EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'institution judiciaire constitue le socle de notre pacte social. Ses missions, assurées par l'ensemble des professionnels de la justice et des agents du ministère, sont porteuses d'une ambition démocratique forte devant répondre à des exigences croissantes des citoyens en termes d'efficacité, de proximité et de modernisation.

Des efforts conséquents ont déjà été consentis sur la période récente : le budget de la justice est en augmentation constante depuis trois ans, passant de 7,6 milliards d'euros en 2020 à 9,6 milliards d'euros en 2023, en augmentation de 26 %. Cette augmentation significative a permis l'embauche de plus de 700 magistrats, de 850 greffiers et de 2 000 contractuels.

La présente loi d'orientation et de programmation pour la justice renforce, dans la continuité des efforts déjà amorcés, les moyens humains, budgétaires, matériels et organisationnels du ministère, pour redonner à la justice les moyens dont elle a besoin pour fonctionner efficacement.

S'agissant des moyens budgétaires, la présente loi fixe une trajectoire pluriannuelle ambitieuse des moyens alloués au ministère, avec un objectif cible de 11 milliard d'euros de budget en 2027, actant une hausse de près de 60 % du budget de la justice à l'issue des deux quinquennats. Ces nouveaux moyens permettront notamment de revaloriser les agents du ministère, de doter les prisons de 15 000 places supplémentaires, de moderniser et d'agrandir les palais de justice, en cohérence avec l'exigence de transition écologique, de numériser encore davantage la justice.

S'agissant des moyens humains, la présente loi entérine le recrutement de 10 000 emplois supplémentaires à horizon 2027, parmi lesquels 1 500 magistrats et 1 500 greffiers.

S'agissant enfin des moyens matériels et organisationnels, l'organisation du ministère sera revue afin d'en renforcer la proximité et la digitalisation, à travers une déconcentration accrue du pilotage des services et un plan ambitieux de transformation numérique du ministère, avec un horizon zéro papier en 2027.

Au-delà de la question cruciale des ressources, la présente loi propose une réforme en profondeur de l'ensemble des champs de la justice : pénale, économique, sociale, civile, pénitentiaire.

L'objectif de cette loi est clair : une justice plus rapide, une justice plus claire, une justice moderne.

Les États généraux ont constitué un exercice démocratique inédit. En est sorti un plan d'action de soixante mesures qui comporte trois volets, législatif, réglementaire et organisationnel. C'est ce premier volet qui est soumis aux représentants de la Nation par le présent projet de loi.

Le titre Ier et son article 1er ont pour objet l'approbation du rapport annexé à la loi ainsi que la fixation de la trajectoire budgétaire sur les cinq années de la loi, soit de 2023 à 2027, pour le budget du ministère de la justice. Le rapport annexé prévoit notamment qu'une clause de revoyure interviendra dans le cadre du PLF 2025 s'agissant des dépenses d'investissements immobiliers afin de vérifier, en cours d'exécution, la bonne adéquation entre les objectifs fixés, les réalisations et les moyens consacrés.

Les dispositions du titre II ont pour objectif de simplifier et moderniser la procédure pénale.

Conformément aux souhaits des États généraux de la justice, le chapitre 1er, par son article 2, habilite le Gouvernement à procéder par voie d'ordonnance à une réécriture à droit constant du code de procédure pénale. La réécriture de ce code procède d'une refonte de la procédure pénale et non de sa réforme. Elle intégrera les modifications nécessaires pour améliorer la cohérence rédactionnelle du code, assurer le respect de la hiérarchie des normes et harmonier l'état du droit.

Le chapitre II vise à améliorer le déroulement de la procédure pénale.

