Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technoloqiques

28 mars 2007 - organisée par MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier dans le cadre de l'étude sur "Les apports de la science et de la technologie au développement durable"

Table des matières

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INTRODUCTION GÉNÉRALE :
DU CHOC CLIMATIQUE AU CHOC BIOLOGIQUE

Pierre LAFFITTE

Mesdames et Messieurs, je vous remercie d'assister à cette première audition publique sur la seconde partie de notre étude. Celle-ci a été intitulée « La biodiversité, l'autre choc », en référence à un premier choc, le choc énergétique, dont l'étude des conséquences a été présentée au mois de juin 2006.

La démarche générale de cette étude consiste à analyser les apports de la science et de la technologie au développement durable. La première partie, intitulée « Changement climatique, transition énergétique : dépasser la crise » , visait à dénoncer notre modèle énergétique mondial. En effet, à l'occasion des missions que nous avons réalisées dans plusieurs pays étrangers, notamment en Chine, aux Etats-Unis et au Japon, mais également au contact d'un grand nombre de scientifiques, qui nous ont fait part de leur immense inquiétude à ce sujet, nous avons constaté que le changement climatique a déjà produit un certain nombre d'effets.

Notre rapport a été élaboré en suivant la méthode traditionnelle de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, c'est-à-dire en tirant des conclusions à partir d'une série d'auditions d'acteurs scientifiques et en formulant les propositions législatives ou réglementaires nécessaires pour que ce type d'étude ne reste pas dans les tiroirs mais se traduise par des décisions au niveau politique.

Nous avons tout d'abord proposé d'intégrer la prise en compte du changement climatique dans les mécanismes de la mondialisation. Il convient en effet que, lorsqu'ils élaborent des règles internationales, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et les autres organismes internationaux tiennent compte de ces problèmes, qui sont par nature mondiaux et qui concernent l'avenir de la planète.

S'agissant de la France, nous avons indiqué que nous souhaiterions créer une fiscalité spécifique pour financer la transition énergétique. Bien que cette proposition soit loin de faire l'unanimité, elle nous semble constituer une solution concrète nécessaire. Ainsi, avons-nous suggéré :

que la taxe d'importation sur les produits pétroliers (TIPP) soit augmentée de 1 % chaque année pendant dix ans ;

qu'une vignette « carbone » soit établie ;

qu'une taxe spécifique pour la circulation des poids lourds sur autoroute soit introduite.

Il conviendrait également d'élaborer des structures qui intègrent la notion de transition énergétique, au plus haut niveau de l'Etat, avec des responsables de projet pour le développement de chacune des filières énergétiques.

Il s'agit d'opérations lourdes nécessitant une décision à long terme et concernant l'ensemble du pays. C'est pourquoi ce rapport a été élaboré par des représentants des partis politiques de droite comme de gauche. Le développement durable ne doit pas en effet être envisagé comme un problème de « politique politicienne » mais comme une question politique au sens noble du terme, c'est-à-dire un problème d'avenir.

Claude SAUNIER

Je remercie non seulement les intervenants d'avoir répondu à notre invitation mais également les participants qui ont choisi d'assister à cette journée d'audition publique. Celle-ci prend place dans un dispositif institutionnel classique, au cours duquel nous invitons des personnalités scientifiques à nous transmettre un certain nombre d'informations que nous pourrons par la suite intégrer dans notre rapport.

En prolongement des propos de Pierre Laffitte, je vous présenterai le contexte dans lequel s'inscrit ce rapport ainsi que le déroulement de la journée.

Ce rapport, consacré à la biodiversité, constitue la suite logique du travail que nous avons réalisé il y a quelques mois sur la crise climatique. Nous nous sommes inspirés de la même méthode et de la même philosophie, consistant à intégrer la question du développement durable au sein de la réflexion politique. Pour ce faire, nous avons tenu à utiliser une approche positive et constructive et à ne pas nous contenter de lancer des alertes visant à effrayer nos concitoyens.

Néanmoins, nous avons constaté qu'à la différence du sujet précédent, auquel le public commence à être sensibilisé, nous avons un certain retard à rattraper en matière de biodiversité.

Le Sénat est néanmoins très en avance dans cette démarche puisqu'il y a quelques mois, à l'initiative de Marie-Christine Blandin, dont je salue la présence parmi nous, de Jean-François Legrand et d'Hubert Reeves, des Assises intitulées « Ensemble pour la biodiversité » y ont été organisées. A l'issue de cette journée, l'idée de la création d'un groupe interparlementaire devant mener une réflexion approfondie sur le développement durable a été lancée.

Ces approches, dont il convient de souligner la convergence, nous semblent d'autant plus nécessaires que la problématique des menaces pesant sur la biodiversité n'est pas encore ancrée dans les esprits de nos concitoyens.

Les premiers contacts que nous avons eus avec différents acteurs scientifiques nous ont amenés à formuler un certain nombre de constats très généraux.

Tout d'abord, en nous entretenant avec certains d'entre vous, nous avons acquis la conviction que nous connaissions, depuis plusieurs décennies, une crise majeure du monde vivant se traduisant par un risque fort d'effondrement de la biodiversité. C'est pourquoi nous avons délibérément choisi de sous-titrer notre rapport « l'autre choc », en guise de réplique au « premier choc », c'est-à-dire le choc énergétique, celui dont tout le monde a conscience.

Par ailleurs, ce choc illustre le télescopage des deux évènements majeurs qui structureront l'avenir de la planète et de l'humanité dans les prochaines décennies.

Il s'agit, d'une part, de l'établissement d'un nouveau rapport de force entre la planète et l'humanité. En effet, nous ne pouvons pas envisager de passer impunément d'une planète peuplée par un milliard d'hommes en 1800 à six milliards d'individus en 2000 et près de neuf milliards en 2050, d'autant plus que, parallèlement, ces individus ont vu leurs pouvoirs scientifiques et technologiques s'accroître considérablement.

D'autre part, qu'il s'agisse de la biodiversité ou de la crise énergétique, il convient de prendre en compte l'accélération du temps. En effet, si au cours de l'histoire notre planète a fait preuve d'une extraordinaire capacité d'adaptation, celle-ci n'a été possible que parce qu'elle s'est effectuée dans des durées longues.

A partir de ces conclusions, nous avons dégagé trois grandes questions qui structurent à la fois notre rapport et l'organisation de nos présents débats.

Nous pouvons tout d'abord nous demander quelle est la réalité de la situation. En d'autres termes, comment évolue la biodiversité et quels sont les risques qui la menacent ?

Et, puisqu'il nous semble acquis que la biodiversité régresse, nous pouvons nous interroger sur les mesures qui doivent être prises, immédiatement et dans le terme, pour éviter le pire.

Enfin, dans le souci de dépasser la crise, la question se pose de savoir comment, à travers une meilleure connaissance de la biodiversité, l'humanité peut se donner de nouvelles perspectives de développement.

En conclusion, aujourd'hui, notre principal objectif consiste à vous écouter. En effet, malgré quelques intuitions, que nous sommes d'ailleurs tout à fait prêts à remettre en cause, nous n'avons aucune certitude. La démarche du politique se distingue sur ce point de celle du scientifique. En effet, alors qu'il est souvent attendu des politiques qu'ils affichent des certitudes, nous allons épouser la démarche scientifique qui consiste à mettre en avant le doute et l'interrogation.

I. PREMIÈRE TABLE RONDE : CONNAÎTRE LA BIODIVERSITÉ

Participaient à la table ronde :

? René BALLY , Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Directeur de l'UMR « Écologie microbienne »

? Robert BARBAULT , Université Pierre et Marie Curie, Directeur du laboratoire « Écologie, biodiversité, évolution et environnement »

? Jean BOUCHER , Directeur de recherche à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

? Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS , Directeur de recherche à l'Institut national de recherche agronomique (INRA)

? Bernard MALLET , Directeur adjoint du département « Environnement et sociétés » du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

? Christine SOURD , Directrice adjointe chargée de la biodiversité, World Wildlife Fund (WWF)

? Simon TILLIER , Professeur au Muséum national d'histoire naturelle.

Pierre LAFFITTE

Il m'appartient d'introduire très brièvement cette table ronde sur la biodiversité.

Je préciserai tout d'abord que celle-ci constitue une réalité mal connue. Il suffit en effet de rencontrer certains élus locaux de province pour constater les réactions négatives qu'engendre la protection de la diversité, qui semble aller à l'encontre d'un certain nombre d'intérêts économiques. Ces réactions prouvent que, si la population est consciente du dérèglement climatique, elle n'est pas convaincue de la nécessité d'examiner, d'étudier et de comprendre les menaces pesant sur la biodiversité. De même, les apports de la biodiversité demeurent largement méconnus.

Les dernières découvertes scientifiques, notamment en matière de biologie moléculaire, qui permet d'appréhender le capital génétique des espèces, ont démontré que, contrairement à ce que nous croyions il y a 25 ans, l'étendue et la variété des espèces visibles et des bactéries sont encore loin d'être totalement appréhendées.

Cette méconnaissance de la réalité qui nous entoure constitue un premier problème.

Grâce aux méthodes d'exploration océanique à grande profondeur, nous avons pu apercevoir de nouvelles formes de vie, évoluant dans un environnement très différent. Ces observations sont un exemple de la nécessité d'approfondir nos connaissances en termes de nouvelles espèces et d'étude des écosystèmes.

Ce dernier point est important, car jusqu'à présent les espèces ont fait l'objet d'études beaucoup plus importantes que les écosystèmes. Des efforts prononcés doivent donc être réalisés dans ce domaine.

Claude SAUNIER

Nous avons déjà recueilli un certain nombre d'informations sur l'état de la biodiversité et son évolution. Je me permettrai, en toute modestie, de vous faire part de nos premières observations.

L'essentiel de notre constat se résume en quelques formules.

Le bilan de la biodiversité apparaît catastrophique. Le rythme de disparition des espèces s'accélère. Ainsi, au cours des 200 dernières années, toutes espèces confondues, ce rythme aurait été de 10 à 100 fois supérieur au rythme naturel observé au cours des derniers 500 millions d'années. D'ici 2050, selon les espèces, ce rythme de disparition pourrait passer, selon les espèces considérées, à un rythme de 100 à 1000 fois supérieur au rythme normal.

Au-delà des chiffres, il convient de garder à l'esprit l'orientation générale de cette alerte.

Certains biotopes sont particulièrement menacés.

Les milieux humides et les eaux continentales ont vu une réduction de la biodiversité de 37 % au cours des trente dernières années.

Dans l'Atlantique Nord, la chaîne pélagique, telle qu'elle a été mesurée par l'IFREMER, a connu une perte de biodiversité de l'ordre de 7 %.

Nous avons également assisté à une disparition de 20 % des coraux en trente ans. Je rappelle à ce titre, qu'au travers de sa présence en Guyane, à La Réunion et dans le Pacifique, la France a une responsabilité majeure en termes de préservation de la biodiversité, notamment au niveau maritime.

Par ailleurs, il ne reste que 7 % de la forêt tropicale sèche de Madagascar tandis que la forêt tropicale humide perd chaque année 13 millions d'hectares.

La biodiversité européenne elle-même est atteinte au travers de la pollution des eaux continentales, notamment par les pesticides. En dehors des zones protégées, la faune avicole y aurait diminué de 50 % à 70 % au cours des dernières décennies.

En ce qui concerne les océans, la principale cause de cet effondrement réside dans la surpêche, illustrée par la surexploitation des bancs de Terre-Neuve. Telle qu'elle est pratiquée, qu'elle soit artisanale ou industrielle, la pêche dévaste les ressources halieutiques, d'autant plus que les moyens techniques modernes permettent le chalutage en grande profondeur, altérant ainsi des réserves qui ne se renouvellent pas au rythme de la prédation. A titre d'exemple, il semble que dans certains secteurs de la Mer du Nord, les fonds marins soient dragués deux fois par an, ce qui est très préoccupant au regard des dégâts provoqués par le chalutage.

L'exploitation forestière non contrôlée constitue une seconde cause de cet effondrement. La forêt est très menacée en Asie du Sud-Est. Au Brésil, le déboisement s'effectue à marche forcée, la forêt amazonienne étant elle-même atteinte. Si l'essentiel (80 %) de la déforestation au Brésil est imputable à la consommation intérieure et, curieusement, à la fabrication de charbon de bois à des fins sidérurgiques, nous avons, en tant que consommateurs, une responsabilité partagée en ce qui concerne la recherche de bois précieux.

La perte de biodiversité s'explique également par l'anthropisation directe. A ce titre, j'évoquais précédemment le rapport entre l'espace, la nature et l'humanité. Ainsi, l'Allemagne perd-elle chaque jour 100 hectares d'espaces naturels, du fait de l'urbanisation, des équipements, de la minéralisation des sols.

Au Brésil, le tracé d'une nouvelle route dans un espace naturel suppose des impacts graves sur la biodiversité à 50 km de part et d'autre de cette route.

La quatrième raison de l'altération de la biodiversité réside dans la mondialisation des échanges. Ainsi, dans les grands lacs américains, nous avons découvert les effets indirects du développement des transports maritimes au travers de la pollution biologique liée aux eaux de ballastage, avec l'apparition de nouvelles espèces, comme la moule tigrée ou la lamproie de mer, qui déstructurent complètement les équilibres de la biodiversité de cette région du monde. Étant moi-même originaire de Bretagne, j'évoquerai la rupture de l'équilibre de la biodiversité liée à l'invasion des crépidules sur toutes les côtes de la Manche.

En guise d'illustration de ces dégâts, je vous présente quelques photos prises en Guyane, où j'ai été accueilli par le CNRS pendant quelques jours. Sur ces photos, vous pouvez constater la différence qui existe entre la forêt guyanaise telle que nous en rêvons et les parties ravagées par l'orpaillage.

Lors d'un survol en hélicoptère d'une demi-heure, pour rejoindre la base du CNRS, nous avons pu observer quinze à vingt chantiers d'orpaillage. Une partie significative de ces chantiers est illégale, ce qui pose une véritable question politique. En effet, le département de la Guyane fait-il partie de la République française ou s'agit-il d'une zone de non-droit ?

Robert BARBAULT

Suite à cette magistrale présentation de l'ensemble des problèmes qui affectent la biodiversité, je m'exprimerai d'une manière qui paraîtra sans doute simpliste aux yeux des spécialistes présents dans la salle.

Le fait que le terme « biodiversité » se réfère principalement à l'étude de petits papillons, d'oiseaux, de microbes, etc. explique le désarroi des citoyens face à cette thématique.

Il conviendrait donc de la présenter autrement, en insistant sur le fait qu'il s'agit du « tissu vivant de la planète », donnant ainsi une autre dimension au problème de la biodiversité. En effet, notre présence sur cette planète n'a été possible que parce que la vie s'y est installée et développée, permettant ainsi la constitution de l'atmosphère.

Par conséquent, au-delà des milliards d'espèces, de microbes de plantes, d'animaux, d'êtres humains etc. qui la composent, la biodiversité se caractérise par une multitude d'interactions qui forment le tissu vivant, système dont toutes les mailles sont liées et qui vont plus loin qu'un simple catalogue d'espèces.

Marqué par une immense diversité génétique, à l'origine de toutes les diversités du vivant, ce tissu fait système, dans un écosystème et une biosphère au sein desquels les sociétés d'hommes se sont développées.

Celui-ci connaît actuellement un certain nombre de problèmes, dus au succès de l'espèce humaine et notamment à la multiplication de ses besoins liée à la croissance d'une population de plus en plus consommatrice.

Ce n'est que récemment que nous avons pris conscience du fait que l'accroissement de ces activités nous conduisait à détériorer le système qui sert à notre propre développement, la civilisation moderne s'étant fondée sur une séparation totale entre les hommes et la nature. Alors que nous étions en train de scier la branche sur laquelle nous étions assis, nous avons pendant longtemps relativisé cette réalité, soit par incompréhension, soit parce qu'elle aurait dérangé un certain nombre d'intérêts.

Ces interactions, qui doivent être prises en compte à l'échelle de la planète, sont néanmoins particulièrement difficiles à analyser en raison de la complexité du vivant, qui s'est élaboré sur des milliards d'années. Nous ne mesurons pas en effet le caractère précieux de cette biodiversité, fruit d'un temps extrêmement long, d'évolutions, d'inventions et d'interactions subtiles, y compris de coévolutions dont nous avons bénéficié.

Ainsi, la diversité sauvage n'est-elle pas la seule à être menacée. Il convient également de prendre en compte la diversité domestique que nous avons contribué à créer et à entretenir pour nos propres besoins. Le type de développement économique que nous avons adopté se traduit en effet par des risques d'appauvrissement des variétés domestiques, animales et végétales.

En définissant le sujet de cette façon, il est évident que, si les disciplines naturalistes classiques (la systématique, l'écologie, etc.) sont les premières concernées, les disciplines biologique et génétique ainsi que l'ensemble des compétences en sciences sociales méritent d'être mobilisées, pour mieux appréhender les relations entre systèmes naturels et systèmes sociaux.

L'ampleur des connaissances à utiliser explique qu'il soit aussi difficile de communiquer sur ce sujet. Néanmoins, c'est également ce qui peut nous encourager à chercher de nouvelles solutions en termes de relance de l'économie des sociétés humaines.

Bien que nous n'en manquions pas, ces connaissances sont fragmentaires. Ainsi, en termes d'inventaire du vivant, nous constatons que 90 % des espèces n'ont pas été identifiées. S'agissant du fonctionnement de ces écosystèmes, en revanche, il existe tout de même une science écologique qui a donné lieu à des développements en termes de modélisation, d'analyse mathématique de la bio-complexité, de savoirs génétiques, etc.

Néanmoins, des défis scientifiques considérables demeurent, ce qui me semble plutôt stimulant.

Ainsi, si nous sommes confrontés à une crise sérieuse, il me semble que nous avons les moyens d'y répondre, à condition de poser les problèmes clairement. En termes de lacunes, outre le fait que nous ne connaissons pas suffisamment le nombre d'espèces, nous avons besoin de développer des instruments de suivi et de quantification des changements. En effet, dans la mesure où nous nous situons dans un monde marqué par les conflits d'intérêt, nous devons pouvoir nous appuyer sur des données fiables, allant au-delà du sentiment que tout se dégrade, ce qui requiert la mise en place d'observatoires de suivi de la biodiversité et d'indicateurs.

René BALLY

J'aimerais vous faire part de l'extraordinaire diversité des micro-organismes. Ces derniers ne sont en effet pas très souvent évoqués, contrairement aux espèces végétales et animales. Il s'agit pourtant des organismes vivants les plus nombreux sur terre.

Cette diversité est inégalement répartie sur la planète. Ainsi, existe-t-il des « hot spots » de biodiversité, qui sont malheureusement, comme l'île de Madagascar, ceux qui posent le plus de problèmes en termes d'urbanisation, de pollution et de déforestation.

Or lorsqu'une une forêt de baobabs, comme celle de Menabe à Madagascar, disparaît, nous perdons l'opportunité de connaître toute une microflore associée à ces plantes.

Nous ne connaissons en effet que très peu des près de 10 29 à 10 30 cellules procaryotes, c'est-à-dire un nombre considérable d'espèces, qui existent sur terre. A titre d'exemple, un gramme de sol représente un milliard de micro-organismes, soit environ 10 000 espèces. Or nous n'en connaissons que 2 %, dans la mesure où nous sommes actuellement incapables d'isoler et de cultiver ces micro-organismes. Par conséquent, il est fondamental de mettre au point de nouveaux outils. Avec la méta-génomique et la génétique, nous commençons à disposer de méthodes de plus en plus fiables.

L'érosion de cette diversité, notamment dans les points chauds présentant des espèces endémiques végétales et animales particulières, qui n'ont pas encore été étudiées, représente une très grande perte en termes de micro-organismes. Je précise que, contrairement à une idée répandue, la plupart ne sont pas pathogènes.

Dans la majorité des cas en effet, ils sont nécessaires à la vie des plantes, des animaux, des humains, etc. En d'autres termes et pour paraphraser Robert Barbault, ils font partie du « tissu vivant ». Ces micro-organismes sont également utilisés par l'homme, qui a su les apprivoiser.

Il est donc urgent de mettre au point des outils pour pouvoir les isoler et les étudier.

Nous disposons déjà d'un certain nombre d'outils, comme la méta-génomique, c'est-à-dire la non-culture de ces organismes. Par ailleurs, un grand nombre d'études de taxonomie basées sur l'ADN 16S permettent de découvrir, à partir d'une phylogénie de l'ensemble de ces micro-organismes d'un prélèvement quelconque, de nouvelles espèces, dont certaines peuvent être très intéressantes non seulement pour les plantes et les animaux mais également pour l'homme.

Claude SAUNIER

Nous avons visité le laboratoire Craig Venter près de Baltimore, qui constitue semble-t-il une référence en matière de méta-génomique. Nous avons été très impressionnés par le dispositif dont il dispose.

Par ailleurs, s'agissant de la connaissance de la biodiversité, un risque majeur nous a été signalé. Il s'agit de la disparition « d'une espèce rare », les spécialistes en taxonomie. Comment entendez-vous résoudre ce problème ?

Les nouvelles technologies peuvent-elles, à elles seules, apporter une réponse en la matière ou n'avons-nous pas intérêt à réorienter un certain nombre de nos étudiants vers des études, a priori plus conventionnelles ?

René BALLY

Cette question fait l'objet d'un grand nombre de discussions au sein des organismes. Il est clair qu'actuellement nous manquons de taxonomistes classiques, c'est-à-dire de personnes capables d'identifier une espèce par l'étude de la morphologie et de la physiologie d'un être vivant. Néanmoins, les taxonomistes généticiens sont également nécessaires dans la mesure où les outils de la génétique nous permettent de déterminer un certain nombre d'espèces nouvelles.

En revanche, nous n'avons pas les moyens de réaliser des études similaires à celles des Américains, qui effectuent des prélèvements partout dans le monde.

Il est cependant essentiel, à l'heure actuelle, d'intégrer ces travaux dans le cadre d'études sur les écosystèmes et de l'impact de l'homme sur la biodiversité.

Pierre LAFFITTE

Des propos similaires nous ont été tenus à Kew Gardens ainsi qu'au Muséum national britannique.

Jean BOUCHER

Je traiterai plus spécifiquement du domaine marin, c'est-à-dire de la mer, des océans et de leur contenu en biodiversité, qui constitue un milieu particulièrement mal connu. En effet, d'une part, nous n'en voyons généralement que la surface et, d'autre part, il est plus difficile à explorer que le milieu terrestre.

Pour autant, le constat du choc de l'érosion de la biodiversité dans le domaine marin est établi et largement certifié.

Monsieur le Sénateur, vous avez évoqué précédemment la surconsommation des ressources de l'océan non seulement par la pêche mais également par l'ensemble des autres activités. A l'heure actuelle, 70 % des stocks halieutiques sont effectivement surexploités, ce qui est d'autant plus alarmant que la manière dont ils ont été exploités a transformé leur capacité à produire. Ainsi, nos habitudes de production pour le cabillaud de Terre-Neuve doivent-elles changer, les stocks ne produisant plus avec le même potentiel qu'auparavant.

Les nouvelles espèces en développement, quant à elles, ne sont pas exploitées dans la mesure où d'une part, nous ne les connaissons pas suffisamment et d'autre part, le consommateur n'a pas l'habitude de ce type de produit.

Par ailleurs, j'insisterai sur la nécessité d'obtenir cette connaissance et de la mettre à jour. A ce titre, je citerai un certain nombre de réseaux d'observation qui existent déjà. Ainsi, l'IFREMER développe-t-il de tels réseaux, qui ne sont pas spécifiquement dédiés à la biodiversité mais qui y concourent largement par l'observation des caractéristiques et de la qualité de l'environnement des espèces exploitées (l'abondance des stocks de poisson, l'activité de pêche, etc.).

Cette démarche a été reprise au niveau européen ainsi que dans chaque pays où des instituts équivalant à l'IFREMER ont organisé ce type d'observations, coordonnées par un certain nombre de réseaux.

De même, des programmes de recherches, ont été lancés, comme ceux de l'IFB ou de l'ANR. Je mentionnerai également le réseau MARBEF (Marine Biodiversity and Ecosystem Functioning), réseau d'excellence européen d'analyse de la biodiversité marine, qui constitue la partie opérationnelle actuelle du réseau BIOMAR (Biologie marine), qui a défini l'association de l'ensemble des instituts d'observation d'océanographie biologique pour la diversité de la faune ainsi que des systèmes de coordination.

Néanmoins, il me semblerait important d'augmenter notre capacité à mener ces observations et à les interpréter, en développant les systèmes de coordination existants ainsi que les programmes de recherche, afin de centrer ces actions sur la préoccupation et le concept de biodiversité. Enfin, il convient d'y consacrer des moyens afin de développer de nouvelles techniques d'acquisition de données.

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS

Mon intervention portera sur les eaux douces. Je commencerai par affirmer qu'un grand nombre de groupes n'ont pas quitté les eaux. En effet, si nous connaissons bien les groupes terrestres comme les oiseaux, les mammifères et les végétaux supérieurs, toute une série de groupes, comme les algues, les poissons, les crustacés et les éponges vivent pour l'essentiel dans ces milieux aquatiques.

Par ailleurs, les milieux aquatiques d'eau douce sont souvent perçus essentiellement comme des milieux physiques. En d'autres termes, si nous nous intéressons à la fourniture d'eau en termes de ressources quantitatives, éventuellement au niveau de sa qualité physico-chimique, la présence d'un tissu vivant en son sein est souvent considérée comme accessoire. Ce phénomène trouve plusieurs explications.

Tout d'abord, les pêches vivrières d'eau douce sont notoirement sous-estimées dans leur importance alimentaire au niveau mondial dans la mesure où, directement consommées, elles font relativement peu l'objet de mise sur le marché.

Il s'agit actuellement de l'un des enjeux du développement durable. En Afrique, dans les deltas centraux des grands fleuves, on estime que moins d'une tonne de poisson par an suffirait à faire vivre une famille alors qu'en pêche industrielle maritime il faut pêcher 50 à 100 tonnes de poissons pour créer un emploi.

Par ailleurs, la capacité de ce tissu vivant à nous dispenser d'un certain nombre d'activités industrielles, comme l'épuration des eaux, n'est pas suffisamment mise en avant.

Par exemple, seule la moitié des nitrates parvient à l'embouchure de la Seine grâce à la dénitrification par la biodiversité qui a lieu tout au long du fleuve, notamment dans les zones de végétation du bord, permettant ainsi d'économiser près de 50 % du coût d'épuration des eaux.

Enfin, depuis près d'une cinquantaine d'années s'est créée une image artificialisée des masses d'eau. Selon cette image, un « beau plan d'eau » doit être canalisé, correctement entretenu, etc., ce qui va à l'encontre d'une gestion satisfaisante de la biodiversité.

Ainsi, le fait de laisser un fleuve divaguer permet-il d'entretenir et de renouveler les espèces. Les fleuves domestiqués, quant à eux, correspondent surtout à des critères d'efficacité économique et esthétique.

Dans le domaine de la biodiversité, la mondialisation a déjà commencé. Ainsi, les flux de polluants, les effets de réchauffement climatique ainsi que les invasions biologiques sont-ils désormais des phénomènes courants.

Or nous connaissons très mal les capacités d'adaptation de ces espèces. L'essentiel de nos connaissances biologiques est en effet fondé sur un petit nombre d'espèces et nous constatons un véritable déficit en la matière dès qu'il s'agit de nous prononcer sur les capacités d'adaptation d'une espèce face à l'accélération de la vitesse des changements.

Néanmoins, ce déficit de connaissances ne doit pas constituer une raison pour ne pas agir. Ainsi, nous devons dès maintenant nous mettre en situation de prendre des mesures, notamment de protection des habitats, tout en continuant à acquérir des connaissances sur ces milieux.

Bernard MALLET

Je profiterai du fait que vous avez diffusé quelques photos de la Guyane pour aborder le problème de ses forêts. Celui-ci constitue non seulement un bon exemple de la complexité des connaissances en matière de biodiversité mais il pose également un certain nombre de questions sur la finalité de cette connaissance.

La Guyane compte six à sept millions d'hectares de forêt. Chaque hectare comprend une centaine d'espèces d'arbres, un millier d'espèces végétales et sans doute quelques dizaines de milliers d'espèces de bactéries et d'insectes différents.

Par ailleurs, cette région connaît une très forte démographie ainsi qu'un taux de chômage très important. Par conséquent, les gestionnaires de la Guyane se sont demandé comment cette biodiversité de la forêt guyanaise pouvait concourir à générer du développement au niveau de la région et, partant, ce qu'il fallait en faire.

A ce titre, nous pouvons saluer l'officialisation récente du parc de la Guyane, qui avait été annoncée lors du Sommet de Rio en 1992.

