M. JEAN-MICHEL GALABERT,
PRESIDENT DE SECTION AU CONSEIL D'ETAT
JEUDI 5 FEVRIER 1998

M. LE PRÉSIDENT.- Nous devons maintenant entendre Jean-Michel Galabert, président de section au Conseil d'Etat.

Nous devons vous entendre sous la foi du serment.

(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Michel Galabert prête serment).


M. LE PRÉSIDENT.- Nous pouvons raisonnablement envisager d'arrêter nos travaux à 12 H 30, ce qui laissera à Monsieur le rapporteur le temps de poser ses questions et permettra aux collègues qui souhaiteraient prendre la parole de s'exprimer.

M. LE RAPPORTEUR.- Monsieur le président de section au Conseil d'Etat, la circulaire du 24 juin 1997 précise très exactement votre mission dans son avant-dernier alinéa. Je rappelle que Jean-Michel Galabert a été chargé d'une mission de coordination et de proposition par M. Jean-Pierre Chevènement, dans le cadre de la mise en oeuvre de la circulaire. Sa mission consiste à suivre cette mise en oeuvre, à faire part des difficultés rencontrées et des observations qu'il estime justifiées, également à proposer toute initiative de nature à résoudre ces difficultés. C'est bien cette mission générale qui vous a été confiée, M. Galabert, de contrôle, de coordination, également de propositions face aux difficultés rencontrées par les différentes préfectures pour faire appliquer cette circulaire.

Les questions que je vous poserai sont assez simples. Premièrement, je souhaiterais savoir dans quelles conditions se déroule la mission qui vous a été confiée et de quels moyens matériels et humains vous disposez. Deuxièmement, de quelle autonomie effective jouissez-vous pour l'exercice de cette mission et comptez-vous publier un rapport final rendant compte de votre mission, qui serait éventuellement rendu public ?

Telle est la première série de questions que je souhaitais vous poser, Monsieur le président.

M. GALABERT - Effectivement, la circulaire m'a confié une mission telle que vous l'avez indiquée.

Pour répondre à un premier aspect de votre question, je suis entouré d'une équipe on ne peut plus réduite, ayant à côté de moi un administratif civil du ministère de l'intérieur, plus une secrétaire. Ceci dit, cette équipe de travail réduite ne me pose pas de problème et nous avons beaucoup plus l'occasion de travailler par téléphone que par écrit. Je précise que la mission qui nous a été confiée est tout de même assez personnalisée.

Sur l'autonomie dont je dispose, un aspect de ma mission consiste bien à visiter un certain nombre de préfectures et mes entretiens sont assez libres. Il peut m'arriver de dire que telle disposition de la circulaire ne me paraît pas des plus heureuses mais il est bien évident que je ne peux recommander une régularisation qui serait contraire aux dispositions de la circulaire. Encore une fois, je bénéficie d'une certaine liberté de ton mais je ne peux pas recommander des comportements qui seraient contraires à la circulaire.

Je précise, même si la question ne m'a pas été posée, que le terme de ma mission devrait être aux alentours d'avril mais il n'est pas prévu qu'un rapport final soit publié.

M. LE RAPPORTEUR.- Pour poursuivre mes questions, quelles difficultés ont été soulignées par les administrations en charge de la procédure de régularisation ? S'agit-il de difficultés d'ordre individuel ou portant sur certaines catégories de demandeurs ? Vous a-t-on signalé des difficultés d'ordre matériel pour la mise en oeuvre de la circulaire ? Comment avez-vous été informé de ces difficultés ? Quels sont les départements où se sont manifestées les plus nombreuses difficultés ? Avez-vous le sentiment que les difficultés qui vous ont été signalées traduisent l'intégralité des difficultés effectivement rencontrées par l'administration ?

Toutes les difficultés signalées par les préfets à la direction des libertés publiques vous sont-elles systématiquement transmises et est-il possible que vous n'ayez pas été informé de certaines des difficultés rencontrées ? Enfin, vous êtes-vous déplacé dans certaines préfectures pour observer sur place les difficultés particulières, en vue de les réguler ?

