinquième, le Kirghizstan, à travers le ministre conseiller de l'ambassadeur, retenu par un empêchement impératif de dernier moment.
J'ai aussi la joie de saluer nos ambassadeurs de France dans ces cinq pays, et de leur dire combien nous apprécions leur action au service de la coopération bilatérale et de la présence française dans cette région. Je remercie également le Quai d'Orsay, avec lequel nous travaillons toujours en liaison étroite.
Je ne peux citer nommément toutes les personnalités qui nous font l'amitié de leur présence, aussi bien dans la salle qu'à la tribune, mais je tiens à souhaiter une chaleureuse bienvenue à la délégation de députés turkmènes qui s'est jointe à nos travaux, profitant d'un séjour en France à l'invitation du groupe homologue de l'Assemblée nationale.
Le groupe France-Asie centrale m'a confié sa présidence en 2004, mais je connais l'Asie Centrale depuis les années 60. A l'époque, il était impossible de prévoir comment évoluerait cette région, difficile d'accès durant l'époque soviétique. Après 1991, les autorités françaises ont établi les premiers contacts et, depuis lors, elles mesurent mieux le fort potentiel de ces cinq nouveaux pays, notamment sur le plan des échanges économiques et des relations culturelles. Nos contacts diplomatiques ont été ponctues de nombreuses visites officielles de très haut niveau, initiées par celle du Président Nazerbaïev en France en 1992, puis par le voyage en retour, l'année suivante, du Président François Mitterrand au Kazakhstan. Concernant le Sénat, je mentionnerai plusieurs visites en France du Président du Tadjikistan, Monsieur Rakhmon, celle du nouveau Président du Turkménistan, Monsieur Berdimoukhamedov, en février 2010, ou encore celle de la Présidente kirghize, Madame Otounbaeva, en mars 2011. Depuis lors, le Kirghizstan s'est doté d'un nouveau Président, dont je souhaite aujourd'hui saluer l'élection, marquée par un transfert pacifique du pouvoir.
Nos relations interparlementaires se sont également enrichies, notamment sous l'égide de la commission des affaires étrangères et de la défense, qui a effectué plusieurs missions d'information en Asie Centrale depuis 1998. Cela démontre que l'action du Sénat s'inscrit dans la durée et la continuité.
La vocation de notre groupe d'amitié est le « resserrement tous azimuts » de nos liens bilatéraux avec chacun de ces cinq pays. Nous nous efforçons notamment de promouvoir les échanges institutionnels, la coopération décentralisée, la francophonie et la coopération interparlementaire, qui offre de réelles opportunités de développement à vos pays. J'ajouterai un point auquel le Sénat ne peut qu'être attentif : nous avons assisté avec intérêt à la création de secondes chambres au Kazakhstan, en Ouzbékistan et au Tadjikistan.
Parmi les activités du groupe, j'évoquerai également les rencontres que nous organisons presque chaque année avec Ubifrance sur la région Caspienne et Asie centrale, et dont plusieurs parmi vous sont de fidèles abonnés.
Tout en nous félicitant de ces acquis -que j'aurais du mal à détailler en quelques minutes- nous devons aller plus avant. La France est encore loin d'avoir épuisé son potentiel de coopération et d'échanges avec l'Asie Centrale. C'est d'autant plus souhaitable que ces pays ont les yeux tournés vers l'Union Européenne, qui leur offre un champ d'ouverture internationale pouvant contrebalancer l'influence de leurs deux grands voisins, la Chine à l'est et la Russie au nord. N'en doutons pas : une partie des enjeux majeurs du XXIème siècle se jouera sur l'échiquier centrasiatique.
Je souhaite à tous un excellent colloque et je vous donne rendez-vous en 2021, pour célébrer les trente ans des indépendances !
Aymeri de MONTESQUIOU
Président
délégué du groupe d'amitié pour le Kazakhstan,
Vice-Président de la commission des finances du Sénat
L'Asie
centrale : coeur du grand jeu
Monsieur le Président, Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames, Messieurs.
Le Président Dulait connaît vraiment bien la région et son état d'esprit. Je voudrais souligner la présence aujourd'hui d'une délégation turkmène, un pays que nous connaissons trop peu. D'une manière générale, l'Asie Centrale est une région que les Français connaissent encore assez mal. Pour ma part, je commence à la connaître un peu mieux... Je me suis rendu dans tous ces pays à maintes reprises. Durant notre jeunesse, nous avons été bercés par la notion de « grand jeu », cette grande rivalité internationale entre l'empire britannique et l'empire russe. Aujourd'hui, nous assistons à un nouveau grand jeu, conséquence de la prise de conscience du rôle essentiel que joue l'Asie Centrale. Le monde diplomatique, le monde universitaire et le monde économique sont d'ailleurs présents aujourd'hui parmi nous pour mieux saisir les enjeux de cette région et son potentiel.
Toutes les grandes puissances font la cour à l'Asie Centrale. A l'est, la frontière avec la Chine s'étend sur 3 000 km. Les liens économiques et diplomatiques entre les deux parties sont extrêmement étroits, même si les pays d'Asie Centrale font maintenant preuve de modération face aux investissements chinois dans la région. Il existe une organisation, l'organisation de Shanghai, qui regroupe tous les pays d'Asie Centrale - sauf le Turkménistan -, la Russie et la Chine, plus l'Iran en tant qu'invité. Cette organisation a, me semble-t-il, un avenir très important. Au nord, la Russie fait figure de grand pays frère. Parfois, cette fraternité est un peu étouffante. L'affection russe peut peser. Néanmoins, il est certain que ce sont des pays frères.
Au sud, nous notons des poussées islamistes importantes vers l'Asie Centrale. D'ailleurs, les talibans avaient pour objectif de transformer les Etats d'Asie Centrale en émirats. Des évènements inquiétants montrent bien que ces pays regardent le sud avec préoccupation. Lorsque les forces de l'OTAN auront quitté l'Afghanistan, les cinq pays pourront, à juste titre, ressentir de l'inquiétude.
