N°344

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 mai 1999.

PROPOSITION DE LOI

relative à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie

et aux combats en Tunisie et au Maroc

PRÉSENTÉE

Par M. Guy FISCHER, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Robert BRET, Michel DUFFOUR, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Afrique du Nord.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

En cette fin de siècle, la France a été confrontée, tant sur son territoire que hors de ses frontières, à d'importants conflits - mondiaux, internationaux ou locaux - dont les conséquences comme les enseignements s'inscrivent dans son histoire et sa mémoire collective.

La Seconde Guerre mondiale a été suivie de conflits meurtriers, auxquels ont succédé des initiatives visant à la réconciliation des peuples belligérants, et nous devons rendre hommage aux anciens combattants et victimes de guerre qui, par le canal de leurs associations, ont souvent joué le rôle de précurseurs incitant les gouvernements à s'engager dans cette voie.

Il en fut ainsi, rappelons-le, du rapprochement d'anciens combattants français et allemands. L'importance des organisations internationales (Fédération internationale des résistants, Confédération des anciens combattants prisonniers de guerre, Fédération mondiale des anciens combattants) est exemplaire en ce sens, tant pour le rapprochement et la coopération entre adversaires d'hier que pour leurs initiatives en faveur de la paix, du désarmement, du règlement des conflits par d'autres voies que la force, l'amitié et la coopération entre les peuples.

Soulignons particulièrement le lieu de rencontre qu'est la Fédération mondiale des anciens combattants, permettant depuis des années la rencontre d'anciens combattants français et d'anciens combattants moudjahidin algériens.

Les gouvernements eux-mêmes, sous cette impulsion, se sont non seulement efforcés d'honorer le droit à réparation de leurs propres anciens combattants (avec les difficultés que l'on sait !), mais ils se sont peu à peu engagés dans une reconnaissance de cette obligation de vérité historique sans laquelle aucune réconciliation véritable, aucune coopération fructueuse ne peuvent être durablement construites.

Le Gouvernement français a également reconnu le droit à réparation des anciens combattants, mutilés, ayant droits et ayant causes indochinois du Viêt-nam d'aujourd'hui.

Il annonce aujourd'hui son intention d'en finir enfin avec ce lamentable scandale que constitue la cristallisation des pensions des ex-coloniaux ayant combattu pour la France sous les plis de son drapeau.

Une seule exception demeure, et elle est d'importance : c'est l'attitude officielle de la France face à sa «période» algérienne entre 1954 et 1962.

Durant ces années tragiques, près de trois millions d'hommes furent mobilisés et lancés dans ce que le vocabulaire officiel appelait « opérations de police » et « maintien de l'ordre ».

Or, cette guerre - car il faut bien l'appeler ainsi, comme le réclament les anciens combattants et victimes de guerre et l'opinion publique depuis longtemps - a coûté à la France la mort de près de 30 000 de ses fils, des parents éplorés, des veuves et des orphelins, sans oublier les 300 000 blessés ou malades, le million - voire plus -d'hommes revenus traumatisés et qui réclament justice aujourd'hui.

Nous ne pouvons pas oublier les centaines de milliers de morts et de disparus affligeant le peuple algérien ; ni la disparition restée non élucidée, à ce jour, de plusieurs centaines d'Algériens le 17 octobre 1961 sous l'autorité du préfet de police de Paris, Maurice Papon ; ni les massacres perpétrés par l'OAS.

Une guerre qui menaça les fondements de la République et amena les transformations profondes que nous vivons encore aujourd'hui à travers l'application de la Constitution de 1958.

Quarante-cinq ans après l'éclatement de cette guerre, trente-sept ans après le cessez-le-feu, proclamé officiellement sur le terrain le 19 mars 1962 à midi, première conséquence des accords d'Evian signés par le Gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) le 18 mars, n'importe-t-il pas d'officialiser ce qui n'est, jusqu'ici, qu'implicitement reconnu ?

La législation française, avec bien du mal il est vrai, a reconnu la qualité de combattant (droits et devoirs) à ceux qui - sous certaines conditions - ont servi dans l'armée française en Afrique du Nord durant cette période.

Le code des pensions militaires d'invalidité a pris en compte - même si c'est encore imparfait et nécessite d'aller plus avant - le droit à réparation des blessés, des malades, des ayants droits et ayants cause, des victimes civiles, etc...

Les plus hautes autorités de l'Etat - le Président de la République, M Jacques Chirac, comme le Premier ministre,

M. Lionel Jospin et le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, M. Jean-Pierre Masseret - ont fermement affirmé la nécessité d'accepter pleinement cette réalité historique.

Le 28 février 1999, une nouvelle plaque était inaugurée sous l'Arc de Triomphe qui honore la mémoire des « morts pour la France lors de la guerre d'Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc 1952-1962».

Nous partageons ces initiatives et voulons tout mettre en oeuvre pour que notre pays entre dans le troisième millénaire débarrassé de tout contentieux historique envers son peuple, sa jeunesse et les peuples du monde.

Alors même qu'est réaffirmé officiellement avec force l'aspect capital pour l'avenir d'une reconnaissance historique fortement enracinée auprès des jeunes générations, une volonté commune émane des anciens combattants comme de la population française.

Elle contribuera aussi à renforcer les bases de réconciliation entre le peuple français et le peuple algérien, à un moment où ce dernier connaît les tragédies que l'on sait, tandis que le peuple français doit faire face aux résurgences racistes et xénophobes que veulent lui imposer les violences des tenants du néo-facisme.

Cette relecture de l'Histoire, cette clarification et le rétablissement de cette vérité historique est de nature à rendre plus visible et plus compréhensible cette période par la jeunesse, à qui nous avons le devoir de transmettre le flambeau de la mémoire.

Il en fut ainsi, en d'autres temps, de la réconciliation entre les peuples français et allemand. Il en sera ainsi, demain, si notre Assemblée prend la décision solennelle que nous lui proposons aujourd'hui.

Sous le bénéfice de ces dispositions, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le premier alinéa de l'article L. 1 er bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, ainsi que tous les textes officiels qui en ont découlé, est ainsi rédigé :

«La République française reconnaît, dans des conditions de stricte égalité avec les combattants de conflits antérieurs, les services rendus par les personnes qui ont participé - sous son autorité - aux combats en Tunisie et au Maroc, et à la guerre en Algérie entre le ler janvier 1952 et le 2 juillet 1962. »

Article 2

De fait, les termes « opérations de maintien de l'ordre » ou « opérations d'Afrique du Nord» sont désormais remplacés dans tous les textes législatifs ou réglementaires, sur les titres de reconnaissance de la Nation, brevets de pension, etc..., délivrés à ce titre, sur tous les monuments, stèles, plaques commémoratives portant trace de ce moment dramatique de l'Histoire de la France et de l'Algérie, par l'expression « combats de Tunisie, Maroc et guerre d'Algérie ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page