M. GALABERT - Je dois peut-être commencer par vous dire que j'ai été saisi par trois voies.

A partir du moment où j'ai été nommé, j'ai reçu premièrement de nombreuses demandes individuelles concernant des cas particuliers, si je puis dire de candidats "de base" à la régularisation, deuxièmement d'associations intervenant sur des cas individuels. Je précise que le choix d'un certain nombre d'associations consiste à considérer les demandes collectivement. Mettons qu'elles me disent : "Notre programme est d'obtenir des papiers pour tous", je leur réponds qu'elles sont tout à fait libres de poursuivre cet objectif mais que ce n'est pas à moi qu'elles doivent le dire, mais bien au ministre de l'intérieur ou au Premier ministre, et elles ont compris que cela ne relevait pas du tout de mes compétences.

Troisièmement, vous avez fait allusion au fait que je me déplace dans des préfectures. Je me suis rendu dans 24 préfectures dont je dirai, en gros, qu'elles correspondaient à celles où les demandes étaient les plus importantes, et je suis en train d'engager un second tour. J'ai commencé par le Val-de-Marne, il y a peu, et je me suis également rendu à Toulouse. Bien évidemment, je me déplace dans les grandes préfectures.

En ce qui concerne les difficultés rencontrées, je dirai qu'au départ il y a eu des difficultés d'interprétation de la circulaire du fait que certaines de ses dispositions n'étaient pas claires. Ma première mission, pas trop complexe, a consisté à m'assurer qu'une fois que l'information avait été fournie par le ministère, l'ensemble des préfectures appliquaient le texte dans le même esprit.

Pour vous citer un exemple plus concret, celui d'un Malien déclarant vivre dans un foyer, seul, qui demandait sa régularisation. Certaines préfectures, minoritaires, se sont alors rapportées à ce qui était dit dans la circulaire en ce qui concerne les célibataires "sans charge de famille", mais en considérant uniquement cette situation de famille en France alors que les personnes dans cette même situation pouvaient fort bien avoir une famille à l'étranger. D'autres préfectures ont adopté une position inverse, finalement acceptée par l'administration après mon intervention. Faire appliquer sur l'ensemble du territoire la même interprétation du texte dans un objectif d'unité juridique n'est pas toujours facile !

Il convient ensuite d'apprécier les situations individuelles en vertu d'un certain nombre de critères. L'intéressé doit justifier de l'aspect continu de son séjour, etc.

Les difficultés d'interprétation initiales sont à peu près résolues mais d'autres difficultés sont liées au volume des affaires. Il est certain que des préfectures comme la préfecture de police de Paris, celle de Seine-Saint-Denis ou celle du Val-de-Marne, sont tellement encombrées qu'en dépit de la bonne volonté des personnels, il est très difficile de gérer les dossiers. Dès lors qu'on est saisi par une association pour un cas traité par la préfecture de police, comme c'est déjà arrivé, on peut bien sûr essayer de repérer un dossier mais ce n'est pas très commode !

A l'inverse, les départements où il y a très peu de demandes, je pense à des départements de taille modérée, dont la préfecture peut être une ville d'importance limitée, manquent d'expérience et de doctrine en matière de gestion des étrangers, et les problèmes s'y personnalisent très vite. Par exemple, on trouve deux avocats dans la ville, dont l'un est " brouillé " avec le chef de service, ce qui laisse plus de champ libre à l'activité des associations.

M. LE RAPPORTEUR.- Vous avez bien voulu nous parler des associations, des avocats qui ont de plus ou moins bonnes relations avec les chefs de service, moi-même ancien avocat je connais bien le problème. J'en viens donc à ma troisième série de questions.

Comment les associations et les groupements vous font-ils part de leurs observations ? Avec quels associations et groupements êtes-vous en contact ? Quelles observations ont été formulées par les associations et groupements d'aide aux demandeurs ? Quelles sont, selon ces associations et groupements, les difficultés rencontrées par les demandeurs d'une régularisation ?

Quelle appréciation portez-vous sur ces observations ? Les observations formulées par les associations vous semblent-elles représentatives de celles qui seraient susceptibles d'être formulées par les intéressés eux-mêmes ? Enfin, avez-vous rencontré individuellement certains demandeurs ?

