MISSION COMMUNE D'INFORMATION : 

LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE À LA CANICULE : LES LEÇONS D'UNE CRISE

I. Un phénomène climatique exceptionnel

            Avec l'été le plus chaud depuis 150 ans, la France a subi en 2003 un phénomène climatique tout à fait exceptionnel, si on le compare aux précédents français et étrangers, passés et récents. Il s'est caractérisé     par :

               - une canicule d'une durée, d'une intensité et d'une étendue géographique inégalées. Les températures tant diurnes que nocturnes très élevées ont interdit aux organismes tout répit ; des records absolus de températures maximales et minimales ont été enregistrés dans plus de 30 départements ;

               - une pollution atmosphérique très élevée, qui a amplifié les effets de la canicule ;

- une sécheresse importante, toutefois moins grave qu'en 1976 dans la mesure où l'importance des réserves en eau est venue compenser le déficit pluviométrique.

         Météo France développe aujourd'hui une concertation avec l'Institut de veille sanitaire  pour que ses capacités de prévisions soient mieux utilisées à l'avenir, car il faut s'attendre à une multiplication des phénomènes climatiques « extrêmes », qui devrait accompagner le réchauffement de la planète. Il existe en effet aujourd'hui un consensus des scientifiques sur ce sujet. Ce réchauffement devrait se traduire par des augmentations de température plus perceptibles pour les pays européens tempérés qu'en moyenne sur la planète: entre 2,5°C et 10°C d'ici 2100 pour la France, contre 1,5°C à 6°C pour le reste du globe. Or, une augmentation de 2°C correspondait jusqu'ici au réchauffement enregistré au cours d'une période de 200 000 ans.

         La mission d'information s'inquiète des perspectives préoccupantes qu'entraîne pour le présent siècle la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Le processus de négociation pour l'application du protocole de Kyoto va dans le bon sens. Il pose cependant le problème de l'inégal engagement des pays dans le processus de lutte contre le réchauffement. La mission s'interroge en particulier sur l'adéquation de notre modèle de développement. Il convient à la fois de donner la priorité aux systèmes d'alerte et à des mesures de protection contre les risques, et de mettre en œuvre des actions collectives à long terme.

II. Des conséquences variables mais limitées sur l'économie et l'environnement

      Les conséquences de la canicule sur l'économie française ont été relativement limitées par rapport à celles relevées dans le secteur sanitaire.

      L'impact macroéconomique de la vague de chaleur s'est soldé par une perte de croissance de 0,1 à 0,2 point de PIB (représentant une perte de 15 à 30 milliards d'euros), une faible augmentation de l'inflation et une légère baisse de la consommation des ménages.

     L'agriculture française a subi des pertes de production, très disparates selon les régions et les cultures ou élevages. Les conséquences sur le revenu agricole ont toutefois été limitées, grâce à l'organisation et à la solidarité du monde rural, habitué aux évènements climatiques exceptionnels, à la valorisation des produits agricoles et aux interventions des pouvoirs publics, qui ont fait preuve d'anticipation et de réactivité.

 La canicule a cependant révélé les limites de notre système agricole face à des conditions climatiques    extrêmes, s'agissant notamment des dispositifs d'indemnisation, de transport de fourrage et de stockage des eaux, ainsi que du choix des spéculations et des pratiques agricoles.

     Le secteur de l'énergie a également traversé une conjoncture difficile : l'équilibre entre offre et demande d'énergie a en effet failli être rompu en raison d'une hausse de la consommation d'électricité et d'une capacité de production diminuée. Si la menace d'un délestage généralisé a pu être évitée, grâce à un retour à des conditions météorologiques normales peu avant le week-end du 15 août et à une réactivité satisfaisante des différents acteurs concernés, le secteur de l'énergie n'en a pas moins montré ses limites, rendant nécessaire une adaptation de notre politique énergétique.

      Dans d'autres secteurs, des contraintes inhabituelles liées à la canicule ont attesté de l'inadaptation générale de notre modèle économique à un climat autre que tempéré.

