EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

D'ici un an et demi à peine, ce ne sont pas moins de 43 agglomérations françaises qui devront avoir mis en place une zone à faible émissions mobilité (ZFE-m), afin de restreindre la circulation des véhicules les plus polluants sur leur territoire.

Instaurées par la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (dite « LOM »), puis renforcées par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite loi « Climat et résilience »), les ZFE-m répondent à un enjeu de santé publique majeur au regard des nombreuses pathologies induites par la pollution de l'air (maladies respiratoires, cardiovasculaires, neurologiques et endocriniennes), à commencer par les émissions de particules fines.

Si l'objectif assigné à cet outil ne peut être que largement partagé, la mise en oeuvre des ZFE-m suscite aujourd'hui de fortes incompréhensions et cristallise de nombreuses difficultés tant pour les collectivités territoriales chargées de les mettre en oeuvre que pour les usagers - particuliers et professionnels - dont les mobilités quotidiennes seront fortement affectées par ce dispositif. À cet égard, dans le cadre de la consultation en ligne organisée par le Sénat du 17 avril au 14 mai 2023 qui a recueilli 51 346 réponses, 86 % des particuliers et 79 % des professionnels ont indiqué être opposés aux ZFE-m, faisant part de leurs inquiétudes quant aux modalités et au calendrier de mise en oeuvre de ce dispositif.

La loi « Climat et résilience » d'août 2021 prévoit en effet un calendrier d'application des restrictions de circulation précipité, qui imposerait un renouvellement « forcé » du parc automobile d'ici 2025 à un rythme qui semble irréaliste.

D'une part, dans les ZFE-m rendues obligatoires en application de la LOM et dans lesquelles des dépassements de normes de qualité de l'air sont encore enregistrés, un schéma précis de restrictions de circulation doit s'appliquer, qui consiste à interdire l'accès à ces zones aux véhicules légers classés Crit'air 5 en 2023, aux véhicules classés Crit'air 4 en 2024 et aux véhicules classés Crit'air 3 en 2025.

Si l'on considère l'ensemble du parc national de véhicules, un tel calendrier reviendrait à interdire à 34 % des véhicules particuliers d'ici 2025 de circuler dans ces zones. Dans l'hypothèse où les restrictions seraient étendues aux flottes professionnelles - choix opéré par certaines des 11 agglomérations ayant déjà mis en place une ZFE-m en application de la LOM, alors que la loi ne l'impose pas - ce sont 42 % des véhicules utilitaires légers (VUL) et 39 % des poids lourds qui seraient concernés.

D'autre part, d'ici 2025, les agglomérations comptant plus de 150 000 habitants ont l'obligation de mettre en place une ZFE-m, selon des modalités qui restent à leur main.

Les remontées de terrain permettent d'identifier les nombreux écueils auxquels se heurte aujourd'hui la mise en oeuvre des ZFE-m et qui nuisent à l'acceptabilité du dispositif.

Premièrement, on constate un déficit d'information significatif au profit des usagers sur le dispositif lui-même et sur les problématiques de santé publique auxquelles il entend répondre ainsi qu'un accompagnement manifestement défaillant de l'État vis-à-vis des collectivités territoriales chargées de mettre en place les ZFE-m, lesquelles se trouvent « en première ligne ».

Deuxièmement, les aides à l'acquisition de véhicules propres demeurent largement insuffisantes pour désamorcer l'obstacle au renouvellement des flottes que constitue le reste à charge des usagers, particuliers et professionnels. Cette problématique est des plus sensibles pour les ménages les plus modestes et pour ceux résidant à distance des agglomérations, qui disposent bien souvent de peu d'alternatives à l'usage de la voiture. En outre, pour certains types de véhicules - en particulier les véhicules lourds -, l'offre industrielle en véhicules propres est nettement insuffisante à ce jour, voire inexistante ou inadaptée aux besoins des professionnels.

Troisièmement, la diversité des règles applicables d'une ZFE-m à l'autre (restrictions de circulation et dérogations) nuit à la lisibilité et à l'acceptabilité du dispositif, en particulier dans les régions dans lesquelles plusieurs ZFE-m doivent être mises en place. En l'état actuel du droit, la région Hauts-de-France devrait en effet compter six ZFE-m d'ici le 1er janvier 2025 (Lille, Amiens, Douai-Lens, Valenciennes, Béthune et Dunkerque), tout comme la région Auvergne-Rhône-Alpes (Lyon, Saint-Étienne, Annemasse, Annecy, Chambéry, Grenoble).

Enfin, l'offre de solutions alternatives à l'usage de la voiture individuelle (vélo, transports en commun, autopartage, covoiturage etc.) demeure bien trop modeste sur de nombreux territoires, en particulier dans les territoires périurbains et ruraux. Or, le développement d'une telle offre devrait, en toute logique, constituer un préalable à la mise en place d'une ZFE-m. En effet, si le déploiement de cet outil conduira de fait à encourager le renouvellement du parc de véhicules, il doit être pensé dans le cadre d'une politique plus globale de mobilités des personnes et des marchandises. Le remplacement de l'ensemble des véhicules les plus polluants par des véhicules « propres » n'est pas en soi à rechercher et ne réglera pas, par exemple, la problématique de la congestion routière.

En définitive, en l'état actuel des choses, la mise en oeuvre des ZFE-m creusera inévitablement les fractures sociales et territoriales pourtant déjà vives dans notre pays.