M. GALABERT - Sous la réserve faite initialement, il me semble que les associations ont compris une fois pour toutes qu'elles ne venaient pas me voir pour discuter de l'option politique mais pour traiter de cas particuliers. En réalité, je suis en contact avec des associations de tailles très diverses. Cela va de très grandes associations à des associations à l'échelon local. Je pense à Montpellier, mais c'est loin d'être le seul exemple, ou à la Haute-Savoie, où les questions les plus fréquentes qui me sont signalées sont des cas individuels.

De quoi se plaignent-elles ? Indépendamment des incidents locaux, bien souvent liées aux personnes, en particulier en région parisienne j'ai pu constater que les associations jugeaient trop long les délais de procédure. Par exemple, on dépose la demande en juillet et l'accusé de réception arrive en octobre. Il existe un délai en la matière. Théoriquement, si vous êtes interpellé, vous pouvez dire que vous avez présenté une demande de régularisation et dans ce cas-là, en théorie, l'agent de police "passe son chemin". Je ne dis pas que, sur des milliers, on n'a pas eu deux ou trois affaires à régler où l'intéressé avait été mis en rétention alors même qu'il avait formulé une demande, mais ce sont des choses qui s'arrangent.

Les associations se sont également parfois plaintes des conditions d'accueil, tenant à la fois aux moyens matériels dont dispose chaque préfecture, également peut-être à l'implication plus ou moins grande du corps préfectoral. Par exemple, si on s'aperçoit que tel candidat a des réactions vives, il y a tout intérêt à ce que l'entretien n'ait pas lieu au guichet. Dans ces conditions, on peut discuter avec l'intéressé.

Les associations ont une autre plainte, dont j'ose dire qu'elle n'est pas très grave et à laquelle il est d'ailleurs plus ou moins envisagé de répondre par le projet de loi. Elles peuvent en général accompagner les demandeurs, sauf pour l'entretien individuel proprement dit ce qui paraît d'ailleurs tout à fait raisonnable, et elles auraient souhaité l'instauration de comités de suivi au niveau des préfectures. Sauf exception, cela n'a pas été accordé. Ceci dit, la plupart des préfectures ont des relations empiriques avec les associations. Celle du Vaucluse ne travaille pas avec le MRAP parce qu'à Avignon, la personne la plus disponible et qui entretient des relations avec les services préfectoraux est de la CIMADE. Sur le plan local, les militants locaux ne sont pas toujours psychologues et ce sont les agents du guichet qui en subissent les conséquences.

Dès lors que je me rends dans une préfecture, j'ai un entretien avec le préfet. Une réunion est organisée, d'une durée de 1 h 30 à 2 h 00, au cours de laquelle on évoque les demandes d'explication de la circulaire ou de réponse à des interrogations. Je m'arrange toujours pour que participent à ces réunions des chefs de bureau mais aussi des agents plus proches du guichet.

M. LE RAPPORTEUR.- Avez-vous des demandes d'audiences spécialisées d'avocats d'associations ?

M. GALABERT - Pas tellement des grandes associations, qui ont généralement des juristes. J'ai eu des relations très fréquentes avec des avocats qui, en général, paraissent de très bons spécialistes. Ils ne vous saisissent d'un dossier que dès lors qu'il y a vraiment matière à intervenir. Pour faire une réponse très sommaire, en général les associations ont leurs juristes, pas forcément un avocat, mais il est arrivé que des avocats nous saisissent.

M. LE RAPPORTEUR.- Je vous livre ma dernière série de question. Premièrement, quelles propositions avez-vous d'ores et déjà formulées au ministre de l'intérieur ? Deuxièmement, quelles ont été les conséquences de ces propositions ? Troisièmement et pour finir, ont-elles entraîné des modifications dans les procédures observées par l'administration ?

M. GALABERT - Je dois d'abord vous dire que parallèlement, il arrive que l'inspection générale de l'administration du ministère de l'intérieur mène des missions d'inspection, mais dans une optique qui n'est pas la même, consistant à s'assurer que les services en charge de la régularisation fonctionnent bien. J'ai plutôt invité le ministre de l'intérieur à préciser les points de la circulaire qui paraissaient douteux et je crois avoir contribué à résoudre le problème d'interprétation signalé tout à l'heure, concernant les " sans charge de famille ", en indiquant que l'interprétation était différente dans telle ou telle préfecture.