     L'impact sur l'environnement s'avère encore difficile à évaluer :

- la faune et la flore, en particulier dans les zones aquatiques, semblent avoir été relativement préservées ;

- la forêt française a été en revanche  profondément affectée, notamment en raison des incendies, qui ont révélé certaines insuffisances dans nos dispositifs de prévention et de lutte ;

- l'ampleur des dommages sur les forêts ne pourra être évaluée plus précisément qu'au printemps prochain.

III. Les autorités sont passées à côté de la catastrophe sanitaire

L'épisode caniculaire de l'été 2003 a déclenché avec une rapidité fulgurante la plus grande catastrophe sanitaire qu'ait connue notre pays depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La mission d'information du Sénat, refusant d'emblée toute logique de « chasse aux sorcières », s'est attachée à comprendre pourquoi la réponse des pouvoirs publics, et de la société française dans son ensemble, avait été décalée par rapport à la gravité de la situation.

  1. Un bilan humain tragique

      Le phénomène de surmortalité s'est concentré sur une période de temps très courte : 14 802 décès entre le 1er et le 19 août.

     Il est encore trop tôt pour connaître le bilan définitif de la crise.

     Les disparités entre régions françaises ont été très importantes : l'Ile-de-France a rassemblé à elle seule 33% du total des victimes.

     Les personnes âgées de plus de 75 ans ont constitué plus de 82 % des décès recensés.

      La plus grande partie des personnes décédées étaient prises en charge dans des institutions (42 % à l'hôpital, 3 % dans les cliniques privées et 19 % dans des maisons retraites contre 35 % à domicile).

      La France n'a pas été le seul pays d'Europe touché. Le nombre estimé des décès s'élève ainsi à 6 200 en Espagne, 7 659 en Italie du Nord, 1 400 au Portugal et au Pays-Bas et entre 3 000 et 7 000 en Allemagne

2. Une réponse décalée des acteurs et des pouvoirs publics

      Les pouvoirs publics sont apparus pris de court par le phénomène et la riposte a été insuffisante, désordonnée et tardive, alors que le délai pour organiser la riposte, dans un tel cas, n'est que de 48 à 72 heures.

     Les précédents climatiques ont été ignorés et la conscience d'un risque lié à l'hyperthermie était inexistante.

      Le système d'alerte et de veille sanitaire a été pris en défaut.

    La gestion de la crise s'est avérée décalée par rapport à sa gravité et les cloisonnements administratifs n'ont pas permis de coordonner les efforts des multiples acteurs, tant au plan local que national.

      La mobilisation des acteurs de terrain a été massive et efficace, les médecins libéraux ont été présents mais peu sollicités, et les cas d'abandon des personnes âgées par les familles ont été en fait peu nombreux.

3. La nécessité de tirer toutes les leçons de la crise

Tout au long de ses auditions et de ses déplacements, la mission commune d'information du Sénat a découvert une réalité complexe qui ne saurait se prêter à une lecture partisane. La perspective du vieillissement accéléré de la population française doit être prise en considération : le nombre des personnes âgées de plus de 85 ans devrait en effet passer, entre 2000 et 2050, de 1,2 à 4,5 millions.

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propositions de la mission
commune d'information

1) Développer la prévention en direction du grand public :

·       diffuser à l'ensemble des hôpitaux et maisons de retraite un protocole simple de prévention des risques d'hyperthermie et former les personnels en conséquence ;

·       conduire une campagne de communication adaptée à l'attention du grand public, chaque été, sur les risques de la canicule ;

·       climatiser une pièce, au minimum, par établissement accueillant des personnes âgées.

2) Renforcer le système d'alerte et de veille sanitaire :

·       faire passer des messages d'alerte, en utilisant tous les médias et notamment la télévision aux heures de grande écoute ;

·       renforcer la permanence de garde à l'InVS et les moyens des CIRE en région ;

·       étendre le réseau électronique « DGS urgent » et mettre en place un système d'alerte analogue entre la direction générale de l'action sociale et les 10 000 maisons de retraite.