A l'ouest, tous ces pays se tournent vers l'Union Européenne, dont ils attendent beaucoup. Or l'Union Européenne et la France ne sont pas encore assez présentes. Tournons-nous vers cette région essentielle par son sous-sol, mais également politiquement. Pour améliorer nos relations avec les grandes puissances que sont la Chine et la Russie, nous avons peut-être besoin de l'intermédiaire des pays d'Asie Centrale. Ces derniers ne veulent pas donner toutes les clés à la Russie. De même, les Etats-Unis ont parfois une tendance hégémonique. L'Union Européenne, et la France en particulier, a donc un rôle important à jouer dans cette région du monde.
Le Kazakhstan est le plus grand pays de la zone. Il représente 3 % des réserves pétrolières et 2 % des réserves gazières mondiales. Ainsi, plus de 130 milliards de dollars ont été investis sur le champ géant de Kashagan. Le Kazakhstan est également le premier exportateur de farine au monde. On le sait moins, mais c'est une puissance agricole de premier plan.
Le Turkménistan est moins connu. Il possède pourtant d'importantes réserves de gaz. C'est un second Koweït. Cette nouvelle puissance est très importante.
L'Ouzbékistan est le pays le plus peuplé de la zone, avec 26 millions d'habitants. Il possède une véritable tradition industrielle et une production de gaz importante. C'est un grand producteur de coton, ce qui génère cependant des problèmes d'approvisionnement en eau.
Le Kirghizstan et le Tadjikistan disposent d'un potentiel hydroélectrique considérable, mais conflictuel dans la mesure où l'Ouzbékistan regarde avec inquiétude la possible construction de barrages dans une zone tellurique. Pour ses irrigations, l'Ouzbékistan a besoin d'une eau régulée. La France pourrait jouer un rôle d'arbitre. Il serait inacceptable que l'Ouzbékistan vive sous la menace des conséquences hydrauliques ravageuses d'un tremblement de terre dans les pays amont, mais il serait dommage que la région ne puisse pas exploiter son potentiel hydraulique extrêmement important.
Pour valoriser et exporter toutes ces richesses, il faut des réseaux. Au nord, les réseaux existants sont l'héritage des années soviétiques, mais il existe également un potentiel transcaspien. Total a pour projet de sortir une partie de la production de Kashagan vers l'Azerbaïdjan, par la Mer Caspienne. Un champ géant d'hydrocarbures vient d'ailleurs d'être découvert en Azerbaïdjan. Il jouera un rôle essentiel dans l'approvisionnement de l'Union Européenne. Une sortie directe avec l'Iran, outre son côté économique, serait une manière de réintégrer l'Iran dans ce grand jeu, tant la politique de rupture absolue avec ce pays n'est pas très productive. Ce réseau donnerait également une place plus importante à la Turquie. L'ensemble de ces réseaux ont une incidence politique très importante. Le gazoduc Nabucco, qui passe par le sud, pourrait être alimenté par ce nouveau champ géant de gaz en Azerbaïdjan. Ce serait également une manière d'acheminer du gaz irakien en Europe.
Tout cela amène à constater que l'Asie Centrale est vraiment le grand jeu du XXIème siècle, entre ses ressources gazières et pétrolières, l'uranium - dont le Kazakhstan est le premier exportateur - et les métaux - que le Kazakhstan possède presque tous.
Le personnel diplomatique français dans la région est de très haut niveau. Cela démontre qu'une prise de conscience s'est enfin opérée. Nous ne pouvons pas regarder cette zone à travers nos seuls standards occidentaux. Cette région de tradition millénaire possède une vraie culture. L'islam est pratiqué de manière différente selon les pays. Arrêtons d'avoir un regard du XIXème siècle. Il faut regarder ces pays comme des pays qui sont exactement au même niveau que nous, avec une élite réelle. Proposons-leur ce qu'il y a de meilleur chez nous.
Table ronde : la présence française en Asie Centrale depuis 1991
Jean-Charles
BERTHONNET
Ambassadeur de France au Kazakhstan
Je me réjouis de cette rencontre originale, qui nous permet d'échanger en direct. Très simplement, je vous donnerai quelques éclairages sur le Kazakhstan vingt ans après son indépendance.
Lorsque le Kazakhstan a accédé à l'indépendance, certains lui accordaient une espérance de vie limitée. Ce pays est très grand, avec une composition ethnique très diverse, au contact de la Russie. Le Kazakhstan était à la tête d'un arsenal nucléaire très important, d'où le regard particulier qui lui était porté. Dans un premier temps, ce sont essentiellement des raisons politiques et stratégiques, pas encore des raisons économiques, qui nous ont fait nous intéresser au Kazakhstan. Durant ses premières années d'indépendance, le Kazakhstan a traversé d'énormes difficultés économiques. Ce n'est qu'à partir des années 2000 qu'il a décollé, affichant aujourd'hui un taux de croissance parmi les plus élevés.
Au départ, les entreprises françaises se sont peu intéressées au Kazakhstan. La situation a ensuite changé. Notre présence économique se décline au travers de très grands projets. Ces dernières années, nous avons su tirer notre épingle du jeu. Cela implique une relation politique de qualité au plus haut niveau. A cet égard, la longue éclipse qui a suivi la visite de Monsieur Mitterrand a pesé sur nos performances.
L'attractivité du Kazakhstan n'est pas qu'économique. Elle concerne également sa diplomatie multivectorielle. Le Kazakhstan s'efforce d'avoir de bonnes relations avec tous ses partenaires et voisins. La stabilité politique du pays est très importante pour nos entreprises. Areva possède une concession sur l'uranium qui dure jusqu'en 2039, tandis que le contrat de partage de production de Kashagan ne sera récupéré qu'en 2041. La stabilité politique est parfois sujette à interrogations. Certains se sont demandé si les évolutions récentes dans les pays arabes auraient des répercussions au Kazakhstan. C'est le contraire qui s'est produit, avec le maintien du régime actuel. Ce régime est certes centralisé autour de son Président, mais il présente des traits démocratiques.
Thibaut
FOURRIÈRE
Ambassadeur de France au Kirghizistan
Je suis le premier ambassadeur de France à résider à Bichkek. Toutefois, la France est présente au Kirghizstan depuis l'indépendance, sous une forme culturelle. Je mesure aujourd'hui les évolutions en cours dans la zone, particulièrement au Kirghizstan. Peut-être y assistons-nous, d'ailleurs, à une certaine répétition de l'histoire. Des troubles ethniques se sont produits en 2010, comme avant l'indépendance. De plus, certaines questions d'il y a vingt ans restent pertinentes, notamment celle du désenclavement. Le Kirghizstan est composé de montagnes à 90 %. Ce pays ne dispose que d'une seule voie de chemin de fer. Il possède un potentiel hydroélectrique important qui nécessite des investissements.