Je reçois les gens, je me rends dans les préfectures et j'ai un rendez-vous tous les 15 jours avec le directeur de cabinet et les conseillers techniques du ministère de l'intérieur. Naturellement, j'ai des relations très suivies avec le directeur des libertés publiques, M. Delarue, que vous venez de voir.

Je dois évoquer d'autres problèmes administratifs dont une difficulté que j'aurais dû mentionner précédemment, en ce qui concerne les étrangers atteints d'une maladie grave et qui demandent leur régularisation au titre du paragraphe 1.7, ne pouvant être soignés dans leur pays dans des conditions satisfaisantes. Cette disposition soulève certaines difficultés avec les médecins inspecteurs de la santé. Je sais que dans le Val-de-Marne, on en avait même fait un point de cristallisation. Je m'y suis rendu la semaine dernière et, comme par miracle, c'était réglé. A Bordeaux et à Toulouse, le moins qu'on puisse dire est que ce n'est pas le cas. Je ne sais si on peut parler de grève du zèle à ce niveau mais, alors que certains émettaient systématiquement un avis favorable, à Toulouse il y a un réel refus de donner un avis. Il y a à cela des raisons parfois déontologiques, que l'on retrouve dans le fonctionnement des administrations.

Dès lors que les intéressés sont hospitalisés, il est possible d'avoir des données plus précises et, la plupart du temps, les médecins sont obligés de travailler sur dossier. Il est vrai qu'il n'est pas forcément facile de se prononcer au seul vu du dossier médical. Il est nécessaire, pour rester en France, eu égard à la nature et à la gravité de la pathologie, qu'elle ne soit pas soignée de façon satisfaisante dans le pays d'origine. Maintenant, il est possible que la maladie n'empêche pas une activité professionnelle, ce qui est un peu le cas à l'heure actuelle au niveau du SIDA et on a souvent évoqué le cas des personnes astreintes à des dialyses. A ce niveau, il y a une concertation pour arriver à une position commune au ministère de l'intérieur et à celui des affaires sociales.

M. LE RAPPORTEUR.- Monsieur le président, sur la base des missions qui vous ont été confiées, en définitive vous êtes là pour coordonner différentes visions des préfectures ou des médecins de la santé, entre autres au sujet du célibataire dont vous faisiez état tout à l'heure, sans charge de famille. Si je comprends bien et si je puis m'exprimer ainsi, vous devez commencer à dire le droit !

M. GALABERT - De toute façon on n'arrivera jamais à interpréter les textes de la même manière à Strasbourg qu'à Paris ou à Dijon. Au mois de juillet ou d'août, les demandes ont commencé à arriver et je peux vous dire que les agents eux-mêmes n'avaient pas idée de ce que cela donnerait. La réaction, au niveau des préfectures, était de dire : "Nous n'avons pas attendu la circulaire pour rejeter certains". J'ai en revanche entendu un agent me dire: "On régularise tout le monde", et 6 mois après, dans ce département, j'ai constaté que les critères de la circulaire faisaient qu'on ne s'orientait pas dans cette direction.

Désormais, les gens sont rodés, même si des adaptations psychologiques seront à faire, que je ne méconnais pas. De toute manière, je le dis en mon nom propre mais il me semble que je peux également le dire au nom de M. Delarue, directeur des libertés publiques, si nous n'avions pas eu envie d'exercer cette mission, nous aurions refusé le poste.

Dans toutes les préfectures, un gros problème tient à la preuve du séjour. Vous avez des professionnels de la chose qui arrivent, en toute bonne foi, avec leurs 700 cartes orange de circulation. Vous avez aussi celui qui a eu la "chance" de se faire soigner pour une grippe tous les hivers. En la matière, certains font flèche de tout bois ! On a même entendu le raisonnement suivant : "En 1994, vous voyez bien que j'étais présent en France puisque j'ai reçu un mandat de reconduite à la frontière, à telle date " !

M. LE RAPPORTEUR.- Avez-vous rencontré certains demandeurs à titre individuel ?

M. GALABERT - Il m'est arrivé d'en avoir au téléphone. Certains me communiquent leur numéro de téléphone et, étant donné que je n'ai qu'une secrétaire, il m'arrive de leur demander une précision.

M. LE RAPPORTEUR.- Prenons le cas du Malien célibataire mais qui a une charge de famille au pays. Quelle est l'interprétation, à ce moment-là ?

