EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les autorités administratives indépendantes (AAI) et les autorités publiques indépendantes (API) occupent une place croissante dans notre système institutionnel depuis la création en 1978 de la première de ces structures, la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

On dénombre ainsi actuellement 24 AAI ou API dont les missions relèvent de deux grands domaines, la protection des droits et des libertés et la régulation économique.

Leurs pouvoirs sont importants puisqu'elles peuvent, pour certaines d'entre elles, cumuler les pouvoirs normatif, d'application et juridictionnel. Même lorsqu'elles n'ont pas de pouvoir contraignant, le poids de leurs avis, rapports ou encore alertes, bien souvent accompagnés d'une médiatisation importante, pèse dans le débat et la décision publics.

Ces structures dont certaines sont prévues par le droit européen ont démontré, au moins dans certains domaines, et notamment en matière de régulation, leur utilité.

Les prérogatives de ces autorités, et leur essence même, impliquent qu'elles doivent agir de manière indépendante du pouvoir politique, des administrations et des marchés qu'elles régulent.

Cette indépendance ne peut être assurée que si les conditions sont réunies pour garantir celle des membres qui les composent et qui occupent en leur sein une fonction essentielle, en premier lieu leur président.

Si le législateur est intervenu à plusieurs reprises ces dernières années pour renforcer les garanties d'indépendance des membres de ces autorités1(*), le cadre légal reste néanmoins insuffisant.

Ainsi, la possibilité de nommer certaines personnes ayant précédemment occupé, ou occupant lors de leur nomination, des fonctions exécutives - comme celles de ministre - ou proches de l'exécutif - directeur de cabinet - ne paraissent pas à même de garantir l'indépendance de ces structures.

Ces nominations sont d'autant plus problématiques lorsque la personne a été conduite dans ses précédentes fonctions à prendre des décisions, au nom de l'État, relevant du champ de compétences de l'autorité concernée.

Le fait que, récemment, une candidature à la présidence d'une autorité a été retirée in extremis - la veille de l'audition parlementaire prévue en application de l'article 13 de la Constitution - car la personne proposée par le Président de la République aurait été contrainte de se déporter dans 4 dossiers sur 5 pour des raisons de conflits d'intérêts est révélatrice.

Il convient donc de mieux encadrer la liste des personnes susceptibles d'être nommées au sein des AAI et des API selon les fonctions qu'elles exercent ou ont eu à exercer dans un passé récent.

De plus, si le principe posé par le législateur de limiter à une seule fois la possibilité de renouveler le mandat de membre2(*) est positif car il constitue une garantie supplémentaire de son indépendance vis-à-vis de la personne dont relève la nomination, la loi n'empêche pas à un membre sortant d'une autorité d'être nommé au sein d'une autre autorité à l'expiration de son mandat par le Gouvernement atténuant fortement le principe de non renouvellement.

Ainsi, certaines personnes ont pu siéger successivement dans deux voire trois autorités différentes. On assiste dans certains cas à une quasi « professionnalisation » de la fonction de membre d'autorité. Cette situation est pour le moins contraire à l'esprit de la Loi en termes de garantie d'indépendance.

En outre, il peut être relevé que les personnes en charge de nommer ou d'approuver les nominations des membres de ces autorités ne sont, actuellement, pas toujours en capacité de prendre une décision en pleine connaissance des possibles situations de conflit d'intérêts dans lesquelles se trouverait le candidat envisagé.

Enfin, et s'agissant plus spécifiquement des nominations entrant dans le champ du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le pouvoir de véto du Parlement est amoindri par le nombre de voix à réunir - au moins 3/5e des suffrages exprimés des parlementaires des deux commissions compétentes - pour s'opposer à la nomination d'un candidat proposé par le Président de la République.

Autant cette règle peut être justifiée pour des établissements publics d'État ou des entreprises publiques, autant la nomination de personnalités dont l'indépendance doit être garantie notamment vis-à-vis du Gouvernement nécessite un renforcement des pouvoirs du Parlement pour exercer ce contrôle.

L'abaissement du seuil de suffrages à réunir pour empêcher une nomination dans le cadre de cette procédure doit être envisagé.

