Colloque Coopération décentralisée France-Russie (15 février 2007)



Réforme économique en Russie
et développement des liens interrégionaux
entre la France et la Russie

Présidence : Sergueï NARYCHKINE, Ministre, Chef de l'Appareil du Gouvernement de la Fédération de Russie

Modérateur : Louis SCHWEITZER, Coprésident de Dialogue Franco-Russe

Dimitri MEZENTSEV ,
Vice-président du Conseil de la Fédération de Russie

Il est symbolique que notre colloque se déroule au Sénat. Nos débats font suite aux accords de l'automne 2003, à l'occasion desquels le Premier Ministre français et le Président de la chambre haute du Parlement russe avaient rappelé l'importance de l'engagement des régions et des assemblées les représentant dans le développement de la coopération.

J'ai été très heureux d'entendre, par la voix du Ministère délégué aux Collectivités territoriales, qu'il était possible d'intensifier les relations entre nos deux pays et que la Russie faisait partie des axes de développement prioritaires.

Depuis 2001, lorsque le Président Vladimir Poutine a annoncé la stratégie de développement des régions, un soutien important leur a été apporté. Une législation transparente a été mise en place. Trois textes de base ont été signés. Ils permettent aux personnes qui vivent dans des villages ou des petites villes d'être beaucoup plus responsables de ce qu'il s'y passe.

Pour aborder la question du contenu de la coopération, il faut comprendre que la Russie d'aujourd'hui est une nouvelle Russie, qui a profondément changé depuis le début des années 90 et même depuis six ou sept ans. La confiance est un élément très important pour attirer les investisseurs. Lors du sommet du G8 à Saint-Pétersbourg l'an dernier, le Président Vladimir Poutine a cité l'un des facteurs clefs du développement de la coopération, notamment avec l'Union européenne. Nous voulons souligner, une nouvelle fois, que la Russie est un fournisseur fiable, qui respecte à la lettre ses engagements.

Nous comprenons le mécontentement qui s'exprime parfois vis-à-vis de la structure de nos exportations. La place du secteur énergétique ne nous permet pas de développer la coopération comme nous devrions le faire dans le domaine de l'éducation ou des sciences appliquées. Nous avons certes de grands projets, comme notre nouveau cosmodrome, mais nous devons également disposer de structures capables de soutenir les PME.

Le flou pouvant exister sur le meilleur interlocuteur a tout à l'heure été évoqué comme l'un des obstacles au développement de la coopération. C'est un constat que je partage. Il faudrait identifier les régions qui ont déjà enregistré des succès, comme celles de Moscou ou de Nijni Novgorod, et ouvrir des centres d'information. Les partenaires potentiels pourraient s'adresser à ces structures et obtenir tous les renseignements dont ils ont besoin pour tisser des liens avec des acteurs locaux. Aujourd'hui, ce mécanisme existe, mais il se heurte à une certaine inertie dans son fonctionnement.

Je remercie tous les membres du groupe d'amitié franco-russe du Sénat, qui n'ont pas hésité à s'aventurer dans cette contrée lointaine et sévère, mais néanmoins chaleureuse, qu'est la Sibérie. Des forums ont été organisés à Baïkal en 2004 et 2006. Ils ont présenté les potentiels de coopération interrégionale. En septembre dernier, les 700 participants à cet événement ont entendu le discours du Sénateur Patrice Gélard et ont apprécié son intervention, qui proposait un certain nombre de modifications pour faciliter les liens entre nos deux pays.

En regardant une carte, les kilomètres qui nous séparent peuvent être considérés comme un frein. Mais si nous pouvons nous appuyer sur des exemples concrets, nous pourrons avancer. J'espère que notre colloque y contribuera. Encore une fois, je répète que la Russie a changé au cours des dernières années. Certaines publications, y compris dans la presse française, restent très sévères à l'égard de notre pays. Nous les considérons souvent comme injustes, car notre gouvernement a déployé de réels efforts de modernisation. Quatre grands projets ont été mis en oeuvre pour modifier en profondeur le système de santé, le système d'enseignement, le système bancaire et l'accès au logement. Un pas important a été franchi.

