Intervention de M. Gérard Larcher, Président du Sénat
29ème Convention de l’Assemblée des communautés de France
Deauville – Auditorium Michel d’Ornano – 4 octobre 2018


Monsieur le Maire de Deauville et Président de la communauté Cœur Côte Fleurie, cher Philippe Augier,
Monsieur le Président de l’Assemblée des communautés de France, cher Jean -Luc Rigaut,
Madame la Ministre Jacqueline Gourault,
Monsieur le Secrétaire d’Etat Olivier Dussopt,
Mes chers collègues Députés et Sénateurs,
Monsieur le Président de la Région Normandie et Président de Régions de France, cher Hervé Morin,
Monsieur le Président du Conseil départemental du Calvados, cher Jean-Léonce Dupont,
Mes chers collègues maires, présidents et vice-présidents d’intercommunalité,
Mes chers collègues conseillers départementaux et régionaux, élus municipaux,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d’être à vos côtés ce matin pour ouvrir cette séance plénière consacrée à un thème important : « intercommunalité : objectif lisibilité ».


Il y a un mois jour pour jour, je débattais à la Rochelle, avec les élus de Charente-Maritime, de Vendée et des Deux-Sèvres, de l’évolution de l’intercommunalité, du lien entre coopération intercommunale et bassins de vie, autour du pôle métropolitain Centre-Atlantique.


Puis je me suis rendu dans votre département, Monsieur le Président Rigaut, en Haute-Savoie où nous avons inauguré la mairie de Cruseilles, située dans l’une des communautés de communes voisines du Grand Annecy. J’avais également échangé avec de nombreux maires.


J’ai l’habitude de me rendre sur le terrain, à la rencontre des élus, pour les écouter et pour échanger avec eux sur les réalités territoriales. C’est ainsi qu’avec mes collègues sénateurs, nous concevons le rôle du Sénat, institution qui représente les collectivités territoriales de la République.


Nous avons consacré de nombreux travaux aux réformes territoriales menées ces dernières années et nous avons désormais mis en place une mission permanente d’évaluation et de suivi des réformes territoriales.
Cette mission a décidé de se concentrer prioritairement sur les enjeux de l’intercommunalité et du lien avec les communes.


Elle aborde notamment les questions suivantes :


1°) comment faire vivre le principe de subsidiarité de manière pragmatique et volontaire en ramenant à l’échelon local tout ou partie de l’exercice de certaines compétences que la loi attribue obligatoirement à des intercommunalités dont la dimension n’a cessé de croître ?
2°) comment assurer la pleine participation des maires aux instances de décision des intercommunalités notamment celles composées de nombreuses communes ?
3°) comment, dans le monde rural, donner aux communes les moyens d’exercer pleinement les compétences de proximité et de service à la population ?
4°) comment assurer l’avenir des intercommunalités en les libérant des compétences de gestion qui peuvent être mieux exercées à l’échelon local, pour leur permettre de se concentrer sur leurs missions d’aménagement des territoires et de planification de l’utilisation des sols, de gestion des grands équipements de services publics et de politique de développement économique et touristique ?
5°) comment permettre, dans certains cas, un aménagement du périmètre des intercommunalités à l’initiative des élus quand le fonctionnement de celles-ci connaît des difficultés objectives ?

Notre rapporteur, Mathieu Darnaud, présentera ses conclusions le 24 octobre et il devrait relever l’hétérogénéité des situations. Certaines intercommunalités peuvent s’appuyer sur des communes fortes, capables d’exercer pleinement des compétences importantes.

On voit d’ailleurs certaines intercommunalités restituer des compétences aux communes, dans le cadre de délégations.

Dans d’autres, les communes sont moins à même de le faire et les transferts de compétence en direction de l’intercommunalité ont vocation à être plus importants.

Ce qui doit nous guider, c’est le principe de subsidiarité, qui conjugue au mieux proximité et efficacité, au service de nos concitoyens.

La lisibilité que vous mettez en exergue dans le titre de cette séance plénière nous conduit également à nous interroger sur les compétences optionnelles.