M. GALABERT - L'interprétation est celle qui avait prévalu au niveau du ministère. Le fait d'avoir une famille à charge dans le pays ne vous exclut pas du bénéfice de circuler mais il se trouve tout de même que cette personne est dans une situation, pour parler net, où ses chances d'obtenir une régularisation sont plus limitées.

Je me permets de vous indiquer pourquoi on a débattu sur la structure qui aurait eu l'avantage de limiter tout contentieux. Je dirai que celle-ci ne pourrait être tenue comme légale, encadrant simplement l'exercice par les préfets du pouvoir de régularisation qu'ils possèdent de toute façon.

Cette interprétation juridique était nette. Au cas où un étranger demande sa régularisation, pour limiter tout contentieux, on aurait dit : une circulaire a été publiée, créatrice de droit. Le ministère de l'intérieur a pris une autre optique. On se base donc essentiellement sur la circulaire mais, dès lors qu'on est saisi d'une demande de titre de séjour, cela a deux conséquences.

Mettons que l'étranger soit hors circulaire mais qu'il remplisse les conditions de la loi ou du traité bilatéral entre la France et son pays d'origine, je pense à un Camerounais présent en France depuis 15 ans et qui pouvait le prouver, avec une période étudiante. L'article 12 bis de l'ordonnance de 1945 lui permettait de prétendre à régularisation. Si la personne ne remplit pas les conditions de l'ordonnance, le schéma normal consiste à dire : "Je ne puis vous accorder le titre de séjour que vous demandez" et à faire quitter le territoire dans tels délais.

Bien souvent les préfectures, sans que ce soit d'ailleurs de mauvais augure, ont tenu le discours suivant : "Vous devez partir", tout en prévenant l'objection en disant : "Votre famille étant au pays, l'obligation de quitter le territoire ne porte pas atteinte à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales".

Il a d'abord fallu rappeler à certaines préfectures que la légalité de la mesure de départ n'était pas en soi un motif de refus. Certaines faisaient valoir que l'étranger n'exerçait pas une activité régulière et que sa famille était au pays. Il reste, et c'est humain, les préfectures étant confrontées à des dossiers où les problèmes d'appréciation sont délicats, qu'il est difficile de ne pas avoir tendance à regarder d'abord la situation familiale : "Celui-là est célibataire et, si vous refusez la régularisation, la mesure d'éloignement ne posera pas de problème". Cela ne déteint pas sur la façon dont il satisfait ou non aux critères de régularisation.

M. ALLOUCHE - Vous nous apportez un certain nombre d'éléments de précision qui effectivement répondent à notre attente mais, au fur et à mesure que je vous entends, je me dis que l'utilité de votre rôle paraît de plus en plus importante compte tenu de votre volonté d'harmoniser, en quelque sorte, l'application de la circulaire dans l'ensemble des préfectures. Ma question est la suivante.

Au regard des dossiers qui ont à ce jour été refusés, avez-vous une idée statistique du nombre de cas qui ont été reconsidérés, pour lesquels il a été possible de donner satisfaction aux demandes exprimées alors que, dans un premier temps, pour une application plus ou moins fidèle à l'esprit et à la lettre de la circulaire, il y avait eu une proposition de refus ?

M. GALABERT - Dans les préfectures les plus surchargées, on n'a guère le temps d'instruire le recours gracieux et on s'en remet, si je puis dire, au silence de l'administration, en laissant s'écouler le délai de quatre mois à l'issue duquel le recours gracieux est considéré comme rejeté. Les autres préfectures ont elles par contre déjà répondu et elles ont généralement instruit le recours gracieux. Je précise qu'il est arrivé que des recours gracieux me soient directement adressés.

Il a pu arriver que l'intéressé, lisant la décision de rejet, puisse apporter la preuve de sa présence effective en France depuis 7 ans. S'il est capable de le faire là-dessus, dans son dossier cela peut être considéré comme suffisant. Pour faire d'ailleurs une parenthèse sur ce point, autant j'ai parlé tout à l'heure de gens prévoyants, qui avaient gardé la trace de leurs 7 années de carte orange, etc, autant certains sont moins prévoyants ou d'un moindre niveau culturel, qui n'y ont pas pensé. A Toulouse, on me disait encore vendredi dernier que des personnes ne pouvaient recevoir satisfaction du fait qu'elles n'apportaient pas la preuve de leur séjour, pour lesquelles on avait pourtant la conviction qu'elles résidaient depuis longtemps sur le territoire français.