L'article 3 améliore les règles concernant l'enquête, l'instruction, le jugement et l'exécution des peines, afin de prendre en compte certaines préconisations issues des États généraux : modification du régime des perquisitions, réforme du statut du témoin assisté, limitation de la détention provisoire, choix laissé au procureur d'ouvrir ou non une information judiciaire, unification des délais de renvoi en matière de comparution immédiate, placement sous assignation à résidence sous surveillance électronique en cas de détention provisoire irrégulière, extension du recours aux technologies de communication audiovisuelle pour l'exercice du droit à un examen médical et à un interprète, extension des techniques spéciales d'enquête pour permettre l'activation à distance des appareils connectés aux fins de géolocalisation et de captations de sons et d'images.

L'article 4 tend à favoriser le recours à la peine de travail d'intérêt général en généralisant la possibilité d'accueil de l'économie sociale et solidaire et en systématisant le prononcé d'une peine encourue en cas d'inexécution du travail d'intérêt général. D'autre part, il facilite les décisions par le juge de l'application des peines lorsqu'il souhaite convertir une courte peine d'emprisonnement en peine de travail d'intérêt général.

L'article 5 améliore la prise en compte des intérêts de la victime dans la procédure pénale, en élargissant le champ des infractions recevables à la commission d'indemnisation des victimes d'infractions. Le titre III vise à moderniser la justice commerciale.

Le chapitre Ier prévoit l'expérimentation des tribunaux des activités économiques. Ainsi, l'article 6 introduit à titre d'expérimentation, au sein de neuf à douze tribunaux de commerce désignés par un arrêté du garde des sceaux, et pour une durée de quatre ans, l'élargissement des compétences des tribunaux de commerce à l'ensemble des procédures amiables et collectives.

L'article 7 vise à expérimenter dans ces tribunaux des activités économiques la mise en place d'une contribution pour la justice économique, à l'instar des autres pays européens. En outre, cette contribution constitue une ressource supplémentaire pour le service public de la justice, un moyen de lutte contre les recours abusifs, ainsi qu'une incitation à recourir à un mode amiable de règlement des différends. En effet, afin de favoriser le recours à l'amiable, la contribution sera remboursée lorsque les parties parviendront à un accord au moyen d'un mode alternatif de règlement des différends. Le montant de cette contribution tient notamment compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande. Les bénéficiaires de l'aide juridique, les entreprises en difficulté et l'État en seront dispensés.

Le chapitre II rénove la formation et la responsabilité des juges non professionnels.

L'article 8 vient assouplir les conditions de candidatures des conseillers prud'hommes afin de maintenir l'attractivité de leurs fonctions. Il renforce la responsabilité des juges issus de la société civile en permettant l'engagement de poursuites et le prononcé de sanctions disciplinaires, même en cas de cessation des fonctions du conseiller prud'homme, à l'instar de ce qui existe pour les juges des tribunaux de commerce.

L'article 9 modifie le code de commerce pour renforcer l'obligation de formation des présidents des tribunaux de commerce et crée un dispositif permettant de mettre un terme aux fonctions d'un président qui refuse ou tarde à exécuter son obligation de formation initiale.

L'article 10 instaure un délai pour la réalisation de l'obligation de formation initiale des assesseurs des pôles sociaux avec possibilité de mettre un terme à leur mandat en cas de refus ou de retard excessif.

Le titre IV modernise les règles relatives aux personnels de justice.

Le chapitre Ier a trait au personnel judiciaire.

L'article 11 modifie le code de l'organisation judiciaire afin de structurer l'équipe juridictionnelle et d'assurer une collaboration permanente entre les magistrats de l'ordre judiciaire et des personnels spécialement formés et recrutés. Un chapitre dédié à l'équipe autour des magistrats est ainsi créé, de même que la fonction d'attaché de justice, qui se substitue à la fonction actuelle de juriste assistant. Au surplus, l'article complète le dispositif existant pour les assistants spécialisés.

L'article 12 prévoit la participation des parlementaires aux conseils de juridiction des tribunaux judiciaires et des cours d'appel, en fonction de leur ordre du jour ou lorsque leur consultation est requise de droit, notamment pour d'éventuels projets de spécialisation départementale de certains tribunaux judiciaires ou d'ajout de compétences au profit des chambres de proximité.

