M. Dominique de Legge (à gauche) et M. Jean-Marc Sauvé (à droite)


Le mercredi 20 octobre 2021, le groupe interparlementaire d’amitié France-Saint Siège, présidé par M. Dominique de LEGGE (Les Républicains   Ille-et-Vilaine), a reçu M. Jean-Marc SAUVÉ, Président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), à la suite de la remise de son rapport, le 5 octobre précédent, à la Conférence des évêques de France et la Conférence des religieux et religieuses de France, qui l’avaient mandaté.

Étaient également présents  MM. Philippe BAS (LR   Manche), Jérôme Bascher (LR   Oise), Bruno BELIN (LR-Ratt.   Vienne) et Pierre CUYPERS (LR   Seine-et-Marne), Mme Catherine DI FOLCO (LR-App.   Rhône), M. Bernard FOURNIER (LR   Loire), Mme Patricia SCHILLINGER (Républicains Démocrates Progressistes et Indépendants   Haut-Rhin), MM. Laurent SOMON (LR   Somme), Jacques GROSPERRIN (LR   Doubs) et Daniel LAURENT (LR   Charente-Maritime), et Mmes Marie MERCIER (LR   Saône-et-Loire) et Brigitte MICOULEAU (LR   Haute-Garonne).



M. Dominique de LEGGE, président, a salué la mission difficile du président de la CIASE, et l’a remercié de prendre le temps de venir échanger avec les membres du groupe France-Saint-Siège.

M. Jean-Marc SAUVÉ a tout d’abord replacé les violences dans l’Église dans le cadre plus large des violences sexuelles sur des mineurs dans la société. Il s’agit d’un phénomène de grande ampleur. Selon les données collectées, plus de 5,5 millions de personnes de plus de 18 ans reconnaissent avoir été victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Ces agressions se répartissent de manière inégale dans le temps : 1950-1970 : 1,4 million de victimes, 1970-1990 : 1,8 million de victimes et 1990-2020 : 2,2 millions de victimes. Ces chiffres sont difficiles à exploiter car les victimes des années 1950 et 1960 sont des personnes aujourd’hui âgées qui ont peut-être plus de difficulté à s’exprimer sur ces questions. Il faut également les pondérer au regard de l’augmentation de la population française (+ 25 millions depuis 1946).

Quoi qu’il en soit, loin d’être un phénomène du passé, ces violences sexuelles sur mineurs continuent d’être un sujet qui touche l’ensemble de la société. Au total, il y aurait aujourd’hui  165 000 agressions sexuelles sur des mineurs par an, soit 450 par jour.

M. Jean-Marc SAUVÉ s’est ensuite penché plus spécifiquement sur le sujet des violences sexuelles dans l’Église. Il a dénombré 216 000 victimes de religieux et de religieuses entre 1950 et 2020, avec une approximation de plus ou moins 50 000 cas, et 300 000 victimes en comptant ceux qui ont été abusés par des laïcs, avec une incertitude de plus ou moins 60 000 cas. 34 % des abus ont été commis par des laïcs. Il faut donc distinguer la question des abus sur garçons mineurs de celle du célibat et de la chasteté consacrés.

Le plus grand nombre d’abus, 121 000, date des années 50-70, période marquée par l’existence de nombreux établissements scolaires et d’internats où enseignaient des religieux. Sur cette période, les « abus scolaires » ont prédominé sur les « abus paroissiaux ». Cette forme d’abus a disparu ensuite du fait de la fermeture de nombreux internats, du début de la crise des vocations et du redéploiement des religieux vers d’autres missions.

Cette période correspond également à celle du « plus grand silence » pour les victimes. L’omerta concerne la totalité des institutions et de l’État. Un certain nombre de courriers entre des évêques et des procureurs témoignent de ce phénomène. Des échanges similaires existent certainement dans les archives des autres corporations liées à la jeunesse.

Au 1er rang : M. Philippe Bas ;
au 2e rang : Mmes Catherine Di Folco et Brigitte Micouleau ;
au 3e rang : M. Laurent Somon et Mme Marie Mercier ;
au 4e rang : MM. Daniel Laurent et Bernard Fournier ;
et au 5e rang : M. Jacques Grosperrin


La stratégie de l’Église durant cette période a été de défendre l’institution afin d’éviter le scandale. Par ailleurs, elle a cherché à soigner les prêtres en interne afin de les maintenir dans le sacerdoce. Une organisation de l’Église de France, l’Entraide sacerdotale, disposait d’établissements de santé pour les prêtres dépressifs, alcooliques, homosexuels, ou ceux qui avaient des « problèmes avec les enfants ». Ce système s’est délité à partir des années 70 avec le départ de nombreux prêtres après le Concile Vatican II. Ces établissements ont été fermés dans les années 1980 et l’Entraide a été dissoute dans les années 1990. Mais les prêtres coupables n’ont été que trop rarement écartés des mouvements de jeunesse, où ils ont pu continuer de sévir.

Pour M. Jean-Marc SAUVÉ, il y a eu une défaillance systémique car les évêques et les supérieurs n’ont pas su capter les signaux faibles alors qu’ils ont été informés d’environ 4 % de ces abus. Cela aurait dû suffire pour alerter les responsables, écouter les victimes et prendre les mesures qui s’imposaient.

