Mme Sylvie Vermeillet (UC - Jura), rapporteure spéciale, a présenté devant la commission des finances un point d’étape sur sa mission de suivi de l’impact de la réforme tendant à instaurer un régime universel de retraite sur les équilibres des régimes spéciaux relevant de la mission "Régimes sociaux et de retraite" et des régimes de retraite relevant du compte d’affectation spéciale "Pensions".

Elle a tout d’abord déploré que les deux questionnaires qu’elle a adressés au Gouvernement, pour obtenir des simulations précises et détaillées des impacts de la réforme, n’aient reçu aucune réponse. Ainsi, le Parlement, pas plus que l’opinion publique à laquelle n’ont été exposées que des informations partielles, ne dispose d’éléments d’information réellement tangibles sur les impacts de la réforme envisagée.

Ce déficit de transparence représente une anomalie de méthode s’agissant d’une réforme qui, au-delà de sa dimension systémique, par les modifications radicales des paramètres du système de retraite, est susceptible d’entraîner de profondes modifications des droits à retraite des Français et du régime de leurs activités professionnelles, ces deux composantes étant étroitement interdépendantes dans ce qu’il est convenu de nommer le "pacte social".

La réforme, consistant en l’instauration d’un régime en points à rendement défini, poursuit deux objectifs : une plus grande équité (consacrant la règle "1 euro cotisé donne les mêmes droits pour tous") et une moindre sensibilité de l’équilibre financier du système de retraite à la croissance économique. Ce régime devrait éliminer les différences de rendement des cotisations résultant des modalités de calcul des pensions, qui pénalisent les débuts de carrière plus souvent précoces chez les non-qualifiés et les carrières heurtées, et favorisent les carrières ascendantes.

En qui concerne l’équité, le régime deviendrait théoriquement plus redistributif, amplifiant les propriétés actuelles du système de retraite, une fois les prestations non contributives prises en compte. En l’absence de données précises sur ce point et a fortiori sur l’articulation entre les deux compartiments, contributif et non contributif, du système de retraite, il faut se reporter aux simulations de l’Institut des politiques publiques. Elles établissent que les gagnants seront ceux dont les pensions contributives sont aujourd’hui les plus faibles mais que, dès le cinquième décile de la distribution des pensions, les perdants seront majoritaires, de sorte que le poids de la redistributivité du futur régime portera sur les catégories moyennes et supérieures.

En ce qui concerne la soutenabilité du futur régime, il faut distinguer deux problèmes : celui de l’équilibre instantané du régime, qui dépend des valeurs proposées pour les différentes variables qui le détermineront (valeur d’achat du point, valeur de conversion, taux de cotisations et âge-pivot) et celui de son pilotage. Le rapport du comité d’orientation des retraites (COR) de juin 2019 a montré des perspectives de dégradation du solde financier de court terme du système actuel , en lien avec les exonérations de cotisations sociales annoncées par le président de la République, tout en suggérant que l’équilibre du futur régime, pour être assuré sous l’hypothèse d’une croissance de 1,3 %, supposerait des mesures de redressement que les paramètres de la réforme semblent avoir intégrées.

Quant au pilotage du système, si le levier des cotisations sociales sera plus difficile à utiliser à l’avenir, il reposera sur la flexibilité de la valeur de conversion des points de retraite et (ou) le recul de l’âge-pivot (avec un arbitrage entre moins de pension plus longtemps et plus de pension moins longtemps), la variabilité des durées d’assurance requises pour liquider sa pension à taux plein étant moins maniable. Les modifications de ces leviers peuvent aboutir à réduire la pénalisation supportée par les femmes et les salariés entrés tardivement en activité, plus nombreux à supporter décote et proratisation des droits.

Aucune simulation spécifique de l’impact de la réforme sur les fonctionnaires et les salariés des régimes spéciaux n’a été réalisée, ce qui est particulièrement regrettable puisque la réforme devrait entraîner pour ces derniers des novations majeures. En effet, les taux de contribution annoncés dans le régime en points ne permettent pas le maintien des conditions dans lesquelles ces catégories peuvent s’ouvrir des droits à retraite. Même corrigé des effets démographiques, leur potentiel de droits à retraite sera réduit, du fait de la baisse des cotisations alimentant leurs régimes, appelée à l’avenir à fonder leurs droits à retraite. Ceci implique une baisse du rendement des cotisations de ces catégories sur le cycle de vie mais aussi du taux de rendement instantané lors de la liquidation de la pension. Ces éléments ne sont pas explicités par le rapport du haut-commissaire à la réforme des retraites (HCRR).

La baisse du rendement instantané, qui serait plus forte que dans le régime actuel, et accentuerait la baisse des taux de remplacement d’ores et déjà prévisible, pourrait apparaître paradoxale puisque les primes des fonctionnaires devraient être incluses dans le périmètre du prochain régime. Mais cette inclusion ne devrait pas suffire à compenser l’impact négatif du passage à un régime en points, malgré l’effet positif de l’indexation des points sur le salaire moyen par tête, qui devrait permettre d’éliminer un facteur important de dégradation actuelle de la valeur de pension des fonctionnaires, le gel de la valeur du point d’indice.

L’alignement des rendements financiers de toutes les catégories de fonctionnaires peut apparaître comme un progrès d’équité. Tout comme pour les régimes spéciaux, il faut prendre en compte les différents arbitrages qui règlent le marché du travail et les écarts de pénibilité qui sont des éléments majeurs de l’équité du système selon les termes mêmes de notre droit fondamental de l’assurance vieillesse.

L’intégration des primes aura des effets fortement asymétriques puisque les taux de primes sont très fortement différenciés selon les fonctionnaires. Les personnels peu primés, parmi lesquels les agents de l’éducation nationale au premier chef, assumeront la charge financière des avantages relativement plus forts retirés de l’intégration des primes par les catégories plus primées. La soutenabilité sociale d’une telle redistribution est en cause, avec de forts risques pour les finances publiques du fait des compensations qu’il faudrait apporter.

Enfin, la transition entre le régime actuel et le régime universel représente un point très sensible de la réforme. Pour les fonctionnaires, il est impossible de reconstituer les carrières salariales dont les termes ne sont pas conservés. La préconisation du rapport du HCRR de convertir les droits constitués sur les bases de liquidation atteintes au moment du passage au nouveau régime, fragile juridiquement, aboutirait à amputer la valeur des actifs de retraite des assurés de toute l’espérance de gains associés à une projection de leurs carrières sans leur permettre de bénéficier des dynamiques offertes par l’indexation des points prévue dans le futur régime.

Le rapport et la communication de la rapporteure spéciale sur le point d’étape de son suivi des effets de la réforme de retraite sur les régimes de la mission RSR et sur les régimes de la fonction publique d’État sont disponibles sur le site du Sénat.

Mme Sylvie VERMEILLET (UC - Jura) est rapporteure spéciale de la mission "Régimes sociaux et de retraite" (RSR) et du compte d’affectation spéciale "Pensions".

La commission des finances est présidée par M. Vincent ÉBLÉ (Socialiste et républicain - Seine-et-Marne). Son rapporteur général est M. Albéric de MONTGOLFIER (Les Républicains - Eure-et-Loir).

Clothilde LABATIE
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