Réuni le mercredi 2 juin 2021, sous la présidence de M. André REICHARDT (Les Républicains – Bas-Rhin), président, le groupe d’amitié France – Afrique de l’Ouest s’est entretenu, par visioconférence, avec M. Marc FONBAUSTIER, Ambassadeur de France en Guinée.

Ont également participé à la réunion : MM. Jean-Yves LECONTE (Socialiste, Écologiste et Républicain – Français établis hors de France), président délégué pour la Guinée, Guillaume CHEVROLLIER (Les Républicains – Mayenne), vice-président, Bruno BELIN (Les Républicains-R – Vienne), François BONNEAU (Union centriste-A – Charente) et Ronan DANTEC (Groupe Écologiste – Solidarité et Territoire – Loire-Atlantique).

M. Marc FONBAUSTIER a fait observer que la situation politique en Guinée est caractérisée à la fois par la défiance et le blocage. Deux blocs politiques se regardent « en chien de faïence » : d’une part, la mouvance présidentielle, autour du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) du Président Alpha CONDÉ, et, d’autre part, l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein DIALLO, qui ne se parlent pas et ne se comprennent pas. Par ailleurs, ce dernier fait l’objet d’une interdiction de voyager en dehors de son pays. De surcroît, cette bipolarisation est aussi individualisée, la situation politique étant fortement marquée par des considérations personnelles qui compliquent davantage encore les relations entre les deux camps, chacune de ces deux personnalités exerçant une emprise forte sur le sien.

L’Ambassadeur a toutefois fait état de quelques frémissements qui pourraient annoncer une amorce de dégel. Le pouvoir, en particulier, envoie des signaux en ce sens. Depuis plusieurs mois, le cycle violences politiques/répressions policières s’est interrompu. Par ailleurs, le front judiciaire s’est également calmé : 40 prisonniers ont récemment bénéficié d’un non-lieu et 57 détenus, dont le procès devrait commencer prochainement, ont vu les chefs d’accusation à leur encontre allégés, ce qui devrait augurer de peines finalement moins lourdes que celles initialement redoutées. Des signaux politiques encourageants sont également perceptibles, tels que la nomination de Zalikatou DIALLO comme ministre de la citoyenneté et de l’unité nationale et la désignation de Fodé BANGOURA à la fonction de secrétaire permanent du cadre permanent de dialogue politique et social, instance placée sous l’autorité du Premier ministre, chargée de favoriser la reprise d’un dialogue politique plus inclusif et ouvert – l’opposition parlementaire n’étant pas forcément représentative de la diversité de l’opposition guinéenne.

L’Ambassadeur a expliqué que la France apportait sa contribution à la sortie de crise politique, y compris au sein de la structure dénommée G5, au sein de laquelle sont aussi représentés l’Union européenne, les États-Unis, les Nations Unies et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui va redoubler d’efforts pour encourager une reprise du  dialogue. Le rôle de médiation des Nations Unies pourrait s’avérer central dans la résolution de la crise, en raison notamment de relations personnelles anciennes entre Alpha Condé et le Secrétaire général de l’ONU.

Puis M. Marc FONBAUSTIER a évoqué les relations bilatérales. Il a indiqué que les coopérations franco-guinéennes recouvraient des formes très variées, mais qu’elles pourraient être amplifiées dès lors que seraient levés certains préalables politiques. Pour la France, « la porte est étroite » entre contribuer à la sortie de crise, faire valoir son système de valeurs et maintenir une relation entre États. L’Ambassadeur fait en outre le constat que le Président Alpha CONDÉ est influent auprès de ses pairs africains et contribue, à son niveau, au règlement des questions régionales, notamment sahéliennes.

En réponse à une question de M. Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, l’Ambassadeur a souligné la francophilie du Président CONDÉ qui a un lien très profond avec notre pays et qui est parfaitement au fait du rôle de la France au Sahel. Le Président guinéen cherche d’ailleurs à aider la France, parfois de manière discrète. Il l’a montré récemment, en novembre 2020, lors de la session du conseil des ministres des affaires étrangères des pays membres de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), à Niamey, où la France aurait pu être mise en cause sur la question de la laïcité, ou encore pour ce qui concerne les derniers événements au Mali.

Répondant à M. Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, qui l’interrogeait sur le dossier migratoire, l’Ambassadeur a indiqué que les autorités guinéennes coopéraient de façon satisfaisante avec les autorités françaises pour faciliter le retour de leurs ressortissants. Il a toutefois fait observer que les documents officiels fabriqués en Guinée posaient fréquemment des problèmes de fraude documentaire. S’agissant par ailleurs de l’entrée en Guinée des ressortissants étrangers, Français inclus, il a enfin fait remarquer que depuis quelques mois les visas délivrés par les ambassades guinéennes ne sont plus acceptés par les autorités centrales elles-mêmes, ce qui rend très difficiles les déplacements en Guinée, y compris pour les visites de travail de nos entreprises et de nos opérateurs.

