EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors qu'un accord d'association avait été trouvé entre la Commission européenne et le Mercosur le 28 juin 2019, la position officielle de la France, devant l'ampleur de la menace que cet accord constituait en matière de distorsions de concurrence et pour la forêt amazonienne, poumon de la planète et réserve de biodiversité, a été, avec constance, de ne pas l'approuver tant qu'il ne remplirait pas trois conditions : ne pas augmenter la déforestation importée dans l'Union européenne, mettre l'accord en conformité avec l'accord de Paris, instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.

Une position encore rappelée au Salon international de l'agriculture par le président de la République, le 25 février 2023, pour qui « un accord avec les pays du continent latino-américain n'est pas possible s'ils ne respectent pas comme nous les accords de Paris et s'ils ne respectent pas les mêmes contraintes environnementales et sanitaires qu'on impose à nos producteurs ».

Cependant, à quelques jours de la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne qui a fait de cet accord commercial une priorité pour des raisons géopolitiques et d'affinités culturelles, les déclarations exprimant au plus haut niveau le souhait d'un accord rapide se multiplient de part et d'autre, en particulier depuis le retour à la tête du Brésil du président Lula, en visite officielle le 23 juin 2023 en France.

Dans ce contexte, les sénateurs des groupes Les Républicains et Union centriste du Sénat ont souhaité déposer une proposition de résolution relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur, insistant en particulier sur quatre aspects du problème.

Leur première alerte porte, de manière générale, sur le fait que les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont de toute évidence pas réunies pour la conclusion d'un tel accord.

Celui-ci comporterait bien sûr certains avantages : plus de 1 000 entreprises françaises sont actives au Brésil, et le Mercosur, à proximité immédiate de plusieurs territoires d'Outre-mer, constitue un ensemble économique émergent, de plus de 250 millions de consommateurs, disposant également de ressources précieuses, en particulier en métaux rares, utiles pour mener à bien la transition énergétique.

Les auteurs considèrent cependant que le rapprochement avec le président Lula ne doit pas rendre le Gouvernement oublieux de ses engagements pour le monde agricole et pour la défense de l'environnement.

En effet, les filières agricoles ont trop souvent, par le passé, été la monnaie d'échange dans les négociations commerciales. Cela ne peut plus durer, sous peine de mettre en péril la sécurité des approvisionnements agricoles et la traçabilité alimentaire en France et en Europe, portant de ce fait atteinte à la souveraineté alimentaire de l'Union et à la bonne information des consommateurs au sein du marché intérieur.

Alors que d'autres accords ont récemment été conclus avec la Nouvelle-Zélande et le Chili, et que d'autres négociations se poursuivent, notamment avec l'Australie et le Mexique, les auteurs de la proposition de résolution appellent à une pause dans les accords de libre-échange, tant que leur impact cumulé n'aura pas été dûment évalué, secteur par secteur.

Les auteurs demandent ainsi au Gouvernement, au Conseil et à la Commission de mettre davantage en regard la politique commerciale avec le contexte politique, économique et social de l'Union.

Des mesures miroirs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal ne figuraient pas dans l'accord avec le Mercosur et ne semblent pas en voie d'être inscrites dans l'instrument additionnel négocié en parallèle avec le Mercosur sur les questions environnementales. Il s'agit de la deuxième préoccupation des auteurs de la proposition de résolution.

L'accord prévoit l'octroi de quotas supplémentaires sans droits de douane ou avec droits de douane réduits pour 99 000 tonnes de boeuf, 180 000 tonnes de sucre, 1 million de tonnes de maïs, 650 000 tonnes d'éthanol et 180 000 tonnes de volaille, en l'absence, donc, de mesures miroirs qui interdiraient aux pays d'Amérique latine d'écouler des denrées produites sans respecter les méthodes de production ayant cours en Europe, sur le marché européen.

L'agriculture française et européenne ne supporterait pas longtemps la concurrence déloyale d'un tel afflux de poulets dopés aux antibiotiques, de maïs traité à l'atrazine ou de boeuf responsable de la déforestation, produits à l'autre bout du monde et bénéficiant des « tolérances à l'importation » de l'Union européenne, par exemple en matière de limites maximales de résidus.

Les auteurs de la proposition de résolution souhaitent que des mesures miroirs soient instituées et bénéficient d'un même niveau de suivi que les autres dispositions de l'accord.

Des garanties devraient de manière générale être recherchées plus systématiquement pour nos filières économiques dans nos relations commerciales avec le reste du monde, notamment par la généralisation du principe de réciprocité des méthodes de production, à travers le mécanisme des mesures miroirs, pour garantir une concurrence équitable avec les pays tiers. Il s'agit de la troisième demande des auteurs de la proposition de résolution.

Le rapport de la Commission européenne du 3 juin 2022 montre que les mesures miroirs sont parfaitement envisageables tout en respectant les règles de l'Organisation mondiale du commerce.

Or, alors que ces mesures constituaient une priorité de la présidence française de l'Union européenne au premier semestre 2022, elles n'ont connu que de très faibles avancées depuis lors, sous les présidences tchèque puis suédoise.

Cette absence de réciprocité dans les standards de production est pour le moins contradictoire avec l'agenda environnemental et social très ambitieux de la Commission, ce d'autant plus que les producteurs français et européens, et tout spécialement les agriculteurs, sont assujettis à des normes environnementales, sanitaires et de bien-être animal très exigeantes.

Une fois ces mesures miroirs mises en place, il sera bien sûr tout aussi crucial de renforcer la qualité et la quantité des contrôles aux frontières pour assurer que ces mesures soient effectivement opposables et ainsi garantir la cohérence de la politique commerciale commune avec les autres politiques de l'Union, en particulier avec la politique agricole commune.

Sur la forme, les auteurs ont enfin une quatrième et dernière inquiétude : ils pointent un grave souci de méthode, à travers la pratique de la Commission européenne consistant à découper les accords commerciaux pour isoler les dispositions relevant de sa compétence exclusive de celles relevant d'une compétence partagée avec les États membres. Bien que tirant les conséquences de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, cette pratique fragilise l'assise démocratique de la politique commerciale commune.

En ce sens, les auteurs invitent le Gouvernement, comme un préalable à la poursuite de négociations commerciales avec d'autres États tiers, à soumettre l'Accord économique et commercial global avec le Canada (CETA) à la ratification du Parlement français, adopté en 2016 et entré en application à 90 % en 2017, sans jamais passer devant le Sénat malgré ses demandes répétées.

Ils appellent de manière plus générale à s'opposer fermement à toute scission de l'accord avec le Mercosur, conformément à la position qu'a affirmée le Gouvernement devant le Sénat le 21 juin 2023, et des accords suivants. Ils réaffirment la nécessité, pour l'avenir, d'une meilleure association des parlements nationaux au processus de négociation des accords commerciaux internationaux, afin de le rendre plus respectueux de la démocratie et de la souveraineté des États membres.