EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis la publication d'articles mettant en lumière les violences systémiques dont ont été victimes les élèves scolarisés dans l'établissement privé « Le Beau Rameau » (anciennement Notre-Dame de Betharram), les alertes se multiplient. Dans le sud-ouest, en Île-de-France, en Loire-Atlantique, en Bretagne, des collectifs de victimes de violences, qu'elles soient physiques, psychologiques, sexuelles, dans des établissements d'enseignement privés voient le jour et s'organisent. La multiplication des révélations pose indéniablement la question des protections que doit mettre en place l'État afin que des organisations de violences systémiques de cette nature ne puissent plus exister. Pour cela, la question de la nature et de la fréquence des contrôles que doit effectuer l'État dans ces établissements est manifestement de nouveau posée.
Au-delà, c'est bien la question du bien-être et de la protection des enfants qui doit guider l'action publique. C'est pourquoi la question des locaux et notamment de leur configuration permettant un accueil adapté à des enfants, et notamment l'existence d'espaces extérieurs comme des cours de récréation, doit désormais être prise en compte dans le cadre juridique. En effet, dans de nombreux centres urbains, des établissements d'enseignement privé ouvrent sans que ce minimum d'espaces communs adaptés soit respecté. Cela pose plus fondamentalement la question du régime d'autorisation préalable, par les acteurs les plus connaisseurs des réalités locales.
Le régime d'ouverture des établissements privés d'enseignement scolaire figurant dans le code de l'éducation revient aujourd'hui à avoir un régime déclaratif et non d'autorisation (du maire, de l'autorité académique du préfet ou du procureur de la République). Depuis la loi du 13 avril 2018 visant à « simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat », le code de l'éducation a été modifié à plusieurs reprises : en 2019, dans la loi « pour une École de la confiance », ou encore en 2021 dans la loi « confortant le respect des principes de la République » laquelle créée une procédure de fermeture administrative par le préfet et élargit le champ du contrôle exercé sur eux (contrôle des financements et de l'honorabilité de l'ensemble des personnels). Malgré ces évolutions, le cadre juridique apparaît encore trop peu protecteur.
La scolarisation dans un établissement d'enseignement scolaire privé est une modalité d'exercice de l'obligation d'instruction. Le contrôle du respect de cette obligation s'effectue dans le cadre de la liberté de l'enseignement reconnue aux établissements d'enseignement privés par la loi n°59-1557 du 31 décembre 1959 définissant « les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés », plus communément appelée loi « Debré », selon deux modalités (conclusion d'un contrat d'association ou d'un contrat simple avec l'État, ou non). En contrepartie, cette liberté doit s'exercer dans le respect de l'ordre public, c'est-à-dire en portant une attention particulière à la prévention sanitaire et sociale et à la protection de la jeunesse.
L'ouverture d'établissements ne respectant pas les normes relatives au bien-être et au bon développement des enfants, dans un contexte de croissance rapide de l'enseignement privé, a pu se faire alors même que l'État a plus que baissé la garde en matière de contrôles de ces établissements. D'après les « repères et références statistiques 2023 » de la direction de l'évaluation de la Prospective et de la Performance de l'éducation nationale, à la rentrée 2022, près de 1 900 écoles et établissements privés hors contrat scolarisaient des élèves. Pour le premier degré, cela représente plus du doublement du nombre d'établissements ouverts entre 2015 et 2022 (2,2 % des établissements). Pour ce qui est du second degré, la croissance est continue depuis le milieu des années 2000 (6,5 % des établissements).
Les exemples de dérives ne manquent pas. À Paris, une école privée a pu ouvrir, alors qu'elle ne dispose pas d'une cour de récréation. Cette ouverture s'est faite contre l'avis de la collectivité, qui ne peut activer aucun levier de recours. En ce qui concerne le respect des obligations pédagogiques et de suivi des programmes scolaires officiels, là encore, les manquements sont nombreux. En la matière, le comité national d'action laïque (CNAL) pointe dans son étude de 2022 des manquements s'agissant du respect des valeurs de la République, notamment dans les programmes d'histoire. Assurément, le Sénat, en écho à la réalité des dysfonctionnements sur les territoires, doit être à l'initiative d'une nouvelle étape législative.