M. Ronan DANTEC a relaté un récent déplacement en Guinée, où il a perçu une forte « envie de France » de la part de ses interlocuteurs. Il s’est interrogé sur les actions de développement de l’Union européenne, notant que celle-ci avait aussi introduit des conditionnalités en termes de démocratie et de respect des droits de l’Homme. Il a également noté que les autorités guinéennes s’étaient montrées intéressées par le projet « Initiative Corridor » développé par la région Pays de la Loire.

L’Ambassadeur a déploré la lenteur européenne sur la politique de développement : à ce stade, les enveloppes de la programmation pluriannuelle sur sept ans en la matière ne sont pas encore connues. Cela n’a toutefois pas empêché la conduite d’un dialogue resserré entre l’ambassade et la délégation de l’Union européenne (DUE) sur plusieurs secteurs, en particulier le développement durable qui devrait bénéficier d’un mix entre les fonds bilatéraux, ceux de l’Agence française de développement notamment, et les fonds européens. Il est certain que la DUE mettra en avant les conditionnalités politiques. Pour autant, les autorités françaises considèrent qu’il est indispensable de continuer de parler aux autorités guinéennes officielles, alors que la DUE semble chercher à les contourner et à privilégier la société civile. La France considère que les deux approches doivent être concomitantes. L’Ambassadeur a indiqué que, dans le domaine de la santé, les structures sanitaires guinéennes, qui avaient bénéficié d’une action de coopération avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, avaient démontré leur efficacité face à la résurgence du virus Ebola dans le pays. Les deux axes, national et européen, doivent être préservés. L’Ambassadeur a également fait connaître son besoin impérieux de création d’un poste d’expert technique international (ETI) dans le domaine de la santé. Ce domaine a constitué le socle de la coopération française avec la Guinée depuis l’épidémie de 2014-2016. L’ambassade disposait jusqu’à récemment d’ETI auprès du directeur général de l’Autorité nationale de sécurité sanitaire (ANSS), qui a joué un grand rôle dans la gestion des récentes crises Covid et Ebola en Guinée. Cet expert a non seulement appuyé efficacement la coordination de la réponse guinéenne à ces crises, mais il a également facilité la prise en charge sur place des patients français et permis à Air France de poursuivre ses vols en rassurant les autorités et en élaborant les protocoles sanitaires. Cet expert a récemment été redéployé par Expertise France sur un autre projet, contre la volonté du DG de l’ANSS. Il est à noter que les États-Unis ont depuis lors entamé des démarches pour placer un expert USAID. Il convient de recréer de toute urgence ce poste éminemment stratégique dans un pays à zoonoses comme la Guinée.

En réponse à des questions de M. André REICHARDT, président, M. Marc FONBAUSTIER a indiqué que la Guinée avait connu une croissance soutenue de 7 % en 2020, le secteur minier, qui a crû de 18 %, ayant joué un rôle stabilisateur très fort. La croissance liée au secteur n’est cependant en rien inclusive. Les autres secteurs de l’économie réelle ont été fortement touchés par les conséquences de la crise sanitaire, tandis que l’inflation a augmenté en raison de la hausse du coût du transport et de la fermeture de certaines frontières, entravant les échanges. La population guinéenne a ressenti le Covid-19 très négativement. 164 entités économiques françaises, de tailles très différentes, sont présentes en Guinée ; seules deux d’entre elles connaissent de sérieuses difficultés, mais toutes se plaignent d’une fiscalité très lourde. Par ailleurs, l’Ambassadeur a noté que la coopération décentralisée avec la France se portait plutôt bien, la Guinée maritime, la Moyenne-Guinée et la Guinée forestière étant porteuses de projets utiles avec plusieurs régions françaises, la région Pays de la Loire en particulier.

Répondant à une question de M. Jean-Yves LECONTE, président délégué pour la Guinée, sur la place de la Chine dans l’industrie minière, l’Ambassadeur a indiqué que celle-ci était importante : la Chine exploite près de 70 % des ressources en bauxite, a remporté un récent appel d’offres relatif à une mine de fer et réalise des investissements considérables dans le secteur, soit 21 milliards de dollars (environ 17,2 milliards d’euros). Toutefois, l’impact social et environnemental de cette activité suscite de vives inquiétudes. Environ 30 000 Chinois sont présents en Guinée, ce qui limite la création des emplois locaux. Par ailleurs, la Chine bénéficie d’effets mécaniques induits, par exemple en remportant quasiment tous les marchés d’infrastructures, et détient entre 40 et 50 % de la dette nationale. L’Ambassadeur a précisé que la Russie et la Turquie étaient également en train de développer leur présence en Guinée, mais dans une moindre mesure compte tenu de moyens beaucoup plus limités.

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