Le Kirghizstan semble plus démocratique, mais également plus instable. Le nouveau Président devra trouver le moyen d'attirer les investissements indispensables à son développement. La coopération régionale est également nécessaire. Par exemple, l'électricité produite dans le sud du pays traverse l'Ouzbékistan et le Kazakhstan pour alimenter le nord du pays. Un important travail de coordination et de concertation doit être mené. Il a commencé à l'être avec l'Union Européenne, l'OSCE et les agences des Nations Unies.
Le processus démocratique se poursuit au Kirghizstan. C'est un évènement historique, puisque deux élections se sont tenues en l'espace d'un an. Le rôle de la Présidente Otounbaeva a été déterminant et fondamental dans la mise en avant des valeurs que sont les droits de l'homme et la démocratie. Ces valeurs ont droit de cité dans cette zone du monde.
François
GAUTHIER
Ambassadeur de France en Ouzbékistan
Il y a quelques mois s'est tenu le premier colloque franco-ouzbek de droit constitutionnel. C'est un axe important de notre coopération politique avec l'Ouzbékistan.
Notre présence dans ce pays revêt une triple dimension. Elle est d'abord ancienne : nous sommes le 6 ème pays à avoir reconnu l'indépendance de l'Ouzbékistan. Elle s'est également située à un très haut niveau, avec les visites croisées du Président Ouzbek en France et des Présidents français en Ouzbékistan. Enfin, nous avons une relation économique forte avec l'Ouzbékistan. Ainsi, Schneider Electric vient de racheter une société ouzbeke de production d'équipements électriques. Certes, l'environnement n'est pas toujours facile, mais le dynamisme de nos échanges est bien réel. C'est une bonne chose pour tout le monde.
La présence française en Ouzbékistan revêt un enjeu culturel fort. 300 000 personnes apprennent notre langue dans ce pays. L'institut français fonctionne bien, avec près de 1 000 étudiants. Nous avons même une école française.
Deux phénomènes me rendent très optimiste pour l'avenir. 15 000 touristes français se rendent chaque année en Ouzbékistan. Cette année, leur nombre leur a encore augmenté de 20 %. C'est un enjeu extrêmement important. Par ailleurs, le 23 juin dernier, le gouvernement a autorisé l'Agence française de développement à travailler en Ouzbékistan.
Tout cela me fait penser que nous sommes sur la bonne voie. Je suis très optimiste pour notre relation.
André DULAIT
Ce développement du tourisme en Ouzbékistan ne pourra avoir que des conséquences positives dans tous les pays de la région.
Henry ZIPPER de FABIANI
Ambassadeur de France au
Tadjikistan
Mon exposé sera moins optimiste et plus provocateur. Il commencera par une question : ne nous intéressons-nous qu'aux pays riches, à ceux qui ont un sous-sol prometteur ? Nous pouvons légitimement nous interroger. La fin de la transition en Afghanistan s'accompagnera-t-elle d'une vision encore plus minimaliste de notre engagement au Tadjikistan ?
Pendant les premières années de l'indépendance tadjike, la France était présente au Tadjikistan à travers des ONG. Nos ambassadeurs n'étaient pas résidents. Ils ne pouvaient assurer qu'un suivi épisodique. A partir de 2001, nous avons eu des relations plus suivies, essentiellement axées autour de notre présence en Afghanistan. Nos militaires ont contribué à moderniser l'aéroport de Douchanbé. Il faut maintenant espérer que le chantier de l'aérogare avancera.
Nous avons souvent tendance à nos cacher derrière la présence globale de l'Union Européenne. Pourtant, nous avons des raisons d'avoir une relation bilatérale plus soutenue. La problématique de l'eau, de l'énergie, du réchauffement climatique et de l'environnement est majeure. La contribution du Tadjikistan au Forum mondial de l'eau à Marseille devra être conforme à ce qu'est la position de ce pays. Les entreprises françaises sont présentes et actives dans ce domaine.
Notre souci de stabilité dans la région va au-delà de la dimension militaire et opérationnelle. Le désenclavement du Tadjikistan est un enjeu majeur. Malheureusement, l'agence française de développement ne considère pas que les plus pauvres ont droit à la même assistance que les plus riches.
Le sujet de la laïcité est important. Sur le plan diplomatique, notre ambassadeur devra continuer à jouer un rôle majeur après le départ des troupes militaires. Notre engagement culturel devra rester significatif. L'enjeu de la francophonie est important. Notre coopération archéologique reprend. Dans le domaine culturel, l'Institut français d'Asie centrale (IFEAC) doit reconnaître la particularité du Tadjikistan, seul pays persanophone de la région. Sur le plan agricole, le programme TAFF permet à des entreprises et à des coopératives françaises de jouer un rôle plus important. Je mentionnerai également la santé et le tourisme parmi les sujets qui nous lient.
En conclusion, le Tadjikistan est un concentré de certaines problématiques mondiales. C'est le seul pays persanophone de la région. Lorsque l'Iran s'éveillera, tous ceux qui s'intéressent au monde perse auront un rôle à jouer. Je me félicite du rôle de la diplomatie parlementaire au Tadjikistan, mais nous avons besoin d'un discours politique beaucoup plus substantiel.
Pierre LEBOVICS
Ambassadeur de
France au Turkménistan
Nous avons, en France, une qualité de regard sur l'autre qui fait que nous nous intéressons aux cultures. Nous, Français, sommes fondamentalement curieux. C'est une grande qualité qui fait qu'il existe un courant entre nous et tous les peuples du monde, y compris les peuples d'Asie Centrale. N'oublions pas que nous avons assisté à un extraordinaire retournement de l'histoire. Tous ces peuples d'Asie Centrale ont vu arriver l'opportunité d'être maîtres de leur destin. C'est quelque chose d'extraordinaire pour qui a connu le système soviétique. Cette chance était également un défi.
En combien de temps se construisent un Etat, une nation, des institutions, une démocratie ? Si nous nous inscrivons dans cette problématique, notre regard sur la région peut changer. Pensons à notre propre histoire, aux luttes et aux bouleversements qui ont construit la France. Soudain, nous voudrions que ces pays qui naissent soient absolument impeccables. Non, ce n'est pas possible. Donnons-leur un peu de temps.