Abordant les recommandations du rapport, M. Jean-Marc SAUVÉ a estimé que l’Église devait reconnaître sa responsabilité au-delà des fautes individuelles. La CIASE ne propose pas une modification des délais de prescription, car une trop grande distance des faits ne permet pas d’établir des preuves et pourrait ajouter des souffrances supplémentaires. Cependant, des dispositifs de reconnaissance des victimes doivent être mis en place ainsi qu’une indemnisation. Celle-ci ne peut être forfaitaire car cela ne saurait rendre compte de la complexité des blessures engendrées par des actes très différents. Une partie de ces préconisations ressortaient déjà du Motu proprio du Pape François « Vous êtes la lumière du monde » du 7 mai 20191.

Par ailleurs, la CIASE a formulé des recommandations relatives à la gouvernance de l’Église. Elle devrait être plus collégiale et plus délibérative en vue de corriger la confusion entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de gouvernement. Elle devrait comprendre plus de laïcs et de femmes. En matière de prévention, la Commission a proposé des dispositifs de discernement vocationnel et de suivi formalisé des religieux, ainsi que des plans de réduction des risques. M. Jean-Marc SAUVÉ a insisté sur la nécessaire refonte du droit canonique pour garantir l’accès des victimes à la procédure et clarifier les peines encourues. Une partie de ces changements est d’ores et déjà en cours puisqu’une nouvelle version des dispositions pénales (Livre VI) du code de droit canonique entrera en vigueur le 8 décembre prochain2. Concernant les abus sexuels, le code ne parle plus simplement d’atteintes à la chasteté, mais bien d’atteintes à la dignité et à la vie des personnes. Ce changement de qualification montre bien la nouvelle prise en compte de la gravité des actes incriminés.

Au 1er rang : Mmes Catherine Di Folco et Brigitte Micouleau ;
au 2e rang : MM. Pierre Cuypers et Laurent Somon et Mme Marie Mercier ;
au 3e rang : MM. Jérôme Bascher, Daniel Laurent et Bernard Fournier ;
et au 4e rang : M. Jacques Grosperrin


La CIASE a enfin identifié des dérives doctrinales pouvant favoriser ces abus : l’identification du prêtre au Christ et le dévoiement de l’accompagnement spirituel, du principe d’obéissance voire de certains passages des Écritures, notamment dans des communautés nouvelles. Toutefois, M. Jean-Marc SAUVÉ a souligné qu’il n’était pas dans la mission de la CIASE de reformuler le dogme catholique. D’ailleurs, il a relevé que ce n’est pas l’obligation de célibat qui a poussé des religieux à abuser de manière spécifique de garçons pré-pubères de 11 à 13 ans, alors que les filles sont massivement victimes habituellement. De même, le fait que les abus sont presqu’exclusivement commis par les hommes dans une société ne doit pas conduire mécaniquement à ordonner des femmes prêtres.

Répondant à MM. Pierre CUYPERS et Philippe BAS sur les comparaisons que l’on pouvait faire entre l’Église et d’autres institutions en contact avec la jeunesse et sur la proportion des différents types d’abus, M. Jean-Marc SAUVÉ a indiqué que le nombre de viols était un peu moins important que dans le reste de la société (32 % contre 38 %). Mais les conséquences sont plus lourdes car, à l’abus physique, s’ajoute l’abus spirituel. Dans les autres institutions, la CIASE, grâce à l’enquête de l’INSERM, a identifié 141 000 victimes dans l’enseignement public hors internats, au sein desquels le nombre de victimes ne serait pas inférieur à 50 000. En outre, 103 000 victimes sont décomptées dans le sport et à peu près autant dans les lieux d’accueil collectif de mineurs (colonies de vacances, camps de jeunes…). Ces différents chiffres ont permis de déterminer le taux de prévalence de 0,82 % dans l’Église, probablement près de 0,50 % dans les écoles publiques et internats et de 0,36 % dans les accueils collectifs de mineurs. Ainsi, on compte environ 400 000 cas dans ce qui est aujourd’hui le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. C’est donc un problème social majeur qui reste pour l’essentiel devant nous.

À la suite de la question de M. Jacques GROSPERRIN sur l’existence d’une prévalence chez les prêtres et de données dans d’autres religions, M. Jean-Marc SAUVÉ a précisé que si la période 1990-2000 concentre encore 13 % des abus, on ne relève pour l’instant que 9 % des abus au cours des vingt dernières années. Le nombre de religieux a également été divisé par six ou sept entre 1946 et 2020. L’Église a changé sa doctrine dans la même temporalité que les autres institutions, c’est-à-dire en 1998-2000. Toutefois, contrairement à ces dernières, cela lui a été beaucoup plus difficile en raison des liens entre les personnes mais aussi parce qu’il y a eu des confusions entre la miséricorde religieuse et la justice séculière.

Concernant les autres religions, l’enquête de l’INSERM montre que, sur 100 victimes d’un culte, 88 % sont catholiques et 12 % d’une autre religion. Ce résultat ne doit pas être minoré car la religion juive ne représente que 1 % des habitants en France et le protestantisme 2 %. Sur la période considérée par la CIASE, l’Islam a encore une faible importance. Pour autant, comme il l’a expliqué à Mme Marie MERCIER, qui faisait part des réticences rencontrées lors de la préparation de son rapport de 2019 au nom de la commission des lois3, aucune religion n’est à l’abri et les représentants du culte musulman en sont conscients.

M. Dominique de LEGGE, président, a conclu la réunion en soulignant le travail de vérité et donc de libération accompli par la CIASE.

1 www.vatican.va/content/francesco/fr/motu_proprio/documents/papa-francesco-motu-proprio-20190507_vos-estis-lux-mundi.html
2 Constitution apostolique Pascite gregem dei du 1er juin 2021.
3 Rapport sur l'obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-304-notice.html

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