Par ailleurs, s'est posée la question de savoir si une partie de cette forêt pouvait être gérée durablement, dans le but de fournir de l'emploi et des activités. Or cette entreprise s'est avérée plus difficile qu'il n'y paraissait dans la mesure où il ne suffisait pas de prélever les intérêts du capital que constitue la forêt pour que ce système fonctionne.

Les études menées en Guyane, à la fois sur le dispositif des Noura, que vous citiez tout à l'heure, mais également sur celui des Paracou, mis en place il y a une trentaine d'années et qui visait à examiner l'impact de l'exploitation forestière sur la dynamique de la forêt, ont montré que l'analyse de la diversité biologique devait s'effectuer aux trois niveaux dégagés par la Convention sur la biodiversité :

- au niveau de l'étude de l'écosystème, de sa dynamique, de la manière dont il se reconstitue, de l'évolution de son peuplement, des interactions entre ce peuplement et le sol, etc. autant de questions, qui supposent un certain nombre d'outils et de méthodes complexes ;

- au niveau des espèces, afin de connaître leur tempérament, leur évolution, leur dynamique, sachant que sur la centaine d'espèces forestières seules trois ou quatre intéressent réellement le marché du bois ;

- au niveau génétique, en s'interrogeant par exemple sur l'impact de l'exploitation des arbres dominants du Wacapou sur la dynamique génétique de ces espèces.

Une gestion durable de la forêt suppose donc des connaissances extrêmement complexes en matière d'écosystèmes. Au niveau de la Guyane, a été mise en place une unité mixte de recherche « écosystème forestier guyanais » au sein de laquelle la plupart des centres de recherche français travaillent (le CNRS, le CIRAD, l'INRA, l'IRD, etc.). Dans ce cadre, au fur et à mesure que nos recherches avancent, de nouvelles questions, que nous ne nous posions pas nécessairement au départ, apparaissent. Ainsi, il y a trente ans, lorsque les travaux ont commencé, le carbone n'était pas, contrairement à aujourd'hui, un enjeu majeur.

Par conséquent, il n'est pas simple d'acquérir des connaissances en matière de diversité biologique. Il s'agit avant tout d'une recherche pour l'action dans la mesure où elle doit nous conduire à formuler des propositions aux gestionnaires forestiers.

De plus, il ne suffit pas de connaître le mode de fonctionnement de cette biodiversité pour pouvoir présenter des propositions opérationnelles dans la mesure où la gestion de la forêt guyanaise dépend de considérations liées au marché, aux actions mises en oeuvre par les Brésiliens de l'autre côté de la frontière, etc.

Christine SOURD

Je donnerai un éclairage sur les indicateurs évoqués précédemment par Robert Barbault. En effet, tout le monde semble s'accorder sur la nécessité de mettre fin à l'érosion de la biodiversité, voire de tendre à son amélioration. Ainsi, lors de la sixième conférence des parties de la Convention pour la biodiversité, a-t-il été décidé par les pays signataires de réduire cette perte de façon significative d'ici à 2010, au niveau global, régional et national.

Afin de suivre l'accomplissement de ces objectifs, le WWF a lancé en 2000 un indicateur mondial de biodiversité, intitulé « indice planète vivante », qui a récemment été adopté par la Convention.

Cet indicateur est publié tous les deux ans, la dernière publication ayant eu lieu en septembre 2006. Il mesure l'évolution agrégée de 3 000 populations et de plus de 1 300 espèces choisies sciemment parmi les vertébrés (mammifères, oiseaux, reptiles, batraciens, poissons), qui représentent le groupe sur lequel nous disposons de données sur une période allant des années 1970 à aujourd'hui.

Ces espèces peuvent provenir de milieux terrestres, marins ou d'eau douce, qu'il s'agisse de climats tempérés ou tropicaux.

Lors de sa dernière publication en 2006, cet indicateur, qui était de valeur 1 en 1970, présentait un déficit de 29 % sur l'ensemble des espèces concernées. Au niveau terrestre, la décroissance s'élevait à 31 %, avec une certaine stabilisation pour les milieux tempérés contre une chute dramatique pour les milieux tropicaux, l'indicateur baissant dans ce cas à -55 %. Ces résultats sont essentiellement dus à la transformation des forêts dans ces régions, au profit de l'agriculture, de la sylviculture, de l'élevage et des autres activités détruisant ces milieux.

En ce qui concerne la partie marine de cet indicateur, nous constatons une baisse de 27 % de la biodiversité, avec là encore de très grandes différences entre les bassins océaniques.

Ainsi, si les bassins pacifiques, arctiques et atlantiques se situent à peu près autour de la valeur de démarrage de l'indicateur, qui varie néanmoins en fonction des populations concernées, dans les bassins océaniques du sud, australs, indonésiens, etc., nous constatons des chutes de plus de 60 %.

Pour les milieux d'eau douce, l'indicateur est de -28 %, avec un profil tout à fait similaire pour les milieux tempérés et tropicaux et de grandes disparités en fonction des espèces. Ainsi, alors que certaines populations d'oiseaux d'eau douce sont stabilisées, voire en accroissement, toutes les autres espèces de l'indicateur connaissent plus de 50 % de décroissance, due à la destruction des habitats, à la surpêche dans les eaux douces, aux espèces invasives, aux pollutions et aux perturbations des écosystèmes fluviaux et des zones humides.

Simon TILLIER

Puisqu'il m'a été demandé d'aborder la question des inventaires et compte tenu des allusions qui ont été effectuées au sujet de la responsabilité de la France en matière de biodiversité, je citerai un exemple, non pas celui de l'orpaillage dans la forêt guyanaise ou des récifs coralliens dont tout le monde parle, mais celui de la zone terrestre de Nouvelle-Calédonie, qui constitue le seul hot spot de biodiversité identifié mondialement sur le territoire français.

C'est pourquoi il me semble absolument extraordinaire que personne ne s'en préoccupe, d'autant plus qu'il s'agit d'un exemple parfait des conflits qui peuvent exister entre les intérêts locaux, le développement économique et le développement durable autour d'activités minières, qui ont lieu en ce moment même dans les plaines du sud de la Nouvelle-Calédonie.

Alors que depuis plus de cent ans, ces plaines du sud sont identifiées comme une zone de fort endémisme, l'absence d'inventaires complets et précis permet à la coalition de tous les intérêts, y compris à la paresse intellectuelle, de faire disparaître définitivement plusieurs milliers d'espèces de la surface de la planète, et ce depuis un territoire français.

S'il incombe avant tout au citoyen ou à la puissance publique de décider de procéder ou non à ces activités, il me semble scandaleux d'agir dans ce sens sans avoir préalablement approfondi nos connaissances en la matière, connaissances qui passent nécessairement par la réalisation d'inventaires de biodiversité.

? Les inventaires

Cette introduction ayant été effectuée, il convient de distinguer entre deux catégories d'inventaires, ce qui est d'autant plus difficile à faire que ceux-ci sont généralement réalisés par la même personne.

L'inventaire du vivant ou de la biodiversité constitue la première catégorie. Il consiste à acquérir des connaissances sur la biodiversité et, dans le domaine de la taxonomie, à décrire des espèces.

Les inventaires locaux ou régionaux de faune et de flore, qui sont les plus utilisés, constituent la seconde catégorie. Ils ne visent pas à obtenir des connaissances nouvelles ou à fixer le cadre conceptuel dans lequel nous analysons la biodiversité, mais à fournir des données qui doivent servir d'aide à la prise de décision ou à la prédiction de l'évolution de la biodiversité sur le plan local.

Ces inventaires sont importants pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, d'un point de vue purement scientifique, nous avons besoin de connaître les éléments qui constituent le réseau pour pouvoir analyser son fonctionnement, même si tous les scientifiques s'accordent à dire, à l'instar de Robert Barbault, que le système est plus important que chacune de ses parties.

Or, actuellement, nous ne connaissons que 10 % à 30 % de l'ensemble des espèces vivantes, ce qui pose un problème en termes d'analyse du fonctionnement des systèmes écologiques.

Par ailleurs, notre société perçoit son environnement vivant d'abord en termes d'espèces. Ainsi, si cette connaissance ne semble pas utile en termes de gestion, il n'en reste pas moins que pour interagir avec la société en matière d'environnement nous devons pouvoir informer les citoyens sur les espèces qui se trouvent dans leur jardin, leur commune, etc.

? Les progrès à effectuer en matière d'inventaires

En matière d'inventaire, deux grandes questions se posent. La première a trait à la création de nouvelles connaissances à l'aide de la taxonomie. En effet, nous savons désormais que nous n'avons décrit, sur le plan taxonomique, qu'une faible proportion des espèces vivantes. En outre, nous nous heurtons au problème de l'extrême lenteur de la démarche taxonomique classique. Avec le potentiel humain actuel, il faudrait au moins 1 000 ans pour décrire et nommer toutes les espèces vivantes. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de procéder ainsi, d'autant plus que ces espèces auront disparu avant que nous ayons réussi à les identifier. En outre, les évolutions du cadre conceptuel et scientifique feront que les descriptions actuelles n'auront aucun sens dans 1 000 ans.

Par conséquent, il convient d'augmenter l'effort d'exploration qualitative de la biodiversité sur le plan taxonomique tout en mettant en oeuvre de nouvelles technologies, notamment les techniques moléculaires. A titre d'exemple, je citerai le « Barcode of Life », grand programme international, qui vise à identifier les espèces à l'aide d'une courte séquence génétique.

Nous devrions fournir des efforts dans ce sens pour pouvoir, à défaut de nommer et de décrire toutes les espèces, être capables de déterminer, dans n'importe quel environnement et dans un délai raisonnable, le nombre d'espèces par taxon, de façon à disposer d'une approche de la structure fonctionnelle de l'écosystème considéré. Nous n'avons pas besoin en effet de nommer toutes les espèces et nous pouvons nous contenter de connaissances plus rudimentaires sur la majorité des espèces vivantes.

La deuxième voie de recherche consiste non pas à augmenter le nombre de taxonomistes classiques même s'il n'y en aura jamais assez, mais à changer la façon dont ils travaillent pour produire des connaissances.

Les outils informatiques et Internet permettent en effet d'introduire de nouvelles méthodes de description et de diffusion des connaissances afin d'augmenter la production taxonomique à partir des mêmes ressources humaines.

En d'autres termes, plutôt que de multiplier indéfiniment le nombre de chercheurs en taxonomie, donnons-leur de nouveaux outils pour augmenter la production des connaissances nécessaires à la société pour le développement durable.

? L'accès aux connaissances existantes

La seconde grande question posée par les inventaires concerne l'accès aux connaissances existantes.

Nous connaissons environ 1,8 million d'espèces vivantes. Or ces connaissances et ces données sont totalement dispersées et inaccessibles. Elles sont concentrées dans un certain nombre de grandes institutions taxonomiques, au sein de collections et de bibliothèques. Néanmoins, elles sont si fragmentées qu'un utilisateur ordinaire n'y a pas accès.

En outre, la quantité de données et de connaissances augmente très rapidement puisque, en raison des besoins de monitoring de l'environnement et des directives européennes telles que la directive habitat, le nombre d'observations de nature taxonomique s'est considérablement accru.

Rien qu'en France, nous comptons chaque année plusieurs millions de nouvelles observations. Or celles-ci restent dans les bases de données de ceux qui les ont constituées. Au mieux, elles rentrent dans l'inventaire national du patrimoine naturel qui comprend actuellement près d'une dizaine de millions d'observations.

Il s'agit de rendre l'ensemble de ces données accessibles. Etant donné que les espèces ne respectent ni les frontières, ni les limites administratives, créer un outil local ou national n'aurait pas beaucoup de sens. En revanche, il convient de rendre interopérables toutes les bases de données contenant les observations et les connaissances taxonomiques sur la biodiversité, si possible en les localisant géographiquement pour pouvoir analyser la répartition des espèces de façon globale. Cet outil existe. Il s'agit du « Global Biodiversity Information Facility » (GBIF) qui, avec des montants financiers absolument dérisoires, a réussi à établir des standards. Ces derniers ont été progressivement adoptés par les détenteurs de bases de données qui, grâce à un interfaçage relativement simple, peuvent rendre leurs données accessibles de n'importe quel ordinateur connecté à Internet.

Cependant, cet outil n'est pas suffisant pour nous permettre de gérer correctement la biodiversité du point de vue taxonomique.

Il est également nécessaire d'augmenter la disponibilité des connaissances existantes, non seulement en Europe mais également dans les pays en voie de développement pour qu'ils participent à la gestion des avantages et des ressources tirées de la biodiversité.

Il convient aussi d'augmenter la quantité de données sur les espèces afin d'améliorer notre capacité de prédiction de l'évolution de la biodiversité. L'analyse de la diversité spécifique s'apparente en effet à la météorologie. Ainsi, de même que les observations locales à Paris ne permettront d'effectuer aucune prédiction sur le temps qu'il y fera dans les prochains jours, ce n'est qu'en regroupant toutes les observations locales sur la diversité spécifique, avec des données climatiques et écologiques, dans une même base de données, que nous réussirons à prédire l'évolution de la biodiversité locale.

Ce système a été mis en place dans des pays en développement, le premier étant le Mexique, grâce à son organisme national appelé « Conabio » (Comisión nacional para el conocimiento y uso de la biodiversidad).

L'accès aux connaissances sur les espèces a donc peu de sens au niveau local. Par conséquent, un certain nombre de grandes initiatives internationales ont été mises en oeuvre. Il en est ainsi :

? du « Census of Marine Life », qui vise à structurer la communauté des biologistes marins autour de projets d'étude des faunes et de la flore marines ;

? du « Barcode of Life », consortium d'institutions mondiales ayant pour objectif de développer l'identification des espèces à partir d'une séquence nucléotidique courte ;

? de l'« Encyclopedia of Life », qui sera lancée officiellement début mai et dont le projet est de consacrer au moins une page web à chaque espèce connue, avec une série de liens renvoyant à des observations, à une bibliographie, etc.

? du « Global Biodiversity Information Facility » (GBIF), qui constitue actuellement le seul organisme opérationnel, central et mondial, donnant accès aux connaissances sur la biodiversité ;

? de l'« European Distributed Institute of Taxonomy » (EDIT), réseau d'excellence européen coordonné par le Muséum d'histoire naturelle dont l'objectif est d'intégrer la recherche et les infrastructures de recherche en taxonomie au niveau européen, l'Europe possédant au moins la moitié du patrimoine mondial en collections, en expertises et en données sur la biodiversité mondiale ;

? de « Life Watch », grand projet d'infrastructure européenne, qui a été retenu par la Commission européenne pour être développé dans le cadre du 7 e PCRD et qui consiste à intégrer les réseaux et les bases de données d'observation et de collection en un seul système, et à implémenter les outils d'analyse qui permettront aux décideurs et aux utilisateurs de répondre immédiatement aux questions qu'ils se posent sans avoir besoin de recourir à plusieurs experts dispersés dans 13 pays d'Europe.

Ma conclusion ne sera pas très optimiste pour la France. En effet, les six grandes initiatives mondiales que j'ai citées sont toutes soutenues par des fondations privées ou des institutions publiques américaines. En dehors de ces grandes institutions, il n'existe aucun organisme capable de consacrer, pendant des années, plusieurs millions de dollars par an, pour structurer ces questions, d'importance mondiale, relatives à la biodiversité.

Par ailleurs, si la France est membre du GBIF, obtenir sa contribution continue de relever d'un combat de chaque instant. Enfin, EDIT et Life Watch sont des initiatives européennes au sein desquelles la France brille par son absence, du moins en tant que soutien à la structure globale. Je regrette que la France, qui est une grande puissance, y compris économique et scientifique, s'investisse aussi peu dans ces initiatives mondiales alors que seules celles-ci sont en mesure de répondre au problème posé.

Débat

Pierre LAFFITTE

Je vous remercie. Avant de commencer à débattre, je vous ferai part d'un certain nombre de propositions auxquelles nous avons réfléchi.

Etant donné l'accélération du rythme de disparition des espèces et des écosystèmes, il nous semble fondamental d'en augmenter la vitesse d'identification. Il me semble que cette nécessité a été reconnue par l'ensemble des participants à cette table ronde.

Par ailleurs, si la surveillance de la biodiversité doit être mondiale, l'amélioration des connaissances en matière de biodiversité passe par un accroissement notable, à l'échelle européenne, de la recherche coopérative, notamment à travers le 7 e PCRD dont les moyens ont été utilisés à bon escient par les Anglais pour financer le laboratoire de semences de Kew Gardens.

De même, la mise en place d'institutions internationales nous paraît fondamentale. Ont déjà été instaurés dans ce sens un certain nombre de réseaux et d'initiatives pour lesquels nous devrons préciser les besoins. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la France n'est pas davantage présente. La recherche scientifique constitue en effet l'une des fonctions les plus anciennes parmi les fonctions régaliennes de l'Etat, le Muséum étant l'une des premières institutions dans ce domaine. A ce titre, ses moyens devraient être accrus et son utilisation des nouvelles technologies, notamment génétiques, devrait être renforcée.

De plus, une organisation des Nations-Unies dédiée à ce sujet et dotée d'un financement propre permettrait de mettre en oeuvre une observation en continue des atteintes à la biodiversité.

L'identification de la biodiversité va devenir une priorité de recherche, notamment pour la France, compte tenu de ses responsabilités territoriales ultramarines. Nous considérons également que l'observation et l'identification de la biodiversité doivent s'inscrire dans la durée. A cet égard nous avons besoin :

? d'équipements spécifiques lourds, comme les écotrons ;

? de multiplier des placettes d'observation à long terme, comme le fait l'ONF en France et comme le prévoit le programme « Life Watch » de l'Union européenne ;

? de former de nouveaux spécialistes de l'identification ;

? d'accorder une importance à la surveillance de la biodiversité, très menacée non seulement, dans les pays développés mais dans le monde en général.

Enfin, la numérisation du vivant intéresse les scientifiques, y compris à partir des observations satellitaires, dont les données devraient pouvoir être disponibles gratuitement, ce qui n'est pas toujours le cas. Les chercheurs ont ainsi souvent recours aux données américaines, celles de l'Institut géographique national (IGN), par exemple, étant trop chères.

Claude SAUNIER

Ce premier tour de table ronde nous permet de constater une forte convergence de nos propos en termes de diagnostic.

La question reste posée de savoir si le niveau de nos connaissances est suffisant. A l'évidence, il ne l'est pas. Néanmoins, dans la mesure où nous ne connaîtrons jamais suffisamment la biodiversité, j'ai bien noté que vous souhaitiez que des actions soient d'ores et déjà engagées.

Ma préoccupation porte davantage sur la question de savoir comment, concrètement, nous allons pouvoir améliorer ce niveau de connaissance. Mme Sourd a évoqué la nécessité de repères synthétiques. Les inventaires doivent également être considérablement améliorés. C'est la raison pour laquelle de multiples initiatives, relevées par M. Tillier, ont été prises en vue de consolider la connaissance ainsi que le travail en réseau. A ce titre, je souhaiterais avoir vos réactions sur la proposition de la France de mettre en place un organisme international.

Par ailleurs, je vous ferai part d'un constat que nous avons effectué lors de notre visite au Brésil. Dans certains pays comme le Brésil en effet, aussi bien les autorités politiques que les scientifiques éprouvent quelques difficultés à entrer dans une problématique d'échange d'informations sur la biodiversité dans la mesure où, à tort ou à raison, ils estiment avoir été victimes de biopiratage.

Il ne s'agit pas là d'une question secondaire. En effet, alors qu'il possède l'un des éléments majeurs de la biodiversité mondiale, le Brésil hésite à participer à un organisme international ou à envoyer des informations à Berlin par exemple, où une initiative internationale de mise en commun des données a été instaurée. Il a en outre les plus grandes difficultés à accepter la mise en place, sur son territoire, d'équipes internationales de recherche sur la biodiversité. En d'autres termes, le Brésil est à la recherche de garanties lui assurant que ces initiatives de recherche ne seront pas autant de portes d'entrée permettant à des institutions mal intentionnées de procéder à du biopiratage.

Simon TILLIER

J'ai quant à moi une vision très empirique des solutions à mettre en place face à ces accusations de biopiratage dans les pays en développement, le Brésil ayant adopté des positions particulièrement fortes à ce sujet.

Comme vous le savez peut-être, le Muséum organise un certain nombre de grandes expéditions de collecte de la biodiversité, par exemple cet été au Vanuatu ou il y a deux ans aux Philippines. Dans ces pays, les scientifiques doivent avant tout se plier aux règles internationales en vigueur. Des instruments existent en effet pour ne pas être en situation de se faire accuser de biopiratage. Or la plupart des scientifiques les ignorent. Il convient donc de cesser d'envoyer des scientifiques sur le terrain dans les pays en développement sans leur procurer toute la préparation qui s'impose au niveau institutionnel, celle-ci n'étant pas à la portée des seuls individus. Ce type de préparation implique que la recherche soit organisée différemment.

Claude SAUNIER

Dans ce sens, des juristes devraient sans doute assister les équipes de scientifiques.

René BALLY

Pour répondre aux remarques effectuées par Simon Tillier, je signale qu'il existe un Institut français de la biodiversité (IFB) regroupant l'ensemble des organismes de recherche. Celui-ci devrait être mieux utilisé par l'ensemble des chercheurs, d'autant plus qu'une partie de son Conseil scientifique gère l'ANR biodiversité.

Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que la biodiversité est inégalement répartie dans le monde et que les hot spots correspondent généralement à des territoires marqués par la pauvreté, les conflits, la pollution, etc. A leur égard, la France a un rôle important à jouer. A ce titre, je note que la France dispose d'autres hot spots que ceux de la Nouvelle-Calédonie, comme le pourtour méditerranéen, La Réunion, Mayotte, etc.

Au sein de mon organisme, nous essayons actuellement de lancer des groupements de réseaux, notamment entre des chercheurs de Madagascar et des îles de l'Océan Indien et des chercheurs français, issus de différentes institutions. Pour ce faire, des conventions ont été signées au niveau des instituts étatiques, dans le respect de la Convention sur la biodiversité, ce qui devrait rassurer un certain nombre de pays.

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS

Dans votre introduction, vous avez mentionné l'existence de perceptions négatives de la protection de la biodiversité, considérée comme une entrave au progrès. D'aucuns estiment en effet que même si elle s'est autrefois fondée à partir du tissu vivant, la civilisation peut désormais s'en passer. Par conséquent, pour faire en sorte que les individus se réapproprient cette connaissance de la biodiversité, il conviendrait de s'appuyer sur le grand nombre d'amateurs qui contribuent à la décrire.

Le fait de reconnaître, d'encourager et de structurer cette connaissance diffuse, au travers de relations clarifiées entre les chercheurs professionnels et les amateurs, constitue un enjeu tout à fait intéressant. Contrairement à la météorologie qui, en raison de l'existence de capteurs physiques, devait nécessairement être professionnalisée, nous avons l'occasion de faire en sorte que l'ensemble des citoyens s'approprient la biodiversité, ce qui constitue un atout.

Claude SAUNIER

A ce titre, je mentionnerai une initiative relativement récente : l'appel à procéder à l'inventaire des papillons des jardins.

Vincent GRAFFIN, Direction générale du Muséum national d'histoire naturelle

En tant que responsable du développement durable au Muséum, je souhaiterais réagir aux dernières interventions, notamment concernant l'Observatoire des papillons de jardins.

Je commencerai par évoquer les inventaires de biodiversité qui existent au niveau métropolitain. A ce titre, nous disposons, d'une part, d'un site en ligne intitulé « inventaire national du patrimoine naturel », accessible via le site du Muséum, qui présente toute la répartition des espèces connues de plantes et d'animaux et, d'autre part, des zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF), des sites Natura 2000 et de tous les espaces protégés. La biodiversité métropolitaine fait donc, d'ores et déjà, l'objet de différentes actions de communication.

Ce travail a été réalisé grâce à une collaboration très ancienne avec de nombreux réseaux naturalistes amateurs sur l'ensemble du territoire national, donnant ainsi à ce site une dimension citoyenne importante. Celui-ci a vocation à évoluer dans le cadre d'un système national d'information sur la nature et les paysages, piloté et financé par le ministère de l'Écologie et du Développement durable. Ce système consistera à mettre en réseau l'ensemble des producteurs de données, qu'il s'agisse d'établissements publics, d'associations ou de collectivités territoriales, pour que les données sur la nature et les paysages soient organisées de manière cohérente.

Si ce projet présente des aspects particulièrement positifs, les moyens ne sont malheureusement pas à la hauteur des enjeux.

Concernant l'observation dynamique de la biodiversité, vous avez évoqué l'Observatoire des papillons de jardins. Il s'agit de la dimension citoyenne de ce projet scientifique qui consiste à associer tout amateur à l'observation de la biodiversité, ce qui est non seulement intéressant du point de vue de l'éducation à l'environnement et de la sensibilisation, mais également au niveau scientifique, puisque nous en tirons des informations sur les répartitions de papillons. Ainsi, nous avons pu constater que les espèces méditerranéennes étaient présentes en Provence mais pas en Languedoc.

Ce programme s'intègre dans un projet plus global intitulé « Vigi-Nature », qui observe les évolutions de répartition des oiseaux communs et qui s'étend aux plantes et aux insectes. Par ce biais, nous avons eu l'occasion de constater que la crise de la biodiversité touchait aussi bien les espèces rares que les espèces communes dont les effectifs diminuent dans le temps. Ce projet s'appuie également sur des réseaux d'amateurs et des associations comme la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Christophe AUBEL, Directeur de la Ligue ROC (préservation de la faune sauvage et défense des non-chasseurs)

Je formulerai quatre remarques.

- Premièrement, dans cet effort de recherche, je tenais à insister sur le rôle des spécialistes amateurs regroupés au sein des associations. Si ces derniers ne peuvent évidemment pas remplacer les scientifiques, leur participation est essentielle pour établir les indicateurs évoqués par M. Barbault.

- Deuxièmement, pour que la recherche soit efficace et qu'il y ait toujours des taxonomistes à l'avenir, il convient d'offrir des filières de formation à ce type de spécialité dès le secondaire.

- Troisièmement, si nous souhaitons que ces connaissances soient utilisées, une appropriation par l'ensemble des citoyens est nécessaire, ce qui signifie que nous avons également besoin de la recherche en sciences sociales.

- Quatrièmement, j'évoquerai l'Institut français de la biodiversité, au sein duquel je représente la fédération FNE.

Il me semble en effet que cet outil en développement offre des réponses à un grand nombre de questions que nous nous sommes posées dans la mesure où il peut non seulement aider à la coordination de la recherche mais également servir d'interface entre les sciences sociales et les sciences dures ainsi qu'entre le politique, la société civile et l'international.

C'est pourquoi nous sommes particulièrement préoccupés par la réforme en cours de cet organisme qui risque de lui faire perdre ce caractère d'interfaçage et nous priver ainsi d'un outil efficace pour répondre à cet « autre choc » qui fait l'objet du présent colloque. Cette réforme nous semble d'autant plus précipitée qu'elle intervient dans une période pré-électorale, qui n'offre pas les meilleures conditions à la réflexion. Par conséquent, il serait important que votre rapport signale ce problème de l'avenir de l'IFB.

Claude SAUNIER

Pourriez-vous préciser les modalités de cette réforme ?

Christophe AUBEL

Alors que l'IFB était un groupement d'intérêt scientifique (GIS), il est question d'en faire une fondation de recherche de droit privé. Si cette modification n'est pas inintéressante en soi, il nous semble qu'elle est mise en place dans la précipitation. Ainsi, les membres de l'IFB eux-mêmes n'ont-ils pas été associés à la réflexion. Or une réforme de l'IFB devrait tendre à l'amélioration, ce qui nécessite que nous nous donnions le temps de la réflexion, en associant à ce processus tous les acteurs ainsi que tous les ministères concernés, la société civile, etc. Dans la nouvelle formule prévue, il apparaît que ces acteurs auront une portion congrue dans les processus de décision, ce qui est contraire à l'efficacité.

Ghislain de MARSILY, Université Paris VI, Académie des sciences.

Je souhaiterais insister sur deux aspects soulevés par MM. Barbault et Mallet.

En matière d'aménagement du territoire, notamment dans le domaine de l'eau, nous disposons d'un certain nombre d'alternatives. Pour déterminer laquelle de ces alternatives est la moins dommageable pour la biodiversité, des études sur l'évolution et le fonctionnement du tissu vivant sont nécessaires.