Le Turkménistan est mal connu. Je suis absolument étonné par l'extraordinaire distance qu'il y a entre ce que je lis dans la presse française et le pays dans lequel je vis, les évolutions que j'y vois. Nous nous sommes arrêtés sur une image caricaturale du Turkménistan. Le Turkménistan, ce n'est pas qu'une statue qui tourne au rythme du soleil. C'est un pays qui évolue. Depuis cinq ans, il est gouverné par un Président qui a entamé une politique radicalement nouvelle, ouvrant le pays aux relations internationales tout en le transformant en interne. Evidemment, il reste beaucoup de choses à faire, mais n'ayons pas une attitude arrogante, ne nous érigeons pas en donneur de leçons.
La France prend une position solide. Au Turkménistan, il est important de nouer une relation de confiance. Une fois cette relation établie, le travail commence. Ce pays est assis sur un trésor gazier qui n'est pas encore valorisé car il faut le sortir. Néanmoins, ces ressources sont mises à la disposition d'une politique qui vise à la modernisation du pays. L'excellence mondiale française est à l'oeuvre au Turkménistan, dans le BTP, mais également dans les satellites ou les équipements électriques. Soyons ouverts sans être complaisants. Il y a des enjeux. Il faut s'investir activement.
Prenons l'exemple de la distribution et du traitement de l'eau. Au Turkménistan, les infrastructures sont totalement obsolètes. Les Français possèdent une grande expérience dans ce domaine. J'essaie d'attirer les entreprises françaises depuis plusieurs mois, mais je ne vois toujours rien venir.
Echanges avec la salle
De la salle
La belle époque de la diplomatie culturelle des années 60 et 70 est-elle très loin aujourd'hui ? Je vous demande cela car les cours de français sont extrêmement chers en Asie Centrale.
Jean-Charles BERTHONNET
La France vit une situation budgétaire compliquée depuis plusieurs années. Nous sommes tous logés à l'enseigne de l'austérité, mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras. Nous avons beaucoup d'opportunités d'affirmer notre présence. Au Kazakhstan, les alliances françaises bénéficient de l'aide d'entreprises françaises, mais également kazakhtanaises. Les programmes européens représentent également une opportunité. Nous sommes en compétition avec l'anglais, mais il serait faux de dire qu'il n'y a pas de place pour le français. De grands groupes comme Total s'investissent. Nous comptons bien mettre un pied dans l'université Nazerbaïev, mais il faut venir sur ce marché pour le conquérir.
Thibault FOURRIERE
A Bichkek, les cours de français sont tout à fait accessibles. Beaucoup de jeunes kirghizes diplômés apprennent le français.
Aymeri de MONTESQUIOU
Au Kazakhstan, nous menons une action pour développer des relations au plus haut niveau. Une délégation de l'université Nazerbaïev d'Astana était en France la semaine dernière. Ses membres ont été convaincus du très haut niveau de l'enseignement supérieur français. Au Kazakhstan, le français est la seconde langue étudiée après l'anglais, devant le chinois et l'allemand.
De la salle, un représentant de GDF SUEZ
J'entends votre appel aux entreprises françaises dans le domaine de l'eau au Turkménistan, mais quels financements sont possibles ? Quel est le niveau des tarifs pratiqués sur place ?
Pierre LEBOVICS
Les Turkmènes paient. Demandez à tous vos collègues. La négociation est difficile, mais les Turkmènes respectent leurs engagements. Pour le moment, l'eau est distribuée gratuitement à la population. Le pays a besoin d'équipements modernes.
De la salle
Avez-vous l'impression que ces pays ont fait table rase de leur passé soviétique ? En quoi le maintien d'une relation forte avec la Russie pourrait-il gêner nos relations avec ces pays ?
Henry ZIPPER de FABIANI
Au Tadjikistan, la relation est très ambigüe. La Russie reste un acteur important. La population éduquée est certainement nostalgique d'une époque où tout allait de soi. Les infrastructures sont vieillissantes. En même temps, le Tadjikistan a la volonté d'être ce qu'il est : indépendant. Il est indispensable que nous fassions comprendre aux Russes qu'il y a de la place pour tout le monde en Asie Centrale. Pour autant, il est certain que la Russie doit jouer un rôle positif, dans le plein respect de l'indépendance de ces pays.
Pierre LEBOVICS
Les relations avec la Russie évoluent selon ce qui dicte le contenu de la relation. Les pays d'Asie Centrale se raidissent face aux comportements impériaux. Pour autant, la Russie a vocation à être et à rester un partenaire économique important. Elle n'est pas un facteur de retard au développement, mais a vocation à rester un grand partenaire. Au niveau des mentalités, le processus est plus long. Je pense notamment au rôle de l'autorité détenue par les plus anciens. Les jeunes diplômés ont du mal à trouver leur place. Je pense également au projet Nabucco, qui a été présenté comme une arme anti-russe. C'était le plus mauvais cadeau à faire à ce projet. Heureusement, nous avons corrigé ce langage en expliquant aux Russes que nous cherchions simplement à diversifier nos fournisseurs de la même manière qu'ils cherchent à diversifier leurs clients.
Aymeri de MONTESQUIOU
J'ajoute que les relations ne sont pas homogènes entre la Russie et les cinq pays de la région.
Approches thématiques
Didier MAUS
Professeur à
l'université Paul Cézanne Aix-Marseille III, Président
émérite de l'Association internationale de droit
constitutionnel
L'Asie Centrale : quelles évolutions
constitutionnelles ?
Les ambassadeurs de France qui m'ont précédé connaissent parfaitement ces pays dans lesquels ils représentent la République. Pour ma part, je ne me suis rendu qu'à quelques reprises dans deux de ces pays.
Ces États d'Asie Centrale représentent, depuis vingt ans, un véritable champ de recherche, malheureusement méconnu, mais tout à fait exceptionnel pour les constitutionnalistes. Ces cinq pays sont devenus indépendants en même temps. Ils n'ont pas pris la suite de pays qui auraient déjà existé dans la période pré-soviétique, ce qui les différencie, en Europe, des pays baltes ou balkaniques. Il est donc difficile de dire qu'il y pré-existait un modèle ou une pratique constitutionnelle. En quelque sorte, nous avons assisté à une expérience extrêmement originale. Comment créer à partir de zéro une administration fiscale, une diplomatie, une police ou une armée ?