La présente proposition de loi entend répondre à ces multiples écueils. Elle traduit les recommandations législatives du rapport d'information n° 738 (2022-2023), adopté le 14 juin 2023 par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui est le fruit de trois mois de travaux et de près d'une cinquantaine d'auditions conduites dans le cadre d'une mission d'information sur l'acceptabilité des ZFE-m.

Son titre Ier vise à améliorer l'information du public sur les enjeux relatifs à la qualité de l'air et à permettre un déploiement plus concerté des ZFE-m.

L'article 1er propose d'organiser une campagne d'information nationale pour sensibiliser les citoyens aux risques sanitaires liés à la pollution atmosphérique et aux principales sources d'émissions et de compléter sur ce point les campagnes d'information locales déjà prévues dans notre droit, en application de l'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales (proposition n° 1 du rapport d'information).

L'article 2 vise à instituer, à l'échelle de chaque région, une conférence territoriale rassemblant les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et, le cas échéant, les maires de communes, ayant mis en place une ZFE-m ou dans lesquels cela est envisagé dans les prochaines années. Cette conférence, organisée sous l'égide du préfet de région, a vocation à favoriser la coordination et la bonne articulation des réglementations applicables d'une ZFE-m à l'autre, dans un souci de simplification des mobilités quotidiennes des citoyens (proposition n° 2 du rapport d'information).

Son titre II vise à mieux synchroniser le calendrier de mise en oeuvre des ZFE-m avec le renforcement de l'accompagnement des usagers, en tenant compte des délais nécessaires au renouvellement des flottes de véhicules et au développement d'une offre de transports alternatifs suffisante.

L'article 3 vise ainsi à rendre le calendrier d'entrée en vigueur des restrictions de circulation plus réaliste, à travers trois leviers. Premièrement, renforcer la progressivité des interdictions de circulation dans les ZFE-m rendues obligatoires par la « LOM » en repoussant au plus tard à 2030 l'entrée en vigueur des restrictions prévues par la loi « Climat et résilience » pour les véhicules légers classés Crit'air 3. Deuxièmement, fixer au 1er janvier 2030 la date butoir de création d'une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants, en leur laissant la possibilité de recourir à des solutions alternatives plus efficaces et plus rapides, le cas échéant. Enfin, dans l'ensemble des ZFE-m rendues obligatoires par la loi, autoriser la circulation des véhicules Crit'air 2 pour les véhicules lourds jusqu'à 2030, compte tenu de l'absence à ce jour d'alternative viable et accessible aux véhicules thermiques pour ce segment de flotte (proposition n° 8 du rapport d'information).

L'article 4 vise à renforcer le contrôle des émissions de polluants atmosphériques réalisé dans le cadre du contrôle technique des véhicules, pour permettre la prise en compte de nouvelles émissions, en particulier les particules fines et les oxydes d'azote. Il s'inspire de l'article 65 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoyant un dispositif similaire mais resté lettre morte, faute de publication par le Gouvernement du décret d'application. L'article 4 s'inscrit dans la continuité d'initiatives récemment prises par plusieurs pays voisins (Allemagne, Pays-Bas et Belgique) tendant à intégrer un contrôle des émissions de particules fines dans le contrôle technique. Si les outils apparaissent donc disponibles sur ce volet, s'agissant des émissions d'oxydes d'azote, des évolutions technologiques plus poussées seront vraisemblablement nécessaires dans les prochaines années. Afin d'encourager un bon entretien des véhicules - qui a une incidence significative sur la quantité de polluants émise et sur la performance environnementale du véhicule -, il est proposé d'attribuer une vignette « Eco-entretien » aux véhicules qui respecteront des seuils d'émissions qui seront établis par l'autorité compétente et de leur permettre de circuler à l'intérieur des ZFE-m, de manière dérogatoire. Cette mesure permettra une meilleure individualisation du système de vignettes Crit'air actuel, en tenant compte de la pollution réelle des véhicules et en valorisant les comportements les plus vertueux (proposition n° 9 du rapport d'information).

Enfin, son titre III vise à renforcer les aides à l'acquisition de véhicules propres et l'offre de transports alternatifs à la voiture.

L'article 5 propose d'instituer un dispositif pérenne de prêt à taux zéro pour l'acquisition de véhicules propres légers, en lieu et place de l'expérimentation prévue par la loi « Climat et résilience », conformément aux propositions formulées par le Sénat lors de l'examen de cette loi en 2021 qui n'avaient, alors, pas été suffisamment entendues. Afin de bénéficier au plus grand nombre, ce dispositif concernerait les ménages et entreprises situés dans ou à proximité des 43 ZFE-m imposées par la loi. Dans le même ordre d'idée, l'article 5 tend également à créer un prêt à taux zéro spécifique pour les poids lourds propres, comme cela avait été proposé par le Sénat lors de l'examen de la loi « Climat et résilience », auquel seraient également éligibles les autocars (proposition n° 4 du rapport d'information).

L'article 6 vise à rendre les véhicules lourds (> 2,6 tonnes) ayant bénéficié d'une opération de rétrofit éligibles au suramortissement vert prévu à l'article 39 decies A du code général des impôts. Le remplacement de l'intégralité du parc de véhicules existant par des véhicules propres neufs ne saurait constituer une solution satisfaisante. Cet article vise donc à encourager le recours au rétrofit pour les véhicules lourds, pour lesquels cette technologie de « verdissement » est particulièrement pertinente économiquement (proposition n° 5 du rapport d'information).

Enfin, l'article 7 vise à diminuer le taux de TVA de 10 à 5,5 % applicable aux transports collectifs de voyageurs, qu'ils soient routiers, guidés ou ferroviaires, à l'exception des services librement organisés.