S. Exc. Alexandre AVDEEV ,
Ambassadeur de la Fédération de Russie en France

L'association Dialogue franco-russe a su créer un réseau de contacts très utiles entre les entrepreneurs et les acteurs culturels de nos deux pays. Elle se penche aujourd'hui sur le développement des liens interrégionaux.

Nos relations économiques avec la France ne se limitent pas aux matières premières énergétiques. La coopération s'étend désormais à de grands projets hautement technologiques. Je ne peux pas passer sous silence l'usine Renault de Moscou, qui a vu le jour grâce à la ténacité et au talent de l'ancien Président Louis Schweitzer. Dans quelques jours, nous inaugurerons la représentation russe au cosmodrome de Kourou. Des négociations très intéressantes sont par ailleurs en cours sur la participation de la Russie à la production des Airbus. Actuellement, nous fournissons pour 20 millions d'euros de pièces détachées, mais il ne s'agit que d'un début. Nous réfléchissons également à la création d'une entreprise commune pour l'implantation des émetteurs de télévision numérique. Nous n'avons le droit d'échouer dans la mise en oeuvre de ce programme, initié par les Présidents russe et français.

La coopération technologique entre la Russie et la France concerne le domaine des infrastructures de transports. Des projets très intéressants sont en outre en cours dans l'agriculture. Cette année, nous attendons l'arrivée de plus de 2 000 vaches françaises, de race limousine. Très productives, elles sont aussi très belles et sont très appréciées des paysans russes.

Nos relations se développent, malgré les obstacles. Le combustible nucléaire russe peut difficilement entrer en France. Les taxes sur l'aluminium restent également très élevées. Des procès s'éternisent. Mais au-delà des freins que nous pouvons rencontrer, la coopération entre les régions se renforce. La question des visas s'est grandement améliorée. Notre ambassade les délivre maintenant dans des délais de deux à six jours. Malheureusement, la situation n'est pas aussi favorable dans l'autre sens. Pour les citoyens russes qui souhaitent se rendre en France, l'attente est de l'ordre de trois semaines. Ce point est évidemment très préjudiciable. Si les personnes qui ont des contacts à haut niveau peuvent faire accélérer la procédure, ce n'est pas le cas de tous. Je sais que des efforts sont faits dans ce domaine et j'espère qu'une solution pourra être trouvée rapidement.

Le Ministre délégué aux Collectivités territoriales a tout à l'heure énuméré les partenaires de la France en dehors de l'Union européenne, comme l'Inde, le Brésil ou la Russie. Je voudrais apporter une petite précision à ce sujet. Certes, nous n'appartenons pas à l'Union européenne, mais nous sommes néanmoins un pays européen.

La France, comme la Russie, vont vivre une année d'élections. Des échéances importantes sont attendues. Dans ce contexte, permettez-moi cependant de vous assurer que les efforts entrepris pour développer les partenariats franco-russes seront poursuivis et renforcés, quelles que soient les équipes qui se trouveront prochainement au pouvoir.

Ara ABRAMIAN ,
Coprésident de Dialogue Franco-Russe

C'est, pour moi, un très grand honneur de participer à ce colloque. Son organisation témoigne du passage à une nouvelle étape dans les relations politiques et économiques entre nos deux pays. Notre association y a contribué, même si la très forte croissance russe constitue un contexte très favorable.

Dans son action, notre association travaille notamment au renforcement des liens régionaux. Il est très agréable de constater que les autorités françaises et russes y prêtent également une forte attention. Avec le département de la Coopération interrégionale du ministère des Affaires étrangères français, nous avons élaboré un programme spécifique. Nous proposons de préparer un rapport sur l'état des partenariats dans les domaines de l'agriculture et de l'industrie. Nous pourrons ainsi dresser un premier bilan et identifier les marges de progression. Dans un second temps, cette année ou l'année prochaine, nous prévoyons de créer un club permanent, rassemblant les régions françaises et russes. Ce dernier devrait permettre d'approfondir les contacts. Nous tiendrons également un séminaire en Russie sur la coopération mise en oeuvre dans le secteur de la transformation des produits agricoles. Nous développerons par ailleurs nos actions en direction de la recherche, en encourageant les échanges de jeunes chercheurs.