La lutte contre toutes les formes de violences, notamment sexuelles, doit être une priorité après les trop nombreuses révélations de violences subies par des élèves ou des anciens élèves d'établissements privés. L'État ne peut plus reculer. L'existence des établissements privés, et leur participation au service public de l'éducation, ne doivent pas empêcher la puissance publique de jouer le rôle de régulateur qui doit être le sien. Il le faut pour les enfants et pour les parents qui font le choix de l'enseignement privé : ces enfants doivent être protégés.
C'est pour cela que l'ensemble des personnels, qu'ils soient agents publics ou salariés de droit privé, doivent être soumis aux mêmes conditions d'examen de leur honorabilité avant d'être mis en contact avec des enfants. Dans le même mouvement, il est également nécessaire que la plus grande transparence soit faite sur les modalités de financement des établissements privés, afin d'éviter que des groupes, organismes ou personnes ayant des projets à visée idéologique contraire aux valeurs de la République ne puissent impunément participer à l'ouverture d'établissements privés. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain réaffirme sa position constante en faveur d'une plus grande transparence des financements dont bénéficient les établissements d'enseignement privé, en proposant d'accroître les modalités de contrôles des financements, de leur provenance, ainsi que d'éventuels conflits d'intérêts susceptibles d'interférer dans le bon fonctionnement pédagogique des établissements
La présente proposition de loi vise à encadrer l'accueil des élèves dans les établissements d'enseignement privés et à garantir le respect des exigences de pédagogie, de sécurité, de salubrité, de moralité et l'absence de conflits d'intérêts. Contrairement à ce qu'il est parfois possible d'entendre ou de lire, il ne s'agit pas de relancer une quelconque « guerre scolaire », mais bien de nous assurer que les enfants de la République soient traités dans le strict respect de la loi de la République, mais aussi et surtout protégés par l'action régulatrice et protectrice de l'État, quel que soit le lieu d'enseignement dans lequel ils sont scolarisés. Son application est une garantie, un ciment pour réunir, quand les tentatives de porter atteinte au pacte républicain sont si nombreuses.
Ainsi, l'article 1er a pour objet de conditionner l'ouverture des établissements d'enseignement privés hors contrat, actuellement soumis à simple déclaration, à un régime d'autorisation.
Le régime d'autorisation permettrait un contrôle a priori renforcé, tant sur le plan pédagogique que juridique, administratif et financier, qui permettrait d'éviter d'éventuels problèmes et situations dangereuses voire contentieuses ultérieurs, de nature à nuire à l'intérêt des enfants scolarisés dans ces établissements.
Des exigences de capacité d'accueil, tant en termes de nombre de locaux et de capacité d'accueil des classes que de superficie des cours de récréation devraient aussi être respectées.
Ce dispositif constituerait le corollaire du régime d'autorisation pour dispenser l'instruction en famille prévu depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
L'article 2 renforce le contrôle annuel des établissements privés, en précisant sa portée et en prévoyant que le représentant de l'État dans le département diligente des contrôles tant sur les conditions matérielles d'accueil des élèves (locaux en nombre suffisant et de taille adaptée ; existence d'une cour de récréation, d'une salle adaptée à la restauration...), que sur la capacité juridique des personnels de direction, enseignants, de service à être employés par l'établissement (absence de condamnation pénale lourde pour crime terroriste, violences ou violences sexuelles sur mineurs, perte de droits civiques...). En outre, est prévu un bilan annuel des signalements de faits et comportements illicites envers les élèves ayant pu être effectués. Les contrôles effectués donneront lieu à la rédaction d'un bilan qui sera rendu public et consultable sous forme numérique.
L'article 3 rend publics l'origine, le montant et la nature des ressources attribuées aux établissements d'enseignement privés.
L'article 4 porte obligation à tout membre du personnel (enseignant ou non) d'un établissement scolaire ayant été témoin d'un fait ou d'un comportement déplacé envers un élève de saisir l'autorité académique, en bénéficiant du statut de lanceur d'alerte.