Nous avons vécu un certain « psychodrame » sur l’eau et l’assainissement, la ministre Jacqueline Gourault le sait bien. Le Sénat avait proposé une solution visant à maintenir le caractère optionnel de ces compétences au niveau intercommunal, qui maintenait la philosophie d’un dialogue constructif au sein de l’intercommunalité dans un esprit de subsidiarité.

L’Assemblée nationale a finalement voté le principe d’une minorité de blocage jusqu’en 2026 (au moins 25% des communes représentant au moins 20% de la population). L’examen du texte a toutefois permis de progresser sur la sécabilité des compétences.
Je sais, pour en avoir parlé avec lui, combien le Président Rigaut est modérément enthousiaste à l’idée des minorités de blocage… Combien nous partageons l’idée qu’il vaut mieux s’appuyer sur des dynamiques positives !

Cet épisode a laissé des traces chez les maires ruraux et je pense qu’il nous faut en tenir compte. Il nous faudra aller demain à la fois vers plus de subsidiarité et plus de lisibilité.

Parallèlement, notre délégation aux collectivités territoriales a engagé un travail visant à recenser les bonnes pratiques concernant l’association des élus municipaux, qui ne sont pas conseillers communautaires, aux décisions des intercommunalités.

Elle vient par ailleurs de finaliser des propositions visant à rénover les conditions d’exercice des mandats locaux, afin de mettre en place un véritable statut pour les élus locaux. Nous présenterons ses conclusions la semaine prochaine.

Ces travaux, nous les avons engagés car nous sentons bien que les dernières réformes territoriales, la dimension croissante des intercommunalités, mais aussi les contraintes financières toujours plus importantes, ont jeté un trouble chez un certain nombre de maires qui s’interrogent sur leur rôle, leurs marges de manœuvre.

Aujourd’hui, je suis venu vous parler en toute sincérité et en toute franchise. Je suis un militant de l’intercommunalité puisque j’étais favorable à la « loi Chevènement » de 1999.

Mais je suis aussi lucide et je constate qu’après les réformes de 2010 et 2015, le « peloton » des élus locaux s’étire dangereusement, avec des élus municipaux pris dans de vastes ensembles intercommunaux qui parfois décrochent.

C’est le préfet de la région Occitanie, qui observe ainsi que « nombre d’élus d’expérience ont pu se sentir dépossédés d’une partie de leurs pouvoirs au profit d’intercommunalités ». Et cette réalité je l’ai vécue à ses côtés, à Toulouse, à Revel, à  Boulogne-sur-Gesse puis à Saint-Gaudens les 14 et 15 septembre.

L’annonce au cœur de l’été d’une accélération du nombre de démissions de maires s’inscrit dans ce contexte et doit nous interpeller.

C’est bien un enjeu pour la vitalité de notre démocratie locale et pour la cohésion républicaine. Car les élus, et notamment les élus municipaux, forment la fine trame démocratique qui soutient notre République.

Quand je me rends sur le terrain, lorsqu’on dépasse les propos de courtoisie républicaine, j’entends, trop souvent, des maires usés, des maires qui voient - pour près de la moitié d’entre eux - leurs dotations continuer à baisser.

Des maires qui s’interrogent sur les modalités de remplacement de la taxe d’habitation dont l’effet de la suppression n’avait pas été correctement évalué, qui font toujours face à de nombreuses normes. Malgré les engagements des gouvernements successifs.
Je vois des maires qui assurent une mission essentielle sur le terrain mais qui se sentent parfois écrasés.

Certains n’y croient plus, alors qu’ils assurent une mission fondamentale de cohésion sociale et républicaine.

On ne peut pas les laisser au bord du chemin en les laissant penser qu’ils seraient voués à s’effacer au profit de métropoles ou d’intercommunalités XXL dont certaines n’ont pas été désirées, même si on a aussi besoin de ces structures. Loin de moi d’opposer les uns aux autres !