A ce titre, avant même les inventaires et la connaissance du milieu, je mettrai en avant le besoin urgent de connaître les conséquences d'une action sur la biodiversité. Ainsi, comme l'a signalé Simon Tillier précédemment au sujet de la Nouvelle-Calédonie, nous ignorons quelles seront les conséquences de l'exploitation minière sur le hot spot de biodiversité que constituent les plaines du Sud. Il en est de même s'agissant de l'exemple de l'exploitation de la forêt guyanaise cité par M. Mallet. En matière d'hydrologie en effet, les besoins d'aménagement sont urgents. Par conséquent, même si la connaissance en termes d'inventaire de la totalité des éléments de la biodiversité n'est pas d'ores et déjà disponible, il est primordial d'étudier le fonctionnement des systèmes et d'être capables de prévoir leur évolution

Par ailleurs, je relève que la réaction traditionnelle à la perte de biodiversité réside dans la constitution de parcs. Néanmoins, nous pouvons nous demander si cette pratique est efficace pour maintenir la biodiversité. Par ailleurs, à partir de quelle taille critique ces parcs peuvent-ils prétendre à atteindre cet objectif ?

Robert BARBAULT

Toutes ces questions sont fort pertinentes.

Il me semble tout d'abord évident que la résolution des problèmes passe par une approche en termes de systèmes, ce qui ne signifie pas que nous ne devons pas continuer à enrichir les inventaires. Néanmoins, en nous centrant sur ce type d'actions, nous risquons de passer à côté des véritables problèmes.

La cohérence d'ensemble du champ nécessite en effet une analyse fondée sur le système écologique et élargie aux sociétés humaines, ce qui est relativement nouveau par rapport à l'écologie académique classique. À travers cette analyse d'interactions complexes, nous évitons l'éclatement que l'étude de la diversité du vivant entraîne forcément, au niveau génétique, géographique, etc.

Par ailleurs, si je reconnais que les espaces protégés ne sont pas des outils suffisants en matière de protection de la biodiversité, dans un monde où règnent les conflits d'intérêts, ils constituent un élément important de la stratégie de préservation de la diversité.

En ce qui concerne l'ampleur de ces parcs, s'il est préférable qu'ils soient le plus large possible, il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre d'intérêts complémentaires pour les sociétés humaines. Des efforts ont été accomplis dans de nombreux pays, y compris dans le nôtre, pour progresser dans ce domaine. Si l'objectif de la plus grande superficie possible demeure, les espaces restreints ne sont pas inutiles, notamment pour étudier la diversité microscopique. Ils permettent d'une part de constituer un savoir, et d'autre part de préserver un certain nombre de territoires.

Il est néanmoins essentiel de raisonner en termes de réseaux d'espaces protégés, au niveau français, européen et international, qui permettent de dégager un certain nombre de compétences pour réaliser des inventaires, pour effectuer des suivis à long terme et pour disposer d'une documentation sur l'évolution de la biodiversité sur l'ensemble du globe. Au niveau français, le réseau des espaces protégés me semble insuffisamment utilisé par la communauté scientifique, comme instrument fondamental de recherche, de connaissance, de formation et de sauvegarde de la biodiversité.

Gille BENEST, Université Paris 7 et France Nature Environnement

J'ai le sentiment qu'aucune réponse n'a été apportée à la question du biopiratage, si ce n'est à travers la thématique de l'appropriation populaire. Or il s'agit selon moi de registres légèrement différents. Dans ce sens, je souhaiterais prolonger les remarques de Christophe Aubel sur la réforme de l'IFB.

Je participe actuellement à un groupe de travail mixte entre les ministères de l'Environnement et des Finances, intitulé « outils économiques et développement durable », auquel, entre autres sujets, il a été demandé de travailler sur la biodiversité. Or le président de ce groupe refuse obstinément de s'intéresser à ces questions, ce qui m'étonne profondément.

L'idée d'un « autre choc », insérée dans le titre de ce colloque, atteste d'un consensus, auquel je m'associe, selon lequel l'érosion de la biodiversité constitue un problème aussi important que le changement climatique.

Malheureusement, nous nous heurtons à la question de savoir si la biodiversité est un produit marchand ou non. C'est dans ce sens que les réseaux d'appropriation populaires posent problème dans la mesure où, bien qu'il s'agisse d'un travail bénévole sur des données gratuites et des informations appartenant à l'humanité, un certain nombre de personnes en tirent un profit financier. Il existe en effet, dans l'esprit de ces personnes, une confusion entre appropriation et propriété. Or il conviendrait de réfléchir sur ces deux notions qui constituent, selon moi, un élément extrêmement important de la manière dont nous organisons notre acquisition des connaissances en matière de biodiversité.

Claude SAUNIER

Je tenterai de répondre à cette question, à la lumière de mon expérience au Brésil.

La mise en place d'une organisation mondiale des Nations unies pour l'environnement n'aura pas de sens si nous ne sommes pas capables d'y intégrer le Brésil. Les autorités brésiliennes sont en effet sur une position de réserve. S'il convient de lever cette réserve, encore devons-nous réfléchir à la manière de nous y prendre.

Il y a quelques mois, avec les meilleures intentions, le directeur de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, a rendu une visite au Brésil au cours de laquelle il a déclaré qu'il appartenait à l'humanité de veiller à la préservation de l'Amazonie, ce qui a été vécu comme un affront par l'opinion publique brésilienne qui considère l'Amazonie avant tout comme un territoire brésilien.

A la lumière de cet exemple, il me semble que nous ne pourrons progresser dans ce domaine qu'en intégrant des juristes dans les équipes de scientifiques, afin de donner des garanties juridiques aux différents Etats.

Dans la mesure où vous avez évoqué la marchandisation du vivant, j'approfondirai cette idée.

J'ai rencontré la ministre de la Recherche de l'Etat d'Amazonas, une Amérindienne, docteur en sociologie, qui essaie, au niveau de son Etat, de définir une politique de recherche. Pour ce faire, elle réfléchit actuellement à la conjugaison des intérêts économiques des grands groupes avec la préservation des intérêts économiques fondamentaux de développement des populations de l'Amazonie. Elle dénonce le fait que la mécanique de brevetabilité s'appliquant aux molécules utilisées dans la pharmacopée élaborée à partir des données de la science occidentale ne s'applique pas à la connaissance accumulée au cours de centaines ou de milliers d'années par les tribus d'Amazonie.

Un travail sociologique et juridique doit donc accompagner le travail scientifique de connaissance de la biodiversité.

Pierre LAFFITTE

J'ajouterai que la connaissance de l'intérêt de telle ou telle plante provient le plus souvent des tribus amazoniennes qui ont inventé l'usage des molécules. Par conséquent, il devrait y avoir une possibilité scientifique et juridique de faire participer ces tribus à ce processus d'acquisition des connaissances.

D'une manière générale, la question de la marchandisation du vivant équivaut à celle de la marchandisation de l'information, comme en atteste le développement d'encyclopédies de type Wikipédia.

Nous assistons en effet à une évolution mondiale de prise en compte par l'économie des phénomènes rares. De même nature, le problème du climat et du gaz carbonique atmosphérique transcende le principe de non-intervention dans les Etats tiers.

Ainsi, notre rapport sur le climat invite-t-il non seulement la France à faire des efforts, mais également l'OMC à tenir compte du changement climatique dans ses règles de commerce international. Nous avons le sentiment que des recommandations similaires pourraient être formulées en matière de biodiversité, notamment en envisageant une forme de labellisation des actions concourant à la protection de la diversité.

Philippe THIEVENT, Directeur de la mission biodiversité de la Caisse des dépôts et consignations

Ma remarque s'inscrit dans la logique des propos tenus par M. de Marsily. Robert Barbault a insisté sur l'importance d'étudier les écosystèmes et non pas seulement les espèces. Néanmoins, encore faudrait-il en tenir compte. En effet, dans leur majorité, les individus ne semblent accorder de l'importance aux milieux naturels qu'à partir du moment où il est question d'espèces et d'espaces protégés, comme Natura 2000. Or, la compréhension des mécanismes des écosystèmes nécessite de s'intéresser également à cette « nature ordinaire », au sein de laquelle le nombre de taxons inconnus à ce jour est considérable.

Ayant travaillé pendant quelques années dans un laboratoire de recherche et étudiant depuis 20 ans les problématiques d'aménagement du territoire, je constate que, sur le terrain, nous n'avons aucun moyen pour tenir compte d'un certain nombre de problèmes concrets comme celui des corridors écologiques. La question se pose alors de savoir comment nous pouvons traiter au quotidien ce sujet récurrent.

Xavier POUX, AsCA (aménagement et gestion des territoires)

En réaction aux propos de Robert Barbault, selon lesquels l'homme serait inclus dans le tissu écologique, j'ajouterai que l'intégration des sciences sociales au sein de ce processus d'acquisition des connaissances en matière de biodiversité me semble constituer un enjeu extrêmement pertinent de la recherche actuelle. En effet, les chercheurs en sciences sociales, qu'il s'agisse d'anthropologues, d'économistes, etc., se saisissent régulièrement des débats, tout à fait fondamentaux, sur la connaissance des espèces.

Il en est ainsi notamment parce que la connaissance de la biodiversité passe également par la connaissance des mécanismes de gestion de cette biodiversité par les sociétés humaines. En effet, à défaut d'appréhender finement ces mécanismes, nous risquons de nous heurter, d'ici à quelques années, au même constat de baisse de la biodiversité. Cette articulation constitue donc un véritable enjeu en termes d'organisation de la recherche, qui devrait conduire à un changement de paradigme des sciences sociales elles-mêmes.

Travaillant dans un bureau d'étude complètement atypique dans le paysage scientifique français, je suis en mesure d'affirmer qu'il est extrêmement difficile de faire évoluer les réflexes et les habitudes des chercheurs des sciences sociales et des sciences dures. Par conséquent, il me semblerait souhaitable que des représentants des sciences sociales participent au prochain débat que vous organiserez sur la biodiversité.

François BURGAUD, Groupement national interprofessionnel des semences et plants

Je commencerai par intervenir sur la question de la réforme de l'IFB.

Tout d'abord, je soulignerai que cette réforme, qui inclut le bureau des ressources génétiques, me semble également précipitée et inquiétante.

Sans doute les représentants du Muséum d'histoire naturelle pourraient nous informer davantage à ce sujet.

Par ailleurs, il existe, selon moi, une explication très simple aux problèmes que la France rencontre dans le domaine de la protection de la biodiversité. Si nous sommes très fermes dans nos principes, nous ne consacrons aucun moyen à l'action.

Ainsi, depuis quatre ans, le bureau des ressources génétiques ne dispose toujours d'aucune personne chargée de coordonner et d'animer les différents réseaux mis en place pour créer les collections de ressources végétales.

D'une manière générale, le fait qu'un grand nombre d'associations et d'entreprises soient investies dans la conservation et la gestion des ressources génétiques en France a toujours constitué un palliatif permettant à l'Etat de ne pas y consacrer les moyens nécessaires.

S'agissant de l'appropriation, là encore il me semble qu'une réflexion sur les notions de propriété intellectuelle et sur la manière d'organiser la gestion des produits issus de la biodiversité est nécessaire.

Dans ce domaine, bien que la France ait signé un certain nombre de traités internationaux, comme la Convention sur la biodiversité ou le traité international de la Food and Agriculture Organisation (FAO), elle n'a toujours pas désigné l'autorité nationale responsable des ressources génétiques et de la biodiversité française.

Enfin si, à travers ces traités, un droit international se met actuellement en place, la France n'a pas encore élaboré les instruments prévus par ces textes, par exemple l'autorisation de transfert de matériel destinée à régir les échanges de ressources génétiques.

Catherine AUBERTIN, Centre IRD

Il me semble que le débat tourne autour de la nature de la biodiversité. Alors qu'auparavant les naturalistes travaillaient avec la diversité biologique, il est désormais devenu nécessaire de la gérer et de la protéger et non plus seulement de la connaître. Selon moi, c'est cette évolution qui est à l'origine de la plupart des problèmes que nous rencontrons actuellement. En effet, à partir du moment où il est question d'usage et d'appropriation, nous sommes nécessairement confrontés à des problèmes sociaux et économiques.

Signée en 1992, la Convention sur la diversité biologique avait trois objectifs : la conservation de la biodiversité, son usage durable et le « partage juste et équitable des avantages tirés de l'exploitation des ressources génétiques », ce qui signifie que déjà à cette époque la question du partage des ressources se posait avec beaucoup d'acuité. En effet, au fur et à mesure qu'elle a été permise par la biologie moléculaire, l'acquisition de nouvelles connaissances sur la biodiversité a fait l'objet de brevets.

Ainsi, s'il est actuellement question « d'économie de la connaissance », c'est justement pour signifier que l'essentiel ne réside pas tant dans les biens en tant que tels mais dans les droits de propriété intellectuelle qui leur sont apposés. C'est pourquoi la Convention de 1992 prévoyait une répartition de ces droits dans l'intérêt des pays du Sud.

Le Brésil ayant été évoqué, je remarquerai qu'il s'agit du pays qui instrumentalise le plus cette convention pour servir ses propres intérêts, au détriment parfois d'une cohérence entre les différents ministères, comme le ministère de l'environnement et le ministère des populations autochtones. Ce dernier en effet défend davantage la Convention sur la diversité biologique et demande la création de droits de propriété sur les savoirs locaux, la biodiversité étant liée à une diversité culturelle.

Ces dénonciations de biopiratage constituent des champs politiques de négociation permettant aux populations du Sud d'exprimer leurs frustrations devant un système de développement qu'elles ne reconnaissent pas. La biodiversité constitue donc un objet politique que nous ne pouvons plus traiter uniquement au travers de la taxonomie.

Yves MISEREY, Le Figaro

Dans le prolongement des propos de Mme Aubertin, je souhaiterais revenir sur la problématique des abeilles. En effet, à l'époque où il en a été question, j'ai été frappé de constater qu'aucun des chercheurs travaillant sur la biodiversité n'ait fait part des données qu'il avait acquises sur ce sujet. Cela signifie-t-il que ces chercheurs n'avaient pas la parole ou qu'ils n'avaient rien à dire ?

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS

La pire situation pour les abeilles étant d'être solitaires, celles qui ont trouvé leur voie sont les abeilles domestiques, grâce à la profession des apiculteurs, qui se sont fait entendre sur ce sujet. Néanmoins, il ne s'agit que d'une espèce parmi bien d'autres. Ainsi, il existe tout un cortège de pollinisateurs sauvages qui tendent à disparaître en raison des mesures prises pour favoriser les espèces domestiques, ce qui pose un véritable problème. Par conséquent, il convient de prendre garde, dans le domaine de la biodiversité, à ne pas centrer notre attention sur des aménagements ponctuels augmentant la valeur des indicateurs portant sur un certain nombre d'espèces tout en laissant se dégrader un certain nombre d'entre elles.

Jean-Claude LEFEUVRE

Je rappelle que 20 000 espèces au minimum sont responsables de 80 % de la pollinisation des végétaux de par le monde.

J'imagine que vous souhaitez que je m'exprime au sujet des bourdons, au regard des observations que nous avons menées il y a une vingtaine d'années dans le Val d'Authion. Nous avons en effet été appelés à travailler dans ce secteur, qui fournissait les graines de légumineuses pour une grande partie de la France, dans la mesure où une diminution progressive de la production de graines y avait été constatée.

L'essentiel de la pollinisation des trèfles de cette zone était effectuée par des bourdons, caractérisés par une variabilité importante de la longueur de leur trompe.

Tous dépendaient étroitement de structures hors champs, les fondatrices qui conduisent les colonies au printemps passant l'hiver soit dans les troncs d'arbres creux, soit dans les talus de l'ancien bocage. Dans la mesure où, au printemps, elle bénéficie uniquement des fleurs de ces talus, la colonie ne peut se développer qu'en fonction du nectar recueilli sur des structures n'ayant rien à voir avec l'espace cultivé. Par ailleurs, pour que la pollinisation soit satisfaisante, un certain nombre de bourdons représentatifs d'espèces différentes sont nécessaires. Alors que cette pollinisation produisait en principe 1 200 kilos de graines par hectare, la production est passée à 80 kilos.

Entre temps, afin d'augmenter la biomasse du trèfle, on l'a fait passer de l'état de diploïde à l'état de triploïde, ce qui explique qu'une partie des bourdons à trompe courte ne pouvaient plus procéder à la pollinisation. Enfin, ces bourdons à trompe courte se sont mis à perforer la base des fleurs, passant ainsi du statut d'auxiliaires à celui de ravageurs de l'agriculture.

Il s'agit donc de rapprocher les points de vue issus des différentes disciplines afin de comprendre les véritables interactions qui permettent au vivant de perdurer.

Nadia LOURY, Association OREE (Organisation pour le respect de l'environnement dans l'entreprise)

Cette fable des bourdons illustrera mon propos. Notre association réunit, dans un univers très ouvert, des entreprises et des collectivités qui sont toutes partenaires pour la prise en compte de l'environnement. Il y a un an, en collaboration avec l'IFB, nous avons mis en place un groupe de travail pour réfléchir à la façon d'intégrer la biodiversité dans les stratégies des entreprises, qui sont des partenaires économiques importants, tout à fait conscients des enjeux de la biodiversité.

Ces dernières ont besoin de connaissances pour prendre des décisions concrètes, dans un laps de temps relativement court. Ce facteur temps est en effet très important, sachant que ces partenaires sont prêts à collaborer avec les scientifiques pour aller plus loin dans la recherche.

Par ailleurs, il convient de prendre en compte la question des changements de comportement. Or le titre de ce colloque, « l'autre choc », que je trouve tout à fait judicieux, montre bien que nous avons des décisions à prendre d'ici à dix ans, ce qui explique que nous n'allons pas attendre les 1 000 années nécessaires pour connaître toutes les espèces avant d'agir. Par conséquent, nous demandons aux scientifiques de nous fournir des outils, l'expertise étant le préalable à toute prise de décision efficace. Ainsi, au sein d'OREE avons-nous développé un groupe de travail spécifique sur l'expertise.

Claude SAUNIER

Pourriez-vous nous donner des exemples de cas concrets où des entreprises auraient besoin de cette expertise ?

Nadia LOURY

Certaines entreprises ont un impact sur l'environnement. Il en est ainsi de GSM Unibéton, l'un de nos adhérents, qui a besoin, pour la reconstitution d'anciennes carrières, d'expertises environnementales. Pour ce faire, cette entreprise s'appuie déjà grandement sur les réseaux locaux de bénévoles.

Des connaissances sont également requises pour des entreprises comme LVMH, en termes de biens et services rendus par la biodiversité. Je précise que la réflexion entamée par ces partenaires au sujet de la biodiversité n'a rien à voir avec le biopiratage.

Un participant de la salle

Je poserai la question de la finalité de la recherche.

Au préalable, je précise qu'aujourd'hui, nous nous accordons à considérer la filière « nature » de la recherche comme une filière sinistrée. En effet, les moyens alloués à la recherche dans le domaine de la nature ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés.

Par ailleurs, la question de la finalité de la recherche dans ce domaine se pose avec acuité. Quel type de recherche souhaitons-nous mettre en place et pour quelles raisons ? S'agit-il de connaître ou de protéger la nature ?

Or les disciplines concernées par ce questionnement dépassent les disciplines naturalistes classiques et s'étendent aux sciences humaines.

Claude SAUNIER

Je souscris à ces propos. Sans entrer dans des débats politiques, j'ajouterai que la France a pris une orientation générale qui consiste à affecter l'essentiel de ses moyens à la recherche appliquée. Ainsi, la biologie est-elle souvent perçue à tort comme une discipline de connaissance alors que mieux connaître la biodiversité revient à nous donner des instruments pour la définition d'une nouvelle stratégie de développement.

Pierre LAFFITTE

Ces questions seront traitées par les tables rondes de cet après-midi.

Christophe AUBEL, Ligue ROC

Lorsque nous évoquons la relation entre les entreprises et la biodiversité, il me semble que nous ne devrions pas nous focaliser uniquement sur celles dont l'objet est de travailler avec la biodiversité, comme les carriers ou ceux qui produisent des semences.

A ce titre, je citerai le cas exemplaire d'une petite entreprise de jouets dans les Vosges, implantée en zone Natura 2000 qui a décidé d'intégrer la prise en compte de cette dimension dans sa démarche au quotidien, sans que cette décision ne soit motivée par l'impact que la biodiversité pourrait avoir sur son activité.

Nadia LOURY

Dans le même sens, j'indiquerai que, dans le cadre d'une convention CIF, nous avons investi dans le recrutement d'un chercheur, qui a effectué un travail de recherche sur la façon de modifier le comportement des entreprises sur la biodiversité. Il s'agit selon moi d'une forme de recherche appliquée.

Guillaume BOURDINAUD, Université Paris I Panthéon Sorbonne

Je souhaiterais cibler la question de la biodiversité sur le territoire urbain. En effet, 50 % de la population mondiale vit en ville et l'étalement urbain constitue l'avenir de l'aménagement.

Alors que nous aurions pu penser que la pression urbaine et la pollution ralentissaient la biodiversité, 1 200 espèces végétales ont été recensées à Zurich, soit deux fois plus que sur une zone de la même surface du plateau suisse. De même, sur les 1 200 espèces végétales d'Ile-de-France, environ 600 sont situées sur Paris. Par conséquent, ne devrions-nous pas orienter la recherche en matière de biodiversité sur les espaces urbains ?

Claude SAUNIER

Le développement des villes peut en effet constituer un outil de création d'un nouveau type de biodiversité.

Simon TILLIER

Dans toutes les interventions qui ont été effectuées, j'ai été frappé par le fait que les structures n'aient été que très peu évoquées. Les infrastructures quant à elles n'ont même pas été mentionnées.

Il a en effet été question de moyens financiers, sans préciser ce que nous devions en faire, alors que, dans le domaine de la physique, par exemple, nous savons que nous avons besoin d'un télescope. Il s'agit selon moi d'une erreur stratégique profonde, y compris pour les observateurs.

Comme nous avons évoqué la nécessité d'intégrer les observations satellitaires parmi les outils d'acquisition de connaissances en matière de biodiversité, je citerai le projet Life Watch. Celui-ci consiste à créer une infrastructure de données et de connaissances, y compris d'intégration des données satellitaires, qui intéresse notamment l'Agence spatiale européenne.

Il me semble qu'il appartient à la communauté des chercheurs, des scientifiques et des utilisateurs de biodiversité de réclamer ces infrastructures. Les bibliothèques, les journaux et les bases de données existantes sont en effet insuffisants.

Concernant les structures, je suis étonné que plusieurs questions aient été posées sur l'IFB et que même son président n'y ait pas répondu. Bien que faisant partir du Muséum, je n'ai heureusement aucune position officielle à soutenir, ce qui me permet de m'exprimer très librement sur ce sujet qui m'est d'autant plus familier que j'ai représenté le Muséum pendant plusieurs années au Conseil de groupement de l'IFB.

L'IFB est un groupement d'intérêt scientifique, c'est-à-dire une structure ne disposant ni d'une personnalité légale ni d'une autonomie administrative et financière.

S'il convient de saluer l'immense progrès que représente cet instrument, créé dans les années 90, après la Convention sur la biodiversité, pour unifier le langage politique et scientifique sur la biodiversité au niveau des organismes de recherche et des ministères, y compris des Affaires étrangères, en termes d'action, cette structure juridique demeure largement insuffisante.

En effet, pour mettre en place une politique cohérente, un organisme autonome disposant d'un véritable pouvoir de décision est nécessaire. Concernant l'argument de la précipitation, je suis frappé par le fait que, dans notre pays, nous sommes incapables de prendre une décision rapidement, contrairement aux pays nordiques ou à l'Allemagne par exemple qui est aujourd'hui beaucoup plus en avance que nous sur cette question.

Je précise que cette position est strictement personnelle.

Jean-Claude LEFEUVRE

Les inquiétudes dont nous ont fait part un certain nombre d'orateurs au sujet de la réforme de l'IFB sont partagées. En effet, nous ne pouvons pas continuer à parler de gouvernance tout en prenant des mesures autoritaires, sans inclure un certain nombre de partenaires dans le processus de décision.

Pour créer une nouvelle structure comme celle dont il est question, il est évident qu'il convient de prendre le temps de la décision. J'ai déjà remarqué que, en France, lorsqu'un organisme fonctionne correctement, il est d'usage d'y mettre fin très rapidement.

René BALLY

Pour répondre à Simon Tillier, je précise qu'il existe, au niveau des organismes et notamment du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), un certain nombre d'orientations visant à créer les infrastructures qu'il appelle de ses voeux, c'est-à-dire les écotrons, évoqués par le Sénateur Laffitte, les observatoires de l'environnement et les zones ateliers. De même, l'INSUP est-elle en train de créer, avec les TGU, des infrastructures assez importantes pour l'étude des écosystèmes. Par conséquent, si nous avons certainement pris un certain retard par rapport à nos collègues européens, nous ne pouvons pas dire que nous ne faisons rien en matière d'infrastructures.

De même, la création d'un département environnement et développement durable au CNRS atteste d'une prise de conscience de l'importance de l'étude de la biodiversité et des écosystèmes.

En ce qui concerne l'IFB, il me semble qu'il existe actuellement trop de structures de ce type et qu'il serait temps de les rassembler au sein d'un même organisme, afin de nous exprimer d'une même voix, rôle qui incombe selon moi à l'IFB.

Yves MISEREY, Le Figaro

En tant que journaliste, je suis particulièrement frappé par vos différentes interventions dans la mesure où il me semble que ce n'est pas avec ce type de discours que nous réussirons à sensibiliser la population française à la biodiversité.

Je citerai pour ma part l'exemple de l'échinococcose, maladie transmise par le renard, qui a tendance actuellement à se répandre. À ce sujet en effet, j'ai eu affaire à un interlocuteur qui m'a expliqué que la propagation de cette maladie était probablement due au fait que nous avions bouché un grand nombre de marres et que, partant, tous les renards venaient s'abreuver au même endroit, ce qui augmentait les possibilités de contagion.

Claude SAUNIER

Malgré l'intérêt de ce type d'exemple, je souhaiterais quant à moi connaître la position des scientifiques sur les grands équipements. En effet, nous avons pour objectif non seulement de dresser un constat de la biodiversité mais également de formuler un certain nombre de propositions.

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS

Je vous répondrai en m'appuyant sur le problème de la réforme de l'IFB. En termes de recommandations à inscrire dans votre rapport, vous pourriez insister sur le fait que, si nous créons un organisme doté d'une personnalité juridique sur le long terme, celui-ci devra avoir les moyens de gérer durablement des grands équipements au service de l'ensemble de la communauté nationale. Il conviendrait par ailleurs que ces grands équipements se traduisent par des collections, des bases de données et des sites expérimentaux.

Simon TILLIER

Je souscris tout à fait à ces propos. J'ajoute que parmi les équipements, il convient de distinguer entre les sites expérimentaux et les infrastructures d'acquisition, de gestion et de mise à disposition de l'information, ces deux aspects étant néanmoins indispensables.

Bernard MALLET

Il convient également de prendre en compte l'ensemble des dispositifs de terrain, comme ceux qui existent en Guyane par exemple.

Par ailleurs, alors que nous nous référons principalement à la biodiversité naturelle, n'oublions pas que l'agriculture constitue également une valorisation de la biodiversité.

Philippe GROS

Concernant les grands équipements, je rappelle qu'il y a deux jours s'est tenu un colloque sur la flotte océanographique française, qui rassemblait l'INSUP, l'IFREMER, l'Institut Paul-Émile Victor (IPEV), l'Institut pour la recherche et le développement (IRD), etc.

Claude SAUNIER

Il s'agirait également de donner à cette flotte les moyens de fonctionner puisque, une grande partie du temps, les grands navires océanographiques ne sont pas totalement utilisés.

En réponse à M. Miserey, sans volonté de polémiquer, je précise que si le débat s'est orienté vers une discussion sur la structuration, c'est parce que le diagnostic de perte de biodiversité fait actuellement l'objet d'un véritable consensus scientifique. Néanmoins, n'hésitez pas à transmettre, à l'aide de votre plume, ce message d'alerte aux citoyens français.

II. DEUXIÈME TABLE RONDE : PROTÉGER LA BIODIVERSITÉ

Participaient à cette table ronde :

? Philippe CLERGEAU , Institut national de la recherche agronomique (INRA), Rennes

? Pierre-Olivier DREGE , Directeur général, Office national des forêts (ONF)

? Dominique DRON , Professeur, Ecole des Mines de Paris

? Philippe GOULLETQUER , Coordinateur national « biodiversité marine et côtière », IFREMER, Brest

? Philippe GROS , responsable de thème, IFREMER, Brest

? Ghislain de MARSILY , Professeur émérite, Université Pierre et Marie Curie

? Denis COUVET , Professeur à l'Ecole Polytechnique

? Bernard MALLET , Directeur adjoint du département « environnements et sociétés » du CIRAD.

Claude SAUNIER

Après avoir fait le point ce matin sur l'état des lieux de la biodiversité, le second temps de notre colloque porte sur sa protection.

Je vous livrerai quelques réflexions sur quelques domaines d'action que nous avons identifiés.

? Les forêts

Les actions à envisager pour protéger la biodiversité des forêts ne doivent pas se limiter aux forêts tropicales. Ainsi, l'exploitation du pétrole dans le grand Nord canadien provoque-t-il des ravages considérables sur les forêts boréales qui, compte tenu de leur rythme de croissance très particulier, risquent de mettre plusieurs siècles avant de pouvoir se reconstituer.