Les cinq systèmes constitutionnels qui en ont résulté sont assez classiques. Les constitutions ont été construites sur une structure très proche du modèle majoritaire que nous connaissons depuis la seconde guerre mondiale. L'on y trouve des déclarations des droits, avec des rédactions globalement très proches des standards internationaux. L'on y trouve également des institutions. Tous ces pays ont un chef d'Etat. Aucun n'a cherché à établir une monarchie. Des parlements ont été créés. Enfin, le système judiciaire est lui aussi relativement classique.
L'accès aux cinq constitutions n'est pas toujours très facile. Ainsi, il est très difficile de trouver la constitution actuelle du Tadjikistan. Dans la plupart des cas, il n'existe pas de version française. C'est dommage.
Les déclarations des droits sont extraordinairement proches de ce qui se faisait à la fin du XXème siècle. Les grands droits sont énoncés et protégés. Les standards internationaux sont repris. Les relations entre le chef de l'Etat et le gouvernement dépendent des pays. Le Kirghizstan est plus parlementaire que les autres pays. En matière de justice, quatre pays ont des juridictions ou des cours suprêmes. Seul le Turkménistan n'a pas créé de juridiction constitutionnelle. Je souhaite qu'il y en ait une le moment venu.
Au final, ces systèmes ne détonnent pas. Pour autant, il existe quelques originalités. Le rôle du Président en est une. Au Kazakhstan, il est le symbole de l'unité nationale. Il est celui qui a en charge le destin du pays. La question du renouvellement des équipes dirigeantes se pose dans certains cas. Parfois, les mêmes équipes sont au pouvoir depuis vingt ans. Il faudra être très attentif à la manière dont se feront ces changements d'équipes, entre ouverture et fermeture.
Enfin, l'évolution démocratique en termes de droits de l'homme devra aussi être suivie. Les bases existent. Les textes sont plutôt bons. Ceci étant, il faut tenir compte de la spécificité de la zone. Très honnêtement, il est impossible de construire un système aussi perfectionné que ceux qui existent en France ou aux Etats-Unis du jour au lendemain, ne serait-ce que parce qu'il faut du temps pour former des juristes. Pour autant, il ne faut pas sans cesse invoquer cette nécessité du temps pour éviter de poser la question. Il est anormal que certaines garanties fondamentales, dans les pays d'Asie Centrale comme ailleurs, ne soient pas encore véritablement assurées.
Pierre CHUVIN
Professeur émérite
à l'Université Paris Ouest-Nanterre
L'Asie Centrale à
l'épreuve des indépendances : destins divergents et
convergences de fond
Vingt ans d'indépendance, c'est vingt années à défaire progressivement les liens qui unissaient les Républiques de l'Union soviétique, tout en préservant une part de cet héritage. Ces pays ont deux héritages : russo-soviétique et turco-iranien.
En 1991, la France a été parmi les premiers Etats à reconnaître les indépendances des pays d'Asie Centrale. L'Institut Français d'Etudes sur l'Asie Centrale était même le seul institut européen régional. Pour que ce courant d'échanges subsiste, la coopération culturelle doit être adaptée. Cette coopération a pris une grande ampleur. Ainsi, dans le domaine des sciences de la terre, le Kazakhstan et la France ont conclu un accord visant à créer un laboratoire sur la recherche et l'étude des terres et des métaux rares.
L'archéologie est un domaine très important de cette coopération. Différents chantiers sont en cours. La coopération est systématiquement collégiale. Elle donne d'excellents résultats. Autant que possible, le matériel est étudié sur place. Des Français participent à cinq missions archéologiques en Asie Centrale qui couvrent des périodes allant du néolithique à l'irruption mongole de 1220. Ces recherches ont révélé un art rupestre particulièrement riche. Elles ont permis des découvertes sensationnelles. Par exemple, à Samarkand, des fragments de grande peinture murale d'un pavillon de plaisance ont révélé un chapitre tout à fait inattendu de l'histoire de la peinture iranienne. Nous pouvons être fiers des Cahiers d'Asie Centrale . Cette revue est maintenant accessible à tous. Elle a permis à des savants de la région de se faire connaître du public occidental. La diffusion du savoir relatif à l'Asie Centrale se fait aussi par des expositions itinérantes.
Le patrimoine de cette région est également immatériel. Ainsi, il existe une extraordinaire tradition musicale, tandis qu'en littérature, de grands auteurs attendent leur traducteur.
Dès 1993, j'ai mis en place à Tachkent une entreprise de création de dictionnaires sans passer par la langue russe. Le dictionnaire franco-ouzbek a été long à bâtir, mais il a finalement vu le jour.
Les sites universitaires étudiant les langues et civilisations d'Asie Centrale se sont multipliés. Toutefois, les échanges universitaires restent le talon d'Achille de notre coopération.
Le patrimoine le plus spectaculaire est le patrimoine architectural. L'Asie Centrale est riche de nombreux monuments. Certains attendent une restauration durable. La mise en valeur de ce patrimoine permettra de développer le tourisme. Le tourisme culturel a de magnifiques atouts dans ces pays, y compris les plus montagneux.
Julien DENORMANDIE
Direction générale
du Trésor - Chef du bureau CEI à la sous-direction des Relations
économiques bilatérales
Situation économique et
relations bilatérales avec le pays d'Asie Centrale : état
des lieux et perspectives
Les économies d'Asie Centrale ont connu une évolution significative depuis la seconde moitié des années 90. Le PIB a été multiplié par six entre 1995 et 2010. Les pays d'Asie Centrale ont pu se développer significativement. Evidemment, il existe des disparités. Ainsi, le PIB du Kazakhstan est très proche de celui de la Russie. Toutefois, l'ensemble des économies de la région sont en croissance. Aucun de ces pays n'est entré en récession en 2009.
Ces croissances sont essentiellement tirées par des atouts économiques structurels. Le potentiel énergétique est l'un des volets les plus importants. Les réserves pétrolières et gazières sont considérables. La zone est également riche d'uranium et de métaux précieux. Le second atout structurel est l'agriculture, dont la part reste conséquente dans l'économie de ces pays. Le Kazakhstan est aujourd'hui le premier exportateur mondial de farine et de blé. La position géographique de ces pays, en tant que point de relais entre l'Union Européenne et l'Asie, est un autre atout.
