EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les 16 octobre et 2 décembre 2023, notre pays a, par deux fois, été frappé à nouveau par des attentats terroristes qui illustrent la prégnance du phénomène de radicalisation islamiste violente sur notre territoire.

Ces événements ont mis en pleine lumière les évolutions de la menace terroriste : cette menace n'est plus aujourd'hui du seul fait de groupes radicalisés, soutenus matériellement et logistiquement par des organisations terroristes internationales, y compris depuis des zones de combat. Elle se caractérise désormais par un nombre croissant de passages à l'acte d'individus solitaires se revendiquant ouvertement de la mouvance islamiste, peu organisés et faisant usage d'armes blanches, qu'il convient néanmoins de surveiller et de réprimer au même titre que les groupements plus organisés.

Une attaque terroriste, quelle qu'en soit l'ampleur, appelle la réponse la plus ferme, à plus forte raison lorsqu'elle est commise en plein coeur de notre capitale ou à l'encontre d'un enseignant, qui est l'un des symboles de la République. Celle-ci ne saurait donc rester sans réaction face à ces actes qui mettent en péril la sécurité de tous et visent à saper les fondements de notre pacte républicain.

Soucieux depuis plusieurs années de lutter efficacement contre la menace terroriste, en particulier islamiste, le Sénat, et plus particulièrement sa commission des lois, a toujours fait preuve de pragmatisme et de responsabilité, guidé par le souci permanent de trouver un juste équilibre entre la nécessité de doter les pouvoirs publics de moyens d'action forts et adaptés à la menace terroriste et le strict respect des libertés publiques et individuelles. Le Sénat a également su être force de proposition en la matière, s'appuyant sur les nombreux travaux de contrôle transpartisans qu'il a conduits.

Si les moyens d'action, notamment juridiques, des pouvoirs publics pour faire face à une telle menace ont ainsi été considérablement enrichis au cours des dernières années, force est de constater qu'ils ne sont pas adaptés à l'ensemble des menaces terroristes sur notre territoire. Construit pour réprimer des menaces émanant de groupements organisés, structurés autour d'individus s'étant rendus sur des zones de combat, l'arsenal anti-terroriste peine aujourd'hui à réprimer les actes terroristes qui sont le fruit d'individus isolés, dont la radicalisation solitaire s'effectue souvent par le biais des réseaux sociaux. Une actualisation et un renforcement des moyens juridiques pour entraver et réprimer des activités et infractions terroristes apparaissent dès lors indispensables pour garantir le droit à la sûreté de nos concitoyens.

À cet égard, les attentats des 16 octobre et 2 décembre 2023 mettent en lumière deux phénomènes de radicalisation particuliers : la radicalisation, sur le sol national, de mineurs ayant été scolarisés en France et la prise en charge des majeurs radicalisés, sortants ou non de détention, qui, souffrant ou non de troubles psychologiques, n'ont pas renoncé à mener des actions terroristes.

Organisée autour de trois titres, la présente proposition de loi poursuit en conséquence un triple objectif :

- d'une part, améliorer le suivi post-carcéral des individus condamnés pour des faits de terrorisme ;

- d'autre part, renforcer le suivi et les moyens de répression des mineurs radicalisés sur le sol national ;

- enfin, compléter l'arsenal administratif et pénal de lutte anti-terroriste.

Le titre Ier vise à instituer de nouvelles mesures de sûreté applicables aux condamnés pour terrorisme afin de renforcer leur surveillance à leur sortie de détention.

