EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La dissolution de l'Assemblée nationale prononcée par le Président de la République le 9 juin 2024 a plongé notre pays dans une crise démocratique. Lors des élections législatives, pour la seconde fois consécutive, aucune majorité absolue n'est sortie des urnes.

Depuis lors, la succession de gouvernements affaiblis par leur mode de désignation, au bon vouloir du Président de la République, a créé une instabilité à la tête de l'exécutif qui peut laisser craindre que la situation de blocage dans laquelle se retrouve le pays ne mène à une crise de régime.

D'aucuns envisagent que la seule issue à un tel blocage serait pour le Président de la République de démissionner. Notre pays se trouverait alors dans une situation inédite depuis la révision constitutionnelle de 2008 qui introduisit à l'article 6 de la Constitution une disposition selon laquelle « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »

La perspective de voir démissionner un Président de la République au cours de son second mandat soulève des questions sur le sens de cet alinéa, à la rédaction particulièrement succincte. À l'occasion des débats parlementaires sur le projet de loi constitutionnelle de 2008, le verbe accomplir, censé induire la complétude des deux mandats, fut remplacé, au Sénat, par le verbe exercer pour préciser l'intention du constituant. Mais, en se focalisant sur l'exercice du mandat plutôt que sur le nombre d'élections, comme le proposait la version amendée par l'Assemblée nationale (« Nul ne peut être élu plus de deux fois consécutivement. »), le texte adopté reste ouvert à une interprétation par le juge constitutionnel, là où d'autres Constitutions ont fait le choix de lever toute ambiguïté.

Le célèbre vingt-deuxième amendement de la Constitution des États-Unis, par exemple, se focalise en sa section 1 sur le nombre d'élections autorisées pour le Président, ainsi que pour d'éventuels remplaçants en cours de mandat : « Nul ne pourra être élu à la présidence plus de deux fois, et quiconque aura rempli la fonction de président, ou agi en tant que président, pendant plus de deux ans d'un mandat pour lequel quelque autre personne était nommée président, ne pourra être élu à la fonction de président plus d'une fois. »

En Europe, les régimes comparables au nôtre ont aussi fait preuve d'une plus grande clarté. Ainsi, l'article 123 de la Constitution du Portugal portant sur la rééligibilité du Président de la République prend bien soin d'expliciter la limite à deux mandats consécutifs et d'y ajouter un garde-fou : « Le Président de la République ne peut être réélu pour un troisième mandat consécutif ni pendant les cinq années suivant le terme du second mandat consécutif. » Le deuxième alinéa introduit même une provision en cas de démission : « Si le Président de la République renonce à l'exercice de son mandat, il ne pourra se porter candidat aux élections présidentielles suivantes, ni à celles qui se tiendraient sur les cinq années qui suivent sa démission. ». Nos voisins européens ont ainsi généralement fait le choix de porter l'attention sur le nombre d'élections permises. L'article 30 de la Constitution grecque dispose en son cinquième alinéa que « la réélection de la même personne n'est permise qu'une seule fois » ; tout comme l'article 12 de la Constitution irlandaise : « Une personne qui occupe ou a occupé la charge de président est rééligible à ce poste une fois, mais une fois seulement. » ; ou l'article 60 de la Constitution autrichienne : « La durée des fonctions du président fédéral est de six ans. Il ne peut être réélu consécutivement qu'une seule fois. »

En se concentrant sur l'exercice du mandat plutôt que sur la question de la réélection, la rédaction de l'article 6 de la Constitution française ouvre à interprétation la question de l'éligibilité d'un Président de la République qui démissionnerait au cours de son second mandat, laissant le Président du Sénat exercer l'intérim, avant de se représenter.

Cette question est revenue sur le devant de l'actualité depuis que le Conseil d'État a dû statuer sur l'éligibilité de M. Édouard Fritch pour un troisième mandat à la présidence de la Polynésie française en 2023. Le dernier alinéa de l'article 74 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose, en effet, que « le président de la Polynésie française ne peut exercer plus de deux mandats de cinq ans consécutifs ». Le premier mandat de M. Fritch n'ayant duré que 4 ans, il n'avait pas exercé deux mandats de cinq ans consécutifs et s'était donc vu autorisé à se présenter une troisième fois.

L'article 6 de la Constitution ne dit rien quant à la durée ou la complétude des deux mandats consécutifs autorisés au Président de la République. Si celui-ci venait à se représenter immédiatement après avoir démissionné de son second mandat, il reviendrait donc au juge constitutionnel de statuer sur son éligibilité ou sur un éventuel recours contre cette candidature.

Afin d'éviter que le Conseil constitutionnel, en grande partie nommé par le Président de la République lui-même, ne se retrouve dans la position inconfortable de statuer sur son éventuelle candidature à l'élection présidentielle, la présente proposition de loi organique propose de lever toute ambiguïté dans le texte de la Constitution, fidèlement à l'esprit du constituant qui visait à limiter à dix années consécutives l'exercice du pouvoir présidentiel. En effet, le rapporteur de la révision constitutionnelle de 2008 à l'Assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann, écrivait alors dans son rapport que « dix ans constituent un horizon admis comme assez long dans nombre de démocraties. Ce temps est suffisamment long pour permettre de conduire un programme politique très ambitieux. »

Le dernier alinéa de l'article 6 de la Constitution disposant que les modalités d'application de cet article sont fixées par une loi organique, il est possible de procéder à cette clarification par une modification de ladite loi organique. L'article unique de cette proposition de loi organique prévoit ainsi d'insérer un nouvel article dans la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel, pour y réaffirmer la règle selon laquelle tout mandat entamé, que celui-ci soit complet ou non, est considéré comme un mandat exercé au sens du deuxième alinéa de l'article 6 de la Constitution.

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