Cet enjeu, je l’ai vécu très concrètement dans deux intercommunalités XXL. En Haute-Saintonge, où le Président Claude Belot a su bâtir en précurseur une intercommunalité de projets exceptionnelle, qui entraîne avec elle les communes. C’est un schéma « hors normes ».

Et tout récemment en Haute-Garonne, j’y reviens, dans le Comminges, avec une intercommunalité également présidée par un président auquel je veux rendre hommage, Loïc Leroux de Bretagne. Il doit trouver une manière intelligente de faire fonctionner cette vaste intercommunalité imposée lors du dernier redécoupage, autour d’une orientation quasi-unique : le développement économique.

Deux schémas différents, mais une interrogation de fond sur le rôle des maires et des élus municipaux, auxquels nous devons redonner du sens et des perspectives !

Certains arrivent à faire partager et porter les décisions communautaires par l’ensemble des conseils municipaux. J’ai souvenir d’une expérience innovante en Isère, à Bièvre Isère Communauté, sous l’impulsion de son président Yannick Neuder.

Mais dans d’autres cas, le sentiment de dépossession des maires et des élus municipaux est vif, surtout lorsque cela concerne des actions très concrètes comme la voirie. Je le vois y compris en Ile-de-France, dans une très vaste communauté urbaine.

Il faut veiller à plus de subsidiarité, peut-être aussi à une forme de territorialisation de la gouvernance dans les grandes intercommunalités, afin de mieux associer les maires et les élus municipaux à la gouvernance.

C’est un de nos points majeurs de réflexion et nous avons déjà formulé des propositions dans le cadre de la proposition de loi relative à l’équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, que nous avons adoptée au mois de juin.

Face à cette dimension croissante des intercommunalités, les communes nouvelles peuvent apparaître comme une réponse positive dans certains territoires. Le Président Rigaut ne me contredira pas puisqu’il est le maire de la plus grande commune nouvelle de France ! Encore faut-il qu’elles partent bien d’un « désir » d’être ensemble dans la durée.

Il nous faut maintenant lever certaines aspérités avant les élections de 2020. C’est ce à quoi s’est attelée notre collègue Françoise Gatel, au travers de propositions concernant le nombre d’élus dans les grandes communes nouvelles, mais aussi de prendre en compte le cas de figure de « communes-communautés ».

Oui, la subsidiarité est un fil directeur pour le Sénat car le besoin de proximité de nos concitoyens est réel et, pour ma part, je n’assimile pas la proximité à une image négative. Bien au contraire !

Je le dis donc : prenons-garde aux signaux que l’on adresse aux élus locaux qui s’engagent au service de leurs concitoyens. Laisser penser qu’il faudrait éloigner le citoyen des centres de décision me paraît être une erreur fondamentale, dangereuse pour l’avenir de notre démocratie!

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La subsidiarité guide plus largement notre approche de la relation entre les différents niveaux de collectivités, tout comme entre les collectivités et l’Etat.

Je n’oppose pas les différents niveaux de collectivité entre eux !

Je l’ai dit à la métropole de Nice et le lendemain à Toulouse, chez Jean-Luc Moudenc : je pense que les métropoles sont un atout important pour le développement et le rayonnement de notre pays.

Mais la France ne se résume pas aux seules métropoles dynamiques : c’est un tout ! Les métropoles doivent être des locomotives qui entraînent les territoires qui les entourent, dans une forme de développement harmonieux.
L’enjeu, c’est l’équilibre des territoires.
La recherche d’un meilleur équilibre entre les métropoles et le monde rural est l’une des préoccupations du Sénat, tout comme le devenir des villes moyennes qui forment un réseau indispensable pour tenir et assurer le développement des territoires.

Et je n’oppose pas les métropoles aux départements et je veux réaffirmer ici que le département est un « repère » (au sens maritime) pour nos concitoyens, qu’il est un échelon de proximité indispensable pour la cohésion sociale et territoriale.

J’étais à Marseille la semaine dernière où le département des Bouches-du-Rhône et la métropole d’Aix-Marseille-Provence partagent l’ambition d’un rapprochement.