Le chapitre II est relatif aux juridictions disciplinaires des officiers ministériels et des avocats.

L'article 13 complète les modalités de désignation des magistrats présidant les juridictions disciplinaires des officiers ministériels et des avocats afin de les mettre en conformité avec le statut de la magistrature qui ne prévoit pas la possibilité de nommer un magistrat par arrêté du ministre de la justice. Cet article est en lien avec l'article 7 du projet de loi organique portant statut de la magistrature qui va ajouter aux missions pouvant être exercées par les magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles (MHFJ) celle de président de ces juridictions disciplinaires.

Le chapitre III concerne le personnel pénitentiaire.

L'article 14 comporte plusieurs dispositions sur le personnel pénitentiaire : d'une part il vise à étendre l'accès à la réserve pénitentiaire à l'ensemble des personnels volontaires retraités de l'administration pénitentiaire, et à autoriser les réservistes à exercer jusqu'à l'âge de soixante-sept ans, dans le but de pallier les difficultés de recrutement au sein de la réserve pénitentiaire, dont les missions, complémentaires à celles des personnels, connaissent des besoins importants. D'autre part, il ouvre la possibilité de recruter par la voie contractuelle des surveillants adjoints, constituant un vivier potentiel de recrutement dans le corps des surveillants; enfin, cet article améliore les conditions d'exercice des agents de l'administration pénitentiaire en généralisant le dispositif de port des caméras individuelles par les personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire, après une phase d'expérimentation et un rapport remis au parlement prévus par la loi n° 2018-697 du 3 août 2018 relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique.

Le titre V rénove les dispositions relatives au droit civil et aux professions.

Le chapitre 1er prévoit le transfert de compétences civiles du juge des libertés et de la détention (JLD). En effet, prenant acte du volume croissant d'affaires traitées par le JLD, à la suite de l'extension continue de son office, comme de la désaffection pour ces fonctions, l'article 15 recentre ce magistrat sur la matière pénale, en confiant à un « magistrat du siège du tribunal judiciaire » les fonctions civiles actuellement dévolues au JLD dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que dans le code de la santé publique (contentieux des hospitalisations sous contrainte).

Le chapitre 2 modernise le cadre du procès civil.

L'article 16 met en place une plateforme dématérialisée permettant un suivi complet de la procédure de redressement judiciaire, avec un coût pour le justiciable inférieur au coût actuel.

L'article 17 confie aux commissaires de justice la mise en oeuvre de la saisie des rémunérations, après délivrance d'un commandement de payer permettant à la fois un droit de recours utile et suspensif au bénéfice du débiteur, et la possibilité d'un accord sur les modalités de paiement. La procédure est ensuite organisée autour du rôle du commissaire de justice répartiteur, qui assure un rôle de tiers, interface entre le débiteur, l'employeur et les créanciers, qui demeurent représentés par leur mandataire.

L'article 18 tire les conséquences de la décision du 18 février 2022 par laquelle le Conseil constitutionnel a censuré, avec effet différé au 31 décembre 2022, une partie de l'article 16 de la loi de programmation judiciaire du 23 mars 2019. Il prévoit également que les actes d'état civil hors Union européenne ne pourront valablement être produit en matière de visa et de titres de séjour s'ils n'ont pas été légalisés.

L'article 19 relève le niveau de qualification requis pour accéder à la profession d'avocat de maîtrise à master en droit, en concordance avec la réforme des diplômes de l'enseignement supérieur adoptée en 2002 (LMD), et en conformité avec les autres professions judiciaires et juridiques telles que les notaires ou les commissaires de justice.

L'article 20 réintroduit la base légale permettant aux greffiers des tribunaux de commerce de percevoir des honoraires libres ainsi que l'obligation d'affichage des tarifs.

