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N° 222

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 8 février 2008

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 février 2008

PROPOSITION DE LOI

relative à une clarification contractuelle obligatoire des compétences entre la région et le département ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Hubert HAENEL, Francis GRIGNON, et Mme Fabienne KELLER

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Président du Conseil régional d'Alsace, Adrien ZELLER, en sa qualité de Président de l'Institut de la décentralisation, a souhaité à plusieurs reprises une clarification des compétences entre la région et le département.

Le débat sur le nombre excessif de niveaux de collectivités locales (communes, départements, régions) en France, et sur le déficit de transparence et d'efficacité qui en résulte, se porte en effet essentiellement sur le couple région/département. Chacun s'accorde à penser que l'échelon communal, ou désormais le plus souvent intercommunal, demeure indispensable pour répondre aux besoins immédiats de la population. En revanche, entre la commune, concrète et proche, et l'État, parfois abstrait et lointain, la question de l'existence conjointe de la région et du département, disposant chacun de la clause générale de compétence, revient sans cesse.

Dans ce débat sur l'avenir du couple département/région, plusieurs voies sont explorées.

Une première réponse est institutionnelle : elle vise à réclamer la suppression d'un des deux niveaux de collectivité ; sous l'influence notamment de la politique européenne, qui reconnaît de façon privilégiée la région comme interlocuteur local, la question de l'existence du département est souvent posée.

Autrement dit, il s'agirait, en supprimant les départements, d'intégrer les compétences aujourd'hui exercées par eux, soit au niveau de la région, soit au niveau des communautés d'agglomérations ou de communes.

Cette voie, fortement contestée par les départements, risque toutefois d'être longue et hasardeuse : quelle représentation garantir aux territoires les plus ruraux ? Quel avenir assurer à l'administration départementale ? Comment venir à bout des réticences des élus cantonaux ? Comment assurer la proximité et en particulier un accès facile des populations aux politiques sociales et aux services publics locaux ? La mise en oeuvre d'une telle réforme institutionnelle se comptera en années, voire en décades.

Une seconde réponse est fonctionnelle : elle cherche, à institutions constantes, à atteindre ce qu'il est désormais convenu d'appeler une « clarification des compétences ».

Dans cette seconde perspective, deux hypothèses distinctes méritent d'être examinées.

Dans le premier cas, la loi pourrait décider que les interventions du département et de la région seront alternatives, comme elle l'a déjà fait pour les politiques sociales, éducatives ou de transport. Quand le département intervient, la région n'intervient pas, et inversement ; cette approche vise à poursuivre la logique des blocs de compétences en la radicalisant ; elle signifie implicitement, sinon la suppression de la clause générale de compétence, du moins la réduction de son champ.

Édicté par la loi, ce partage des compétences présenterait toutefois de sérieuses difficultés de mise en oeuvre s'il devait être généralisé. Dans certains domaines (économie, environnement, culture, tourisme,...), la ligne de démarcation sera sans doute difficile à déterminer de manière uniforme et complète au plan national, entre les deux niveaux de collectivité. Si par exemple à la région est reconnue la compétence culturelle, est-il acceptable qu'un département ne puisse pas intervenir en faveur d'un festival d'envergure régionale qui se déroule sur son territoire ? Si les départements ont une compétence en matière de logements sociaux, faut-il pour autant que les régions n'interviennent plus dans la reconstruction urbaine ? La répartition de fait des rôles des deux collectivités est par ailleurs fort diverse selon les endroits du territoire national ; dans telle région, des habitudes de travail commun avec les départements, par exemple dans le vaste champ de l'économie (foncier, immobilier, pépinières, investissement, innovation, création, transmission, conseil, actions collectives, etc.) ont d'ores et déjà, peu ou prou, abouti à une répartition concrète et pratique des rôles qui pourrait ne pas correspondre à une prescription législative impérative et uniforme.

C'est pourquoi, la voie contractuelle apparaît comme la plus pragmatique et la plus réaliste des solutions.

Le citoyen a droit à la clarification des compétences ; il a le droit de savoir qui répond de quoi, quelle collectivité est comptable de quelle politique.

Pour garantir l'exercice effectif de ce droit mis à mal par l'enchevêtrement des compétences, régions et départements doivent s'entendre et clarifier leurs rôles respectifs. Notre constitution, révisée en 2003, incline d'ailleurs à ce travail de rationalisation entre collectivités ; elle indique clairement que, lorsque plusieurs collectivités interviennent sur un même champ, l'une d'entres elles peut organiser les modalités de leur action commune, reconnaissant ainsi implicitement la notion de chef de file.

