EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La gestion des déchets constitue un pilier essentiel de la transition écologique, laquelle repose notamment sur deux instruments fondateurs de notre droit environnemental : d'une part, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) - instaurée par la loi de finances du 31 décembre 1998 et entrée en vigueur le 1er janvier 2000 - représente l'un des leviers majeurs de l'écofiscalité française. Inscrite à l'article 266 sexies du code des douanes, elle vise à inciter les producteurs de déchets à réduire leurs volumes, conformément au principe « pollueur-payeur ». Elle a notamment vocation à s'appliquer aux déchets résiduels inévitables, c'est-à-dire les flux ultimes non recyclés et envoyés en incinération ou en stockage, dont la collecte et le traitement relèvent de la compétence des collectivités territoriales. D'autre part, la responsabilité élargie du producteur (REP), introduite dès les années 1990 et étendue à de nombreuses filières, impose aux metteurs sur le marché (fabricants, importateurs, distributeurs vendant sous leur propre marque) d'assumer la gestion de la fin de vie de leurs produits. Pour cela, ils recourent le plus souvent à des éco-organismes agréés chargés de la collecte, du recyclage et de la valorisation.

Or, vingt-cinq ans après la mise en oeuvre de ces outils structurants, force est de constater qu'ils rencontrent aujourd'hui des limites qui fragilisent leur efficacité et menacent l'équilibre entre producteurs, éco-organismes et collectivités territoriales.

Conçue comme une taxe incitative, la TGAP fonctionne aujourd'hui comme une charge lourde et peu soutenable. Ses recettes atteindront plus de 1,3 milliard d'euros en 2025, en hausse de plus de 400 % en cinq ans. Or, les collectivités territoriales acquittent 70 % de la TGAP sur les déchets, soit 850 millions d'euros en 2024. Pourtant, aucune redistribution directe ne leur bénéficie, alors qu'elles assurent l'essentiel du service public de collecte et de traitement des déchets. L'alourdissement mécanique de cette fiscalité fragilise les budgets communaux et intercommunaux, dans un contexte d'inflation persistante et de réduction des concours financiers de l'État.

Qui plus est, l'application uniforme de la TGAP ne tient nullement compte des profondes inégalités territoriales qui caractérisent la gestion des déchets en France. En effet, les communes rurales font face à des contraintes structurelles bien plus lourdes que les territoires urbains. Le coût de traitement d'une tonne de déchets en milieu rural peut atteindre jusqu'à deux fois celui observé en milieu urbain, notamment en raison des distances importantes à parcourir pour la collecte et l'acheminement vers les centres de traitement. Plus préoccupant encore, de nombreuses communes rurales ne disposent tout simplement pas des infrastructures nécessaires sur leur territoire : les incinérateurs et centres d'enfouissement techniques représentent des investissements de plusieurs dizaines de millions d'euros, inaccessibles pour la plupart des intercommunalités rurales. Ces territoires sont ainsi contraints soit de transporter leurs déchets sur de longues distances, avec les surcoûts que cela implique, soit de recourir à des solutions de traitement particulièrement onéreuses. L'application uniforme de la TGAP sur l'ensemble du territoire, sans distinction entre communes équipées et communes dépourvues d'infrastructures, aggrave donc les inégalités territoriales et pénalise injustement les territoires ruraux déjà fragilisés.

Cette situation remet en cause la cohérence même du dispositif : comment un outil destiné à encourager les bonnes pratiques peut-il rester efficace s'il fragilise financièrement ceux qui les mettent en oeuvre ? Dans son rapport de 2022 « Prévention, collecte et traitement des déchets ménagers : une ambition à concrétiser », la Cour des comptes rappelle que la TGAP doit inciter les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à privilégier la prévention et à intensifier les efforts de réduction des déchets résiduels, ou ordures ménagères résiduelles (OMR). Elle souligne que le « signal-prix » constitue un levier efficace, toutefois cette politique a entraîné des surcoûts considérables pour les structures locales. Plus encore, la hausse des tarifs de la TGAP s'applique indistinctement à tous les déchets alors que ceux-ci sont désormais mieux triés grâce à l'intervention des collectivités qui n'ont pourtant pas de contrôle sur les choix industriels de conception ou de recyclabilité, ni de pouvoir sur ces volumes.