Je constate que ce n’est pas le cas dans d’autres départements et il me semble contreproductif de réunir (en catimini) tel ou tel acteur en vue, peut-être, d’imposer ensuite un schéma à l’une des parties. Cela ne me paraît s’inscrire dans le type de démarche positive que j’évoquais tout à l’heure, et qui permet de nouer une véritable relation de confiance.

N’attisons pas les concurrences, essayons au contraire de faire en sorte que l’ensemble des collectivités puissent tirer ensemble dans la même direction pour porter haut les projets des territoires !

Je n’oppose pas non plus les Régions aux autres collectivités. Les régions se sont vu confier un ensemble de compétences stratégiques d’aménagement et de développement du territoire qui sont essentielles et elles l’assument pleinement, dans leur diversité et leurs spécificités. Donnons-leur les moyens d’agir encore mieux, en levant certains freins que l’administration d’Etat maintient toujours enclenchés.

C’est en faisant confiance aux élus que nous pourrons porter haut notre pays. Oui, il faut que l’Etat leur fasse confiance, car on ne réformera pas notre pays contre ses élus ou contre ses territoires !

Ce besoin de confiance a été très fortement exprimé à Marseille la semaine dernière, à l’occasion du rassemblement « Territoires Unis », puis du Congrès des Régions de France à l’invitation du Président Hervé Morin. Jean-Luc Rigaut en a été témoin.

Le Premier ministre a présenté sa vision de la décentralisation, une « décentralisation qui accepte les désaccords » dans l’amitié et la franchise.

Mais la franchise et l’amitié, y compris dans les désaccords, ne suffisent pas pour la décentralisation moderne que nous appelons de nos vœux.

Une décentralisation réussie ne peut pas se résumer à une décentralisation qui « accepte » les désaccords, et qui renvoie ensuite chacun dans son coin. Je l’ai dit à Marseille et je veux le redire ici solennellement.

L’enjeu, c’est de dépasser ces désaccords pour construire ensemble les solutions d’avenir pour le pays. L’enjeu, c’est de « surmonter » nos désaccords, y compris dans un dialogue exigeant et de retrouver confiance et respect mutuel.  

Malgré les engagements du Président de la République, les réunions de la Conférence nationale des territoires, auxquelles le Sénat a toujours participé jusqu’à présent (tout comme l’ADCF) n’ont pas permis de retisser le lien de confiance qui s’était abîmé entre l’Etat et les collectivités.

Le Premier ministre a promis à Marseille que les prochaines réunions seraient plus fluides et moins formelles. Il faudra surtout qu’elles quittent la raideur, car on ne peut pas continuer dans cette direction !

Peut-être ai-je l’ouïe développée, mais j’entends et je ressens, déplacement après déplacement, la montée de l’exaspération des territoires.

Je demande donc que le gouvernement puisse trouver rapidement les voies d’un dialogue réel et sincère avec les collectivités territoriales. Un dialogue qui respecte et considère les élus locaux ! C’est une nécessité pour le pays !

Il faut que le gouvernement écoute davantage, qu’il mette davantage en application les discours du Président de la République ! En commençant par la refonte de la fiscalité locale !

Souvenons-nous de son discours au Congrès des Maires en novembre 2017!

Et je propose qu’on écrive ensemble le scénario final, les associations d’élus avec le Parlement et le Gouvernement: c’était d’ailleurs l’approche du Président de la République.

Oui, ce sujet sera important car il traduit une certaine conception de la libre administration et de l’autonomie financière des collectivités territoriales. Je veux vous assurer que le Sénat défendra ces principes.

Non par corporatisme, mais parce que nous croyons profondément dans les vertus de la décentralisation, dans le rôle des élus locaux, qui ne sont pas des chefs de bureaux des préfectures !

Parce que nous pensons que nous avons besoin de chacune de nos collectivités, de chacun des élus de la République pour recoudre notre Nation.

C’est en défendant ensemble cette vision d’avenir de la République décentralisée que nous redonnerons espoir à certains de nos compatriotes qui se sentent aujourd’hui laissés pour compte.

Vive La République et Vive la France !

Seul le prononcé fait foi