L'article 21 vise à proroger, en raison de la grande technicité et de la diversité des acteurs impliqués, jusqu'au 1er novembre 2024, sans autre modification, l'autorisation accordée au Gouvernement par la loi n°2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale à procéder par voie d'ordonnance à la réforme de la publicité foncière. Cette réforme a pour finalité de moderniser le droit de la publicité foncière et d'en faciliter l'accès pour ses usagers, en permettant aux services de la publicité foncière (SPF) de gagner en efficacité tout en préservant la sécurité juridique requise.

Le titre VI contient diverses dispositions en matière de modalités d'accès aux corps de magistrats des tribunaux administratifs et des chambres régionales des comptes, de statut des magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes (CRC), de responsabilité financière des gestionnaires publics, de protection sociale complémentaire des membres de la juridiction administrative et des magistrats financiers et de traitement du contentieux de la tarification sanitaire et sociale.

L'article 22 corrige une malfaçon rédactionnelle de l'ordonnance n°2021-702 du 2 juin 2021 et vise à ne pas porter une atteinte excessive à l'attractivité des corps de magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et de magistrats des chambres régionales des comptes.

L'article 23 modifie certaines dispositions statutaires applicables aux magistrats de la Cour des comptes et CRC, dans une optique de modernisation de la gestion et de renforcement de l'attractivité des carrières. Il revoit les conditions de nomination des conseillers référendaires en détachement au grade de conseiller maître. S'agissant des magistrats de CRC, il modifie la dénomination du grade sommital du corps, désormais intitulé « conseiller président », permettant ainsi une distinction entre le grade sommital du corps et l'exercice des fonctions de président de section. Il ramène de sept à cinq ans la durée du mandat de président ou vice-président de CRC et assouplit les conditions d'ancienneté applicables aux magistrats de CRC pour accéder à ces emplois.

L'article 24 a pour objet de ratifier l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, prise sur le fondement de l'article 168 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

L'article 25 permet de rendre applicables aux magistrats administratifs et aux magistrats financiers le mécanisme de protection sociale complémentaire issu de l'accord conclu par le ministre de la fonction publique avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique. Ces dispositions visent à combler un vide juridique résultant de ce que les membres des juridictions administratives et financières ne participent à aucune élection dont les résultats sont pris en compte pour la désignation des organisations syndicales représentées au conseil supérieur de la fonction publique de l'État. Il en découle que les accords interministériels conclus avec ces organisations ne s'appliquent pas aux magistrats administratifs et financiers ni aux membres du Conseil d'État. Il est par conséquent prévu que ces accords puissent leur être rendus applicables dans des conditions prévues par décret.

L'article 26 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour transférer le contentieux de la tarification sanitaire et sociale aux juridictions administratives de droit commun. Il s'agit de tirer les conséquences de l'analyse conduite en 2020 par la mission d'inspection des juridictions administratives, qui a souligné, d'une part, que les juridictions de la tarification sanitaire et sociale ont exercé leurs missions de manière satisfaisante, grâce à la forte implication de l'ensemble des personnes qui les composent et assurent leur fonctionnement et, d'autre part, que leur faible volume d'activité posait la question du maintien de cinq juridictions de première instance et d'une juridiction d'appel dont les capacités de jugement sont fragilisées par la petite taille des structures et dont l'efficacité est contrariée par les difficultés périodiques affectant la composition de certaines juridictions. Au vu de ce constat, un transfert de leur activité aux tribunaux administratifs paraît la solution la plus adaptée.

Le titre VII prévoit des dispositions transitoires et finales.

L'article 27 prévoit l'application outre-mer de la loi d'orientation et de programmation.

L'article 28 prévoit les dispositions transitoires relatives à l'article 11, en prévoyant lors du renouvellement ou à l'issue d'une durée de six ans d'activité en qualité de juriste assistant, la possibilité que soit conclu un contrat à durée indéterminée, et à l'article 19.

L'article 29 prévoit des entrées en vigueur différées et précise les conditions d'application du nouveau régime aux situations en cours.