Selon les derniers chiffres publiés par le ministère de l'intérieur, environ 400 individus seraient actuellement incarcérés pour des faits de terrorisme et plus de 470 individus incarcérés sur ce fondement ont été libérés depuis mi-2018. La menace que représentent de tels individus doit être prise particulièrement au sérieux. Actuellement, face à leur dangerosité et afin d'éviter toute sortie « sèche » de détention, les pouvoirs publics privilégient des mesures administratives et de suivi judiciaire sans que celles-ci n'offrent, au regard de leur durée limitée et des mesures susceptibles d'être prononcées, un cadre de surveillance suffisant et durable pour prévenir et empêcher la récidive de tels faits. Le renforcement des mesures de suivi judiciaire, y compris des dispositifs de sûreté, apparaît, en conséquence, comme la voie juridiquement la plus pertinente et la plus protectrice des libertés individuelles, pour répondre à l'enjeu que représente, en termes de sécurité publique, l'élargissement des condamnés terroristes. À l'inverse, le prononcé d'une mesure administrative de surveillance à l'issue d'une peine n'apparaît pas satisfaisant eu égard aux objectifs fixés par le législateur au prononcé, singulièrement en matière pénale, d'une peine.

Pour ce faire, l'article 1er reprend les dispositions visant à instituer une mesure de sûreté judiciaire applicable aux auteurs d'infractions terroristes, votée à deux reprises au Sénat en 2021, en lieu et place de la mesure de prévention de la récidive terroriste adoptée par l'Assemblée nationale en lecture définitive, après échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement. Le dispositif proposé diffère des dispositions existantes sur trois points essentiels : est proposée une mesure mixte tant d'accompagnement à la réinsertion que de surveillance, en lieu et place d'une simple mesure de réinsertion ; elle serait prononcée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté, après avis du juge de l'application des peines chargé du suivi de la personne ; et elle serait prononcée pour une durée maximale d'un an renouvelable, pour une durée maximale de 3 à 5 années en fonction des peines prononcées et de l'âge du condamné.

Prenant acte de la diversité des profils, tant sur le plan psychiatrique que sur le degré de « désengagement » d'une l'idéologie terroriste, des individus condamnés pour terrorisme et souhaitant marquer la différence entre la radicalisation à caractère terroriste et les troubles de la personnalité, l'article 2 prévoit deux évolutions de la rétention de sûreté afin d'en ouvrir son application à certains terroristes sortant de détention. D'une part, il est proposé de rendre applicable la rétention de sûreté aux crimes à caractère terroriste, lorsqu'existe un trouble grave de la personnalité du condamné. D'autre part, il instaure une nouvelle mesure de sûreté, déliée d'un critère psychiatrique au profit d'un critère de radicalisation, pour certains condamnés terroristes.

Le titre II a pour objet de renforcer le suivi des mineurs radicalisés sur le sol national et d'adapter l'arsenal pénal applicable en cas de commission d'actes de terrorismes par des mineurs.

Le profil de l'auteur de l'attentat du 16 novembre 2023 contre Dominique Bernard comme la participation de mineurs à la préparation de l'attentat du 16 octobre 2020 contre Samuel Paty, tous rend nécessaire l'aménagement de l'arsenal pénal applicable aux mineurs radicalisés et impliqués dans la commission de tels actes. S'il importe de conserver une différence de traitement entre mineurs et majeurs, et plus encore une gradation en fonction de l'âge des mineurs, il apparaît nécessaire de faire évoluer, pour les seules poursuites et instructions d'infractions à caractère terroriste, les dispositions applicables aux mineurs radicalisés. À cette fin, l'article 3 vise à modifier le régime du contrôle judiciaire, du placement sous surveillance électronique mobile et de la détention provisoire applicables aux mineurs de plus de treize ans, en particulier afin de déroger aux règles de droit commun en la matière et d'étendre la durée maximale du placement en centre éducatif fermé ou en détention provisoire des mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation et placés sous main de justice.

Poursuivant ces mêmes objectifs, l'article 4 permet la prise en charge des mineurs sous main de justice par la protection judiciaire de la jeunesse au-delà de leur majorité, de manière à éviter les ruptures de prise en charge.