Antoine JOLY,
Délégué pour l'Action extérieure des Collectivités locales
au Ministère des Affaires étrangères

La coopération décentralisée ne se décrète pas. Elle est bien souvent le fruit du hasard des rencontres et de la nécessité liée aux enjeux économiques.

Les liens des universités et des centres de recherche français et russes sont très actifs. Il existe actuellement plus de 250 partenariats. Malheureusement, ces relations étroites ne se retrouvent pas forcément entre les collectivités territoriales concernées. Nous espérons que la dynamique des pôles de compétitivité contribuera à les développer. Une volonté politique, visant à instaurer une coopération pérenne au niveau des régions, s'est exprimée dès 2003. Une visite du Premier Ministre français à Moscou a permis d'arrêter une déclaration commune en fixant les grands axes.

Des résultats ponctuels ont été atteints, mais sans mettre en place de relations institutionnelles nouvelles et durables entre les régions françaises et russes. Ce qui fonctionnait bien a perduré. Malheureusement, d'autres projets ont tourné court en raison de contraintes externes ou de difficultés administratives.

Le Ministre délégué au Tourisme, Monsieur Léon Bertrand, s'est rendu avec une délégation française au Forum économique de Baïkal. Le tourisme fait en effet partie des secteurs dans lesquels nous pouvons certainement densifier les partenariats, en s'appuyant sur l'expérience de nos collectivités territoriales. Nous avons aussi, avec les Ministères des affaires étrangères français et russes, contribué à organiser des visites de gouverneurs. Fort de ces premières initiatives, le gouvernement a souhaité faire de la Russie l'une des priorités dans le développement de la coopération décentralisée et a proposé une concertation sur ce thème avec les collectivités territoriales françaises.

Quelques obstacles ou malentendus pèsent parfois sur le développement de la coopération décentralisée franco-russe. Du côté russe, l'approche est parfois faussée par l'illusion qui subsiste de pouvoir négocier, par le canal des autorités locales, des investissements directs. Or cette compétence ne relève pas des collectivités territoriales. Ces dernières peuvent, en revanche, mobiliser le potentiel économique de leur région, notamment en ce qui concerne les PME. L'Alsace en est, à ce titre, un parfait exemple. Du côté français, nous ne saurions dissimuler une certaine réticence des exécutifs régionaux à l'égard de la démocratie locale en Russie. Celle-ci, souvent injuste, ne se retrouve pas en ce qui concerne la Chine. Mais peut-être le niveau d'exigence est-il plus fort lorsqu'il s'agit d'un pays considéré comme faisant partie de l'Europe.

Même si certaines ont déjà engagé des partenariats, il est probable que toutes les régions françaises n'aient pas bien pris la mesure des enjeux économiques existants dans les grandes agglomérations russes. Afin de mieux connaître le contenu des coopérations en cours et de concourir à la mutualisation des expériences, le Ministère des Affaires étrangères a conclu une convention avec l'association « Dialogue franco-russe ». Ce colloque constitue une première étape dans la sensibilisation des collectivités territoriales. Il est également envisagé, sous réserve d'une étude de faisabilité à mener avec les autorités russes, d'instituer un fonds franco-russe de coopération décentralisée. Ce dispositif fonctionne depuis trois ans, de manière satisfaisante, avec le Québec. Nous souhaitons l'étendre au Brésil, à la Chine ou à l'Inde. Cette solution, dans laquelle chacun des pays peut affecter des crédits et cibler des domaines d'action prioritaires, semble assez bien correspondre aux besoins des pays développés ou émergents.

