N°394

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 avril 1998.

PROPOSITION DE LOI

relative au multisalariat en temps partagé,

PRESENTÉE

Par M. André JOURDAIN,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Travail. - Code du travail - Travail atypique.

EXPOSE DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Dans un environnement technologique et concurrentiel exacerbé, dans le contexte d'une économie mondialisée, les entreprises, pour demeurer compétitives, doivent optimiser leurs coûts, améliorer la qualité de leurs produits comme de leurs services.

Afin de devenir plus offensives et plus innovantes, elles ont un réel besoin du concours d'un type nouveau de collaborateurs, porteurs de compétences et de savoir-faire immédiatement opérationnels, et dont l'intervention n'est pas nécessairement liée à une activité à temps plein.

Les petites et moyennes entreprises, plus encore, pour relever le défi d'une compétition accrue, ont besoin de pouvoir engager de tels collaborateurs à la juste hauteur de leurs besoins.

En effet, parmi ces compétences indispensables au développement de l'entreprise, certaines sont peu ou pas assumées du tout, ou encore assumées en surcharge de travail par le chef d'entreprise, qui pourrait être ainsi utilement secondé.

Ces collaborateurs, ayant librement choisi ce mode de vie au travail, pourront organiser leur temps d'activité au service de plusieurs employeurs. Il s'agit de salariés multi-employeurs ou salariés à temps partagé. Si l'existence de tels salariés est déjà quelque peu effective, l'absence de réglementation spécifique garantissant à la fois les droits de l'employeur et de l'employé en empêche un développement plus intensif.

Le but de cette proposition de loi est d'apporter des éléments favorables à ce développement, en faisant reconnaître par la législation le travail à temps partagé, à côté du travail à temps plein ou du travail à temps partiel.

A la différence de ce dernier, parfois subi, et ne faisant intervenir qu'un seul employeur, le temps partagé établit un nouveau mode de collaboration fondée sur la coexistence de plusieurs contrats à temps partiel, sans pour autant en être la simple juxtaposition. En outre, le travail à temps partagé apporte, par sa nature même, des garanties supplémentaires pour les salariés.

En effet, alors que le temps partiel peut être modifié unilatéralement par un unique employeur, les contrats du multisalarié ne peuvent être modifiés sans l'accord explicite de celui-ci, notamment au niveau de la répartition du temps de travail comme au niveau de sa durée de façon à ne pas entraver l'exécution des autres contrats de travail.

Les dispositions légales en cours ne peuvent donc suffire, et nécessitent à ce titre la promulgation de dispositions spécifiques visant à conférer au salarié en temps partagé un statut distinct. Cependant, afin de conserver sa souplesse à l'ensemble des dispositifs contractuels, il conviendra de prévoir les conditions du passage d'un contrat de travail à temps plein, ou à temps partiel, à celui d'un contrat à temps partagé.

Sans déroger au droit du travail, le statut du travail à temps partagé, que la présente proposition de loi se donne pour objectif de définir, laisse une large autonomie à la volonté des parties contractantes comme, par exemple, l'introduction d'une éventuelle clause de non-concurrence. Ce type de contrat intéresse principalement, s'agissant des salariés, un public averti : cadres et techniciens supérieurs, susceptibles de négocier leur contrat. Concernant les emplois de moindre qualification (secrétariat, entretien...), qui peuvent être également concernés, la négociation pourra s'avérer plus difficile, et nécessitera à ce titre l'accompagnement éventuel d'associations compétentes.

Le statut envisagé ici ne concerne que l'organisation de la coexistence d'activités salariées dans le secteur privé. Ce statut pourra néanmoins être ultérieurement étendu à d'autres secteurs d'activités comme celui des collectivités locales, ou encore à la coexistence avec un mandat social ou à des activités non salariées.

Outre les dispositions présentes dans cette proposition de loi, un certain nombre de mesures réglementaires et conventionnelles, allant dans le sens d'une simplification administrative, devront compléter ce dispositif, en particulier pour ce qui concerne le régime des assurances sociales, des retraites complémentaires et de l'assurance chômage.

Ainsi sera-t-il requis une concertation entre les partenaires sociaux gestionnaires des différents organismes concernés afin qu'un organisme centralisateur inspiré de l'exemple de gestion des VRP multicartes ou une caisse-pivot relevant du modèle de celle prévue par le décret n° 97-362 du 16 avril 1997 en application de l'article 34 de la loi du 27 janvier 1993 sur la pluriactivité, puisse voir le jour.

De même, un accord interprofessionnel, tenant lieu de convention collective, est-il vivement souhaitable pour l'adoption de règles identiques concernant notamment les durées et taux de compléments de salaires pour maladie ou accident, la durée des congés annuels.

En attendant la conclusion de cet accord, les parties peuvent choisir d'appliquer une convention collective commune afin d'unifier les droits du multisalarié. A défaut, celle de chaque employeur s'appliquera.

Enfin, s'agissant de l'examen médical prévu à l'article R 241-51 du code du travail, il conviendra que le ministre chargé du travail et des affaires sociales permette qu'il soit effectué à l'initiative de l'employeur auprès duquel s'effectue le travail pendant cette période.