3) Renforcer la coordination des acteurs au niveau local :

·       développer en cas de crise sanitaire, le rôle coordonateur du préfet, destinataire des informations fournies par les acteurs sanitaires et sociaux ;

·       confier aux CCAS la mission de recenser les personnes âgées fragiles, isolées ou dépendantes, ainsi que les lieux et bâtiments publics climatisés susceptibles de rester ouverts, hors des horaires normaux, en cas d'épisode caniculaire ;

·       pérenniser le développement et s'assurer du financement des centres locaux d'information et de coordination (CLIC).

4) Développer la coordination des services au niveau national :

·       décloisonner les administrations centrales concernées par les situations de crise ;

·       créer un conseil national interministériel de sécurité sanitaire.

5) Revoir l'organisation interne de l'hôpital :

·       désengorger les urgences en créant, dans l'enceinte même de l'hôpital, des maisons de garde pour prendre en charge les cas relevant de la médecine de ville ;

·       moduler l'application des 35 heures dans les hôpitaux et assouplir les règles internes de gestion des ressources humaines, pour permettre notamment des transferts temporaires de personnel entre services pendant les périodes de vacances ;

·       créer des services de gériatrie dans tous les CHU, CHR et hôpitaux ayant un service d'urgence ;

·       développer les structures de lits d'aval ;

·       évaluer d'ici trois ans le nouveau système de garde des médecins libéraux.

6) Tenir compte des enseignements de la canicule en matière de construction :

·       proscrire à l'avenir les grands espaces vitrés dans les maisons de retraite, écoles, maternités, hôpitaux et bâtiments publics.

7) Tirer les conséquences du vieillissement de la population française :

·       renforcer la médicalisation des maisons de retraite ;

·       encourager le maintien à domicile des personnes âgées en poursuivant le développement des services de soins infirmiers à domicile ;

·       établir un bilan du système belge d'hébergement des personnes âgées.

8) Adapter notre modèle agricole aux phénomènes climatiques extrêmes :

·       développer l'assurance‑récolte, en prévoyant notamment une prise en charge partielle par les pouvoirs publics ;

·       établir un protocole de transport des fourrages pour les périodes de sécheresse ;

·       développer les systèmes de retenue des eaux destinés à l'irrigation ;

·       privilégier le recours à des spéculations et des pratiques agricoles économes en eau et résistantes à la chaleur.

9) Protéger les forêts françaises :

·       assurer la reforestation et lutter contre l'érosion ;

·       généraliser les plans de prévention des risques naturels et faire respecter les obligations de débroussaillement ;

·       accroître les moyens et la polyvalence de la flotte aérienne de la sécurité civile.

10) Améliorer l'alerte biométéorologique :

·       développer la recherche multidisciplinaire dans les domaines climatique et biométéorologique ;

·       adapter la communication biométéorologique à ses publics.

11) Atténuer les conséquences du réchauffement climatique :

·       procéder à une analyse des vulnérabilités sectorielles et locales et de notre économie, et rechercher des mesures d'adaptation répondant aux effets des changements climatiques ;

·       limiter l'« effet climatisation », en fixant des normes pour les équipements, en menant des actions de pédagogie et d'information et en renforçant les réglementations relatives à l'isolation thermique des bâtiments.

12) Réviser notre système énergétique :

·       pondérer le « mix énergétique » en privilégiant les sources d'énergie les moins dépendantes des conditions climatiques et les plus respectueuses de l'environnement ;

·       clarifier les responsabilités des différents acteurs du marché de l'électricité afin de mieux gérer l'équilibre entre l'offre et la demande dans les périodes climatiques extrêmes ;

·       relancer la politique d'économie d'énergie ;

·       assouplir le principe de spécialité d'EDF ;

·       recenser les personnes les plus fragiles afin d'adapter en conséquence les plans de délestage.

Pour accéder au rapport de la mission : /rap/r03-195/r03-195.html

Pour lire les comptes-rendus du débat qui aura lieu au Sénat mardi après-midi 10 février sur les conclusions de la mission d'information : /somsea.html

Contact presse : 

Bruno LEHNISCH

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