Je rappelle par ailleurs que les forêts tropicales humides, tous continents confondus, perdent de l'ordre de 13 millions d'hectares par an.

La protection de ces forêts passe tout d'abord par la mise en place de réserves naturelles. A ce titre, je souligne que, après avoir longtemps réfléchi, la France a réussi à mettre en place une réserve naturelle importante en Guyane, même si, sur le terrain, un certain nombre de problèmes peuvent se poser, comme la non-intégration des droits de certaines tribus ou la persistance de l'orpaillage.

En liaison avec ces réserves naturelles, se pose la question de la création de corridors.

Par ailleurs, plutôt que de considérer les forêts tropicales humides comme des sortes de sanctuaires intouchables, ne serait-il pas préférable de réfléchir à une exploitation raisonnée et raisonnable de ces forêts, permettant de conjuguer la préservation de la biodiversité avec les impératifs du développement ?

Cette idée nous a été suggérée par les autorités brésiliennes, qui nous ont fait valoir que, dès lors qu'elle n'était pas exploitée, une forêt perdait de sa valeur et qu'elle était, partant, susceptible d'être détruite. Par conséquent, intégrer une exploitation maîtrisée des richesses de la forêt dans un cycle économique de développement permettrait d'assurer le respect de cette richesse.

Il convient également d'intégrer l'économie forestière dans l'économie mondiale tant il est évident que le trafic de grumes non contrôlé est à l'origine de l'exploitation sauvage de ces forêts.

? L'océan

Il s'agit d'un enjeu considérable dans la mesure où l'alimentation de l'humanité dépend pour une partie assez large des ressources halieutiques, qui satisfont 20 % des besoins en protéines animales.

Depuis plusieurs années, nous prélevons 90 millions de tonnes de poisson par an, ce qui peut faire l'objet d'un débat. Ainsi, un article publié récemment a-t-il fait une annonce apocalyptique en prévoyant la fin des ressources alimentaires de l'océan d'ici à 2048, estimation qui a été ensuite rectifiée par la FAO.

En tout cas, il est urgent d'agir. A ce titre, nous préconisons :

? des aménagements de réserves maritimes, notamment au niveau du littoral ;

? une gestion des milieux côtiers en liaison avec nos activités sur le continent, problématique, qui, pour un élu breton, n'est pas totalement secondaire ;

? de poursuivre les efforts de mise au point d'une aquaculture en circuit fermé et fondée sur l'utilisation de protéines végétales ;

? une refonte de la gouvernance mondiale des ressources de la mer, l'essentiel de l'océan se trouvant en dehors du champ de la compétence territoriale de quelque pays qu'il soit.

? L'espace continental

Nous avons déjà évoqué cette question qui a trait à la maîtrise humaine des espaces naturels. En Allemagne, 100 hectares d'espace naturel sont consommés chaque jour pour la construction de logements ou pour des aménagements urbains ou routiers. Il en est certainement de même en France.

Il apparaît également essentiel de préserver les ressources en eau, tant en quantité qu'en qualité, en n'ignorant pas que des arbitrages, difficiles politiquement, devront être effectués.

Devons-nous en effet donner la priorité à la préservation de la biodiversité et, dans ce cas, comment répondre à l'impératif de nourrir les trois milliards de personnes supplémentaires à naître dans le monde ? De même, il existe un risque de conflit d'usage entre une agriculture qui aurait vocation à fournir des aliments et à produire des biocarburants, et la préservation de la biodiversité des forêts tropicales.

Pierre LAFFITTE

Nous estimons également important de pouvoir anticiper les menaces dans la mesure où les effets du changement climatique ont, d'ores et déjà, été constatés au niveau phénoménologique. Ainsi, les floraisons et les feuillaisons connaissent-elles déjà un décalage de quatre jours par décennie. Il en est de même s'agissant de la naissance des papillons, y compris des prédateurs.

Nous assistons également à des changements des aires de distribution, qu'il s'agisse des arbres, des plantes alpines, qui se déplacent en hauteur, de la migration des oiseaux, aussi bien au Costa Rica qu'en Grande-Bretagne ou au Canada.

Tel est le constat actuel. Néanmoins, ces changements ayant vocation à s'accélérer, nous risquons d'en subir des conséquences encore plus importantes.

S'agissant des espèces terrestres, une étude européenne, assise sur des hypothèses basses de réchauffement, montre qu'au moins 19 % des plantes européennes devront migrer d'un kilomètre par an pour pouvoir survivre d'ici à 2050.

Dans les milieux océaniques, la chaîne alimentaire sera perturbée. Alors qu'elle est déjà menacée par les prises humaines, la concentration des prises sur des espèces de grande taille crée un phénomène cumulatif, d'autant plus important que les pêches de grands fonds portent maintenant sur des espèces très anciennes dont la durée de reconstitution est de l'ordre du siècle et non plus de la décennie.

Une autre menace réside dans le décalage s'installant entre la naissance des larves de morue et celle du plancton dont elles se nourrissent. Ceci met en danger, en Mer du Nord, un des rares stocks de morue existant.

Et nous ignorons encore si des adaptations seront possibles dans la mesure où ces phénomènes sont caractérisés par une rapidité d'évolution beaucoup plus grande que par le passé.

L'acidification des océans pose des difficultés au niveau de la calcification d'organismes maritimes (coraux, mollusques, plancton), ce qui se répercute sur les problèmes d'absorption du carbone par l'océan.

Il est donc urgent de prendre un certain nombre de mesures. Pour ce faire, le législateur a tout d'abord besoin de disposer d'un état des lieux. Nous avons besoin de ces connaissances pour anticiper le fonctionnement et la conservation de cette biodiversité.

Par ailleurs, des initiatives ont déjà été prises, certaines par l'ONF, qui a mis en place un système de placettes d'observation, d'autres par l'IFREMER, avec l'Observatoire des écosystèmes des fonds de l'océan.

Ne devrions-nous pas développer des connexions internationales entre ces réseaux de connaissance ? En outre, ne revient-il pas à la France de prendre des initiatives afin d'être à la tête de certains de ces réseaux ?

Ainsi, une politique de mise en place de corridors pour les espaces naturels a-t-elle été suggérée par l'ONF. Ce type de dispositif n'est pas facile à élaborer dans la mesure où, en général, des infrastructures, comme les autoroutes, viennent entraver la possibilité de migration des espaces naturels. Il convient donc de réfléchir à des mesures d'accompagnement en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire.

De même, les migrations de plantes sont parfois très difficiles, notamment pour les arbres dont les fruits tombent à leur pied, comme le chêne ou le hêtre.

Par conséquent, il est nécessaire de prendre en compte l'interaction entre la nécessité d'une dynamique en faveur de la biodiversité, liée au changement de climat et les interventions humaines, qui sont d'autant plus importantes que la démographie augmente.

La conservation des semences constitue un autre type de préoccupation.

A ce titre, nous avons visité Kew Gardens, en Angleterre, ainsi que le jardin botanique de Berlin. Et nous avons pris contact avec le Muséum. Il nous semble qu'il existe un certain nombre d'initiatives à prendre pour que les espèces menacées puissent, avant de disparaître, être conservées.

Une excellente initiative, financée par l'Union européenne, a été prise dans ce sens par les Britanniques, qui ont décidé de créer un centre de conservation des semences. Un centre similaire a été récemment instauré en Norvège, sur le Spitzberg. Il a même été prévu de le construire à plus de 30 mètres au-dessus de la mer au cas où les glaciers fondraient complètement.

La France, qui, de par son ancien empire colonial, possède l'un des plus vastes patrimoines naturels au monde, devrait participer à cette action de conservation des semences.

En ce qui concerne les OGM, la question se posera de savoir si l'utilisation de la transgénèse pour développer la résistance de certaines espèces à la sécheresse ne devrait pas être encouragée ou, tout au moins, étudiée.

Enfin, nous avons le sentiment que le recours à une sélection génétique naturelle plus poussée devrait être exploré. En effet, à l'intérieur d'une même espèce, certains individus s'avèrent plus résistants que d'autres. Ainsi, dans l'Orne, un résidu de conifère a-t-il résisté jusqu'ici au réchauffement enregistré à la fin de la dernière glaciation.

Claude SAUNIER

Néanmoins, au-delà de ces mesures techniques, il nous semble aussi que des initiatives beaucoup plus globales doivent être prises au niveau planétaire.

Ainsi, nous estimons indispensable d'incorporer la protection de la biodiversité dans les règles du commerce international. Il existe en effet des liens entre la biodiversité, l'exploitation des ressources de la terre, notre modèle de développement économique et le commerce mondial.

Ces liens sont particulièrement visibles s'agissant du commerce international de bois, qui est révélateur de la mécanique qui conduit à la surexploitation des ressources forestières. Dans ce domaine, nous ne pourrons pas agir tant que l'OMC n'édictera pas de règles définissant l'accès aux ressources en bois. De même, il serait nécessaire d'intégrer la problématique des forêts dans le protocole de Kyoto même si nous ne savons toujours pas de façon très précise si les grands massifs forestiers sont des puits ou des producteurs de carbone. Il s'agit d'une véritable question scientifique qui aura néanmoins un impact sur la façon dont, collectivement, nous allons gérer l'évolution du climat.

Pierre LAFFITTE

En ce qui concerne le bois, notamment les bois tropicaux, il existe aujourd'hui des possibilités techniques d'avoir une traçabilité extrêmement simple pour chaque grume de bois, à l'aide d'une étiquette RFID. Si ces bois étaient labellisés et si les pays importateurs s'engageaient à n'acheter que des bois labellisés, avec une étiquette de traçabilité, il serait extrêmement facile de contrôler l'exploitation de ces bois. Les technologies informatiques peuvent aider à la traçabilité de tous les produits, y compris dans le cadre du commerce équitable.

Dominique DRON

Il m'a été demandé d'aborder quelques enjeux, que je traiterai sous l'angle de la question posée en fin de matinée, à savoir comment nous pouvons inciter les circuits et les acteurs à protéger la biodiversité.

Les deux images présentées à l'écran, intitulées « De la naissance des villes...à celle des espaces verts », illustrent deux visions totalement différentes de la nature, qui s'inscrivent dans la problématique exposée ce matin et sur laquelle je voudrais revenir.

Comme les autres espèces, l'espèce humaine exige un environnement suffisamment favorable pour survivre. Ainsi, l'exemple du lynx du Canada qui, ayant trop mangé de lièvre d'Amérique, voit sa population décroître, jusqu'à devenir suffisamment faible pour s'adapter aux ressources existantes et permettre à la population de lièvres d'Amérique de se développer à nouveau peut-il être mis en parallèle avec l'un des innombrables schémas d'écroulement de populations à cause de la surconsommation humaine, en l'occurrence celui de la morue de Terre-Neuve.

? Le biomimétisme

Pour motiver un certain nombre de circuits économiques, nous citerons quelques exemples de ressources biologiques. J'évoquerai tout d'abord le biomimétisme. Ainsi, le fil d'araignée est-il cinq fois plus solide que l'acier et deux fois plus élastique que le nylon. De même, nous pouvons nous inspirer des ailes de papillons pour fabriquer de la « peinture sans peinture », en striant les matériaux de raies correspondants à la longueur d'onde de la couleur choisie.

Dans le domaine de la médecine, vous savez que 41 % des principes actifs de la pharmacopée américaine sont issus des ressources biologiques, tandis que 70 % des anticancéreux proviennent des forêts tropicales.

En matière d'écomimétisme, je citerai le célèbre exemple de New York. Pour avoir de l'eau propre, plutôt que d'investir dans un système d'épuration à hauteur de six milliards de dollars, qui aurait coûté en outre 300 millions de dollars de fonctionnement par an, la ville de New York a préféré acheter des terrains valant un milliard de dollars et gérer l'entretien de ces champs captants de manière à avoir toujours de l'eau propre.

De même, les zones humides ne servent pas uniquement au stockage de carbone. Elles ont également une fonction de régulation des crues. Ainsi, il a été estimé que les zones humides de La Bassée, en amont de Paris, nous permettaient d'économiser les 200 à 300 millions d'euros qu'aurait nécessités la construction d'un barrage.

Enfin, drainés, les marais de Louisiane n'ont pas retenu la crue qui a suivi l'ouragan Katrina. De l'ordre de 14 millions de dollars, leur restauration avait, à l'époque, été jugée trop coûteuse. Par ailleurs, ces marais jouent un rôle d'épuration des eaux équivalant à 1 300 euros par hectare et par an de fonctionnement.

Actuellement, de nombreux facteurs participent à la dégradation de la biodiversité. Ainsi, la première cause de déforestation de l'Amazonie semble être la consommation européenne de boeuf nourri de tourteaux de soja. Les agrocarburants constituent un second facteur important de cette dégradation.

? Des risques aggravés par le choc climatique

Pourtant, nous avons besoin que les écosystèmes naturels et exploités soient robustes afin de nous adapter nous-mêmes au choc climatique. L'espèce humaine en effet ne vit pas « hors sol ». Pour illustrer les propos du sénateur Pierre Laffitte qui faisait allusion précédemment à l'influence du changement climatique sur l'écosystème, je commenterai la présente carte sur l'évolution des conditions climatiques, en France, de 1961 à 1990, et des écosystèmes correspondants.

Sur cette carte, la partie en rouge représente la zone de végétation méditerranéenne, tandis que celle en vert, à droite, correspond à la forêt tempérée classique, composée de chênes et de hêtres.

Dans un scénario de réchauffement bas, de l'ordre de 2,5 degrés en plus d'ici à la fin du 21 e siècle, la zone de végétation méditerranéenne risque de s'étendre jusqu'au milieu de la France. Or les écosystèmes sont incapables de migrer par eux-mêmes à une telle vitesse, 100 fois supérieure à celle de la transition entre l'ère glaciaire et l'ère interglaciaire.

Nous allons donc devoir aider la nature à migrer, en créant une infrastructure destinée à cet effet. Les obstacles à cette migration sont actuellement nombreux. Outre l'urbanisation mentionnée par le sénateur Laffitte, il convient de prendre en compte les grandes étendues, très imprégnées chimiquement et très appauvries biologiquement, servant à l'agriculture conventionnelle intensive. Les itinéraires conventionnels agricoles actuels sont également très vulnérables aux modifications climatiques.

Nous pouvons donc nous attendre à revivre, en Europe, des pénuries de légumes, comme celles que nous avons connues durant l'été 2006, les récoltes chutant de 5 % à 50 % selon le type de légumes. De même, nous sommes en déficit céréalier depuis maintenant sept ans, les stocks mondiaux diminuant.

Par conséquent, il apparaît clairement que les itinéraires conventionnels ne peuvent pas s'adapter à ce type de nouveaux contextes climatiques. C'est pourquoi un certain nombre de personnes, dont la FAO et Michel Griffon, préconisent de passer à « l'agriculture doublement verte », c'est-à-dire de changer complètement de paradigme agricole, par exemple en privilégiant les mélanges variétaux par rapport aux cultures monospécifiques sur de grands espaces, qui sont extrêmement vulnérables aux invasions de ravageurs, aux variations climatiques, etc. Ces changements valent également pour la sylviculture.

Par ailleurs, parmi les plantes cultivées que nous connaissons actuellement, quelques-unes sont certainement plus robustes face aux aléas que d'autres. Ainsi, la sélection au rendement a-t-elle fait perdre à un certain nombre de maïs leur résistance naturelle au Diabrotica.

Si nous disposons sans doute de véritables trésors en termes de robustesse parmi les semences que nous n'avons pas sélectionnées jusqu'à présent, il ne suffit pas de les conserver dans un réfrigérateur. La meilleure façon de conserver les semences consiste en effet à les laisser co-évoluer dans les conditions climatiques et pédologiques naturelles.

À ce titre, des associations, comme Kokopelli, confrontée actuellement à des problèmes judiciaires avec l'Etat français, qui procèdent à des échanges de semences de tout type, me semblent des partenaires tout à fait intéressants pour mener ces opérations de conservation in vivo des semences et pour tester toutes les possibilités de notre patrimoine en termes de culture.

Par ailleurs, dès lors que nous nous fixons des objectifs et des moyens pour les atteindre, il apparaît essentiel de décloisonner l'analyse, c'est-à-dire de ne pas chercher à privilégier un élément par rapport aux autres (l'imprégnation chimique, les ressources en eaux, le changement climatique, etc.), mais de les envisager comme faisant système. Il est évident en effet que le changement climatique aggrave les problèmes en eau et qu'un écosystème imprégné chimiquement résistera beaucoup moins à ces modifications climatiques. De même, les dégâts environnementaux sont toujours plus prégnants dans les pays pauvres que dans les pays riches.

Enfin, nous assistons à une augmentation de la valeur des biens devenant rares, comme les matières agricoles, l'accès à l'espace et à l'eau, etc. Par conséquent, dans la manière dont nous gérerons l'accès à ces biens vitaux, dont la biodiversité fait partie, nous devrons veiller au type de redistribution que ces approches génèrent.

Je conclurai par trois citations. La première est de Jean-Baptiste Say qui, à la fin du 19 e siècle, déclarait : « Si les biens naturels n'étaient pas inépuisables, nous ne les obtiendrions pas gratuitement ».

Selon la seconde citation, au contraire, « L'économie mondiale manque cruellement d'une bonne dose de réalisme écologique. Les écosystèmes sont très divers, très différents les uns des autres. Ils doivent le demeurer pour continuer à fonctionner ».

Enfin, « Le jour où la création d'habitats deviendra synonyme de conservation, nous aurons transformé ce qui reste de campagne à l'état naturel en jardin suburbain. En un sens, nous aurons créé l'environnement que nous méritons : artificiel, de mauvaise qualité et fondé sur des illusions ».

Claude SAUNIER

A partir de ces questions, dont nous avons bien compris qu'elles sont éminemment politiques, nous allons continuer à accumuler un certain nombre d'éléments de réflexion.

Philippe CLERGEAU

Mon intervention porte sur la protection de la biodiversité par rapport aux invasions biologiques.

? Le phénomène des invasions

Je commencerai par rappeler quelques faits. Les invasions biologiques intéressent des espèces qui se reproduisent dans de nouvelles aires. Il peut s'agir d'invasions naturelles et spontanées ou liées à des introductions par l'homme, en général, depuis de grandes distances. Ce sont ces espèces introduites qui posent problème et que nous appelons espèces invasives.

Par ailleurs, ce phénomène d'introduction des espèces s'accélère, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, ce qui est d'autant plus évident aujourd'hui sous l'effet de la mondialisation, à travers l'augmentation du transport des hommes et des marchandises.

Ainsi, aux Etats-Unis, le nombre de plantes introduites est passé de 100 au 18 e siècle à plus de 2 000 au 20e siècle. En Europe, le nombre d'insectes introduits et installés dépasse aujourd'hui les 1 000 espèces et les poissons plus de 270 espèces, dont un tiers est arrivé dans les années 60-70.

Les impacts de ces espèces sont énormes. Les invasions sont en effet reconnues comme la deuxième cause d'extinction des espèces, après la destruction des habitats.

En termes économiques, il est beaucoup plus difficile d'avancer des chiffres. Aux Etats-Unis, des travaux ont montré que le coût de ces invasions biologiques dépassait 130 milliards de dollars.

Ces espèces invasives ont également un impact sur l'émergence directe et indirecte des maladies, par exemple, la peste introduite en Europe avec le rat noir ou le vibrion cholérique, récemment arrivé en Amérique du Sud, dans les eaux de ballasts des bateaux.

Force est de constater néanmoins que toutes les espèces qui s'installent ne sont pas problématiques. En général, seul 10 % d'entre elles posent problème. Cependant, la multiplication des cas entraîne avec elle une multiplication des problèmes.

Les points que je viens de souligner sont avérés et reconnus par la grande majorité des scientifiques et surtout des écologues, mais aussi par les gestionnaires d'espaces naturels, qui pourraient sans doute être davantage sollicités pour ce type de colloque.

? Protection de la biodiversité contre ces invasions

En matière de protection de la biodiversité contre ces invasions, un consensus s'est formé autour de l'extraction de ces espèces avant qu'elles ne deviennent trop abondantes et d'un renforcement de la surveillance au moment de la phase d'arrivée.

Néanmoins, cette volonté est freinée par plusieurs éléments. Tout d'abord, la prise de conscience de ce problème est très loin d'être générale. Si en Australie et en Nouvelle-Zélande le principe de précaution est appliqué avec beaucoup de volonté depuis plusieurs décennies, le consortium établi aux Etats-Unis, avec le Canada et le Mexique, pour activer des réseaux d'observation et mobiliser très rapidement des fonds pour des opérations d'élimination des espèces, est beaucoup plus récent.

En France ou en Italie, peu de décisions politiques efficaces ont été prises. De plus, celles-ci sont en général freinées par le manque de conviction des décideurs.

Une petite frange de la population persiste en effet à s'élever contre les interventions sur ces espèces. Si, aux Etats-Unis, il s'agit essentiellement des créationnistes, en Europe, la désinformation à ce sujet est organisée par quelques scientifiques qui, pour sauver quelques espèces introduites, s'appuient sur des slogans assez surprenants tels que « laissez-les vivre ». Il s'agit d'approches à l'échelle de l'espèce et non à l'échelle des « écosystèmes ». Or, souvent, ces personnes ont un poids inattendu sur les décisions politiques, même au niveau français.

Enfin, nous sommes confrontés à une difficulté d'affirmer que l'espèce introduite aura effectivement un impact fort sur l'écosystème d'accueil. Pourtant, l'histoire récente montre que, dans un très grand nombre de cas, l'invasion s'accompagne d'un impact négatif. A ce titre, je citerai un exemple que j'ai découvert récemment en rencontrant un collègue mexicain.

Les plécos sont des petits poissons d'aquariums « nettoie-vitre » originaires d'Amérique du Sud qui n'ont, a priori, absolument pas un profil d'invasifs, à tel point qu'au départ, lorsqu'ils les ont trouvés dans les rivières et les lacs, les Mexicains ont estimé qu'ils ne poseraient pas de problème.

Or, en quelques décennies, cette espèce est devenue grégaire. Elle a couvert l'ensemble des rivières et des lacs du Mexique et nous en pêchons aujourd'hui plusieurs milliers de tonnes. Les photos de fonds de rivières sont absolument stupéfiantes et rappellent les dégâts causés en France par les écrevisses de Louisiane.

? Les initiatives mises en place pour lutter contre les invasions

Je terminerai en proposant un certain nombre d'initiatives un peu plus précises pour protéger la biodiversité contre les espèces invasives.

Selon moi, une communication publique ainsi qu'une décision de précaution constituent les deux premiers éléments essentiels de cette protection.

C'est en offrant en effet une information au plus grand nombre, voire en demandant au public de participer au travail de surveillance, ce que font aujourd'hui les Etats-Unis et ce que commence à faire le Mexique, que nous pourrons apporter des connaissances, notamment à ceux qui freinent la décision politique.

Nous devons également prévoir une forte initiative de limitation d'arrivée de ces espèces exotiques et une réflexion plus poussée sur les notions de listes d'espèces autorisées et interdites, qui aujourd'hui ne font pas consensus.

Nous pouvons d'ailleurs nous demander si cette constitution de liste d'espèces interdites est pertinente puisqu' a priori toutes les espèces non autochtones devraient être interdites. Il s'agit d'un sujet qui, notamment pour les plantes, n'est absolument pas évident à traiter mais qui mériterait de faire l'objet de plus amples discussions.

Dans la mesure où peu de décisions interviennent actuellement au niveau français, celles-ci ont désormais vocation à être prises au niveau européen où plusieurs d'entre nous travaillent sur des listes d'espèces, avec pour objectif de relancer le principe de précaution sur les espèces les plus dommageables.

Par ailleurs, il conviendrait de développer les recherches sur les invasions biologiques, notamment à la lumière des nouvelles conditions imposées par le changement climatique. Avec la disparition des hivers, en effet, les espèces exotiques risquent de se propager encore plus facilement.

Je soulignerai également le rôle des villes, qui pourraient devenir des sources très importantes de déplacement d'espèces exotiques, en périurbain dans un premier temps, puis dans l'espace naturel, et qui mériterait d'être analysé.

Le troisième point concerne les précautions d'usage à instaurer pour les espèces captives à des fins de loisirs ou de production, dans une démarche de limitation des possibilités de dispersion.

Ainsi, nous devons insister auprès des directeurs de zoo sur leur droit à éjointer les oiseaux en captivité, ces derniers étant une source très importante d'espèces invasives sur l'ensemble du monde.

Nous pouvons également réfléchir aux possibilités de stérilisation des individus unisexes, notamment en matière d'aquariophilie ou d'élevage pour la consommation des poissons.

Ces trois types d'initiatives - communication et décision, développement de recherches dans de nouveaux contextes climatiques et réflexion sur la qualité des individus introduits volontairement - constitueraient déjà un premier pas vers la sauvegarde des écosystèmes.

Denis COUVET

J'aborderai le thème des méthodes de protection de la biodiversité.

En termes de logique de territoire, il existe trois grands types de méthodes.

? La conservation ex situ , qui consiste à mettre la nature dans des réfrigérateurs, des jardins ou des zoos, permet de séparer l'homme et la nature et, partant, de minimiser les conflits socio-économiques. Cette solution a en outre montré son efficacité en matière d'amélioration des plantes.

Ses limites sont néanmoins très importantes. Tout d'abord, elle représente un certain coût en ce qui concerne les animaux. Je vous laisse imaginer en effet les moyens nécessaires à long terme pour préserver une espèce de rhinocéros. Par ailleurs, cette conservation ne permet pas le maintien de l'essentiel, c'est-à-dire des écosystèmes.

? Les espaces protégés constituent le second type de méthode. Il s'agit d'une solution d'urgence, tout à fait indispensable pour préserver l'avenir et éviter des disparitions irréversibles aussi bien d'espaces que d'espèces. Le principal exemple à l'échelle européenne réside évidemment dans l'instauration de Natura 2000, qui concerne environ 10 % des espaces naturels.

Néanmoins, cette méthode présente également des limites importantes. Elle induit tout d'abord un certain nombre d'effets pervers. Ainsi, la protection des forêts en Finlande et en Chine a-t-elle simultanément entraîné l'intensification de l'exploitation des forêts en Russie, pour alimenter les besoins en bois de ces deux pays.

? L'autre problème réside dans la limitation de l'espace concerné, sur lequel je reviendrai ultérieurement.

Ces espaces présentent néanmoins l'avantage de constituer des laboratoires permettant d'élaborer de nouvelles politiques de conciliation entre l'homme et la biodiversité. De ce point de vue, Natura 2000 est exemplaire. Il sera nécessaire que les acteurs économiques implantés sur ces sites puissent y trouver des avantages et non seulement des inconvénients, ce qui déterminera sans doute le succès de Natura 2000.

En termes de territoire, la troisième solution concerne les espaces non protégés et ce que nous appelons « l'écologie de la réconciliation ».

A moyen terme, la quantité de biodiversité qu'il sera possible de préserver dépendra de la quantité d'espaces que nous arriverons à protéger.

Pour ce faire, il convient de mettre en oeuvre une politique de prévention, d'autant plus indispensable qu'il est plus facile d'intervenir sur des espaces en déclin que sur des espèces menacées, sur lesquelles des mécanismes endogènes, tels que les vortex d'extinction, se déclenchent, compliquant fortement la situation, aussi bien sur le plan biologique que sur le plan économique.

? Se pose ensuite le problème des méthodes de conciliation qui consistent à minimiser les impacts et à utiliser la diversité, notamment l'agriculture, avec la « révolution doublement verte ». Il existe donc de très nombreuses options, aussi bien en termes d'agriculture que de production d'énergie, d'urbanisation et de transport.

Reste à mettre en place un système d'évaluation de ces différentes options. Pour chaque option, il convient en effet d'en évaluer les effets directs et indirects ainsi que les effets pervers. Pour ce faire, nous avons besoin du triptyque suivant : un observatoire, des indicateurs et des scénarios.

Les indicateurs constituent l'élément le plus complexe de ce triptyque dans la mesure où, au-delà du nombre d'espèces, il convient également de mesurer leur abondance et leur qualité. L'indicateur « oiseaux spécialistes des milieux agricoles », aujourd'hui utilisé par l'ensemble du monde développé, constitue un bon exemple de ce type d'indicateur.

Par ailleurs, le Muséum a récemment prouvé qu'il était possible d'élaborer des indicateurs et un observatoire à un coût raisonnable pour la communauté, et ceci en s'appuyant sur le monde naturaliste.

Les oiseaux communs, comme les papillons de jardins, constituent en effet des indicateurs, élaborés à partir d'une documentation étroite avec le monde naturaliste. Avec l'indicateur « papillons de jardins » par exemple, nous avons montré que la diversité en papillons diminue d'un facteur 2 lorsque les pesticides sont utilisés dans les jardins.