Dans la pratique, dès lors que l'on constate que région et département interviennent simultanément sur le même objet, deux options permettent de mettre fin à cette confusion :

- soit l'une des collectivités renonce librement à intervenir , laissant l'autre collectivité intégralement responsable de la politique publique concernée ; ce n'est pas la loi qui l'imposerait, mais une concertation entre région et département ; sans garantir nécessairement des économies substantielles, puisqu'il faudra bien continuer à financer les services publics et les opérations aidées, l'exercice devrait néanmoins se révéler bénéfique : quand une collectivité abandonne un champ de compétence, elle peut en parallèle réduire ses frais administratifs et renforcer, s'il y a lieu, son action dans un autre domaine prioritaire pour elle et inversement ;

- soit les deux collectivités estiment nécessaire de continuer à intervenir chacune sur le même sujet ; mais dans cette hypothèse, l'une des deux est désignée comme chef de file et règle, avec la seconde, les modalités de leur intervention commune. Un contrat ou une convention entre elles deux ferait l'affaire.

En d'autres termes, l'obligation législative qui pèserait sur les collectivités ne serait pas, hors les champs de compétences obligatoires, d'intervenir ou de ne pas intervenir, mais de s'entendre sur la répartition des rôles et sur les conditions respectives de leur intervention propre.

Il y aurait là une obligation de clarification par la voie contractuelle entre collectivités qui répondrait au droit du citoyen à la transparence de l'action publique.

En cas d'échec de cette voie contractuelle, le représentant de l'État jouerait le rôle d'arbitre. Cette intervention de l'État, qui à première vue pourrait apparaître contraire à l'esprit même de l'autonomie des collectivités territoriales au fondement de la décentralisation, est justifiée : l'État n'exercerait rien d'autre que son rôle traditionnel, non pas celui d'autorité supérieure aux collectivités territoriales, mais celui tout simplement de garant du droit des citoyens ; en l'espèce, le respect du droit de chaque citoyen, de savoir qui exerce la responsabilité des politiques publiques locales, pour lesquelles il élit les responsables et paie l'impôt.

Il vous est donc proposé d'adopter les différents articles de la présente proposition de loi qui vise à clarifier les compétences entre la région et le département par la voie contractuelle.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Sur le territoire régional, la région et les départements dressent conjointement, pour chaque politique publique, la liste des domaines d'interventions pour lesquels ils interviennent sur le même objet et qui justifient soit un partage des rôles, soit l'organisation des modalités de leur action commune.

Pour chacun des domaines d'interventions communs ainsi recensés, la région et les départements déterminent, d'un commun accord, qui de la région ou du département est chargé d'exercer sur son territoire la compétence ou, à défaut, la responsabilité d'organiser les modalités de leur action commune. Ces décisions font l'objet de délibérations concordantes du conseil régional et des conseils généraux.

La collectivité chargée d'une telle responsabilité est désignée « collectivité chef de file ». Cette désignation est rendue publique.

Article 2

Les opérations visées à l'article 1 er sont effectuées au minimum lors de chaque renouvellement du conseil régional et des conseils généraux.

Les délibérations concernées du conseil régional et des conseils généraux sont transmises au représentant de l'État dans la région ou dans le département, au plus tard, six mois après chaque renouvellement.

À défaut de transmission de la totalité des délibérations dans le délai imparti, ou dans le cas de contradictions entre les termes des délibérations, le préfet de région, après avoir recueilli l'avis des préfets de département, arrête la liste des domaines d'interventions communs et désigne pour chacun d'eux la collectivité chef de file.

Article 3

Lorsque la région est désignée en qualité de collectivité chef de file dans un domaine d'intervention commun, elle conclut avec le département une convention pour déterminer le partage des rôles et organiser les modalités de leur action commune au titre du domaine concerné. À défaut de conclusion de cette convention, le département ne peut intervenir dans le domaine concerné.

Lorsque le département est désigné en qualité de collectivité chef de file dans un domaine d'intervention commun, il conclut avec la région une convention pour déterminer le partage des rôles et organiser les modalités de leur action commune au titre du domaine concerné. À défaut de conclusion de cette convention, la région ne peut intervenir dans le domaine concerné.

Lorsque la collectivité chef de file manque à ses obligations dans le domaine concerné, le préfet de région peut autoriser les autres collectivités à intervenir à ce titre.

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