La reconnaissance légale du travail à temps partagé, assortie des dispositions réglementaires et conventionnelles destinées à en faciliter l'exercice, sans constituer une panacée universelle de développement des entreprises pas plus qu'une solution miracle pour l'emploi, a néanmoins l'ambition d'être une réponse adaptée aux nécessités de compétitivité de l'entreprise, ainsi qu'aux aspirations de salariés souhaitant développer un autre mode de vie au travail.

Les mesures que nous proposons ici sont de nature à établir un cadre juridique plus approprié pour les salariés comme pour les employeurs, ainsi qu'à dynamiser les temps nouvellement dégagés par le souci constant d'une meilleure organisation du travail, recherchée en permanence par les entreprises.

D'ailleurs, le Gouvernement, dans son plan d'actions national pour l'emploi, s'interroge sur les dispositions à prendre pour permettre le développement du multisalariat.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d'adopter cette proposition.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

La section II du chapitre II du titre I er du livre II du code du travail est ainsi modifiée :

I. - Le paragraphe 3 « Encouragement à la pratique du sport » devient le paragraphe 4 et l'article L. 212-4-8 devient l'article L. 212-4-11.

II. - Après l'article L. 212-4-7, il est inséré un paragraphe 3. « Travail à temps partagé » ainsi rédigé : « paragraphe 3. - Travail à temps partagé ».

« Art. L. 212-4-8. - Le travail à temps partagé est l'exercice par un salarié pour le compte de plusieurs employeurs de sa ou de ses compétences professionnelles dans le respect des dispositions applicables sur la durée du travail.

« Le contrat de travail des salariés à temps partagé est un contrat écrit. Il mentionne notamment :

« - sa durée,

« - la qualification du salarié,

« - les éléments de la rémunération et peut prévoir les modalités de calcul de la rémunération mensualisée indépendamment du temps accompli au cours du mois lorsque le salarié à temps partagé est occupé sur une base annuelle,

« - la convention collective éventuellement appliquée par l'employeur et, le cas échéant, les autres dispositions conventionnelles applicables,

« - la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle ou annuelle,

« - la répartition de cette durée entre les jours de la semaine ou entre les semaines du mois ou de l'année. Quand cette répartition ne peut être préalablement établie, un avenant au contrat de travail la définit ultérieurement,

« - la possibilité de modifier cette répartition ou la durée du travail par accord des parties,

« - la procédure selon laquelle le salarié à temps partagé pourra exercer son droit à congés annuels,

« - la liste des contrats de travail en cours. Toute modification de cette liste est portée à la connaissance de chacun des employeurs par lettre recommandée avec accusé de réception.

« - II en est de même de toute modification d'un contrat de travail portant sur la durée du travail ou sa répartition ou sur tout élément de nature à entraver l'exécution d'un autre contrat de travail. Le salarié à temps partagé doit obtenir l'accord du ou des employeur(s) concerné(s) préalablement à la conclusion d'un nouveau contrat de travail avec un employeur concurrent d'un précédent,

« - l'engagement de l'employeur de ne prendre aucune mesure qui serait de nature à entraver l'exécution par le salarié de ses obligations à l'égard de ses autres employeurs,

« - l'engagement du salarié de respecter pendant la durée du contrat comme après sa rupture une obligation de discrétion sur toutes informations concernant chaque employeur,

« - l'engagement du salarié à temps partagé de respecter les limites fixées par l'article L. 212-7 du code du travail.

« Art. L. 212-4-9. - Les organisations gestionnaires des régimes de retraite complémentaire engagent une concertation afin d'adapter si besoin leurs dispositions actuelles ou conclure de nouvelles dispositions afin de faciliter l'exercice d'emplois à temps partagé. Il en est de même des organisations gestionnaires du régime des travailleurs privés d'emploi et de celles chargées de la gestion des assurances sociales. »

« Art. L. 212-4-10. - L'abattement de cotisations patronales prévu à l'article L. 322-12 est applicable, sous réserve des autres conditions définies par cet article, à chaque employeur d'un salarié à temps partagé dont les contrats de travail répondent aux conditions définies par l'article L. 212-4-8 sans préjudice des articles 212-4-2 et 212-4-3 quelle que soit la durée minimale du travail convenue contractuellement. Le décret n° 93-238 du 22 février 1993 est modifié en conséquence. »

Article 2

Le 12° de l'article L. 133-5 du code précité est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« g) Pour les salariés à temps partagé, l'adaptation, en tant que de besoin, des dispositions de la convention collective à cette catégorie de salariés. »

Article 3

I. - Le 1° de l'article L. 411-2 du code de la sécurité sociale est
complété par une phrase ainsi rédigée :

« II en est de même de l'accident survenu sur le parcours effectué entre deux employeurs d'un salarié répondant aux conditions de l'article L. 212-4-8 du code du travail. »

II. - Le troisième alinéa (a) de l'article 1146 du code rural est
complété par une phrase ainsi rédigée :

« II en est de même de l'accident survenu sur le parcours effectué entre deux employeurs d'un salarié répondant aux conditions de l'article L. 212-4-8 du code du travail. »

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