Ce type d'indicateur présente également un intérêt en termes d'efficacité sociétale. En effet, la multiplication du nombre d'observateurs permet une appropriation des résultats par l'ensemble de la société, favorisant ainsi la communication et les changements nécessaires.

Si les indicateurs permettent de mesurer et de comparer l'impact des politiques présentes, les scénarios servent quant à eux à évaluer l'impact des politiques futures, comme outil d'aide à la décision. Je terminerai donc mon exposé par deux exemples de ce type de scénarios.

- le premier, évoqué dans la prestigieuse revue Science, a eu lieu en Grande-Bretagne où l'on a essayé d'évaluer l'impact de différentes politiques agricoles, à l'aide des observatoires et des indicateurs participatifs, « oiseaux des espaces agricoles ». Ceux-ci ont montré que les mesures agro-environnementales telles qu'elles sont conçues actuellement seront très faiblement efficaces dans la mesure où elles s'intéressent davantage à ce qui se passe à l'extérieur qu'à l'intérieur du champ ;

- il est enfin essentiel d'élaborer un dispositif de scénario en matière de biocarburants. Ainsi, l'espèce miscanthus, aussi appelée « herbe à éléphant », graminée tropicale de quatre mètres de haut, ce qui implique un impact visuel sur les paysages, est-elle très répandue dans la mesure où elle présente l'avantage de n'attirer que très peu de ravageurs. En réalité, cet avantage constitue également un inconvénient dans la mesure où la diffusion de cette espèce implique un nouveau déclin de la biodiversité.

Pierre-Olivier DREGE, directeur général de l'ONF

J'évoquerai la question de la protection de la biodiversité dans la forêt, s'agissant non seulement de la forêt tropicale mais également de la forêt tempérée. Il s'agit d'un sujet dont l'ONF s'occupe au premier chef, non pas en raison d'effets de mode ou de l'organisation de ce colloque au Sénat, mais parce qu'il s'agit d'un élément fondamental des missions de l'Office, au travers de sa gestion des forêts publiques.

En métropole, les surfaces concernées représentent 4,6 millions d'hectares, soit 28 % du territoire, ce qui explique l'importance des enjeux en cause, d'autant plus que les forêts représentent l'essentiel des territoires des départements d'outre-mer, notamment de Guyane.

Il faut savoir aussi que les forêts contribuent très largement aux différents mécanismes de protection que Denis Couvet vient d'exposer. Elles couvrent une part importante des réseaux Natura 2000 qui comprennent près de 40 % de la forêt domaniale. Nous disposons également d'un important réseau de réserves biologiques et naturelles, de près de 300 000 hectares.

Au-delà de ces dimensions, il convient de souligner toutes les actions destinées à garantir le maintien de la « biodiversité ordinaire » dans les espaces non protégés, qui, en forêt publique, le sont de par la loi.

Un plan d'aménagement à moyen terme, comportant l'ensemble des éléments d'intervention humaine dans ce milieu est en effet prévu pour chaque forêt publique. Ainsi, de façon systématique, tous les nouveaux aménagements comportent aujourd'hui un chapitre traitant du maintien et de la protection de la biodiversité ordinaire, en dehors des réseaux Natura 2000.

Par ailleurs, le savoir-faire du gestionnaire forestier implique, par définition, une vision à long terme.

Je soulignerai tout d'abord une question rarement évoquée, celle de la fragmentation et de l'isolement des forêts. La continuité des milieux constitue en effet un élément fondamental pour le maintien de la biodiversité, compte tenu des pressions extérieures. Or nous constatons que sont prises un certain nombre de décisions, y compris publiques, de fragmentation de ces espaces pour créer un réseau autoroutier, une ligne de TGV desservant de façon très utile l'est de la France, etc. Il s'avère en effet généralement plus facile de traverser les forêts que les terres agricoles ou les milieux urbanisés.

Par ailleurs, nous assistons à un certain nombre de déséquilibres entre la faune et la flore, qui ne sont pas nécessairement liés à des espèces invasives mais au fait que nous avons affaire, en métropole, à un milieu anthropisé depuis le néolithique.

Ainsi, nous connaissons, notamment depuis la tempête de 1999, une explosion de la population des grands cervidés qui, dans certains massifs, bloque la régénération des forêts et modifie très profondément la répartition des espèces.

Nous sommes également confrontés au problème des espèces exotiques envahissantes.

Dans la forêt de Compiègne par exemple, vous pouvez noter des développements extrêmement denses du prunus cerotina, un cerisier tardif originaire d'Amérique du Nord, qui bloque la régénération des hêtres. Ce problème des espèces invasives n'affecte donc pas uniquement les départements d'outre-mer.

Je ne développerai pas la question des pollutions locales ou à distance, qui constitue un sujet suffisamment connu, pour m'appesantir davantage sur l'impact des changements globaux, notamment climatiques, sur la biodiversité, et l'ensemble des phénomènes qui leur sont associés.

Un certain nombre de pressions et de menaces sur la biodiversité sont en effet liées au changement climatique. Dans ce contexte, la potentialité d'adaptation et l'évolution des essences s'avèrent tout à fait déterminantes pour la gestion forestière future. D'ores et déjà, nous assistons à des phénomènes de dépérissement de massifs entiers, comme en forêt de Vierzon où, du fait de la répétition d'étés longs et secs ainsi que des canicules, nous constatons un dépérissement très généralisé du chêne pédonculé.

La question du rôle du forestier face à cette destruction est d'autant plus importante que cette dernière s'applique à tout le cortège de la biodiversité lié à cette espèce. Il convient donc de trouver des solutions qui s'inscrivent le plus possible en continuité.

Alors que les décisions de rupture consistent à implanter, par exemple, dans des sols secs et pauvres des essences de type pin sylvestre, entraînant ainsi l'installation d'une toute autre forme de biodiversité, dans la mesure du possible, nous essayons de planter du chêne sessile, qui suppose une plus grande continuité en matière de biodiversité tout en ayant une plus grande résistance et capacité d'adaptation que le chêne pédonculé.

Par ailleurs, les changements climatiques entraînent l'apparition de nouveaux ravageurs, en témoignent les attaques massives de scolytes, qui ont suivi la tempête de 1999 ou le déplacement vers le Nord du pin.

La modification des usages de la forêt et du bois par la société pose également un certain nombre de questions. Que peut répondre l'ONF aux élus locaux qui demandent d'épandre en forêt les boues de stations d'épuration, en argumentant que ces engrais sont très utiles pour la forêt ?

Si pour l'instant nous avons refusé cette utilisation de la forêt, quelques expérimentations ponctuelles sont en cours pour mesurer quelles en seraient les conséquences sur la biodiversité.

Par ailleurs, le bois constitue aujourd'hui la première énergie renouvelable utilisée en France et en Europe, ce que grand nombre d'entre nous ignorons. Par conséquent, alors que nous collectons aujourd'hui environ 60 % de la croissance biologique des arbres en forêt, nous pouvons nous demander quel serait l'impact d'une collecte plus importante, allant par exemple jusqu'à 75 %. De même, la collecte des rémanents sur des sols pauvres suppose de prendre une série de précautions quant à la périodicité d'un tel prélèvement.

? Les actions à mener sans attendre

Le premier type d'action de protection consiste à diminuer les pressions. Ainsi, le rapport propose-t-il à juste titre le maintien et la recréation de corridors entre les espaces naturels avec, si nécessaire, des plans d'action fonciers, allant beaucoup plus loin que les passerelles à gibier construites au-dessus des autoroutes. Il s'agit en effet de penser une certaine continuité des milieux afin de permettre l'évolution spontanée des espaces naturels.

Rétablir l'équilibre entre la faune et la flore suppose également d'adapter les plans de chasse, permettant ainsi de compter sur une régénération naturelle plutôt que d'intervenir par une régénération artificielle.

Enfin, il convient de renforcer la prévention et la lutte contre les espèces exotiques envahissantes.

Le second type d'action à mener sans attendre consiste à anticiper les évolutions. Pour ce faire, il convient de disposer d'un référentiel. Ainsi, depuis maintenant quinze ans, l'ONF a-t-il mis en place, dans le cadre européen, un réseau de placettes de référence (RENECOFOR) qui permet de suivre l'évolution de la biodiversité.

Agir suppose ensuite d'adapter la gestion de la nature au changement climatique, tout en préservant la biodiversité, notamment à travers le déplacement des essences et des espèces vers le Nord de 50 km au cours des 50 prochaines années, ce qui est très rapide et ne peut pas se faire spontanément, en particulier pour les essences dont les graines ne sont pas diffusées par le vent.

Ainsi, en forêt de Lyons, près de Paris, à la limite de la Seine-Maritime et de l'Eure, nous avons déjà observé l'un des effets du changement climatique. Dans cette forêt, en effet, le hêtre qui était l'essence de référence, grâce à la nappe d'eau suffisamment importante, est menacé par la sécheresse estivale, notamment sur les sols peu profonds. Là encore, plutôt que de tenter une régénération de hêtres, qui ont peu de chances d'atteindre l'âge adulte, nous envisageons d'implanter, dans le secteur feuillu, du chêne sessile.

? Les forêts d'outre-mer : une biodiversité exceptionnelle

Dans les départements d'outre-mer, notamment en Guyane, il convient de renforcer le partenariat entre l'ONF et les parcs nationaux afin de prendre en compte la biodiversité dans la gestion de ces milieux.

La forêt peut également constituer une ressource économique et un facteur d'emploi local, en atteste notamment le secteur de la pharmacopée en Guyane. De même, sur l'île de La Réunion, plusieurs centaines d'emplois d'insertion ont été créés pour lutter contre les espèces invasives, sous le contrôle de l'ONF et du Parc national.

Si ces forêts d'outre-mer constituent un milieu particulièrement fragile, je tenais à insister sur le fait qu'il est également nécessaire d'entreprendre une action en métropole.

Philippe GOULLETQUER

Je reprendrai quelques points que MM. les Sénateurs ont soulignés dans leur présentation initiale sur la biodiversité marine et côtière.

Actuellement, nous sommes face à des modifications majeures de l'environnement, notamment sur les zones estuariennes, principalement dues à des problèmes de gestion de l'eau douce et d'interfaçage entre les milieux terrestres et marins, qui se concrétisent par la marinisation d'estuaires, l'assèchement de zones humides, l'apport de polluants dans les zones côtières, etc.

Face à ce problème, le développement de réseaux d'aires marines protégées, comme Natura 2000 en mer, ne sera efficace qu'à partir du moment où nous disposerons d'outils de gouvernance et où cette interface entre le terrestre et le marin sera prise en compte.

Si une agence vient de se créer sur les réseaux d'aires marines protégées, un grand nombre de travaux de recherche restent à développer, notamment sur les fonctionnalités des aires marines protégées. En matière de réglementation internationale, la France a des obligations de résultat. Ainsi, la directive-cadre sur l'eau impose-t-elle aux pays concernés d'atteindre des résultats, notamment au niveau des zones estuariennes.

Par ailleurs, le changement climatique a déjà des effets très significatifs sur la biodiversité marine. La température du Golfe de Gascogne, par exemple, a augmenté d'environ 1,5 degré sur les vingt dernières années, ce qui a un impact direct sur les aires de répartition d'espèces et sur la biodiversité des zones côtières. Ainsi l'huître creuse, traditionnellement issue du Sud-Ouest, s'étend désormais sur une aire de répartition quasiment européenne, avec des coûts induits au niveau des collectivités.

Le troisième point sur lequel je souhaitais revenir porte sur les espèces invasives et les particularités de leur propagation dans le milieu marin. Au niveau mondial, seules trois espèces ont pu être éradiquées après leur introduction, le seul moyen d'avoir une quelconque efficacité en la matière étant la prévention.

Ce problème rejoint la question de l'encadrement par l'OMC des activités commerciales des espèces, de l'aquaculture et des eaux de ballasts.

A ce titre, l'aquaculture intensive, c'est-à-dire la pisciculture, pose quelques difficultés clairement identifiées, comme la production d'huile de poisson issue des pêcheries minotières. Si des travaux de recherche ont été lancés pour substituer ces huiles de poissons, il demeure impossible d'élever un poisson carnivore avec une alimentation herbivore. L'aquaculture présente aussi l'inconvénient d'introduire des espèces invasives dans la mesure où la plupart des poissons utilisés sont exotiques et risquent de s'échapper. Ce problème est actuellement pris en compte au niveau européen par plusieurs projets de recherche.

Enfin actuellement, au niveau français, plus de 22 millions de mètres cubes d'eau sont déballastés dans les ports de commerce, ce qui correspond à des transferts d'écosystèmes de tous les continents vers la France. En appliquant les règles des 10 %, nous arrivons ainsi à des introductions d'espèces tout à fait significatives, les ports de commerce devenant des hot spots en la matière.

Pour régler ce problème, une convention internationale a été signée au niveau de l'OMI en 2004. Ainsi plusieurs pays ont déjà pris des mesures réglementaires pour systématiser les traitements et les sédiments d'eaux de ballasts dans les ports de commerce.

Philippe GROS

Mon intervention portera sur les ressources vivantes et la biodiversité.

Je ne reviendrai pas sur les enjeux et les impacts de cette question, qui ont été largement évoqués dans le rapport.

Je préciserai néanmoins que les enjeux de l'exploitation des ressources vivantes renouvelables sont de trois ordres.

Le premier est alimentaire, puisqu'en 2005 l'approvisionnement en produits de pêche ou d'aquaculture a atteint les 107 millions de tonnes, 58 % provenant de la pêche et le reste de l'aquaculture.

Le second enjeu a trait à l'irrigation économique des tissus territoriaux côtiers, notamment ceux des Etats insulaires, pour lesquels ces activités sont quasiment vitales.

Le troisième, dont il est plus précisément question aujourd'hui, concerne l'appropriation par la société civile des préoccupations liées aux activités extractives et d'élevage, qui correspondent à l'exploitation d'un patrimoine collectif.

Vous avez tous entendu parler de cette alerte de la fin des pêcheries atlantiques en 2048. Elle est fondée sur l'extrapolation de la courbe que vous pouvez observer à l'écran, qui résulte de la compilation de différentes sources de données issues de grands écosystèmes marins et qui correspond au pourcentage d'effondrement annuel des captures réalisées par les pêches, ce qui signifie que progressivement un certain nombre de pêcheries atteindront un niveau de capture en dessous du 10 % de leur maximum historique.

Au travers de cette extrapolation, ce n'est donc pas l'abondance réelle de la ressource qui est examinée mais ce que nous en extrayons, ce qui peut provenir non seulement d'une raréfaction de la ressource elle-même mais également d'une consolidation de l'encadrement de la gestion mis en place après les pratiques de capture « débridées » des années 60.

Bien que cette prévision, fondée sur une extrapolation, soit conceptuellement et statistiquement discutable, elle servira de point de départ à mon propos.

Si les médias ont particulièrement retenu cette partie de l'article de Boris Worm et des autres coauteurs, ils n'ont pas relevé les propositions construites qu'il formulait pour renverser cette tendance, notamment autour de la notion de protection des écosystèmes.

Enfin, cette extrapolation présente le défaut d'avoir été construite comme si aucun changement (d'environnement, de gouvernance, etc.) n'allait intervenir dans les quarante à cinquante prochaines années, ce qui n'est absolument pas crédible.

Sur le schéma diffusé à l'écran, vous pouvez observer les trois piliers sur lesquels repose la gouvernance des pêches dans l'océan mondial.

A gauche, vous retrouvez l'élaboration du cadre juridique commun à toutes les activités en milieu marin, depuis la mer territoriale en passant par la zone économique exclusive (ZEE), jusqu'à la haute mer, par la convention de Montego Bay, ratifiée en 1982, qui fixe les droits et les devoirs des Etats riverains dans leur zone économique exclusive. Dans la mesure où la France dispose de la seconde ZEE au monde, nous avons une responsabilité particulière en la matière.

La colonne centrale récapitule le processus des conférences sur l'environnement, sur lequel je ne reviendrai pas, à l'exception de quelques points relatifs à l'océan dans la Déclaration de Johannesburg.

Enfin, la partie de droite concerne les initiatives de la FAO, qui dispose d'un département des forêts et d'un département des pêches. Très actif, depuis la création en 1965 du comité des pêches, ce département a commencé par définir la notion de pêche responsable à la conférence de Cancun, au cours de laquelle ont été utilisés les termes de « produits sains, sûrs et de qualité », « de pratiques respectueuses de l'environnement », etc. Je précise que le terme de pêche englobe l'aquaculture.

Il y a une dizaine d'années, nous avons assisté à la création d'un instrument volontaire marquant : le Code de conduite pour une pêche responsable qui, en douze articles, a défini des principes de gestion, comme le fait qu'aucun navire ne devrait pêcher sans y avoir été préalablement autorisé, ce qui, en 1995, constituait une idée relativement neuve. Ce code consacrait en effet la conception d'une production finie des écosystèmes marins et, partant, d'une activité qu'il convenait d'encadrer.

Enfin, la déclaration de Reykjavik a posé les principes de l'approche écosystémique des pêches.

Alors que le terme écosystémique peut sembler limiter la démarche à son aspect biologique et, partant, paraître un peu réducteur, il intègre en réalité les dimensions sociales, économiques et technologiques du système de la pêche.

Cette approche vise à définir un objectif de viabilité bioéconomique, prenant en compte l'idée sous-jacente que la capacité de production des écosystèmes n'est pas inépuisable. Il convient donc pour les pêcheurs d'ajuster la capacité extractive de leur flottille à la productivité des milieux.

Pour atteindre ce type d'ajustement, il faut pouvoir se doter d'une capacité de planification stratégique de long terme. Ce débat est actuellement ouvert en France et en Europe. Il consiste à trouver des solutions pour éviter le phénomène de concurrence effrénée entre exploitants, tout en garantissant aux pêcheurs une jouissance future des ressources qu'ils exploitent, ce qui pose le problème de la réouverture des droits à produire, consistant à passer d'une ressource commune à une ressources encadrée et régulée.

Enfin, dans la mesure où il s'agit d'un système complexe, nous devons anticiper les éléments de sa dynamique. Pour ce faire, il convient de raisonner en termes de scénarios de gestion d'un environnement fluctuant. Nous avons notamment beaucoup insisté sur les variations climatiques, qui ont vocation à s'amplifier avec le réchauffement global. Par ailleurs, un grand nombre d'intervenants ont souligné l'importance d'engager toutes les parties concernées dans le processus de décision, en distinguant entre les mesures afférentes à la conservation et celles qui relèvent du partage des ressources entre usagers.

Par ailleurs, par-delà les impacts qu'elle crée, la pêche est elle-même affectée par les atteintes à l'intégrité des écosystèmes, à travers :

- la dégradation de la qualité des eaux côtières ;

- l'introduction d'espèces allochtones ;

- la destruction d'habitats critiques, comme les nourriceries côtières ;

- la contamination des produits de la mer par des micropolluants organiques issus des usages industriels et agricoles ;

- les usages des eaux douces, le changement climatique, etc.

Pour déployer, vis-à-vis de cet ensemble de questions, une stratégie à la hauteur des enjeux que j'ai rappelés en préambule, il faut être à même de combiner durablement l'usage des biens et des services écosystémiques à des échelles appropriées à des mesures de gestion.

En Europe, à la demande de la Commission, le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) a défini il y a quelques années de grandes écorégions marines, qui correspondent à des entités écologiquement cohérentes, sur lesquelles ont été installés des instruments issus de la réforme de la politique commune de la pêche en 2002, les Comités consultatifs régionaux. Ces instances ont été créées par l'Union européenne de manière que les professionnels de la pêche conseillent la Commission en matière de gestion.

En conclusion, j'évoquerai le Code de conduite pour une pêche responsable, qui a ciblé les besoins en matière de recherche sur la pêche et l'aquaculture.

Dès 1995, cette idée d'étudier le « système pêche » était déjà présente puisque, dans l'article 12 du Code il est question de « la pêche sous tous ses aspects, y compris dans les domaines de la biologie, de l'écologie, de la technologie, des sciences environnementales, de l'économie, des sciences sociales, de l'aquaculture et des sciences de la nutrition ».

Par conséquent, actuellement, travailler sur le domaine halieutique signifie étudier une activité primaire relativement originale, dont le champ est suffisamment bien circonscrit pour pouvoir tester la réalité des applications du développement durable. Si nous échouons dans cette matière, il me semble que nous pourrons être très pessimistes dans les autres domaines.

Bernard MALLET

Je reviendrai sur le thème de la forêt tropicale, parfaitement introduit par M. Saunier.

Si le chiffre de 13 millions d'hectares de forêt tropicale disparaissant tous les ans, donné par la FAO, est exact, il cache néanmoins une grande diversité. Premièrement, alors que nous évoquons le plus souvent les forêts tropicales humides, qui constituent d'importants réservoirs de biodiversité, les zones les plus critiques sont souvent les forêts sèches.

Nous pouvons relever deux causes déterminantes de cette déforestation : d'une part, l'agriculture, qu'elle soit le fait de l'agro-industrie ou de petits agriculteurs qui essaient de survivre en faisant des abatis pour planter de l'igname ou du manioc, etc. et d'autre part, la surexploitation forestière.

Ainsi, raisonner sans disposer d'une vision plus globale des interactions entre agriculture et forêt risque de nous faire passer à côté de questions majeures, comme le fait que l'accroissement inévitable de la population mondiale va entraîner des besoins plus importants en matière d'alimentation.

Les solutions en termes d'intensification, au sens classique du terme, ayant déjà été testées, avec la « révolution verte », sans apporter de réelle solution, nous pouvons envisager de nous tourner vers l'intensification écologique. Néanmoins, nous risquons de manquer de terres pour nourrir tout le monde, les estimations en termes de surfaces supplémentaires nécessaires allant de 100 millions à un milliard d'hectares. Se pose alors la question de l'interaction entre les espaces agricoles, présents et futurs, et les autres milieux disponibles.

Par ailleurs, contre qui et pour qui cette protection des forêts doit-elle s'organiser ? Dans les pays tropicaux, il s'agit de l'Etat, des structures locales, des acteurs économiques, etc. Par conséquent, la réflexion ne verra pas l'intervention de « casques verts » mais doit mobiliser l'ensemble des acteurs locaux dont il convient de faire en sorte, au travers d'une concertation, que les intérêts coïncident avec ceux de la protection des forêts.

Au niveau des actions à envisager, plusieurs mesures peuvent être mises en oeuvre.

Claude Saunier évoquait les discussions qu'il a eues avec des interlocuteurs du Brésil sur la possibilité d'aménager les forêts. Il est évident que nous devons nous inspirer d'approches multiformes.

Ainsi, bien que nécessaires, les aires protégées demeurent totalement insuffisantes. Par ailleurs, il convient de prendre en compte la réalité des besoins en bois, en pharmacopée, en protéines issues de la chasse, etc. L'aménagement forestier doit pouvoir répondre à l'ensemble de ces besoins.

Ce matin, nous avons mentionné les recherches pour l'aménagement forestier de la Guyane, qui offrait des pistes extrêmement intéressantes. Dans les zones tropicales, une réflexion similaire est en cours. Actuellement, en Afrique, une dynamique, soutenue par la France vise à promouvoir l'aménagement forestier. Il en est de même au Brésil, dont les autorités ont tout récemment défini la possibilité de mettre en place des concessions forestières au sein desquelles des stratégies d'aménagement forestier seront définies. Néanmoins, la question de l'implication des différents acteurs au sein de ces stratégies reste posée.

Par ailleurs, un certain nombre de pays, comme l'Indonésie, ont développé des stratégies agroforestières permettant aux paysans de produire différentes denrées. Il existe ainsi des agroforêts à café en Inde, et à cacao en Côte-d'Ivoire ou en Amérique centrale. Il s'agit d'une tradition, mise en oeuvre par les paysans et redécouverte par les chercheurs.

D'une manière générale, les forêts tropicales ne pourront être protégées que si elles ont une valeur, c'est-à-dire si elles apportent des bénéfices à ceux qui sont censés les protéger. En effet, dès lors qu'il devient rentable pour une société agro-industrielle de produire du palmier à huile, celle-ci n'hésitera pas à raser la forêt. De même, si le fait de raser son petit lopin de forêt constitue pour un paysan son seul moyen de survie, il le fera.

Par conséquent, quelle valeur pouvons-nous donner à la forêt pour que les acteurs qui auraient intérêt à la protéger puissent être impliqués ?

Il convient tout d'abord de prendre un certain recul par rapport aux solutions données par les molécules utilisées par la pharmacopée, dans la mesure où il n'est pas certain qu'elles apportent une véritable valeur ajoutée pour la protection de la forêt.

Le même type de questions se pose vis-à-vis du carbone. En effet, si la reforestation fait partie des critères définis par le protocole de Kyoto, elle implique le plus souvent de planter de l'eucalyptus là où il n'y en avait pas auparavant.

Pour terminer, nous pouvons nous demander quelle attitude la France doit adopter face à ces problèmes. Il me semble pour ma part qu'elle doit commencer par avoir une stratégie.

Ainsi, un groupe de travail, piloté par plusieurs ministères, a-t-il sorti, en mars-avril 2006, un livre blanc sur les forêts tropicales humides, qui précisait la vision que nous pouvions avoir au niveau français entre différents acteurs.

Comment porter ensuite cette stratégie au niveau politique ? Tout d'abord, la France est présente dans un certain nombre d'enceintes, comme le Forum des Nations unies sur les forêts (FNUF), le Comité des forêts (COFO) de la FAO, l'Organisation internationale des bois tropicaux, dans les enceintes européennes concernées, etc.

Par ailleurs, il est possible de mettre en place des actions directes en partenariat avec les pays du Sud. Ainsi, un certain nombre de structures interviennent-elles au niveau de la recherche, comme le CIRAD, l'ONF international, etc., dans le cadre de projets. Il en est ainsi d'un projet d'aménagement forestier en Amazonie qui vise à prendre en compte l'intérêt des paysans, des gestionnaires forestiers, des administrations forestières, etc. Des actions similaires sont menées dans le bassin du Congo, où la France est très présente, à travers des structures comme l'Agence française pour le développement, le ministère des Affaires étrangères, etc.

Ces actions s'inscrivent non seulement dans une logique d'appui aux aires protégées mais également dans une vision plus globale d'aménagement forestier, développée en partenariat entre les structures françaises et les acteurs locaux.

Un volet de ces actions est également consacré à la formation, celle-ci étant fondamentale dans un certain nombre de pays, notamment africains.

Enfin, en matière de certification, la France a édicté l'année dernière une directive sur les marchés publics qui impose de n'utiliser que du bois issu de forêts gérées de manière satisfaisante.

Ghislain de MARSILY

Je traiterai de l'eau, à travers deux remarques.

Premièrement, je m'appuierai sur les travaux de Michel Griffon pour indiquer que 75% de l'eau que nous consommons est utilisée pour l'agriculture. L'essentiel du problème de l'eau est donc lié à la production alimentaire.

Dans la mesure où la population augmente et où elle doit atteindre neuf milliards en 2050, nous risquons d'être confrontés à un problème d'approvisionnement alimentaire, lié à cette carence en eau. Actuellement, nous disposons d'1,6 milliard d'hectares d'agriculture fluviale et 264 millions d'hectares irrigués.

Nous allons donc devoir choisir entre augmenter l'irrigation, c'est-à-dire construire des aménagements pour irriguer davantage les périmètres nouveaux ou augmenter la surface d'agriculture pluviale, sachant qu'il reste environ quatre milliards d'hectares cultivables sur terre.

S'agissant de la première option, la FAO prétend qu'avec 150 millions d'hectares supplémentaires aménagés en 2050, il serait possible de nourrir la planète, à condition que la population mondiale accepte de limiter ses apports alimentaires à 2 000 calories par jour et par individu. Ces aménagements impliquent néanmoins un certain nombre de conséquences écologiques qu'il conviendrait d'évaluer.

Selon M. Griffon, l'agriculture pluviale représente une alternative à cette première option.

Néanmoins, l'Asie a déjà exploité 75 % de ses surfaces cultivables tandis que le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord en sont à un taux de 87 %. Avec un taux de l'ordre de 50 %, l'Europe et l'Amérique du Nord disposent encore de quelques espaces.

Restent l'Amérique latine et l'Afrique subsaharienne qui n'ont exploité respectivement que 19 % et 22 % de leur surface cultivable.

J'ai donc le regret de vous indiquer que la seule surface où il est encore possible d'organiser une agriculture pluviale se trouve en Amazonie. C'est d'ailleurs la principale raison qui pousse les autorités brésiliennes à défricher la forêt amazonienne. Dans cette perspective, la biodiversité est gravement menacée.

M. Griffon avait par ailleurs établi un scénario dans lequel, outre la production alimentaire, une partie de ces surfaces serait réservée à la production de bioénergie. Il en conclut que la quantité d'espaces protégés de par le monde serait réduite à leur portion congrue.