Pour poursuivre le dialogue que nous avons engagé, nous avons prévu d'organiser des rencontres avec les collectivités territoriales, en Russie et en France, dès 2008. L'ambassade de France va en outre s'attacher à alimenter la base de données sur les coopérations existantes. L'objectif est de dresser une cartographie, comme nous l'avons fait avec la Chine. Enfin, l'ambassade de France doit procéder à la traduction en russe d'ouvrages de référence et à leur diffusion auprès de nos partenaires russes.

L'Etat souhaite accompagner les collectivités territoriales et faciliter leur coordination, afin d'améliorer la complémentarité et l'efficacité de leurs interventions. Dans cette perspective, il est important de mettre à leur disposition des outils. Avec l'aide de notre ambassade, un état des lieux exhaustif et actualisé des relations entre les structures infra-étatiques françaises et russes a été réalisé. Il sera disponible sur le site de la Commission nationale de la coopération décentralisée dans les prochains jours.

Patrice GÉLARD ,
Sénateur, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Russie du Sénat

Nous avons pris de très mauvaises habitudes en privilégiant les relations entre Etats. Cette approche a donné l'illusion que ces questions n'étaient pas du ressort des collectivités territoriales. Nous devons changer d'attitude, comme l'ont fait les Allemands ou les Italiens.

Nous devons également faire un effort particulièrement important pour l'enseignement du russe. La situation actuelle est très mauvaise. Or il n'est pas possible de développer les échanges de chercheurs sans une certaine maîtrise de la langue. Les Russes sont bien meilleurs que nous dans ce domaine. Une grande partie des intervenants qui sont parmi nous aujourd'hui parlent parfaitement le français. Contrairement aux Allemands ou aux Britanniques, il est regrettable que nous n'ayons pas de fondations pour favoriser la présence de notre langue en Russie.

Nous assistons malheureusement à une baisse du tourisme français en Russie. Ce phénomène me paraît un peu inquiétant. Nous devrions essayer de développer à nouveau des voyages à des prix abordables.

La coopération décentralisée doit impliquer à la fois les collectivités territoriales mais aussi les principaux partenaires locaux, comme les universités, les CHU, les Chambres de commerce et d'industrie. Ainsi, même si certains projets rencontrent des difficultés, d'autres peuvent se développer. Les liens sont maintenus.

Quels que soient les constats que nous pouvons faire, nous devons admettre que la présence française ne cesse de se renforcer, y compris dans d'autres régions que celles de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. Des magasins Auchan ont notamment été ouverts dans plusieurs villes. Certains entrepreneurs, qui ne parlaient pas le russe en se lançant dans cette aventure, le maîtrisent aujourd'hui parfaitement.

Sergueï NARYCHKINE ,
Ministre, Chef de l'Appareil du Gouvernement de la Fédération de Russie

L'organisation même de ce colloque marque l'intérêt que la France porte à la Russie. En une heure, nos discussions ont déjà fait émerger un certain nombre de propositions concrètes visant à intensifier la coopération interrégionale. Cette dernière, alliée à la coopération économique et commerciale, pourra renforcer les liens entre nos deux pays et les rendre plus durables.

Il a été évoqué la difficulté à trouver les bons interlocuteurs. En Russie, une loi a été adoptée dans ce domaine. Les gouverneurs sont habilités à organiser des partenariats au niveau régional.

En ce qui concerne la création d'un fonds de coopération décentralisée, je n'ai pas l'expérience des régions françaises dans ce domaine. Je ne connais pas précisément les mécanismes mis en oeuvre. Mais je suis persuadé qu'il s'agit d'une initiative intéressante.

La Russie porte un grand intérêt au développement de nos relations. Nous sommes, comme la France, en période préélectorale. Mais quels que soient les résultats des échéances à venir, je peux vous assurer que la coopération sera renforcée. Il existe déjà des centaines de liens entre les régions russes et françaises. J'espère qu'ils seront bientôt des milliers.