Les économies d'Asie Centrale ont su accroître leur attractivité pour les investisseurs étrangers. L'investissement direct étranger a été multiplié par dix depuis 1993, à près de 10 milliards de dollars de flux aujourd'hui.
Il reste des défis dans ces économies. Celles-ci doivent passer d'une économie de fournisseurs de matières premières à une économie de producteur de produits à valeur ajoutée. Par exemple, le Kirghizstan est très dépendant du secteur des métaux précieux et des produits miniers. Ces pays ont effectué leur transition démographique, mais leur population reste jeune. L'enjeu en termes d'emploi est donc essentiel. Cette problématique est déjà prise en compte par les pays d'Asie Centrale. Elle se traduit par des dispositions visant à favoriser les investissements créateurs d'emplois. La France a la capacité d'accompagner les pays d'Asie Centrale dans cette diversification. L'amélioration constante du climat des affaires est un autre défi très important. Le troisième défi est celui du désenclavement, à la fois géographique, économique, financier et bancaire. Un processus de solidification des réseaux bancaires et financiers de ces pays est nécessaire.
Dans ce contexte, la France a développé une vraie stratégie de partenariat industriel. Les échanges ont été multipliés par quatre ces dix dernières années, à près de 4 milliards de dollars en 2010. La marge de progrès est colossale. Ces échanges sont peu diversifiés. La part du Kazakhstan reste très importante. Dans cette région, la part de marché de la France est loin derrière celle de certains concurrents comme la Russie, la Turquie, la Chine et la Corée, mais également de celle de l'Allemagne ou de l'Italie.
Plusieurs pistes se présentent. Il faut d'abord tirer profit de l'excellence des relations politiques et des entreprises déjà installées, dont des PME. Des partenariats industriels sont également possibles dans l'innovation. Sur le plan géographique, nous avons intérêt à unir nos forces.
Bohdan KRAWCHENKO
Directeur Général
de l'Université de l'Asie Centrale
Les activités de la
Fondation Aga Khan pour le développement de l'Asie Centrale
Le siège social du réseau Aga Khan est basé en France, à proximité de Paris. Il s'agit d'un réseau privé, ce qui pourrait constituer une autre optique du développement en Asie Centrale. Le réseau Aga Khan est assez énorme à l'échelle mondiale. Nous sommes également présents en Asie Centrale. D'ailleurs, notre conception de cette région dépasse les cinq pays de l'ex-Union Soviétique. Nous travaillons dans les régions où les problèmes sont les plus durs.
Le réseau Aga Khan intervient dans pratiquement tous les domaines possibles. Notre intervention en Asie Centrale présente quelques caractéristiques. D'abord, nous sommes très nombreux. Nous couvrons presque tous les aspects de la société. Nos interventions sont de long terme. Nous avons notamment construit plusieurs écoles, dont une à Osh au Kirghizstan. Notre intervention est multi-secteurs car les problèmes eux-mêmes sont multi-secteurs. Nous faisons preuve d'une grande patience. Par exemple, nos programmes de développement rural au Pakistan s'étendent sur trente ans. Malheureusement, beaucoup d'agences de développement ont très peu de patience.
Dans le secteur de l'éducation, nous menons un projet très ambitieux avec l'université d'Asie Centrale, qui devrait ouvrir ses portes en 2016. Nos universités ne sont pas dans les capitales, mais dans des villes secondaires en difficulté économique.
Nous avons un grand programme de santé, notamment un hôpital à Kaboul en partenariat avec un institut français. Nous créons un réseau de santé en Asie Centrale.
Nous intervenons également sur le plan économique. Nous menons des programmes de lutte contre la pauvreté. Pour cela, nous nous rapprochons toujours des organisations villageoises. Au Tadjikistan, nous avons mené de grandes interventions pour encourager le commerce transfrontalier avec l'Afghanistan.
Enfin, nous avons plusieurs programmes culturels. Les possibilités économiques sont assez intéressantes. Le potentiel économique de la culture doit être renforcé. La culture peut créer de l'emploi et améliorer la qualité de vie.
Table ronde : le point de vue des cinq pays
Tchary NIIAZOV
Ambassadeur du
Turkménistan
Je voudrais d'abord vous remercier pour cet évènement. Nous apprécions beaucoup le travail du groupe d'amitié du Sénat. Nous sommes convaincus que le travail peut être intensifié à tout moment sans aucun problème.
L'indépendance des pays d'Asie Centrale n'était pas simple. Les pays occidentaux ont parfois tendance à l'oublier. Par exemple, le Turkménistan a été créé en 1924 en tant que République Socialiste Soviétique. Nous avons publié une déclaration sur la souveraineté économique en août 1990. C'est à l'issue d'un référendum que le Turkménistan a déclaré son indépendance, en 1991. J'étais en France à cette époque. J'ai vu comment les pays de l'Union Européenne ont réagi face à cet évènement inattendu. Ils ont réagi avec prudence. Beaucoup prédisaient une explosion des pays d'Asie Centrale et des guerres entre eux. Heureusement, la France s'est très vite aperçue que ce ne serait pas le cas. La première visite d'un chef d'Etat occidental en Asie Centrale a été celle du Président Mitterrand.
La dynamique actuelle des pays d'Asie Centrale est le fruit de notre travail. Nous avons obtenu certains résultats, en termes de croissance du PIB notamment.
Je voudrais souligner notre relation avec la France. Une cinquantaine de sociétés françaises sont présentes en permanence au Turkménistan. Les Français sont les plus nombreux parmi la population expatriée qui vit dans notre pays. Nous sommes très optimistes s'agissant de nos perspectives de coopération économique, humanitaire ou culturelle. La France est, avec l'Allemagne et l'Italie, le pays le plus actif de l'Union Européenne.
Différents schémas de coopération ont cours entre les Etats de la région. Ainsi, le Kazakhstan a créé une zone de libre-échange avec la Russie. Tous les pays d'Asie Centrale disposent de ressources énormes. Pour les exploiter, ils ont besoin de paix et de stabilité, ce que nous avons, bien que la situation en Afghanistan nous inquiète, surtout pour l'après 2014. Notre Président a formulé des propositions à l'ONU. Le Turkménistan pourrait organiser sur son sol une grande conférence sur l'Afghanistan. Nous avons déjà de l'expérience dans ce domaine.