Par conséquent, il me semble que l'une de vos premières recommandations dans ce rapport devrait consister à mettre en garde la population contre l'impossibilité de procéder simultanément à l'augmentation de la production agricole à des fins alimentaires et bioénergétiques et à la protection de la biodiversité.

Actuellement, le choix entre agriculture pluviale et agriculture irriguée est dicté par la Banque mondiale. En effet, dans la mesure où celle-ci considère que les investissements dans les barrages ne sont pas suffisamment rentables, la plupart des pays sont conduits à mener une politique de défrichement pure et simple. Il conviendrait donc, au niveau mondial, que les chercheurs nous aident à réfléchir à cette alternative.

Deuxièmement, j'aborderai le problème de la qualité des eaux, notamment en Europe. Ainsi, la directive-cadre européenne sur l'eau de 2000 prescrit-elle d'améliorer, d'ici à 2015, la qualité écologique et chimique des masses d'eaux.

Il s'agit donc d'une obligation de résultats et non de moyens. En France, nous nous situons dans une phase intéressante de ce programme puisque nous avons commencé par essayer de définir ce que nous entendions par l'expression « bonne qualité écologique des milieux ». Etant donné leur dégradation, nous pouvons en effet nous demander sur quel référentiel nous fonder pour déterminer cette qualité.

Nous allons être ensuite confrontés à un problème de mesure. Il convient en effet de proposer aux collectivités locales et de faire valider par Bruxelles des programmes d'amélioration de la qualité des eaux acceptés par la population, puisque la directive-cadre impose que « le dialogue soit établi avec les collectivités pour que les mesures choisies soient acceptables ».

Or ces négociations sont actuellement bloquées par l'immobilisme des différents acteurs qui ne veulent ni changer la nature des cultures, ni arrêter d'utiliser des pesticides.

En guise de conclusion, je reviendrai sur l'exemple de New York, cité par Mme Dron, et que j'ai traité dans un article publié, il y a quelques années, dans une revue du ministère de l'Environnement, sous l'appellation de « parcs naturels hydrologiques ». Mon propos était que, puisque nous protégions un certain nombre d'espèces en voie de disparition, pourquoi ne déciderions-nous pas de protéger l'eau. Nous pourrions en effet organiser, dans quelques sites choisis, la protection de l'eau en y interdisant toute activité polluante, sous la vigilance par exemple de l'ONF.

Cette idée séduit actuellement de plus en plus d'individus, le traitement du nitrate étant très coûteux.

Pourquoi en effet ne pas essayer de concilier les objectifs de protection de la biodiversité avec la mise en place de parcs naturels hydrologiques dont la vocation serait de produire de l'eau potable non traitable ? Cette idée a été reprise par un rapport sénatorial de M. Miquel il y a quelques années sur la protection des zones.

Pierre LAFFITTE

Je précise seulement qu'une partie de l'eau de Paris coule encore dans des zones protégées. Néanmoins, cette idée me semble très intéressante.

Débat

Marie-Christine BLANDIN

Le risque d'invasion a donné lieu à la constitution d'un catalogue d'espèces endémiques qui permettrait de donner des repères afin de savoir quelles espèces il convient de protéger ou non. Néanmoins, il conviendrait d'éviter que celui-ci ne devienne le cheval de Troie d'un certain nombre de semenciers limitatifs qui auraient ainsi un argument pour nuire à ceux qui ont permis la viabilité dans le temps d'espèces de fruits et de légumes anciens.

Pour illustrer mon propos, je citerai un exemple qui rejoint l'exposé de M. de Marsily sur l'eau et la biodiversité. Dans ma région, pour aider un grand trust alimentaire de frites surgelées, les cultures ont été limitées à une seule espèce de pommes de terre, devant être irriguée de manière particulièrement intense. Or, dans le même temps, une association comme Kokopelli est poursuivie en justice parce qu'elle a eu l'audace de transgresser une loi interdisant à un jardinier de mettre au point un certain type de grosses tomates.

Pierre LAFFITTE

Je souscris à vos propos. Nous nous sommes adressés sur ce point au ministre de l'Agriculture. Néanmoins, nous n'avons pas encore obtenu de réponses.

Xavier POUX

Concernant la question de savoir si la déforestation est nécessaire pour répondre aux besoins en termes de production alimentaire, il me semble qu'il existe des marges de manoeuvre au niveau européen. En Europe en effet, les deux tiers des céréales sont à usage de l'alimentation animale, l'équivalent étant la production de soja en forêt amazonienne. Nous devrions donc commencer, en Europe, par produire de la viande nourrie pour éviter d'importer du soja et de produire des céréales et, partant, pour donner leur chance aux agricultures vivrières.

François BURGAUD

La tournure que prend votre débat m'inquiète dans la mesure où, jusqu'à présent, il m'avait semblé qu'il existait un consensus sur le fait que, si la conservation in situ permettait d'entretenir des milieux dans lesquels la biodiversité pouvait continuer à s'exprimer, elle n'était pas suffisante pour maintenir des espèces. En effet, par définition, l'évolution des milieux fait disparaître certaines espèces et certains individus.

Par ailleurs, si vous avez raison d'évoquer, dans votre rapport, la nécessité d'une conservation ex situ , je ne vois pas pourquoi d'une part, la priorité de l'Etat français serait de s'allier à un programme pour conserver les espèces des milieux arides et semi-arides alors qu'un institut international, le Centre international de recherche sur les régions arides (ICARDA), a été mis en place dans ce but et d'autre part, il ne consacrerait pas de moyens dans la conservation des ressources génétiques dont l'agriculture française a besoin.

Enfin, conserver intelligemment implique de caractériser les espèces, ce qui rejoint le débat, dans lequel je ne souhaite pas entrer, sur la légitimité de tel ou tel acteur dans ce domaine. A titre d'exemple, les 350 variétés de blé déclarées dans l'entre-deux-guerres sont passées à moins de 200 dix ans plus tard dans la mesure où 150 d'entre elles, qui portaient des noms différents, appartenaient en réalité à la même variété.

La conservation ayant un coût, il convient d'assurer à notre pays l'utilité de cette dépense, en conservant une variabilité génétique pouvant servir en fonction des changements climatiques.

Je conclurai en soulignant que rien aujourd'hui ne permet d'affirmer que l'agriculture conventionnelle ne peut pas répondre aux défis posés par le changement climatique. Ainsi, si la FAO fait appel au développement des biotechnologies en Afrique, il ne me semble pas que nous puissions tout en attendre.

Dominique DRON

Concernant la conservation in situ , se pose également la question de la possibilité de faire co-évoluer les semences. En effet, certaines espèces pourraient avoir des caractéristiques encore plus intéressantes si elles avaient la capacité d'évoluer avec les conditions du milieu.

Par ailleurs, je précise que la « révolution doublement verte » ne réside pas dans les biotechnologies. Au contraire, il s'agit de redonner une importance primordiale au fonctionnement des sols. A ce titre, nous avons pu constater lors des canicules que les agricultures les moins affectées étaient celles dont les sols étaient les plus robustes.

Il convient également de jouer davantage avec les complémentarités des fonctions écosystémiques et les mélanges de variétés pour obtenir des productivités solides, plutôt qu'un rendement maximal théorique fondé sur l'assistanat chimique ainsi que sur une hypothèse d'environnement constant.

Enfin, je rappellerai que selon le rapport du GIEC, si l'Amazonie venait à être entièrement déforestée, la disparition du cycle hydrologique local qu'elle entretient entraînerait une augmentation de l'ordre de 1,5 degré de la température du globe, transformant ainsi tous les puits de carbone en sources nettes, comme la toundra de l'Alaska, la forêt du Costa Rica, etc.

Une réflexion multicritères est donc toujours préférable lorsqu'il s'agit de nous interroger sur notre avenir.

Stéphane FAUTRAT, Société des Agriculteurs de France

Je souscris aux propos qui ont été tenus sur la production de protéines, notamment dans le cadre des accords de Blair House en 1992. Un tel accord pourrait-il être mis en cause ? En effet, si l'Union devait produire à elle seule ses besoins en alimentation animale, cela aurait un impact considérable sur la biodiversité et l'érosion des sols.

Il me semble pour ma part que l'agriculture s'adaptera à un nouveau mode de production, plus environnemental, même si, étant donné les quarante années nécessaires à son développement, basé sur une forte intensification, cette adaptation prendra nécessairement du temps. Elle aura également un coût. Par conséquent, le consommateur européen est-il prêt à faire passer son budget alimentaire de 13 % à 15 %, 20 % ou 25 % ?

Claude SAUNIER

Nous avons pu constater au cours de ces débats que l'examen très technique des problèmes de la biodiversité renvoie à des questions éminemment politiques, de comportements, de modes de vie et de remises en cause de pratiques culturelles, ce qui témoigne de la nécessité d'étudier ces questions non seulement sous l'angle des sciences dures mais également à l'aide des sciences sociales et humaines.

Dominique DRON

En termes économiques, il convient de noter que la prise en charge par les ménages du coût, d'une part de la contribution à la Politique agricole commune, et d'autre part de la dépollution liée aux itinéraires agricoles actuels, ferait augmenter leur budget alimentaire d'environ 60 %.

Claude SAUNIER

Nous faisons donc payer au contribuable ce qui est gratuit pour les consommateurs.

En conclusion, j'indiquerai que, dans le Cerrado, nous avons vu des centaines de milliers d'hectares de forêt sèche transformés en zones agricoles. Alors qu'un certain nombre de nos interlocuteurs brésiliens avaient l'impression de maîtriser la déforestation, d'autres nous ont fait savoir que cette limitation n'était due en réalité qu'à la baisse du cours du soja.

III. TROISIÈME TABLE RONDE : VALORISER DURABLEMENT LA BIODIVERSITÉ

Participaient à cette table ronde :

? Luc ABBADIE , Professeur, Ecole normale supérieure (ENS)

? Hervé ARRIBART , Directeur scientifique, Saint-Gobain

? Simon BERTAUD , Président-directeur général, Goëmar

? Thibaud CORADIN , Responsable unité «Chimie de la matière condensée », Université Pierre et Marie Curie

? Michel GRIFFON , Directeur du département Ecosystèmes et développement durable, Agence nationale de la recherche

? Jean-Claude LEFEUVRE, Président, Institut français de la biodiversité (IFB)

? Pierre STENGEL , Directeur scientifique, Institut national de la recherche agronomique (INRA)

? Jean WEISSENBACH , Directeur du Genoscope-Centre national de séquençage.

Pierre LAFFITTE

Pour en revenir à l'un des points qui préoccupent au premier chef l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), à savoir pourquoi il nous incombe de protéger la biodiversité, il convient de commencer par souligner que celle-ci est avant tout utile pour l'humanité, pas simplement pour la beauté des paysages ou le tourisme, mais parce qu'elle met en jeu des aspects économiques fondamentaux.

Cet intérêt est assez difficile à faire comprendre. C'est l'une des raisons pour lesquelles notre rapport devrait avoir un certain retentissement. Il convient en effet que les décideurs prennent conscience du fait que la problématique de la biodiversité ne se limite pas à la protection des grenouilles et des papillons.

L'approche d'une crise énergétique nous a conduits à proposer, lors d'un premier rapport, une forte inflexion du modèle de développement économique, compte tenu des coûts induits par le changement climatique.

La biodiversité des écosystèmes nous donne une seconde raison d'insister sur la nécessité pour notre modèle économique d'évoluer vers une élimination des coûts indirects, notamment ceux qui viennent d'être évoqués par Dominique Dron, en matière d'alimentation, de traitement des eaux, de l'usage de pesticides qui provoquent une diminution de la résilience des systèmes agricoles.

Les services rendus par la biodiversité sont importants. Néanmoins, soit nous nous contentons d'en faire un usage habituel, soit, face à la mutation économique que nous déjà évoquée qui interviendra nécessairement en raison du changement climatique et de la crise économique, nous essayons de construire un nouveau modèle de développement fondé sur la biodiversité.

Face à cette alternative, nous estimons qu'il nous faudra certainement essayer d'utiliser de nouveaux outils et ne pas nous limiter à l'utilisation des services rendus par les écosystèmes.

Quels sont les services actuels de la biodiversité pour nos économies ?

Nous constatons tout d'abord un certain nombre d'apports dans les domaines sanitaire, agronomique et hydrologique.

La biodiversité constitue en effet un facteur d'inhibition d'un certain nombre de maladies, essentiellement les maladies tropicales, comme la leishmaniose, la maladie de Chagas, la maladie de Lyme, etc.

Car la destruction des milieux favorise la propagation de ces maladies parce que, d'une part, leurs vecteurs sont ainsi transplantés dans les milieux transformés, comme les palmiers à huile plantés en Indonésie, et que d'autre part les mammifères hôtes de ces maladies disparaissant, elles risquent de se diffuser par l'intermédiaire d'autres mammifères comme les rats et les chiens qui sont davantage au contact de l'homme.

En outre, le nombre actuel d'agents pathogènes est trois cent fois plus important dans les zones tropicales qu'ailleurs dans le monde et le changement climatique risque de les faire migrer. Il en est ainsi dans le Sud de l'Europe qui a déjà vu l'apparition de la dengue.

La biodiversité est également une ressource en tant que matière première pour la pharmacopée. Etant donné qu'il nous reste à étudier quelques centaines de milliers de bactéries, nous pouvons espérer aboutir à une nouvelle forme de biochimie, infiniment plus efficace en termes de matières premières et d'énergie consommées.

Il est essentiel de souligner ces apports fondamentaux dans le domaine médical dans la mesure où la population y est très sensible.

En ce qui concerne les services agronomiques rendus par la biodiversité, nous pouvons citer la pollinisation. Ainsi, nous avons mentionné le problème des bourdons.

Nous avons également évoqué la perte de résilience des prairies monoculturales, qui implique d'utiliser beaucoup plus de pesticides. Il en est de même de la résistance à la sécheresse ou aux ravageurs. Toutes les études scientifiques concordent sur ce point.

Enfin, en termes de services hydrologiques, nous avons abordé le rôle capital des marais notamment, en matière de filtration, la ville de New York ayant réussi, grâce à eux, à diminuer drastiquement le coût de la gestion des eaux.

Le rapport Stern chiffre à 11 points de PIB la dégradation à venir des services actuellement rendus par la biodiversité.

Il s'agit en tout cas de chiffres considérables qui peuvent faire la différence entre la croissance et la stagnation, voire la récession.

Or ces services sont insuffisamment connus et reconnus, ce qui constitue l'une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, vis-à-vis des pouvoirs politiques et économiques.

Nous nous heurtons en effet à un problème de fond qui réside dans la difficulté d'intégrer le temps long dans les calculs économiques, alors que celui-ci est fondamental dès lors que nous abordons la question du développement durable. Si l'économie prend généralement en compte cette durée à travers les taux d'intérêt, certains points de rupture sont difficilement calculables.

Le problème de la biodiversité est donc davantage stratégique qu'économique et pose la question de la gouvernance mondiale. Seules trois zones sont actuellement en mesure d'exercer cette gouvernance : les Etats-Unis, la Chine et l'Europe. Dans ce domaine, il est donc fondamental que cette dernière se montre capable de s'exprimer d'une même voix, ce qui sera sans doute moins facile en matière de biodiversité que d'énergie, compte tenu des dissensions au sein du couple franco-allemand. Néanmoins, nous estimons possible d'y arriver, notamment à l'aide de la science, de la technologie et de l'innovation.

Claude SAUNIER

Après avoir essayé de lancer, à partir de données consolidées tout au long de la journée, une sorte d'alerte, nous ne souhaitons pas terminer ce rapport sur une note essentiellement pessimiste. Nous estimons en effet qu'il est toujours possible de procéder à une analyse intelligente de la crise et, à partir de celle-ci, de trouver des raisons de rebondir.

Dans un premier temps, nous avons tenté de montrer les bénéfices que la biodiversité apportait à notre économie et ce qu'il nous en coûterait si nous n'étions pas capables de la préserver.

Au-delà, nous considérons qu'une connaissance approfondie de la biodiversité et de ses mécanismes nous permettrait d'identifier des réponses susceptibles d'inspirer utilement nos pratiques d'ingénieurs, notamment dans les disciplines émergentes de la bio-inspiration ou du biomimétisme.

Nous avons fait à ce titre, dans les laboratoires que nous avons visités, des découvertes tout à fait intéressantes intellectuellement, par exemple, une roue de moto dont le rayonnage a été conçu sur le modèle géométrique des ammonites, lui donnant ainsi les mêmes caractéristiques de résistance qu'une roue traditionnelle pour un poids d'1,3 kilo de moins.

De même, nous avons pu observer des drones fonctionnant sur le modèle des libellules ou des ailes d'avion dont la fabrication s'est inspirée de l'examen du fonctionnement des ailes d'oiseaux. Les ingénieurs qui ont eu cette idée sont partis du constat qu'en volant les oiseaux ne faisaient pas de bruit. Ils en ont déduit que leurs ailes devaient avoir une ergonomie particulière leur permettant d'économiser de l'énergie.

J'évoquerai également d'une part les biotechnologies ainsi que tous les instruments nouveaux de fabrication des molécules issus de l'utilisation des bactéries, et d'autre part la bioprospection, c'est-à-dire l'examen de la biodiversité permettant de découvrir la plupart des molécules actives, d'origine végétale, de notre pharmacopée.

Il s'agit donc d'un état d'esprit très positif, qui n'est pas fondé sur l'idée d'une intelligence supérieure et immanente mais sur la volonté de nous inspirer des solutions mises au point par la nature.

Michel GRIFFON

Lorsque nous nous référons au concept de « services rendus par les écosystèmes », il convient de veiller à l'utilisation du terme « service ». Il ne faudrait pas en effet l'employer dans son sens économique de production.

En revanche, dans la mesure où il s'agit de ressources renouvelables, le concept de services produits impose d'assurer le renouvellement de la base productive, ce qui implique d'appréhender correctement le fonctionnement des écosystèmes. Derrière la notion de service se trouve donc la notion de fonctionnalité, qui renvoie à l'écologie fonctionnelle, science qui nous permet de comprendre ce fonctionnement. Ainsi, un article célèbre de Costanza avait-il identifié près de 18 fonctionnalités à caractère générique des écosystèmes, qui ont ensuite été confirmées par les travaux du Millenium Ecosystem Assessment. Dans ces travaux, ces fonctionnalités et leur traduction en termes d'utilité pour le bien-être des sociétés sont systématiquement distinguées.

Tous les écosystèmes, qu'il s'agisse d'une forêt tropicale très riche en biodiversité ou de la forêt de la Beauce, dont la transformation sur plusieurs milliers d'années n'a pas abouti à une très grande diversité variétale, produisent des biens alimentaires, des biens énergétiques, des fibres, des matériaux, de l'eau, etc.

Ces biens sont en outre l'objet de circulations et de cycles, dont certains sont fondamentaux pour le futur comme le cycle du carbone, qui peut être séquestré ou au contraire émis par les écosystèmes, le cycle de l'eau, le cycle de l'azote, du phosphore, de la potasse, etc.

Ces derniers sont très importants pour la production, le phosphore par exemple provenant de gisements concentrés sur une quarantaine de lieux sur la planète. Au coût actuel d'extraction, la durée de vie de ces gisements de phosphore a été évaluée à près de 60 ans tandis qu'avec des coûts plus élevés, nous pouvons espérer les conserver pendant encore 400 ans.

De même l'azote, qui sert à produire la matière verte agricole, provient essentiellement du gaz naturel, celui-ci étant utilisé, sous des pressions de 150 à 350 bars, pour produire les engrais azotés dont nos écosystèmes productifs ont besoin.

Il convient également de prendre en compte non seulement les interactions entre les maladies et les ravageurs mais également les effets économiques induits par l'esthétique des paysages.

Le facteur clé permettant à ces écosystèmes de produire de l'utilité et des services réside dans leur diversité, qu'il s'agisse du paysage, des espèces ou de la diversité génétique à l'intérieur de chaque espèce.

Il existe un grand nombre d'aménagements et de paysages extrêmement différents, parmi lesquels certains favorisent l'envahissement, comme les centaines de milliers d'hectares de plaines qui permettent aux ravageurs de prospérer. D'autres sont plus propices à la résilience, comme les systèmes de haies, de bandes enherbées, etc.

J'emprunterai à Bernard Chevassus-au-Louis l'idée selon laquelle, après avoir simplifié les écosystèmes à des fins productives, il nous incombe désormais de les reconstituer et de leur rendre leur complexité, en mettant en place de nouvelles infrastructures écologiques, qui permettront d'économiser les coûts de fonctionnement et de fournir des services à la société, comme l'aménagement des bassins versants ou celui, parcellaire, des paysages écologiques. Il convient de rompre la dégradation fonctionnelle des paysages pour mettre en place une « aggradation » - néologisme que j'emprunte à un collègue québécois - des écosystèmes, d'une part pour qu'ils puissent retenir l'eau et d'autre part, de façon à contrôler les maladies et les ravageurs, à maintenir la diversité des espèces et à préparer leur migration attendue en raison du changement climatique.

Par ailleurs, pour investir dans ces infrastructures écologiques, nous devrons mettre en oeuvre une politique agricole, que nous espérons commune, écosystémique et environnementale, afin de financer la gestion et la reconstitution historique de ces fonctionnalités et de la production de ces services.

Pour ce faire, il suffirait d'aider, à l'échelle de la planète, ceux qui, au quotidien, modifient l'écosystème et notamment les sols à « aggrader » cette biosphère plutôt qu'à la dégrader. De ce point de vue nous avons la chance, en Europe, de disposer d'une Politique agricole commune dont le second pilier est consacré à ces problématiques. Par ailleurs, nous devons faire en sorte que l'opportunité historique que constitue le phénomène de rareté qui affecte désormais l'utilisation de l'agriculture à des fins à la fois alimentaires et de production de biocarburant ne se transforme pas en une « véritable course à la terre », notamment dans un certain nombre de pays qui ne disposent pas de régulations économiques et foncières suffisantes.

Parallèlement, ce phénomène est susceptible de s'accompagner d'un accroissement des prises alimentaires, c'est-à-dire une rupture par rapport à l'évolution du siècle dernier, qui s'est surtout traduite par une baisse de ces prises. Sachant que, parmi les 2,5 milliards d'agriculteurs à travers le monde, la plupart vivent dans des pays en développement et n'arrivent même pas à se nourrir, les mettant ainsi en situation de dégrader les écosystèmes, cette remontée des prises agricoles pourrait constituer pour les agriculteurs l'occasion de produire dans de meilleures conditions. Il s'agirait alors pour les sociétés et les gouvernements d'un bon nombre de pays de redéfinir des politiques agricoles et environnementales, celles-ci ayant disparu avec les politiques d'ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale en 1981-1982.

En Europe, nous avons la possibilité de proposer une politique agricole fondée sur la production non seulement de biens agricoles alimentaires et énergétiques mais surtout de services environnementaux.

Luc ABBADIE

Je confirmerai le fait que nous avons quelques raisons d'espérer. Bien que nous soyons confrontés à des problèmes assez redoutables, voire angoissants, de gestion de systèmes complexes dans un environnement changeant, nous constatons tout de même une certaine dynamique de progrès de la science.

L'une des évolutions majeures de ce domaine scientifique réside dans le fait que nous commençons à atteindre à une sorte de maturité conceptuelle de l'écologie. Nous avons acquis en effet une espèce de savoir théorique générique dont la valeur prédictive nous permet d'aborder la question des interactions entre la biodiversité et les composantes de l'environnement physico-chimique aussi bien en termes de compréhension que d'action.

Grâce au dynamisme de cette discipline scientifique et des sciences qui lui sont liées, qu'il s'agisse des sciences de l'environnement, de l'hydrologie, des sciences du sol, etc., nous sommes désormais en mesure d'affirmer que nous avons une certaine idée des mécanismes qui régissent l'organisation des micro-organismes du sol, par exemple sur le cycle du carbone, l'importance de la géométrie d'un paysage sur le maintien des espèces ou l'importance des interactions alimentaires sur l'expression des phénomènes de trophisation des milieux.

Nous commençons en effet à disposer de connaissances mobilisables pour essayer d'intervenir sur les systèmes écologiques en termes de population ou d'écosystème sous deux angles, une optique de restauration du milieu d'une part, et une optique d'optimisation des services écosystémiques d'autre part. A ce titre, nous avons expliqué précédemment, à l'aide de l'exemple des marais de New York, comment le problème de dépollution des eaux pouvait être abordé sous un autre angle.

Les organismes et les communautés d'organismes in situ peuvent en effet constituer un nouvel outil pour intervenir à grande échelle sur les dimensions de l'environnement qui nous posent problème.

Cette expression concrète du savoir scientifique, que nous appelons de plus en plus « l'ingénierie écologique », nous permet de mettre en oeuvre des actions de terrain dont nous pouvons contrôler la durabilité et les effets secondaires. Cette ingénierie s'inspire des mécanismes naturels d'interaction entre les espèces qui ont été sélectionnées et évaluées dans la durée par la logique évolutive et en fonction de leur capacité adaptative, celle-ci nous étant particulièrement utile dans un environnement changeant. En outre, il s'agit d'une approche systémique prenant en compte, en permanence, tout un ensemble de processus, d'acteurs en interaction ou d'échelles d'espace et de temps.

Ce mouvement d'ingénierie écologique est inégalement réparti dans le monde. Il est particulièrement important aux Etats-Unis, où il s'est vu favorisé par le contexte législatif et réglementaire. Ainsi, les grands travaux de développement des zones humides aux Etats-Unis sont-ils dus à des lois votées il y a une trentaine d'années, comme le Clean Water Act, qui oblige à remplacer les plans d'eaux détruits par d'autres bassins, construits ailleurs. Bien qu'appliquée d'une façon différente d'un Etat à l'autre, cette loi s'est avérée particulièrement utile pour garantir la protection de ces zones humides.

En Europe, nous disposons également d'un certain nombre de dispositifs tels que le marché des permis d'émission de gaz à effet de serre ou la directive-cadre européenne sur la qualité des eaux de surface. Nous obtiendrons prochainement un mécanisme compensatoire en matière de biodiversité.

L'ensemble de ces dispositifs, qui mettent en jeu la dimension économique de l'utilisation de la biodiversité, favoriseront le développement de l'ingénierie écologique et, en amont, des sciences.

Néanmoins, ces derniers ne fonctionneront que si nous sommes capables de mettre en place une démarche active de recherche. Il existe en effet indiscutablement un lien entre le développement de ces mesures et l'objectif de conceptualisation de la recherche, ce mouvement expérimental de modélisation nous permettant de valider, à long terme, nos représentations. Par ailleurs, nous ne pourrons nous dispenser de mener des recherches importantes dans les domaines juridique et réglementaire.

Cette ingénierie constitue en quelque sorte une nouvelle branche des biotechnologies qui peut servir, comme vous nous l'avez indiqué en introduction, à penser autrement la gestion de l'environnement. En tant qu'écologiste de formation, j'ai travaillé dans des systèmes très contraints (feux de brousse, sols sableux, pluies diluviennes, etc.) qui se sont avérés extrêmement productifs.

Là encore, l'analyse des systèmes naturels, qui ont été testés dans la durée par la mécanique évolutive, constitue une source d'inspiration pour obtenir le « Saint-Graal » de la productivité durable, après lequel tout le monde court.

Je suis convaincu en effet du fait que nous pouvons inventer de nouveaux modes de pensée dans ce sens, en nous inspirant de ce qui a été sélectionné par la nature. Si nous ne sommes pas sûrs du résultat, il me semble que cela vaut la peine d'essayer dans la mesure où l'ingénierie écologique n'est pas seulement curative mais surtout préventive. Ce nouvel outil aura sans doute une grande utilité pour réinventer notre mode de développement, ce qui constitue le défi majeur auquel nous sommes actuellement confrontés.

Claude SAUNIER

Je cède la parole à M. Bertaud, Président-directeur général de l'entreprise Goëmar, de Saint-Malo, seul industriel intervenant à ce colloque.

Simon BERTAUD

Mon propos sera légèrement différent de celui de mes prédécesseurs dans la mesure où il consistera surtout à vous apporter mon témoignage.

Originaire de Saint-Malo, la société Goëmar que je représente a inventé un vaccin sur les plantes, qui constitue une véritable innovation. Avant d'évoquer ce vaccin, je vous présenterai brièvement ma société.

Avec 200 employés, celle-ci réalise 35 millions de chiffre d'affaires. 75 % de notre activité est destinée à l'export et nous menons 20 % de nos recherches, depuis 15 ans, à partir de deux matières premières, les algues et l'eau de mer, pour deux marchés : la santé humaine et la santé végétale.

J'effectuerai un petit rappel historique au sujet d'une tradition bretonne qui consiste à enrichir les sols avec du goémon. Il y a une trentaine d'années, le fondateur de la société a eu l'idée de répandre des algues micro-broyées sur les plantes, ce qui a produit des effets divers mais fort intéressants qui l'ont lui-même surpris.

