EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« La culture, c'est tout ce que l'homme a inventé pour rendre le monde vivable et la mort supportable »1(*) disait Aimé Césaire. L'accès à la culture représente un enjeu majeur sur l'ensemble du territoire national et en particulier dans les collectivités dites d'outre-mer où l'offre culturelle doit faire face à de multiples contraintes.

Le cinéma, une activité culturelle populaire en outre-mer

Le cinéma, notamment, est une activité culturelle populaire dans les outre-mer qui a su se structurer autour de différents acteurs, principalement privés. Dix-huit établissements privés de spectacles cinématographiques, regroupant soixante-deux salles, existent ainsi dans ces collectivités : trois en Guadeloupe, trois en Guyane, un en Martinique, sept à la Réunion et un à Mayotte. Répartis dans les principaux bassins de population, ils ont réussi à conquérir un public large constitué de familles, de jeunes, d'actifs ou de scolaires, et sont devenus, pour la plupart, de véritables lieux de vie implantés au coeur des territoires.

Un équilibre économique spécifique

Ces établissements reposent sur un équilibre différent de celui des établissements de l'hexagone en raison de spécificités ultra-marines : ils évoluent sur des marchés étroits alors que leurs coûts d'exploitation et d'investissement y sont plus élevés pour tenir compte des normes sismiques, cycloniques, de l'éloignement ou d'exigences de sécurité propres. Cela entraîne une rentabilité plus basse pour ces établissements qui n'est qu'en partie compensée par un coût moyen du billet plus élevé, par une fiscalité moindre ou par le recours aux fonds européens. La période du Covid est venue accroitre davantage la contrainte en entraînant une baisse durable de la fréquentation des salles qui peine aujourd'hui à s'inverser.

La nécessité d'une législation adaptée

Dans ce contexte tendu, les salles de cinéma ultra-marines doivent affronter une offensive commerciale nouvelle de la part des principaux distributeurs de films qui souhaitent augmenter le taux de location que les exploitants leur reversent sur les entrées en salle.

Historiquement, ce taux est de 35 % dans les outre-mer où il est appliqué de façon forfaitaire. Dans l'hexagone, il fluctue mais se situe en moyenne proche du plafond de 50 % fixé par le code du cinéma et de l'image animée. Les distributeurs les plus importants souhaitent un alignement des taux de location en outre-mer sur ceux de l'hexagone, ce qui serait insoutenable pour les exploitants ultra-marins et qui aboutirait à la fragilisation extrême du secteur ainsi qu'à la fermeture d'établissements, laissant certains territoires dépourvus de salle de cinéma.

Des tentatives de négociations avec les distributeurs ont été menées mais elles se sont avérées infructueuses en raison notamment de l'asymétrie des acteurs : des PME faisant face à des majors internationales puissantes. En outre, la hausse des taux ne pourrait être compensée par une augmentation du coût du billet, qui est déjà en moyenne supérieur en outre-mer, en raison d'un pouvoir d'achat significativement plus faible dans toutes les collectivités concernées. Augmenter le prix conduirait à un effondrement de la fréquentation déjà réduite depuis la période du Covid.

Par ailleurs, cette hausse, ne repose sur aucune nécessité économique pour les distributeurs qui perçoivent déjà sur un ticket vendu en outre-mer, en valeur, un montant proche de celui perçu sur un ticket vendu dans l'hexagone. En effet, le taux de location se calcule sur le prix du ticket hors taxe. Or, en outre-mer, la fiscalité est réduite et le coût moyen du ticket est plus élevé. Sur un ticket vendu en outre-mer, un distributeur perçoit donc un montant moyen de 2,70 € quand il perçoit 2,78 € sur un ticket vendu dans l'hexagone. Aligner les taux de location aurait ainsi pour effet qu'un ticket vendu en outre-mer rapporte plus au distributeur qu'un ticket vendu dans l'hexagone, ce qui serait inéquitable au regard du faible niveau de vie dans ces collectivités.

La hausse des taux est déjà en cours ce qui rend nécessaire une régulation urgente par la puissance publique afin de sauvegarder le cinéma dans les collectivités dites d'outre-mer. Le principe d'exception culturelle justifie en effet une intervention du législateur si le marché ne peut permettre le maintien de l'offre culturelle sur les territoires, ce qui est le cas aujourd'hui.

La présente proposition de loi, en son article unique, vise donc à plafonner à 35% les taux de location reversés par les exploitants d'établissements cinématographiques ultra-marins aux distributeurs de films afin d'assurer la pérennité de leurs établissements et l'accès au cinéma pour les habitants de ladite outre-mer.

* 1 Entretien avec Maryse Condé retranscrit par Patrice Louis en juin 2004