Je peux vous citer un autre exemple, d'une préfecture qui avait eu la malencontreuse idée de ne pas même recevoir l'intéressé avant de proposer la décision de rejet. On a demandé le secret absolu. J'ai téléphoné à la préfecture et mon discours a été le suivant : "Puisque qu'il engage un recours gracieux, commencez par le recevoir", ce que la préfecture a bien voulu faire. Suite à cela, la décision de rejet a été prise et j'ai adressé une lettre à l'intéressé, lui indiquant qu'il pouvait toujours faire recours, sans préciser qu'au vu du refus opposé, la décision de la préfecture paraissait solide.

Mme DUSSEAU - Monsieur Galabert, vous avez en partie répondu à mon ignorance mais je souhaite vous poser quelques questions. Par rapport aux 7 années exigées de certains demandeurs, faut-il impérativement 7 années de présence continue ? Des éléments peuvent peut-être prouver une présence pendant mais non depuis 7 ans en France.

M. GALABERT - En principe, on parle d'un séjour continu de 7 ans, mais sous réserve d'allers-retours. Si l'étranger retourne dans son pays d'origine pendant un mois, ce n'est pas cela qui sera pris en compte. Par contre, il est certain qu'on ne va pas additionner les 10 ans passés antérieurement en France, plus les 3 années entre 1994 et 1997, par exemple.

Mme DUSSEAU - Au niveau du recours gracieux, au bout de 4 mois de silence de l'administration, que se passe-t-il ?

M. GALABERT - En matière de droit administratif, au bout de quatre mois de silence de l'administration, ce que vous lui avez demandé est théoriquement censé vous être refusé.

Mme DUSSEAU - Troisièmement, je n'ai pas très bien compris ce que vous nous avez indiqué concernant les personnes vivant en France dans un état de célibat mais ayant une charge de famille à l'étranger. Je souhaiterais que vous éclaircissiez votre réponse.

M. GALABERT - Pour schématiser le plus possible, dans un premier temps les préfectures, à Paris notamment, considéraient que dès lors que la personne n'était pas mariée, cela allait, mais qu'à partir du moment où elle avait une famille, que celle-ci vive en France ou dans le pays d'origine, elle ne pouvait bénéficier de la régularisation. L'interprétation qui a prévalu, après confrontation avec le ministère de l'intérieur, est qu'on lui demande de vivre en célibataire en France mais que, si cette personne a une famille à l'étranger, cela ne ressort pas.

M. LE PRÉSIDENT.- Que se passe-t-il en cas de polygamie ?

M. GALABERT - C'est toujours éliminatoire, même à l'extérieur.

Mme DUSSEAU - En ce qui concerne les étrangers malades, une durée de séjour est-elle exigée ?

M. GALABERT - Mettons que vous soyez victime d'un accident de la route extrêmement grave, faisant appel à des techniques chirurgicales, on vous gardera le temps de vous soigner. Il y a aussi les cas de SIDA, les dialyses...

Mme DUSSEAU - Par rapport à l'ensemble des dossiers, a-t-on une idée du pourcentage que représentent ces personnes malades ? Vous nous avez parlé d'une dialyse, d'un accident de la route, il y a forcément une ventilation des cas.

M. GALABERT - C'est encore difficile à dire et cela dépend des endroits. J'étais à Bordeaux il y a peu, où on doit dénombrer à l'heure actuelle 7 ou 8 cas de malades. Dans le Gers ou l'Arriège, il doit y avoir 15 demandes de régularisation, dont une demande s'agissant d'une personne malade. En région parisienne, le pourcentage est bien sûr beaucoup plus faible. On peut dire, en tout état de cause, que les cas recensés jusqu'à ce jour sont peu nombreux.