La question de l'eau a été évoquée. Au début de notre indépendance, nous avions trouvé une très bonne solution avec l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Nous sommes optimistes quant au fait que nous trouverons des solutions avec nos voisins.
Dans le domaine énergétique, les chiffres publiés par des sociétés indépendantes font état d'un gisement récemment découvert de 26 000 milliards de mètres cubes de gaz. C'est gigantesque. Le Tadjikistan et le Kirghizstan ne disposent pas de telles réserves d'énergie. Nous sommes prêts à partager avec eux, mais également avec des pays plus lointains. A partir de 2015, le Turkménistan pourra fournir 40 milliards de mètres cubes de gaz par an via Nabucco. Nous avons également suffisamment de ressources pour fournir 30 milliards de mètres cubes de gaz à la Chine. La difficulté tient à la sécurité du transit énergétique. Notre Président a proposé de prévoir un document qui garantisse cette sécurité.
Rustam SOLIEV
Ambassadeur du
Tadjikistan
Chacun sait de quelle manière s'inscrit, dans l'histoire, l'indépendance que nous avons gagnée il y a vingt ans. Les Etats d'Asie Centrale sont des pays frères. Le Tadjikistan a dû faire face à une guerre civile. Nous avons perdu 150 000 personnes. Ces pertes sont impossibles à rattraper. La guerre civile a duré cinq ans. Elle a été suivie d'une période difficile. En fait, la construction de notre démocratie a débuté en 2000. Notre pays est laïc et démocratique. Nous sommes directs et francs. Nous reconnaissons nos difficultés. Notre gouvernement fait tout son possible pour construire un Etat moderne. Cette tâche est difficile. Elle nécessite du temps.
Pour atteindre nos objectifs, nous avons besoin du soutien et de la compréhension d'une grande nation comme la France, qui a toujours soutenu les réformes démocratiques partout dans le monde. Nous remercions la France d'avoir reconnu notre indépendance dès les premiers jours. Aujourd'hui, nous avons de très bonnes relations politiques, un très bon dialogue au plus haut niveau. Notre diplomatie parlementaire fonctionne. Les sénateurs nous aident dans le développement parlementaire de notre pays.
Nous avons de très bonnes relations avec la France dans le domaine de la défense. Ainsi, Douchanbé héberge un centre de maintenance et de technique militaire de la défense française. Le Tadjikistan apporte son soutien à la France et aux autres pays de la coalition qui interviennent en Afghanistan pour lutter contre le terrorisme et pour la paix. Nous tentons d'apporter notre contribution à la reconnaissance sociale et économique de l'Afghanistan. C'est important pour nous. Notre frontière avec l'Afghanistan s'étend sur 1 400 kilomètres, dont 1 200 kilomètres de montagne. Cette frontière est difficile à garder. Nous ressentons tous les challenges et les dangers qui viennent d'Afghanistan. Nous aimerions recevoir davantage de soutien de la part de la France. Tous les pays européens sont concernés.
Nous avons une très bonne relation avec les établissements d'enseignement supérieur français. La France a également un rôle à jouer dans le développement économique de notre région et du Tadjikistan. L'agriculture et l'aluminium sont des secteurs d'investissement. Nous avons d'autres ressources naturelles. Ainsi, nous possédons beaucoup de produits chimiques. Or nous ne sommes pas capables d'exploiter ces richesses sans votre soutien. Notre gouvernement a créé les conditions nécessaires pour attirer les investissements étrangers. Le commerce pourrait être davantage développé. Nous possédons 70 % des réserves d'eau d'Asie Centrale. Nous avons un énorme potentiel d'hydroénergie.
Dans ce contexte, les sociétés françaises devraient apprécier notre situation dans son ensemble. Nos objectifs consistent à assurer la sécurité alimentaire, à assurer l'indépendance énergétique et à sortir de l'isolement. Pour assurer notre sécurité, nous avons besoin d'énergie. L'hydroénergie est une solution extraordinaire pour nous. Nous collaborons déjà avec la Russie et l'Iran. Plus globalement, le sujet de l'énergie se pose dans toute la région. Nous entendons créer un marché énergétique commun.
Nous avons un grand potentiel. Les investissements français sont assez présents, par exemple dans la reconstruction de l'aéroport de Douchanbé, aussi nous devons continuer.
Bahromjon ALOEV
Ambassadeur
d'Ouzbékistan
Vingt ans, c'est un moment très court dans l'histoire de l'humanité. Pourtant, nous avons su accomplir de nombreux progrès, notamment dans le domaine économique.
La France a été l'un des premiers pays à reconnaître l'indépendance de l'Ouzbékistan. En 2012, nous célèbrerons le vingtième anniversaire de l'établissement de nos relations diplomatiques. Monsieur Mitterrand a été le premier Président européen à se rendre dans notre pays. La coopération entre nos deux pays a des racines très anciennes. L'Ouzbékistan et la France entretiennent un dialogue régulier à travers le Ministère des Affaires étrangères. Les relations interparlementaires se développent également avec un grand succès. Dans les deux chambres du Parlement ouzbek, nous avons créé des groupes d'amitié qui travaillent avec les groupes homologues français.
Dans le domaine économique et commercial, la coopération est essentielle. La France est parmi les six plus importants partenaires européens de notre pays. Néanmoins, le niveau actuel de nos échanges ne correspond pas à notre potentiel. Je voudrais donc faire quelques propositions.
Il est temps d'élargir la plate-forme d'investissement de la coopération économique avec la France. Ainsi, la création d'une production commune dans l'industrie agro-alimentaire est nécessaire. Il en va de même dans les télécommunications. Nous invitons nos partenaires français à développer leur coopération dans le domaine textile. Un autre secteur très important est celui du pétrole et du gaz, mais également des énergies renouvelables. Nous souhaitons que les Français soient actifs dans ces domaines. L'agriculture est une autre sphère. Chaque année, nous produisons 7 millions de tonnes de légumes et de fruits. Ces produits sont uniques par leur goût. Nous avons déjà établi une coopération très efficace avec l'INRA. Nous voulons la poursuivre.