Enfin, l'article 5 pérennise la dérogation au principe de compétence exclusive des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance afin de confier aux services de la protection judiciaire de la jeunesse la prise en charge des mineurs radicalisés, notamment pour procéder à des placements.

Le titre III ambitionne de compléter et d'ajuster les moyens administratifs et le cadre pénal pour lutter plus efficacement contre le terrorisme et réprimer plus systématiquement ses manifestations.

Face aux nécessités des services enquêteurs d'agir rapidement lors des enquêtes conduites en ligne, l'article 6 procède à une simplification procédurale du régime applicable aux enquêtes sous pseudonyme en supprimant l'autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d'instruction lorsque l'enquêteur sous pseudonyme entend acquérir un produit, un service ou un contenu qui n'est pas illicite ou transmettre tout contenu en réponse à une demande expresse, lorsque l'objet de cette transmission n'est pas illicite, au profit d'une autorisation ex-post dans un délai de quarante-huit heures au formalisme renforcé.

Par ailleurs, l'article 7 introduit dans le régime de l'interdiction de paraître déjà susceptible d'être prononcée dans le cadre d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) une faculté d'interdire à un individu de paraître dans les transports en commun.

En outre, comme le rappelle un récent rapport de l'Assemblée nationale sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France1(*), la dissolution administrative est une procédure particulièrement utile pour les services de renseignement dans la lutte contre le terrorisme mais qui pourrait très utilement être modernisée et renforcée - sa création remontant à la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées. Pour ce faire, l'article 8 vise à remplacer la « provocation à des manifestations armées dans la rue » comme motif de dissolution d'association ou de groupement - inscrit au 1° de l'article L. 212-1 du code la sécurité intérieure - par la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait pour appel à commettre des violences en groupe.

De façon analogue, traduisant une recommandation du rapport de l'Assemblée nationale précité, le même article 8 offre « la possibilité de dissoudre les associations (...) à raison de leur inaction ou de leur abstention à faire cesser des agissements », le cas échéant individuels, qui soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence], « cette abstention devant être regardée comme cautionnant lesdits agissements »2(*). Cela permettrait de faire échec aux stratégies de contournement existantes et de rattacher des agissements individuels à une personne morale - l'association ou le groupement de fait.

Prenant acte de l'impossibilité d'éloigner l'auteur du récent attentat d'Arras, l'article 9 facilite la levée des protections contre l'éloignement dont bénéficient certaines catégories d'étrangers y compris ceux s'étant rendus coupables de crimes ou de délits particulièrement graves en lien avec le terrorisme. Il reprend les dispositions votées par le Sénat à l'occasion de l'examen du projet de loi dit « immigration » en novembre 2023.

Reprenant également des dispositions votées par le Sénat dans le même projet de loi, l'article 10 introduit le principe d'un contradictoire aménagé dans le contentieux des mesures de police administrative visant des étrangers dangereux, afin de produire à la juridiction compétente des éléments complémentaires qui, au regard de leur sensibilité, ne pourraient être versés au contradictoire sans mettre en péril l'activité des services de renseignement.

Parallèlement, si les évolutions récentes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ont entraîné la censure du délit de consultation habituelle de contenus à caractère terroriste introduit par le législateur et celle du délit de recel d'apologie du terrorisme créé par voie prétorienne, plusieurs acteurs judiciaires appellent à la création d'un nouveau délit permettant de sanctionner la détention et la consultation régulière de contenus, principalement numériques, à caractère terroriste. Ainsi, le 16 octobre 2023, à la suite de la mise en examen d'un homme de 24 ans, proche de la mouvance islamiste, pour port illégal d'un couteau de neuf centimètres à proximité d'un lycée, la procureure de la République, Maryvonne Caillebotte a déclaré : « il télécharge effectivement des images [de décapitation] mais il ne les diffuse pas. Il n'encourage pas non plus à un acte terroriste. En clair, sur le plan pénal, on ne peut le poursuivre que pour le port d'arme. L'apologie du terrorisme ou même le recel ne tiendraient pas. On n'est pas naïfs pour autant. S'il n'avait pas ce profil, il aurait sans doute écopé d'une simple ordonnance pénale et n'aurait pas été déféré en vue d'une comparution immédiate ». Malgré l'ensemble de ces éléments, le prévenu n'encourt, en l'espèce et en l'état du droit, qu'une peine d'un an de prison, pour une infraction de droit commun et non à caractère terroriste.