Les associations d'élus partagent cette analyse et réagissent régulièrement aux évolutions législatives et réglementaires encadrant la taxe générale sur les activités polluantes. L'Association des maires de France (AMF) souligne que la TGAP « devient une simple sanction, loin des ambitions de développement et d'amélioration qui existaient lors de sa création ». De son côté, le Président de l'association Intercommunalités de France dénonce l'impact délétère de la hausse continue de la TGAP sur les marges de manoeuvre des collectivités. Il rappelle que la loi de finances de 2019 a entériné « une trajectoire haussière de la TGAP ». La progression continue des tarifs est particulièrement significative : la tonne de déchets stockée, facturée 17 euros en 2019, atteint désormais 65 euros en 2025. Ce sont in fine les ménages qui supportent ce surcoût, par le biais de taxes ou de redevances locales.

À ce déséquilibre s'ajoute un autre constat préoccupant, relevé par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat dans son rapport n° 786 du 25 juin 2025 sur l'application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC) : la gouvernance des éco-organismes demeure insuffisante et inadaptée aux objectifs poursuivis. De nombreuses filières REP prévues par la loi n'ont toujours pas été créées plusieurs années après leur annonce, retardant ainsi la mise en oeuvre effective du principe « pollueur-payeur ». Pourtant chargés de mettre en oeuvre la responsabilité élargie des producteurs (REP), nombre d'éco-organismes ne parviennent pas à atteindre les objectifs fixés par la réglementation et leurs cahiers des charges, sans qu'aucune sanction ne soit réellement appliquée. Les éco-organismes sont contrôlés par les metteurs sur le marché qui les financent. Ce conflit d'intérêts structurel, que l'Inspection générale des finances qualifie d'« incompatibilité » dans son rapport de juin 2024 sur les filières REP, conduit ces derniers à minimiser leurs contributions financières, au détriment des collectivités territoriales et des opérateurs de déchets.

La centralité excessive des producteurs, conjuguée à l'inefficacité des instances de concertation créées par la loi AGEC de 2020 (CiFREP et comités des parties prenantes), a conduit à un déséquilibre majeur dans les relations commerciales. Ce défaut de régulation induit une double injustice : les déchets que les éco-organismes n'ont pas su orienter vers le recyclage incombent alors aux collectivités, qui doivent en assurer la prise en charge tout en acquittant la TGAP afférente à ces tonnages.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi poursuit un double objectif. Le premier vise à rendre les éco-organismes pleinement comptables du respect de leurs obligations en instaurant une contribution applicable à la proportion de déchets gérés par les éco-organismes qui n'auraient pas été recyclés, au regard des objectifs fixés par la réglementation. Le montant de cette contribution sera établi sur la base du soutien à la tonne de déchets recyclée par l'éco-organisme, majoré de 50 %. Cette disposition vise à rétablir une équité fondamentale : il n'appartient pas au service public local d'assumer le coût des insuffisances des éco-organismes. Le second objectif consiste à affecter les recettes issues de cette contribution aux collectivités territoriales, qui assument la charge de la gestion des déchets non recyclés sur leurs territoires. Ce reversement permettra de compenser les coûts supportés par les services publics locaux de gestion des déchets et de financer les investissements nécessaires à l'amélioration des infrastructures de tri et de recyclage. Cette mesure établit ainsi un mécanisme de solidarité financière qui garantit que les ressources générées par la taxation des manquements aux objectifs de recyclage bénéficient directement aux acteurs publics qui en subissent les conséquences opérationnelles et budgétaires. Ces deux mécanismes complémentaires traduisent une même volonté : redonner à l'écofiscalité sa vocation première, celle d'un outil incitatif, juste et vertueux (article 1er).

Il s'agit à la fois de responsabiliser les producteurs en renforçant le rôle de régulation de l'État et de soutenir les collectivités dans leur mission de service public, sans laquelle aucune transition écologique ne peut réussir. Cette réforme pragmatique, attendue par les collectivités, conforme aux principes fondateurs de l'écofiscalité, est indispensable pour que chacun - producteurs, éco-organismes, collectivités et État - prenne sa juste part de responsabilité.

L'article 2 confie au Comité des finances locales la redistribution de cette contribution aux collectivités. Celui-ci, qui dispose déjà d'un pouvoir de décision et de contrôle en ce qui concerne la répartition des principaux concours financiers de l'État aux collectivités locales (article L. 1211-3 du CGCT), assurera ainsi une allocation équitable de ces ressources.

L'article 3 prévoit le gage financier.

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