Le tourisme est un secteur prometteur pour le développement de nos relations. Nous possédons plus de 4 000 monuments historiques et architecturaux. Le nombre de Français qui visitent l'Ouzbékistan augmente, mais ce n'est pas encore suffisant. Nous voulons inviter les compagnies françaises à participer à des projets communs.
Le secteur humanitaire est très important. Trois villes d'Ouzbékistan sont jumelées avec des villes françaises. La coopération inter-universitaire est primordiale. La coopération est bonne entre l'académie des sciences ouzbeke et le CNRS. La langue française est très enseignée en Ouzbékistan. Nous aimerions que le gouvernement français augmente la quantité de bourses accordées aux étudiants ouzbek pour qu'ils poursuivent leurs études en France.
Sur le sujet de l'eau, nous sommes prêts à trouver une approche régionale. Cette solution régionale devra tenir compte des intérêts de tous les pays. Elle devra se baser sur les normes internationales, surtout les conventions de l'ONU de 1992 et de 1997. Les barrages que nos voisins souhaitent construire se trouveraient en zone sismique. N'oublions pas que les rivières sont transfrontalières. Aux grands équipements, nous préférons les petits et moyens barrages.
S'agissant maintenant de l'Afghanistan, nous apprécions la contribution de la France. Nous avons une très bonne expérience avec nos partenaires de l'OTAN.
Enfin, nous n'avons aucun problème avec l'IFEAC. Quelques questions sont en cours de résolution avec nos amis français, mais ce sujet est bien à l'ordre du jour.
M.
TURGANVAEV
Ministre-conseiller de l'ambassade du Kirghizistan
(représentant de M. AZYLOV, ambassadeur)
La révolution d'avril 2010 a révélé tous les conflits qui existaient dans notre société. De vieilles rancunes s'étaient accumulées. Il s'est avéré très difficile de transmettre une image objective de ces évènements. Finalement, le monde entier s'est rendu compte que ces évènements n'étaient pas un génocide. Grâce aux Etats amis, nous avons pu éviter une catastrophe humanitaire. Nous avons organisé un référendum pour la nouvelle constitution. Nous avons engagé des réformes dans pratiquement tous les domaines de la vie de notre société, qui doit faire face à de nouveaux challenges. Notre système parlementaire a renforcé la transparence du fonctionnement du pouvoir. Le 30 octobre, les élections présidentielles ont légitimé le système existant. Nous espérons maintenant que le pouvoir pourra donner une bonne base pour un développement futur de notre pays.
Au cours de ces cinq dernières années, la France a été très présente en Asie Centrale. Le 1 er décembre 2011, notre nouveau Président prendra officiellement ses fonctions. Nous espérons que cela pourra stimuler le développement d'une nouvelle société kirghize, notamment sur le plan économique. La France pourra participer à ce processus.
La France possède une immense expérience dans le domaine énergétique. Elle devrait donc participer au développement énergétique de notre pays. Notre Président en a parlé lors de sa visite en France au mois de mars. La France a manifesté une grande compréhension. Nous pourrons travailler étape par étape. Nous espérons que l'amitié entre nos deux pays en sortira renforcée.
Nourlan DANENOV
Ambassadeur du
Kazakhstan
Ces deux décennies ont été marquées par des bouleversements globaux. Le Kazakhstan a su s'affirmer et gagner le respect de la communauté internationale. Notre pays se présente aujourd'hui comme un partenaire stratégique solide.
Dès ses premiers jours d'indépendance, le Kazakhstan a développé son propre modèle de construction étatique. Notre économie a progressé de manière spectaculaire en vingt ans. Ainsi, le PIB par habitant a été multiplié par 12, à plus de 9 000 dollars. Notre quatre clés essentiels sont la modernisation, le bien-être du peuple, l'innovation et l'intégration.
Le développement socio-économique se poursuit. En 2011, le PIB devrait croître de 7 %, l'inflation sera maintenue entre 6 et 8 % et le chômage restera à 5 %. Ernst & Young a cité le Kazakhstan parmi les trois pays à la croissance la plus dynamique. Selon la Banque Mondiale, le Kazakhstan fait partie des cinquante économies les plus florissantes. Nous pouvons donc affirmer que toutes les décisions et toutes les réformes ont été justes. Elles ont servi l'intérêt de la nation.
Cette stabilité et cette prospérité ont permis au Kazakhstan d'occuper une place sur la scène internationale. Astana symbolise cette modernisation. Notre capitale est devenue un lieu important pour les rencontres internationales. Nous espérons maintenant qu'Astana sera choisie pour l'exposition universelle de 2017. Tout cela est devenu possible grâce au programme triennal d'Etat, qui a largement prouvé son efficacité.
Le Kazakhstan joue un rôle de pont entre l'occident et le monde musulman. Nous poursuivons nos efforts pour promouvoir le dialogue entre les organisations internationales influentes. L'an dernier, le secrétaire général de l'ONU a salué l'exemple du Kazakhstan dans le désarmement nucléaire. De plus, la communauté internationale apprécie notre rôle de pays donateur. Ainsi, le Kazakhstan continue d'envoyer son aide humanitaire en Afghanistan. Plus de 1 000 étudiants afghans étudient gratuitement dans les universités kazakhes.
La France a été le premier pays de l'Union Européenne à signer un traité de coopération stratégique avec le Kazakhstan, en 2008. Ces quatre dernières années, nos Présidents se sont rencontrés à cinq reprises sous une forme bilatérale. Un grand nombre de documents ont été signés. Nous avons également développé les relations entre les parlementaires et les consultations politiques. Depuis 2008, les échanges commerciaux entre nos deux pays ont atteint 14 milliards d'euros. Le Kazakhstan et la France ont signé des contrats pour un montant total de plus de 13 milliards d'euros. Les investissements français au Kazakhstan ont presque doublé, et nous avons de grands projets d'innovation. Récemment, des accords ont été signés en matière d'énergie et de terre rare. Notre coopération bilatérale se développe également dans le domaine des transports et dans le domaine spatial.
Enfin, nous espérons vivement l'établissement très prochainement de liaisons aériennes directes entre la France et Astana, ce qui ne pourra qu'aider au développement de nos relations. Je forme vraiment le voeu que nous pourrons poursuivre notre chemin avec notre partenaire français. Notre partenariat stratégique doit rester dynamique. Cela passe par de nouveaux projets.