L'article 11 vise en conséquence à réintroduire un délit de recel d'apologie du terrorisme en l'assortissant de garanties supplémentaires, afin de parfaire utilement notre arsenal pénal anti-terroriste.

Poursuivant le même objectif et traduisant une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste rapportée en 2019 par Jacqueline Eustache-Brinio, l'article 12 créée une nouvelle circonstance aggravante au délit d'apologie ou de provocation à des actes de terrorisme lorsque les propos incriminés sont tenus dans l'exercice du culte ou dans un lieu de culte par un ministre du culte.

Face à l'évolution du profil des auteurs d'actes de terrorisme, parfois incités par des individus entrant en contact via les réseaux sociaux avec les auteurs et les ciblant du fait de leur état psychologique ou de leur vulnérabilité, l'article 13 introduit une nouvelle circonstance aggravante au délit de provocation directe à la commission d'un acte terroriste lorsqu'elle est commise sur une personne vulnérable à raison de son âge, de son état de santé ou de sa précarité économique, les peines sont alors portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende. De surcroît, si la provocation à la commission d'un acte terroriste ou l'apologie publique du terrorisme sont commises avec, au moins, deux circonstances aggravantes du fait de l'état de la victime, des moyens utilisés ou de la nature de l'auteur, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

Poursuivant un raisonnement analogue, le même article 13 introduit une circonstance aggravante lorsque la provocation à la commission d'un acte terroriste ou à son apologie a été suivie d'effet, portant les peines encourues à sept années d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Cette disposition permet ainsi de prendre en compte le fait que l'utilisation des fonctionnalités des réseaux sociaux et plus largement des supports numériques a induit un renouvellement du mode opératoire de certains individus ou groupements en permettant aux auteurs de maintenir un contact quasi permanent avec leurs victimes favorisant en conséquence leur passage à l'acte.

L'intensification et la multiplication des supports de diffusion de contenus permises par les moyens numériques sont susceptibles d'entraîner des conséquences encore davantage dommageables, en particulier s'agissant de la provocation à la commission d'actes de terrorisme ou à leur apologie, ce qui n'est pas correctement appréhendé en l'état du droit. Pour mieux prendre en compte ces nouvelles réalités et adapter en conséquence l'arsenal répressif, l'article 14 introduit une peine complémentaire en cas de commission de ces mêmes infractions par ces moyens électroniques de « bannissement numérique » des personnes physiques s'en étant rendues coupables - reprenant la rédaction adoptée par le Sénat en la matière lors de l'examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique. Une telle modification préserve la caractérisation existante et éprouvée des délits de provocation et d'apologie du terrorisme tout en l'actualisant du fait du renforcement des effets négatifs induits par la commission sur l'espace numérique - donc à grande échelle et à l'appui de techniques nouvelles - de telles infractions.

En outre, l'article 15 institue une peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les transports en commun, reprenant ainsi une proposition du Gouvernement votée par le Sénat en 2021, dès lors qu'un individu aurait commis un acte à caractère terroriste dans ce même type de lieux.

Enfin, l'article 16 gage les dépenses supplémentaires induites par les dispositions de la proposition de loi.

* 1 Rapport d'information n° 2006 (quatorzième lég.) de M. Adrien Morenas au nom de la commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France.

* 2 Compte rendu de l'audition de Thomas Campeaux par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Pour plus de précisions voir :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/celgroued/l15b2006_rapport-enquete#_ftnref82.

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