Pendant les quinze années suivantes, la société a vendu des biostimulants pour les cultures. Dans la mesure où il est devenu essentiel d'expliquer les causes des effets indubitables, constatés sur les champs - les plantes n'étant pas sujettes aux effets placebo - un vaste programme de recherche a été réalisé en collaboration avec le CNRS, l'INRA et des universités françaises et étrangères. Celui-ci nous a permis d'identifier les molécules ayant des effets physiologiques, dont une molécule protégeant les plantes contre les maladies, appelée laminarine, que nous commercialisons sous le nom de « Iodus ».

Je soulignerai désormais les vertus de cette molécule naturelle, extraite des algues, sur les cultures.

Au départ, nous pensions que la stimulation de ses défenses naturelles ne pourrait protéger la plante qu'à 20 % ou 30 %. Or les molécules que nous avons mises sur le marché, après homologation, protègent les blés, l'orge et les céréales, à 50 %.

Si, lorsque les maladies exercent de trop fortes pressions, nous sommes obligés de compléter ce traitement par des fongicides, la molécule en question présente l'intérêt d'offrir un traitement n'étant absolument pas toxique, ni pour l'homme ni pour l'environnement. Or le fait d'économiser un tiers des fongicides constitue déjà un pas important.

Je voudrais également préciser toutes les potentialités de cette molécule puisque, dans certains modèles de couple plante-pathogène, nous arrivons à 100 % de protection. Il ne s'agit donc plus de stimulation des défenses naturelles mais bien d'une vaccination.

Si la première génération issue de ce développement sera préventive, d'autres molécules nous permettront non pas de guérir la plante mais de mettre fin à la maladie, nous faisant ainsi franchir une nouvelle étape.

Cette méthode présente également l'avantage d'offrir un spectre extrêmement large de défense, le niveau de protection pouvant varier d'une maladie à l'autre, ce qui peut s'avérer extrêmement utile dès lors que nous ne connaissons pas les nouveaux champignons susceptibles de se développer.

Par ailleurs, cette molécule est capable, d'une part, de s'attaquer à des maladies jusqu'ici orphelines et, d'autre part, de se substituer à des produits encore plus dangereux que les pesticides. Elle s'est ainsi avérée plus performante que les antibiotiques permettant de soigner le feu bactérien qui, bien qu'ils soient interdits en France, sont permis dans un certain nombre de pays. Elle peut également remplacer l'arsenic sur les maladies du bois de la vigne, qui a été éliminé du commerce il y a deux ans, même si nous sommes encore confrontés au problème de l'homologation.

En conclusion, mes propos visaient à vous donner un exemple de ce qu'il est possible de faire en articulant les domaines marin et terrestre, les algues étant nécessaires aussi bien pour l'agriculture que pour l'être humain, sur lequel ces molécules ont été testées.

En effet, si 70 % de la pharmacopée proviennent de la forêt, je suis certain que 70 % des produits qui s'adresseront à la santé, à l'avenir, seront issus de la mer, domaine que nous connaissons encore moins bien que les forêts tropicales et qui présente une diversité d'organismes exploitables considérable, à condition de ne pas y jeter nos déchets.

Selon moi, la gestion de ce problème ne relève pas tant de l'estivant que des Etats, des grandes entreprises, etc. Il est en effet inadmissible de laisser couler sciemment des « bateaux-poubelles » dans les fosses marines pour faire disparaître des preuves, comme il est inacceptable qu'un Etat stocke ses munitions dans la mer ou refuse de rechercher une bombe atomique ayant coulé avec un sous-marin à 500 mètres de profondeur.

Par conséquent, j'appelle de mes voeux une gouvernance mondiale à ce sujet ainsi que des sanctions extrêmement sévères pour ceux qui n'auraient pas conscience de leur responsabilité en la matière.

Claude SAUNIER

Vos propos, selon lesquels 70 % des molécules utilisées par la pharmacopée future proviendront de la mer, ont ravivé un souvenir en moi et m'amènent à vous soumettre un exemple qui nous a été signalé par une équipe du Muséum. Des complexes bactériens susceptibles d'agir contre le staphylocoque doré ont été trouvés dans de petites éponges situées dans la baie de Concarneau. Cet exemple montre les bénéfices que nous pouvons tirer en portant davantage d'attention à la biodiversité.

Pierre LAFFITTE

A ce titre, je signalerai une molécule extraite des algues ayant le même type de propriété.

Thibaud CORADIN

J'essaierai quant à moi de vous fournir un certain nombre d'images pour essayer d'illustrer le titre de la troisième partie de cette journée, consacrée à la valorisation de la biodiversité, notamment dans des domaines qui, spontanément, ne relèvent pas de cette biodiversité. A ce titre, j'évoquerai la possibilité d'utiliser les propriétés des organismes vivants pour élaborer des matériaux, dans le domaine de la micro-électronique et des nanotechnologies.

Très souvent, les notions de biologie ou de système vivant nous évoquent la matière organique, la chimie du carbone, les protéines, etc. En réfléchissant de manière un peu plus approfondie à cette question, nous nous apercevons que non seulement le corps humain contient une part importante de minéraux, mais également que ces minéraux peuvent être fabriqués par un grand nombre d'organismes vivants.

Ainsi, à l'écran, vous sont diffusées des images représentant de la nacre se trouvant dans la coquille de petits crustacés. Cette coquille est composée de plaquettes nanométriques de carbonate de calcium, c'est-à-dire de minéral. Vous pouvez également observer des bactéries magnétiques qui constituent de « véritables boussoles vivantes » puisqu'elles utilisent des aimants de taille nanométrique pour s'orienter dans le champ magnétique terrestre. Comme dernier exemple, j'ai choisi de vous présenter les diatomées, qui sont des micro-algues qui se fabriquent un squelette en silice, c'est-à-dire du verre biologique.

Deux éléments justifient mon choix de vous commenter ces nanostructures biologiques. Premièrement, jusqu'à présent, dans ces trois cas, il n'existe pas d'équivalent synthétique reproduisant les propriétés de ces systèmes naturels.

Deuxièmement, tous ces micro-organismes travaillent à température ambiante, dans leur milieu naturel, procédant ainsi à de la « nanotechnologie verte » ou « écocompatible ».

Pour répondre à la question de savoir si nous pouvons utiliser ces minéraux naturels pour créer de nouvelles technologies avancées, je m'appuierai sur l'exemple des diatomées, en particulier trois des 20 000 espèces de ce minéral. Cette matière est tout d'abord disponible en grande quantité puisqu'il s'en dépose chaque année plusieurs milliards de tonnes au fond des océans. Elle est d'ailleurs déjà utilisée en tant que silice, à des usages de filtration par exemple. Les diatomées ont également été employées par Alfred Nobel pour créer la dynamite.

Dans une perspective de technologie avancée, il serait particulièrement intéressant de pouvoir transformer ce minéral tout en conservant sa forme. Parmi les exemples qui figurent à l'écran, il a notamment été possible de modifier cette coquille en une céramique présentant des propriétés physiques tout à fait particulières, et pouvant être utilisée par exemple dans des appareils de robotique, comme moteur ou comme capteur.

A droite de l'écran, vous pouvez observer une image représentant la transformation de cette espèce en silicium, ouvrant ainsi un grand nombre de possibilités à toute l'industrie des semi-conducteurs et de la micro-électronique.

Dans la mesure où, comme je vous l'ai déjà signalé, il existe près de 20 000 espèces différentes, nous disposons de 20 000 formes susceptibles d'être intégrées dans des dispositifs micro-électroniques.

Par ailleurs, si certains micro-organismes sont capables de fabriquer des matériaux, nous pourrions sans doute évaluer la capacité d'autres types d'organismes à produire de tels matériaux, en particulier des nanomatériaux.

Nous avons engagé un travail dans ce sens sur des cyanobactéries, minuscules organismes que nous trouvons partout sur la planète. Nous nous sommes notamment demandé si, en leur donnant des précurseurs, c'est-à-dire des sels métalliques, ces cyanobactéries pourraient fabriquer des objets.

Ces images illustrent le fait que, lorsque nous leur donnons des sels d'or, elles fabriquent des nanoparticules à l'intérieur de leur enveloppe cellulaire, avant de les relâcher dans l'environnement, entourées d'un polymère stabilisant.

Si nous ne pouvons pour autant parler de « cyanobactérie philosophale », nous permettant de transformer le plomb en or, cet exemple montre qu'un processus de transformation est possible en utilisant la diversité des organismes, la taille de la particule ou la nature des matériaux fabriqués étant susceptibles de changer en fonction de la cellule utilisée.

Enfin, j'évoquerai l'approche « bio-inspirée » qui a été mentionnée précédemment, en revenant sur l'exemple des diatomées, qui forment des coquilles de silice, à l'intérieur desquelles vit une cellule. Celui-ci nous amène à nous interroger sur la possibilité d'intégrer une activité biologique au sein d'un matériau, pour créer une sorte de « matériau vivant », en plaçant des cellules dans du verre et en essayant de les faire fonctionner.

Cette approche a déjà donné lieu à un certain nombre de résultats. Ainsi, il est possible de piéger des bactéries très classiques dans des gels de silice et de les utiliser pour produire des molécules thérapeutiques. Dans la mesure où nous avons évoqué précédemment la leishmaniose, je précise que nous pouvons également piéger les parasites responsables de cette maladie et les intégrer dans des matériaux pour effectuer des tests diagnostics. Enfin, nous pouvons étendre ce procédé à des cellules humaines, pour réaliser des implants cellulaires.

En guise de conclusion, je reconnais que, par rapport aux exposés sur les grands écosystèmes présentés par les autres intervenants, mon domaine d'intervention est beaucoup plus restreint. Pour moi, en tant que chimiste, la biodiversité représente avant tout une diversité de fonctions biologiques, de formes, de compositions et de capacités à s'adapter à des conditions non naturelles, notamment des processus chimiques de laboratoires.

Notre objectif consiste à utiliser cette diversité pour élaborer de nouveaux matériaux, soit en transformant les matériaux naturels, soit en utilisant les activités biologiques pour créer ces matériaux. Cette technique présente l'avantage, d'une part, d'utiliser des cellules et d'autre part, de se dérouler dans des conditions biologiquement et écologiquement compatibles avec la cellule, à travers une synthèse de matériaux tout à fait en accord avec les objectifs du développement durable.

Jean-Claude LEFEUVRE

Pour mon intervention, j'ai hésité entre plusieurs sujets. Le premier consiste à aborder le lien entre la santé et la biodiversité, que nous avons très peu évoqué alors qu'il s'agit d'une autre manière de considérer la médecine. En effet, certaines maladies tropicales sont trop importantes pour être uniquement confiées à des médecins.

Le second sujet que je souhaitais aborder concerne le bocage, rejoignant ainsi la question des infrastructures. Enfin, je pourrai vous commenter l'exemple de la baie du Mont Saint-Michel ou celui du Parc National du Banc d'Arguin.

Néanmoins, je commencerai par vous rappeler l'histoire du Taxol et de la découverte dans l'écorce de l'if américain d'une molécule ayant une propriété anticancéreuse. Pour obtenir 100 milligrammes de Taxol, il fallait un kilo d'écorce, ce qui explique qu'il a fallu abattre 1 200 arbres pour obtenir les deux kilos de Taxol permettant de lancer les essais cliniques.

Cet exemple illustre la relation entre santé et biodiversité, en mettant en avant une véritable mise en cause de la protection de l'arbre. Nous avons pu y mettre fin, grâce à un scientifique français qui a découvert un précurseur du Taxol dans les aiguilles de la variété européenne de l'if, nous permettant ainsi d'effectuer une hémisynthèse du Taxol à partir de la défoliation de l'arbre, ce procédé étant moins néfaste pour lui que le retrait de son écorce.

Par la suite, nous avons réussi à créer le Taxotère, un produit totalement synthétique, deux fois plus efficace que le Taxol.

Si j'insiste sur cette question, c'est parce que j'arrive du Cameroun où je me suis heurté exactement au même problème. Dans ce pays en effet, 422 espèces sont largement utilisées par la médecine. L'une d'entre elles est liée à l'écorce d'un prunier tropical.

Les chamans, qui connaissaient les vertus de cet arbre, en écorçaient les doses nécessaires pour soigner les personnes qui avaient des problèmes de prostate. Depuis que nous leur avons expliqué l'importance de ce produit pour les pays industrialisés, ils se sont mis à écorcer les arbres de façon beaucoup plus intensive, au point de risquer de les faire disparaître. Or le fait de vouloir protéger l'arbre et de fabriquer, à l'instar du Taxol, des gélules contenant cette molécule, pourrait avoir des conséquences néfastes pour toute une frange de la société camerounaise qui risque de perdre toute confiance dans le sorcier.

Par ailleurs, dans la mesure où nous avons largement évoqué le cas du Brésil, notamment du Cerrado et de l'Amazonie, je ne peux pas m'empêcher de mentionner une maladie qui concerne actuellement 30 millions de personnes, dont 300 000 à São Paulo, et qui provoque 21 000 morts par an.

Cette maladie est fortement liée à la disparition de la biodiversité. En effet, dans une forêt comme le Cerrado, un certain nombre d'espèces inféodées à des pointements rocheux sont cantonnées par la forêt environnante, celle-ci étant très diversifiée. Dès lors que, pour planter du soja, ces forêts sont rasées, nous voyons se créer tout un univers minéral, accentué par l'implantation de villes et lié à l'intensification de l'agriculture. Ainsi, les espèces liées aux pointements rocheux vont-elles réussir, en empruntant les chemins, à gagner la ville, où elles trouveront un univers minéral particulièrement favorable à leur épanouissement ainsi que de nouveaux hôtes, en l'occurrence les hommes. C'est ainsi notamment qu'a été transmise la maladie de Chagas.

Prenons désormais l'exemple de la forêt tropicale humide, qui comprend parfois près de 400 espèces d'arbres par hectare, soit une biodiversité extraordinaire. Cette diversité permet, à l'instar de l'exemple précédent, de cantonner les espèces proliférant sur les palmiers. La déforestation en vue de disposer de pâturages et éventuellement de cultures de soja s'accompagne généralement de la création de villes, qu'on essaiera ensuite de « naturaliser », en plantant des palmiers, sur les avenues, les parcs, etc. C'est ainsi que l'espèce de punaise responsable de la transmission de la maladie de Chagas, présente seulement sur quelques pieds de palmiers à huile à l'intérieur de la forêt, pourra aisément proliférer, en choisissant de nouveaux hôtes.

Lutter contre la propagation de cette maladie, que nous ne savons pas encore traiter, implique donc de réaménager les espaces naturels, ce qui me conduit à évoquer l'exemple du bocage.

Le bocage a donné lieu à la première fronde scientifique contre le ministère de l'Agriculture et celui, naissant, de l'Environnement, le programme ayant démarré, à leur initiative, en 1972.

Il s'agissait alors de s'interroger sur les conséquences de l'arasement des talus en zone bocagère de l'ouest. L'université s'était ainsi vu confier la mission d'observer les insectes et les petites plantes présents sur les talus et les chercheurs de l'INRA celle d'examiner le rendement des cultures dans le secteur. Or ces scientifiques ont refusé cette mission.

Ils ont en effet indiqué aux deux ministères qu'ils préféraient essayer de comprendre le fonctionnement d'un paysage. Cette nouvelle thématique les a amenés à constater, avec les climatologues d'Avignon, que ces talus constituaient de véritables pièges à énergie et que, lorsque la cellule bocagère était très réduite, ce qui était d'ailleurs incompatible avec le développement de techniques agricoles, nous pouvions obtenir jusqu'à trois degrés de gain par rapport à l'open field.

La deuxième constatation importante, qui confirmait des observations que nous avions déjà effectuées, portait sur la fonction hydrologique majeure du système en question, capable de contrôler la rapidité de l'écoulement de l'eau sur les bassins versants, expliquant ainsi que les bassins débocagés subissent davantage de crues et connaissent un étiage nettement inférieur à ceux des systèmes bocagés. Cet effet est d'autant plus important que le bocage créait l'obligation d'avoir des sillons perpendiculaires à la pente, alors que la débocagisation a conduit à ce que les sillons soient désormais dans le sens de la pente.

Il en a résulté des terres nues, qui ont engendré, pour la première fois, l'utilisation d'engrais minéraux, de pesticides, etc., ainsi que la dégradation de la qualité des eaux bretonnes, attestant ainsi du lien entre ce bocage et la régulation de l'eau.

Enfin, le bocage jouait un rôle biologique important, mis en évidence par l'INRA, en termes de contrôle des pucerons. Jusqu'alors, nous ne trouvions des pucerons qu'à Saint-Paul-de-Léon, en raison de la culture de légumes de plein champ, et notamment des artichauts.

Pour la cellule pucerons, implantée à Rennes, il était impossible de rencontrer des problèmes de pucerons sur les céréales des zones bocagères, étant donné le double contrôle exercé à la fois par un champignon et par un micro-hémiptère, qui selon le degré hydrométrique était capable de jouer un rôle de contrôleur absolu des populations de pucerons, cantonnées sur les talus.

Quelques années plus tard, à cause de la débocagisation, la réalisation d'épandages aériens de pesticide a été nécessaire pour la première fois dans la commune de Pouancé, pour lutter contre les pucerons des céréales.

Je pourrais m'arrêter à cet exemple. Néanmoins, dès lors que nous nous sommes mis à observer les insectes, nous avons effectué de nouvelles découvertes fort intéressantes. Nous avons en effet eu la surprise de retrouver des espèces forestières, dans les talus bocagés, à sept ou huit kilomètres des forêts. C'est ainsi que, en discutant avec un collègue de la DG 11, c'est-à-dire, à l'époque, la Délégation générale de l'Environnement, l'idée de corridors biologiques nous est apparue.

Cette idée a donné naissance à un premier programme européen, appelé ECONET, consistant à maintenir ou à restaurer des réseaux de végétation, en l'occurrence arborée, pour créer des jonctions entre les forêts d'Europe.

Ce système a été repris par les Hollandais qui, dans les années 85, ont édicté une loi d'orientation prévoyant la création de structures vertes permettant de relier les espaces protégés de Hollande entre eux. C'était la première fois que, à côté du réseau de chemins de fer ou d'autoroutes, un système de Greenway venait à être instauré. Des dispositifs similaires ont ensuite été imposés, dans le cadre du Conseil de l'Europe, aux pays souhaitant adhérer à l'Europe. Il en a été ainsi de la Pologne, qui a d'ailleurs travaillé avec un maître d'oeuvre hollandais.

J'insiste sur cet exemple dans la mesure où il m'a été demandé d'expliquer comment fonctionnaient les espaces protégés. Selon moi, ces derniers se situent actuellement dans une matrice hostile. En effet, l'enfermement des espèces et des habitats remarquables risque, plutôt que de les protéger, de provoquer une érosion supplémentaire de la biodiversité.

Nous n'avons donc pas d'autre solution que de nous pencher à nouveau sur ces réseaux interactifs, permettant de relier entre eux un certain nombre d'espaces protégés, grâce au génie écologique. Dans ce sens, il me semble néanmoins que nous ne sommes pas encore suffisamment mûrs dans la mesure où il nous est difficile de nous appuyer sur le modèle hollandais, fondé sur le boisement, pour des coteaux calcaires.

Il nous incombe donc de repenser ce modèle, en prenant en compte le système des talus creux du bocage, dont les fossés présentent toute une série de zonations, où des arbres entourent des surfaces planes, qui peuvent être enherbées, permettant à une diversité de milieux de se développer et pouvant être utilisée par les promeneurs.

Par ailleurs, alors que les dirigeants du réseau autoroutier se revendiquent comme étant les détenteurs d'un réseau écologique majeur, les ponts qui traversent les autoroutes, de par leur conception, constituent autant de barrières au développement de la biodiversité. Il s'agit en effet de surfaces de béton obliques qui empêchent complètement le passage de la faune de part et d'autre de l'autoroute. Or il suffirait de repenser la conception de ces ponts pour favoriser le développement de « véritables autoroutes de la faune ».

De la même manière, pour ne pas avoir de problèmes avec les agriculteurs, l'espace entre la berne et les champs est clos alors que c'est exactement le contraire que nous devrions faire. La clôture devrait être construite en effet le long de la route pour empêcher la faune sauvage d'y passer, tout en lui laissant la liberté de rejoindre les champs. Cette biodiversité permettrait à l'agriculture elle-même de disposer de davantage d'auxiliaires.

Enfin, les structures de nos systèmes autoroutiers datent encore de l'après-guerre où, pour gagner du temps sur le déblai et le remblai, il a été jugé préférable de creuser les collines et de remplir les vallées.

En Sicile ou dans le nord de l'Italie, en revanche, les systèmes de viaduc et de tunnel ont été privilégiés. Parfois, des tunnels de 20 mètres ont été creusés, pour permettre le passage d'une colline à une autre. Cette différence ne s'explique pas en des termes économiques, dans la mesure où le PNB français n'a rien à envier au sicilien.

Nous pouvons néanmoins espérer que la construction du Viaduc de Millau nous incite à nous engager désormais dans la construction de « viaducs intelligents ». Par cette expression, j'entends signifier qu'il est bénéfique qu'un pont sur une rivière soit construit en forme d'arche, de façon à permettre un cheminement le long des rivières, qui constituent les meilleurs corridors à notre disposition.

Pour ce faire, nous avons besoin de tester nos hypothèses dans le cadre de situations expérimentales. Il est également nécessaire de travailler sur le long terme, les exemples que nous vous fournissons étant le plus souvent le résultat de dix à vingt ans de travaux sur le terrain. Je signale par ailleurs que les modalités du financement de la recherche française sont inadéquates, dans la mesure où nous disposons d'un budget annuel alors que nous aurions besoin d'un financement à long terme.

Enfin, les solutions que je vous ai présentées ne pourront être mises en oeuvre sans une acceptabilité sociale de la part des individus qui auront à les utiliser.

Pierre STENGEL

Je traiterai des perspectives qui s'offrent à nous pour valoriser la biodiversité en agriculture, en m'appuyant surtout sur l'agriculture métropolitaine dans la mesure où l'agriculture tropicale relève plutôt du CIRAD.

Je commencerai par rappeler un certain nombre de réalités élémentaires sur la relation entre agriculture et biodiversité. En premier lieu, nous ne devons pas oublier que, dans son principe, l'agriculture est une entreprise de réduction de la biodiversité. Si cette formule peut sembler banale, nous constatons que, parfois, l'existence de cet antagonisme est niée. Or, du moins au niveau local, il s'agit bien de privilégier un niveau trophique représenté par une ou un petit nombre d'espèces et, à l'intérieur de cette espèce, une très faible variabilité génétique. Par conséquent, localement, nous aboutissons nécessairement à une réduction de la biodiversité.

Je signalerai néanmoins deux exceptions notables. La première est constituée par les prairies naturelles, sur lesquelles je n'insisterai pas. La seconde est liée à l'extension spatiale de l'agriculture, que nous avons évoquée précédemment. En effet, lorsque celle-ci est minoritaire, elle a plutôt tendance à accroître la biodiversité en créant de nouveaux lieux d'exploitation pour la biodiversité périphérique.

Par ailleurs, il convient de souligner la réalité de la dépendance de l'agriculture à l'égard de la biodiversité. Nous avons évoqué brièvement, à diverses reprises, les ressources génétiques pour les espèces domestiques. Il ne peut pas y avoir d'agriculture durable en effet non seulement sans disponibilité et valorisation des ressources génétiques mais également sans auxiliaires de production. A ce titre, nous avons mentionné précédemment les pollinisateurs. Nous pourrions également citer les auxiliaires qui contribuent à maîtriser les ravageurs des cultures.

Enfin, les acteurs du fonctionnement du sol ont souvent été mis en avant, de façon globale et parfois un peu mythique. La biomasse du sol est en effet essentielle à la transformation des éléments organiques en éléments minéraux qui permettent l'alimentation minérale des plantes. Par conséquent, l'agriculture est par définition dépendante de la diversité du sol qui est sans doute, parmi toutes celles que nous avons évoquées aujourd'hui, la plus méconnue.

En replaçant ces éléments dans le présent contexte, force est de constater, même si nous ne disposons pas des indicateurs pertinents nécessaires, que l'évolution récente de l'agriculture n'est allée que dans le sens de la réduction de la biodiversité. Au niveau des parcelles, par exemple, nous avons réduit le nombre des espèces cultivées. A l'intérieur des espèces cultivées, nous avons restreint le nombre de génotypes. Nous avons utilisé des moyens de contrôle des ravageurs extrêmement puissants, limitant ainsi la cohorte de ces agresseurs des cultures. Assez fréquemment, nous avons abouti à une réduction de la teneur en matière organique des sols, en y injectant un certain nombre de produits biocides à caractère plus ou moins rémanent. Sans l'avoir quantifié de manière précise, nous pouvons donc supposer que, globalement, la biodiversité des sols a eu tendance à décroître.

Au niveau des paysages, la mécanisation a eu pour effet d'augmenter la taille des parcelles et, partant, de réduire les espaces interstitiels. Il en est de même des surfaces prairiales.

Enfin, au niveau international, l'agriculture s'est étendue au détriment des espaces naturels et elle continue de le faire, même si cela n'est pas le cas dans notre pays. Néanmoins, cette dynamique d'inversion de la tendance est relativement récente.

Etant donné que d'une part l'agriculture dépend de la biodiversité et, d'autre part, qu'elle n'a cessé de la réduire, nous devrions atteindre un point de rupture à partir duquel le système devrait s'arrêter de fonctionner. Néanmoins, nous ne disposons pas, actuellement, d'indicateurs de blocage suffisamment quantifiables en termes économiques pour convaincre les agriculteurs de changer leurs modes de fonctionnement.

Ainsi, nous n'assistons pas, dans notre pays, à une dégradation de la productivité physique, la production à l'hectare étant constante, voire en augmentation. Les pertes de récoltes, notamment en raison de l'invasion de ravageurs, ne sont pas significativement plus importantes qu'elles ne l'étaient autrefois. Nous ne constatons aucune augmentation considérable de la consommation intermédiaire pour un niveau de production donné.

En résumé, nous ne disposons d'aucune preuve d'atteintes fonctionnelles majeures permettant d'inciter les agriculteurs à s'interroger sur leurs comportements, ce qui pose un véritable problème aux défenseurs d'une dynamique d'écologisation de l'agriculture.

A ce titre, ce sont presque toujours les mêmes exemples qui sont utilisés : la pollinisation, les risques de parasitisme incontrôlable en cas de monoculture - ce dont les agriculteurs sont avertis depuis bien longtemps - les effets bénéfiques constatés de la biodiversité, qui engendre une résilience accrue au stress biotique.

Par conséquent, seule une minorité de professionnels a véritablement pris conscience des enjeux d'utilisation de la biodiversité pour améliorer leurs conditions productives. J'ai en effet le sentiment qu'il ne s'agit pas d'une préoccupation prioritaire pour la plupart d'entre eux, même s'il existe un certain nombre de niches de bénéfices tout à fait avérés, l'exemple classique, régulièrement cité à l'INRA, étant celui des bénéfices de la diversité des flores prairiales pour la qualité des fromages. Néanmoins, il s'agit de cas relativement isolés. D'une manière plus globale en effet, il reste difficile de démontrer aux agriculteurs les gains qu'ils pourraient tirer en favorisant la biodiversité.

Dans ces conditions, quels sont les moteurs potentiels du changement ?

A mon sens, il conviendrait en priorité d'accroître l'intérêt de la substitution des intrants, ce qui relève de la relation entre le coût de ces intrants et le coût des produits. A ce titre, contrairement à M. Griffon, l'augmentation des prix agricoles me paraît inquiétante dans la mesure où elle n'incitera pas nécessairement à économiser sur les intrants. Néanmoins, nous pouvons également imaginer de taxer les intrants ou les pesticides.

La réglementation constitue une seconde solution. A cet égard, le fait qu'un certain nombre de produits ne soient plus homologués crée des systèmes de maladies orphelines végétales et nous incite à trouver des substituts.

Enfin, nous notons l'inefficacité croissante des pesticides.

Ces éléments constituent autant de contraintes pour valoriser fonctionnellement la biodiversité.

L'autre volet de notre action devrait résider dans une prévention de la dégradation du patrimoine productif lui-même, c'est-à-dire notamment la limitation de la dégradation des sols, qui ne dépend pas aussi clairement que nous voulons le croire de la biodiversité. Ainsi, créer un obstacle à l'écoulement des eaux ne favorise pas nécessairement la biodiversité.

Enfin, il convient de distinguer entre la valorisation de la biodiversité à des fins productives et celle qui est mise en oeuvre par l'agriculture au titre des services écologiques rendus par la diversité du vivant qui sont, suivant les cas, valorisables financièrement ou non. Ainsi, si nous pouvons tirer des bénéfices financiers directs de la chasse, du tourisme rural, etc., la production d'eau de qualité, le stockage de carbone, etc., ne sont pas nécessairement valorisables à court terme.