Au-delà du meilleur encadrement des nominations, le législateur a également souhaité renforcer les moyens de prévention et de lutte contre les conflits d'intérêts dans le cadre de l'exercice par les membres de ces autorités de leur mandat.

La loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes prévoit ainsi les obligations et les principes déontologiques que doivent respecter les membres, et les anciens membres, de ces autorités. Elle recense également les situations dans lesquelles ces membres doivent se déporter.

Si certaines autorités ont pris des dispositions pour préciser ces règles déontologiques et en garantir le respect (édiction d'une charte déontologique applicable aux membres, faculté de consulter personnellement un référent déontologue,...), il conviendrait de renforcer ces garanties et de les généraliser à l'ensemble des autorités.

En outre, si la loi susmentionnée prévoit les situations dans lesquelles un membre ne peut pas prendre part aux travaux de l'autorité, aucune publicité des cas de déport en application de cette loi n'a été prévue.

Aussi, le Titre I de la présente proposition de loi prévoit de mieux encadrer la nomination des membres des AAI et les API par les mesures suivantes :

- l'article 1er prévoit que les personnes occupant ou ayant occupé dans les trois dernières années les fonctions de ministre, membre d'un cabinet ministériel ou du Président de la République, ou directeur d'administration centrale dont le champ de compétences couvre ou a couvert celui de l'autorité. Il exclut également la possibilité de nommer le Secrétaire général de l'Elysée ou le directeur du cabinet du Président de la République ;

- l'article 2 interdit la nomination d'un membre d'une autorité au sein d'une autre autorité dans un délai équivalent à la durée du mandat exercé et d'au moins cinq ans à l'issue de son mandat ;

- l'article 3 donne la faculté à la personne en charge de nommer un membre d'une autorité d'obtenir de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique communication des informations qu'elle détient relatives au patrimoine et aux intérêts de la personne qu'elle compte désigner ainsi que des administrations compétentes les éléments concernant sa situation fiscale et son casier judiciaire ;

- l'article 4 prévoit la possibilité pour le Président de la République de demander ces mêmes informations dans le cadre d'une nomination relevant du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ;

- l'article 5 prévoit la communication aux parlementaires membres des commissions compétentes d'un avis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique en amont des auditions d'un candidat pour la présidence d'une AAI ou API prévues au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

En complément de ces dispositions, et toujours afin de prévenir les risques concernant l'indépendance des candidats proposés par le Président de la République pour présider ces autorités, il conviendrait, dans le cadre de l'application de l'article 13 de la Constitution, de renforcer le pouvoir du Parlement en prévoyant que la nomination envisagée doit être validée par la moitié des votes des suffrages exprimés au sein des commissions parlementaires compétentes.

En outre, il apparait nécessaire de mieux encadrer le délai de nomination pour ne pas que le poste de président de ces autorités puisse être vacant, comme on l'a observé à plusieurs reprises et notamment actuellement avec le cas d'une autorité qui n'a plus de président depuis désormais plus de 1 an. Un délai maximal pourrait être de 3 mois à partir de la vacance du poste.

C'est le sens de la Proposition de loi constitutionnelle renforçant les pouvoirs du Parlement pour les nominations à certaines fonctions relevant du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution déposée par l'auteur de la présente proposition de loi.

Le Titre II prévoit de renforcer les moyens de prévenir et de lutter contre les conflits d'intérêts des membres des AAI et des API au cours de leur mandat par les dispositions suivantes :

- l'article 6 crée un « référent déontologue » qui peut être consulté par les membres, ou les anciens membres, d'une autorité sur les obligations et principes déontologiques qu'il sont tenus de respecter, à l'image des « référents déontologues » institués pour les agents publics ou les élus locaux. Le « réfèrent déontologue » peut se saisir lui-même d'une situation de conflit d'intérêts et accéder à la déclaration d'intérêts d'un membre dans l'exercice de ses missions ;

- l'article 7 institue un registre des déports des membres d'une autorité qui répertorie les cas où un membre ne prendra pas part, ou n'a pas pris part, aux travaux de l'autorité en raison d'un conflit d'intérêts, consultable sur le site de l'autorité.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

* 1Le cadre légal en la matière a notamment été renforcé par loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.

* 2 Ce principe connaît des exceptions prévues par la loi. Les membres de certaines autorités peuvent ainsi exercer qu'un unique mandat.