Il existe plusieurs voies de valorisation : l'intérêt des couverts agricoles complexes, la création de variétés rustiques, la gestion des résistances génétiques aux ravageurs, la gestion de populations d'auxiliaires, la lutte biologique, la gestion de la biodiversité prairiale, etc.

La recherche a en effet produit, depuis quelques années, un certain nombre d'outils permettant à l'agriculture de valoriser d'ores et déjà l'accroissement de la biodiversité. En atteste le cas des mélanges de variétés céréalières comme moyen de protection phytosanitaire.

Néanmoins, le défi devant lequel nous nous trouvons réside dans le fait que les conditions actuelles ne nous permettent pas d'admettre a priori une réduction de la productivité. Il convient de favoriser la biodiversité tout en maintenant, voire en continuant d'augmenter la productivité, ce qui est particulièrement complexe. En effet, actuellement, personne ne sait comment nous pourrions désintensifier l'utilisation d'intrants tout en augmentant la productivité.

Par ailleurs, pour maintenir sa compétitivité, notre agriculture ne doit pas consommer davantage de main d'oeuvre. Or les conditions de diversification, notamment la combinaison agriculture-élevage, nécessitent un recours à de la main d'oeuvre supplémentaire et posent de sérieux problèmes dans un grand nombre de régions agricoles où cette main d'oeuvre n'est pas disponible.

Enfin, ces mesures à prendre s'inscrivent dans un contexte de changement global que nous avons déjà évoqué précédemment.

Il en résulte pour nous la nécessité de définir nos priorités entre un certain nombre de champs de recherches très actifs. J'ai mentionné tout à l'heure les voies de recherche ayant déjà donné des résultats, que nous sommes en train d'approfondir. En revanche, je n'ai pas abordé le rôle fondamental des sciences, qui a été relevé par la plupart des intervenants précédents, pour à la fois comprendre l'effet des politiques publiques ainsi que les coordinations possibles entre acteurs concernés, à différents titres, par la biodiversité, et rechercher des modes d'intervention avec les producteurs innovants.

Evoquons maintenant quelques conditions pour avancer en termes de recherche. Certaines de ces conditions ont déjà été évoquées, d'autres non. Il s'agit de la transdisciplinarité, entre l'écologie fondamentale, plus habituée à travailler sur les milieux naturels, et les disciplines agronomiques en général, dynamique en cours pour développer l'écologie des systèmes exploités, qui constitue l'une des conditions de création de l'ingénierie biologique à laquelle se référait Luc Abbadie.

Par ailleurs, il convient d'assurer la disponibilité de dispositifs d'observation et d'expérimentation de long terme.

Il est également fondamental que nous analysions des contextes écologiques et agricoles variés tant au niveau national que sur le plan international, dans la mesure où nous avons beaucoup à apprendre d'autres systèmes agricoles.

J'ajouterai qu'il convient de favoriser l'entretien et le développement des collections de ressources génétiques. Enfin, la condition centrale pour avancer en matière de recherche réside dans une définition plus claire des enjeux de politique nationale, en distinguant entre :

- la fonction de l'agriculture en tant que conservatrice de la biodiversité ;

- son intérêt à exploiter sa diversité pour elle-même ;

- le soutien à apporter à chacune de ces actions ;

- les réglementations relatives à l'usage des intrants, notamment à travers la politique agricole commune.

Ces différents objectifs doivent être conduits de façon plus cohérente. Je ne suis pas certain en effet que le fait de les fondre dans la relation entre agriculture et biodiversité nous permette d'aboutir à une vision claire des priorités politiques. Or cette définition est fondamentale pour la recherche dans la mesure où, si les agriculteurs n'adhèrent pas à un certain nombre d'objectifs précis, nous n'obtiendrons pas qu'ils participent à nos expérimentations à grande échelle, pour développer nos innovations et entrer dans une spirale d'apprentissage que nous devons conduire avec eux.

Claude SAUNIER

Vos propos constituent une parfaite illustration des difficultés qui nous attendent, consistant à conjuguer la préservation de la biodiversité, son utilisation durable mais également la capacité pour notre société d'appréhender toutes ces contradictions afin de rebondir.

Jean WEISSENBACH

Dans la mesure où les intervenants précédents ont déjà abordé un certain nombre de sujets dont je comptais vous entretenir, je serai bref.

J'évoquerai principalement l'intérêt de la biodiversité des microbes dans un certain nombre d'applications, notamment dans le domaine de la chimie. Comme il a été souligné, nous ignorons encore le nombre d'espèces microbiennes existantes. Néanmoins, ce chiffre n'est pas aussi important que les fonctions biologiques que sont capables de remplir ces microbes. Là encore, nous ne disposons d'aucun inventaire, ce qui nécessitera un effort scientifique considérable.

S'il y a quelques jours, Craig Venter a publié une liste de sept millions de gènes d'origine microbienne, nous ignorons les fonctions de la moitié d'entre eux, si ce n'est qu'ils servent vraisemblablement à procéder à des bioconversions.

Or ces bioconversions sont essentielles pour préparer la chimie de demain. Dans la mesure où elle ne sera plus basée sur le pétrole, celle-ci nécessitera l'utilisation de catalyseurs et d'effectuer toute une série de réactions chimiques qu'actuellement, seule la nature est capable de faire. En effet, lorsque nous nous adressons à eux pour leur demander d'utiliser des enzymes, les chimistes nous répondent très souvent qu'ils n'y connaissent rien.

J'ai notamment entendu ce type de réponse, il y a quelques semaines, lors d'une réunion de l'ANR, J'ai été particulièrement consterné de constater que nos collègues chimistes pensent encore en des termes très classiques. Il en est même de nos industriels, la seule façon de les convaincre étant de leur proposer des solutions « clé en main », c'est-à-dire de laisser le poids de l'effort de recherche sur les chercheurs.

Or, actuellement, la situation de la recherche en France en matière de biochimie est plutôt préoccupante. La biochimie a été remplacée en effet par la biologie moléculaire, dont je suis l'un des représentants. Ainsi, les étudiants ne veulent-ils pas entendre parler de métabolisme ou de biochimie.

Il est par conséquent essentiel que nous arrivions à inverser cette tendance, en nous inspirant notamment de nos pays voisins, comme l'Allemagne qui dispose toujours d'un niveau très satisfaisant en matière de biochimie. De même, son industrie chimique pense-t-elle beaucoup en termes de bioconversion. Il en est de même aux Etats-Unis. Nous devons donc fournir des efforts importants auprès des industriels et des pouvoirs politiques afin de relancer la recherche dans ces domaines.

Claude SAUNIER

Je suis particulièrement heureux d'accueillir Nicolas Hulot. Bien qu'il soit contraint de prononcer sans attendre son discours de clôture de notre colloque, je vous invite à reprendre ensuite nos débats sur le thème de la valorisation de la biodiversité, le dialogue avec la salle ayant été, depuis ce matin, particulièrement fécond.

Pierre Laffitte et moi-même avons été convaincus il y a trois ans de la nécessité de poser dans le débat politique, notamment en vue des élections présidentielles, les questions relatives au développement durable. Nous avons ainsi commis un premier rapport, au mois de juin, sur la problématique du réchauffement climatique et de l'énergie, ce qui nous a permis, six mois avant le rapport Stern, d'alerter la population sur le prix que risquait de nous coûter le réchauffement climatique, prix que nous avions estimé à 5 000 milliards d'euros.

Dans le prolongement de cette réflexion, il nous a semblé logique d'aborder la question de la biodiversité. Nous ne pouvons évoquer en effet la problématique du réchauffement climatique, sans aborder l'une de ses conséquences majeures, l'atteinte à la biodiversité.

Etant à mi-chemin de notre réflexion, nous avons jugé intéressant de vérifier nos intuitions auprès des scientifiques, au cours du présent colloque. Nous reprendrons ensuite notre réflexion afin de rendre notre rapport à la fin de cette année, en espérant que la médiatisation effectuée autour de cet état des lieux nous permettra de rappeler aux candidats à l'élection présidentielle, notamment à ceux qui ont quelques chances d'avoir des responsabilités, qu'au-delà des petites querelles politiciennes, il existe de grands enjeux : l'enjeu démographique, l'enjeu démocratique, l'enjeu de la mondialisation et l'enjeu climatique et environnemental.

Pierre LAFFITTE

Il me semble que nous n'avons pas à convaincre Nicolas Hulot de l'importance de ces enjeux.

Claude SAUNIER

Tout à fait. En revanche, nous devons le convaincre du fait qu'il existe des parlementaires farouchement engagés dans cette voie.

CONCLUSION DU COLLOQUE

Intervention de Nicolas HULOT

Je ne l'ignorais pas. Dès que l'occasion m'est donnée, vous devez savoir que je n'ai pas besoin d'avoir une grande mémoire pour citer les sénateurs ou les députés qui se sont penchés sur ces sujets avec autant d'attention. Ainsi, je sais que votre rapport avait précédé celui de Nicolas Stern, de même que je connais les sénateurs qui se sont intéressés à la biodiversité. Celle-ci ne faisant pas encore partie du vocabulaire usuel du champ politique, je me réjouis que certains d'entre vous s'en préoccupent.

N'étant pas scientifique, je resterai à mon niveau, qui est celui d'un observateur qui a vu ce phénomène de l'érosion de la biodiversité à l'oeuvre.

Pendant des décennies de voyage, j'ai souvent eu ce sentiment désagréable d'arriver juste à temps pour rencontrer des « populations reliques ». Ainsi, suis-je particulièrement inquiet pour le réservoir de gènes que vous avez évoqué précédemment.

En effet, quand je constate que le facteur anthropocentrique ou anthropomorphique n'a pas opéré pour les grands singes et que probablement, à l'état sauvage, ceux-ci disparaîtront d'ici à la fin du 21 e siècle, je me dis que nous allons avoir du mal à enrayer l'érosion de la biodiversité, pour un certain nombre d'organismes qui, à première vue, paraissent plus insignifiants, mais dont le rôle est sans doute aussi fondamental pour l'avenir de l'humanité.

Par ailleurs, il est assez troublant d'observer combien parfois la technologie - peut-être est-ce dû à son hypertrophie - a troublé notre interprétation de la réalité et combien nous avons perdu de vue le fait que notre sort est bien entre les mains de la nature, notamment dans ce réservoir génétique.

Il conviendrait sans doute de mettre ce phénomène en opposition avec un autre évènement. Je me suis souvent fait la réflexion que la pire blessure qui ait été infligée à l'amour-propre de l'humanité, qui n'est pas d'ailleurs totalement cicatrisée, notamment outre-Atlantique, est intervenue lorsque notre camarade Darwin nous a démontré que nous n'avions pas fait l'objet d'une création séparée.

Cet espèce de refus, que nous avons exprimé à l'époque, d'appartenir à une communauté d'origine - comment nous, les humains, du haut de la pyramide du vivant, pouvions-nous avoir fait l'objet d'une matrice commune avec tout ce qui nous entoure ? - est à mettre en parallèle avec cette obstination que nous avons à refuser notre communauté de destin.

C'est probablement l'héritage de ce siècle des Lumières, au cours duquel nous avons pensé que le gage de notre intelligence était un affranchissement progressif de la nature. Or il règne toujours dans notre esprit cette idée selon laquelle nous pourrions détacher notre branche de l'arbre de la création et provoquer le chaos, c'est-à-dire une amputation de 30 % à 40 % du vivant, ce qui reviendrait à une automutilation.

Il s'agit pour moi de l'ultime vanité de l'espèce humaine, qui croit qu'elle peut provoquer ce chaos et tirer seule son épingle du jeu. A ce titre, il est étonnant de voir à quel point le chemin de la connaissance peut parfois nous éloigner de vérités premières.

Or nous ne pouvons pas prétendre appartenir à une civilisation tout en nous accommodant de cet état de fait.

En effet, si nous considérons l'évolution comme une longue compétition, nous pouvons nous enorgueillir d'appartenir à l'espèce humaine qui, malgré son irruption récente sur la planète - puisque sur l'échelle des temps géologiques si la vie a un an, les humains sont arrivés sur terre le 31 décembre à minuit moins quelques minutes - a réussi à mettre en péril 30 % ou 40 % du vivant.

Néanmoins, cette destruction ne constitue pas la meilleure manière d'inscrire l'amélioration de la condition humaine, qui est la définition première du progrès, dans la durée, puisque nous n'avons pas d'autre choix que de faire cause commune.

Je tenais à rappeler ces éléments parce que, si nous commençons à nous émouvoir des effets du changement climatique, ayant bien compris, par réflexe anthropocentrique, que l'homme et son économie étaient au coeur de cette problématique, nous n'avons pas encore véritablement fait la relation de cause à effet sur l'érosion de la biodiversité.

Pour ma part, il me semble que la seule perspective d'1 % d'érosion de la biodiversité, d'origine anthropique, d'ici à la fin de ce siècle devrait justifier que nous nous mobilisions. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire d'être un prix Nobel pour comprendre ce qui va se passer. Il est évident en effet que le vivant se réfugie dans des territoires de plus en plus restreints, provoquant ainsi des concentrations de biodiversité. Or, dès lors que ces territoires auront succombé, ce sont des pans entiers de biodiversité qui disparaîtront brutalement.

L'érosion de la biodiversité, comme les changements climatiques, ne se fera pas d'ailleurs selon des schémas linéaires mais suivant des phénomènes de rupture.

Le fait de détruire, à l'échelle d'un siècle, cette diversité du vivant qui nous éblouit tous les jours et qui n'a jamais été aussi manifeste qu'aujourd'hui, commise par la nature, en quelques milliards d'années, à partir de très peu de matériaux originels, sous une pulsion de vie incroyable, étape après étape, adaptation après adaptation, et de risquer de faire le chemin inverse, en passant de la biodiversité à la « bio-uniformité », sauf à modifier radicalement, comme le demandent les nombreux rapports du PNUE, nos modes de production et de consommation, ne peut pas être un indice de civilisation.

Alors que nous avons beaucoup pensé ce siècle comme étant celui de l'éthique, je rappelle que le corollaire absolu de l'éthique réside dans le respect de la vie, sous toutes ses formes, et, a minima , dans le respect de l'humanité, qui ne peut pas se priver de ces clés du futur.

Imaginez que demain nous ne puissions plus profiter du chant des oiseaux, ce service gratuit que nous rend la nature et qui, pour moi, est inestimable, puisque j'en profite tous les matins, et participe de mon bien-être et de mon bonheur au-delà de tout ce que la civilisation matérielle peut me prodiguer. Nous réaliserions alors combien nous sommes riches et pauvres à la fois puisque aucune économie ne peut se substituer à ce service.

Il me semble qu'il est temps de nous réconcilier avec le vivant et d'acter que nous n'avons pas d'autre choix que de faire cause commune. Un pays comme la France qui, avec ses DOM et ses TOM, fait partie des principaux détenteurs de biodiversité, ce que grand nombre d'entre nous ignorent, a une responsabilité en la matière.

Pourtant, ces territoires océaniques sont relativement laissés à l'abandon. Ainsi, suis-je désespéré quand je regarde au large des îles polynésiennes les gros liners coréens vider les océans ou tous les projets qui menacent la forêt guyanaise.

Claude SAUNIER

J'ai survolé la forêt amazonienne de Guyane, il y a quinze jours. En trois quarts d'heure de vol, j'ai pu observer au moins une vingtaine de sites d'orpaillage.

Nicolas HULOT

Nous avons donc un rôle majeur à jouer. Encore faut-il retisser des liens avec le vivant. Or, vous avez vu quelles situations quasi insurrectionnelles ont provoquées le retour de quelques loups ou la réintroduction de quelques ours. Dans ces conditions, quelle crédibilité la France peut-elle avoir dans des commissions comme la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), pour demander à des pays qui, économiquement, ont des difficultés plus importantes que les nôtres, de prendre en charge des cheptels d'animaux sauvages autrement plus denses et complexes que ceux dont il est question chez nous ? Comment peut-elle demander au Zimbabwe de se charger de dizaines de milliers d'éléphants ou à l'Asie de se préoccuper du sort des derniers tigres, quand nous-mêmes renonçons à cette équation. Si celle-ci n'est pas simple, elle serait moins compliquée si nous l'abordions, d'une part, avec une certaine rationalité et d'autre part dans un souci de solidarité nationale, en évitant de déléguer cette problématique aux seuls bergers.

Les qualités humaines que nous devons développer pour réussir cette équation sont les mêmes que celles que nous devons développer pour sauver l'humanité. Ce qui devrait nous distinguer des animaux c'est en effet notre humanité. Or demeurer humain ne devrait pas être un exercice si inaccessible. Ainsi, l'enjeu majeur du 21 e siècle consiste-t-il à nous réhumaniser.

Claude SAUNIER

Je vous propose de poursuivre nos échanges avec les membres de cette dernière table ronde.

Débat

Dominique DRON

Concernant les possibilités d'évolution des itinéraires agricoles, M. Stengel nous a indiqué que nous ignorions encore comment diminuer les intrants tout en continuant d'augmenter la productivité. À ce titre, je citerai deux exemples. Je mentionnerai d'une part les travaux de l'INRA sur les blés type oratorio, qui permettent de diminuer les intrants en stabilisant le rendement.

Pierre STENGEL

En général, nous perdons en rendement, ce qui n'implique pas nécessairement que nous perdions en revenus nets. Si, dans sa situation actuelle, l'agriculture peut avoir intérêt à changer, à partir du moment où les prix agricoles risquent d'augmenter, peut-être plus vite que sur les intrants, il n'est pas certain que cette situation soit stable.

Nous ne pouvons pas non plus privilégier la réduction des intrants sur le territoire national sans prendre en compte le fait que cette réduction sera compensée par l'augmentation de la production dans d'autres pays. Ainsi, si nous réfléchissons de façon globale, nous ne sommes pas, actuellement, fondés à accepter, sans réflexion préalable, une réduction de la production de l'agriculture française. Nous pouvons également envisager de réviser la consommation. Néanmoins il s'agit là d'une autre problématique. Ainsi, tant que les demandes alimentaire et énergétique exerceront une tension sur les produits agricoles, ce qui ne sera pas produit par l'agriculture française le sera par d'autres pays, nécessairement au détriment de la biodiversité.

Dominique DRON

Mon second exemple portait sur les mélanges variétaux, dont le plus connu est celui du riz rustique avec le riz à haut rendement en Chine, qui a permis, en deux ans, de supprimer les fongicides ainsi que 95 % des maladies tout en augmentant la productivité. Ce type de mélange a-t-il été appliqué sur d'autres végétaux ?

Pierre STENGEL

C'est exactement ce type de solutions alternatives, sûres, faciles d'emploi et garantissant un meilleur revenu, qu'il convient de développer. À défaut, nous rencontrons de grandes réticences de la part des acteurs concernés à l'idée de changer leurs comportements. Malheureusement, ce type d'exemple n'est pas très répandu au niveau de l'agronomie internationale.

Ghislain de MARSILY

Ma question s'adresse à M. Weissenbach. Vous avez évoqué le fait que d'ici à quelques années la chimie de synthèse allait s'orienter non plus sur les produits du pétrole mais sur les produits d'origine naturelle.

A ce titre, il me semble que l'un des objectifs de conservation de la biodiversité consiste justement à fournir la matière première, à partir de laquelle ces nouvelles molécules seront élaborées.

Jean WEISSENBACH

La matière première de la chimie réside dans la biomasse, qui procure notamment du carbone.

Pierre LAFFITTE

Je souhaiterais vivement que vous nous adressiez les propositions concrètes pour régler nos problèmes en France dans le domaine de la biochimie, que vous avez évoquées fort brièvement précédemment, afin de les introduire dans nos conclusions. A ce sujet, l'Allemagne par exemple a procédé de manière tout à fait différente.

Jean WEISSENBACH

Il existe en effet en Allemagne une sensibilisation beaucoup plus importante. N'oublions pas, à titre d'exemple, qu'une société comme Rhodia a fermé son département dédié à la bioconversion.

Claude SAUNIER

Cette situation est d'autant plus frappante que, par ailleurs, un grand nombre de discours sont élaborés sur la « révolution biologique ».

René BALLY

Je poserai deux questions, dont la première s'adresse à Pierre Stengel.

Je souhaiterais tout d'abord souligner la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons en matière de réduction des intrants. Un grand nombre de chercheurs qui ont travaillé sur l'utilisation des micro-organismes comme compléments ou matériaux de substitution partielle aux intrants ont été confrontés en effet à des situations de blocage, alors que ces micro-organismes présentent un certain nombre de solutions.

Ma deuxième question s'adresse à Jean Weissenbach. Il est clair que la bioconversion, qui a un peu disparu de nos formations, demeure fondamentale. Néanmoins, je reviens de la forêt primaire de Madagascar où l'endémisme, qui est considérable, a été érodé pour répondre aux besoins alimentaires, urbanistiques, etc. des populations. Nous voyons ainsi disparaître des quantités de substances naturelles qui pourraient nous être utiles. Par conséquent, si je suis favorable à la bioconversion, il me semble qu'il existe également d'autres aspects à conserver.

Pierre STENGEL

Je souscris tout à fait à ces propos. Il existe en effet de très nombreux exemples de solutions alternatives qui n'ont été développées que très modestement. L'un des obstacles que nous avons à franchir pour accomplir cette nouvelle révolution agricole, réside dans le fait que, contrairement à la révolution précédente, où des industries puissantes, qui avaient des intérêts forts, accompagnaient le développement, en faisant notamment la démonstration de l'efficacité de nouvelles technologies, nous sommes désormais face à de petits opérateurs qui ne permettent pas de réaliser des économies d'échelles aussi importantes. Ainsi, la production d'auxiliaires biologiques est-elle moins facilement automatisable et rentable que celle de molécules.

Cette situation constitue à mon sens l'un des principaux obstacles à cette révolution. Produire des variétés n'ayant que des marchés de niche ne présente pas un intérêt très fort pour un sélectionneur, d'autant plus si le marché est restreint et que l'on ignore quelles sont ses capacités d'extension. À cette difficulté, s'ajoutent des contraintes réglementaires, les coûts d'homologation n'étant pas fonction des marchés attendus. Pour des raisons environnementales, ces procédures d'homologations sont en effet indispensables. Or, étant donné leur prix, les innovations dont le marché est limité n'ont pratiquement aucune chance d'émerger.

Jean WEISSENBACH

En réponse à la seconde question, qui m'était adressée, je souhaiterais préciser mes propos.

Premièrement, je n'ai aucune crainte quant à la diminution de la diversité microbienne. Les microbes en effet nous enterreront. Ils ont colonisé toutes les niches de la planète et nous ne pouvons qu'être émerveillés devant leur capacité d'adaptation. Ils seront toujours capables de métaboliser l'ensemble des xénobiotiques que nous inventons. Par conséquent, de ce point de vue, je n'ai aucun problème.

Deuxièmement, je reconnais que nous ne devons pas négliger tout ce que le vivant est capable de produire en matière de métabolique secondaire, champ dans lequel, là encore, un effort considérable d'inventaire reste à fournir.

François BURGAUD

J'estime quant à moi que nous disposons de preuves suffisantes de la possibilité non seulement de maintenir mais également d'améliorer les rendements, tout en diminuant les intrants, pour deux raisons.

Premièrement, depuis longtemps, l'Etat français a orienté la sélection, grâce un système appelé « catalogue », consistant à octroyer des bonifications aux agriculteurs qui trouvent de nouvelles variétés résistantes aux maladies ou permettant de mieux valoriser la fertilisation. Ainsi, à la lumière d'un certain nombre d'études, nous nous apercevons que les variétés actuelles de blé donnent de meilleurs rendements que celles des années précédentes, à itinéraire cultural identique, c'est-à-dire avec exactement les mêmes doses de fertilisation ou les mêmes produits phytosanitaires.

Deuxièmement, en valeur relative, une semence de blé ne coûte pas, aujourd'hui, beaucoup plus cher qu'elle ne coûtait dans le passé. Par conséquent, la sélection permet de répondre à cette équation d'une agriculture moins consommatrice en intrants capable de répondre aux objectifs d'approvisionnement de la planète.

Christophe AUBEL

Je formulerai pour ma part une remarque et un souhait.

Il me semble que, pour valoriser la biodiversité, nous allons devoir utiliser des approches diverses. Ainsi, j'ai constaté que, dans un premier temps, cette table ronde s'est focalisée sur l'aspect utilitaire de la biodiversité. Si celui-ci est essentiel, il n'est pas pour autant suffisant. Il peut même s'avérer contreproductif dans la mesure où il demeure cantonné à un schéma d'appréhension de la biodiversité « par le petit bout de la lorgnette », alors que, de M. Barbault à M. Lefeuvre, l'importance d'aborder les problèmes dans leur globalité a été soulignée. Je n'en dirai pas plus dans la mesure où M. Hulot s'est exprimé sur ce sujet avec beaucoup plus de brio que moi.

Mon souhait, qui s'articule avec les propos de M. Lefeuvre sur l'acceptabilité sociale, qui me semble constituer un facteur clé en termes de valorisation de la biodiversité et de la pédagogie, serait que les deux initiatives fortes prises par le Sénat, les assises « Ensemble pour la diversité », au mois de novembre, d'une part, et le présent colloque d'autre part, inspirent l'organisation de nouvelles rencontres avec le public et les décideurs politiques.

Pierre LAFFITTE

Notre préoccupation majeure consiste à obtenir un certain nombre de recommandations pour que notre rapport soit le plus concret possible. C'est ce que nous avons fait dans le cadre de notre premier rapport.

Puisque nous sommes dans une économie de marché qui, en ce qui concerne les projets à long terme, ne fonctionne pas toute seule, une intervention politique nous semble nécessaire.

Selon nous, ces interventions publiques devront aller dans le sens de la protection de la vie et de l'utilisation de la biodiversité.

Les idées qui ont été développées aujourd'hui nous intéressent au plus haut point. En effet, il est aujourd'hui nécessaire d'imposer un certain nombre de conditions, dont la promotion d'un effort de recherche important pour, d'une part, mieux connaître ce dont nous parlons, puisque nous avons pu constater, ce matin, que l'état de l'art n'était pas suffisant, et d'autre part cibler nos connaissances sur l'utilisation, par exemple, de ces milliards de microbes que nous avons évoqués.

A ce titre, nous constatons en effet un fort déficit, aussi bien au niveau de la connaissance de la biodiversité, surtout des écosystèmes, qu'à celui des chimistes. Nous souhaitons donc introduire des procédures concrètes, telle qu'une labellisation pour les produits importés, et ce au niveau mondial.

Il conviendrait donc d'intervenir auprès de l'OMC.

Sur le plan européen, nous avons également intérêt à être particulièrement actifs dans la mesure où dans un certain nombre de domaines il semble que nous ne soyons pas assez présents. Il existe à ce niveau toute une série d'opérations pratiques, financières et administratives, que nous pouvons introduire dans nos conclusions.

Valoriser la biodiversité consiste par ailleurs à mener des actions auprès de l'opinion publique, ce que, néanmoins, Nicolas Hulot fait mieux que nous.

En tant que sénateurs, nous devons davantage communiquer vis-à-vis du Gouvernement et des industriels. Ces derniers auront d'autant plus d'avantages à prendre en compte cette biodiversité que l'opinion publique aura été sensibilisée à sa protection, l'image des entreprises pouvant ainsi bénéficier d'une démarche de respect de la biodiversité. Nous sommes également en mesure de légiférer sur un certain nombre d'incitations pour les collectivités locales.

Claude SAUNIER

Je voudrais vous convaincre que notre démarche est une démarche d'alerte. Ainsi, au cours de la journée, nous avons mis en évidence les risques majeurs pour l'humanité qu'entraînait l'érosion de la biodiversité. A ce titre, nous partageons tout à fait les propos tenus par Nicolas Hulot.

Par ailleurs, nous devons convaincre un certain nombre d'interlocuteurs que nous ne nous battons pas sur le plan intellectuel, pour des enjeux philosophiques, qui se situeraient à l'échelle de 50 ou 100 ans, pour l'humanité. Nous défendons au contraire un véritable changement de paradigme par rapport à notre civilisation ainsi que notre modèle de développement économique. A ce titre, nous avons besoins d'arguments précis et concrets pour montrer que, dans le domaine de l'agriculture, de la chimie, etc. la connaissance de la biodiversité peut nous apporter des réponses.

Nous pouvons en déduire que nous sommes au début de cette première phase d'un véritable travail collectif.

Pierre LAFFITTE

Nous avons pu constater, au cours de cette journée, que les orientations de ce travail étaient en effet largement partagées par le présent auditoire.

Claude SAUNIER

Je vous remercie en effet de votre participation, de votre présence très assidue et des apports sans doute plus riches encore que nous ne les imaginions que vous avez fournis à notre réflexion, que nous allons continuer, Pierre et moi, dans les prochains mois et dont nous vous rendrons compte d'ici à la fin de l'année.