M. LE RAPPORTEUR.- Il faut préciser que les étrangers malades doivent résider habituellement en France.

M. CALDAGUES - Pour poser à mon tour une question sur la polygamie, juridiquement cette question me remplit de perplexité. Les critères sur lesquels l'autorité ou les tribunaux peuvent déterminer que quelqu'un est polygame ou qu'il ne l'est pas me paraissent extrêmement flous, pour ne pas dire inexistants. J'ai cru comprendre qu'était polygame à vos yeux quelqu'un dont la polygamie était due à un second mariage dans son pays d'origine, je ne pense pas que ce soit l'interprétation des tribunaux.

M. GALABERT - La sanction de la polymamie, ce qui signifie l'existence de plusieurs ménages, est que vous ne pouvez faire venir qu'une épouse au titre du regroupement familial. Ceci étant, des familles polygames sont arrivées à une époque où la "chasse" à la polygamie n'était pas faite avec autant de rigueur qu'aujourd'hui, ce qui pose souvent énormément de problèmes.

M. CALDAGUES - Ma deuxième question est la suivante. Lorsque le demandeur invoque un état de santé exigeant un traitement en France, hormis le cas des affections chroniques ou quasi chroniques dont vous nous avez parlé tout à l'heure, comme les dialyses, dont on ne sait combien de temps elles peuvent durer, qui peuvent même s'avérer définitives, quelle est la durée de validité d'une attestation médicale ? Dans de nombreux cas, la médecine française ne reste tout de même pas définitivement impuissante.

M. GALABERT - Les étrangers remplissant les conditions bénéficient généralement d'une autorisation de séjour d'une durée de trois mois, renouvelable, et désormais si le rapport du médecin fait apparaître la nécessité d'un traitement de longue durée on délivre une carte de séjour temporaire d'un an, avec autorisation de travailler si la maladie le permet.

M. DEMUYNCK - La circulaire prévoit-elle un traitement particulier pour les étrangers frappés d'interdiction définitive du territoire, trafiquants de drogue dans 90 % des cas ?

M. GALABERT - Il s'agit là d'un réel problème, que j'examine avec l'ensemble des préfectures. Il convient de distinguer l'interdiction de territoire à titre principal qui ne pose pas de problème, ne pouvant être levée que par un décret de grâce du président de la République. Certaines personnes ont certes formé des recours à ce niveau mais les chances sont minces.

S'agissant d'une interdiction de séjour à titre complémentaire, la circulaire a prévu que le préfet puisse demander au ministre de l'intérieur de vous assigner à résidence, vous remettant dans une situation qui permet d'obtenir le relèvement. Je précise bien qu'en aucun cas cette procédure d'assignation à résidence en vue de demander à la juridiction un relèvement n'est appliquée à des agents dont la condamnation principale tenait à des motifs de droit commun.

M. LE PRÉSIDENT.- Je souhaite vous poser deux questions.

Premièrement, vous connaissez la circulaire sur l'aide au retour et, globalement, je souhaiterais savoir ce que vous en pensez. Ne vient-elle pas trop tardivement, par rapport à d'autres décisions, et n'est-elle pas trop compliquée ?

M. GALABERT - Je peux en effet, comme vous l'avez fait, observer qu'elle est intervenue tardivement, mais les consignes sont données pour pouvoir éventuellement accorder le bénéfice à quelqu'un qui aurait quitté le territoire à la suite d'un refus et qui pourrait y prétendre. Aujourd'hui, de nombreuses préfectures tirent sur les délais avant de mettre en forme et de vous notifier une décision de refus pour pouvoir accompagner la notification d'un rapport que vous pouvez adresser pour l'aide au retour. Ceci dit, on peut s'interroger sur l'efficacité de l'aide au retour.

M. LE PRÉSIDENT.- Deuxième question toute simple, on a donc en gros 150.000 dossiers de régularisation : 180.000 moins les doubles emplois. Il nous a été dit qu'on avait traité en priorité les cas les plus faciles dans la plupart des préfectures, ce qui est d'ailleurs normal : on régularise d'abord les régularisables, mais cela signifie aussi qu'on va avoir à faire face à une accumulation de choix difficiles dans des délais relativement courts. Ne pensez-vous pas que tout cela va quelque peu "embouteiller" les choses au cours des deux derniers mois ? Surtout qu'il y aura un cumul avec l'aide au retour qui va commencer et a clairement introduit ses propres délais dans les délais impartis par la circulaire. Finalement, ne pensez-vous pas qu'on se dirige vers un report des délais impartis dans la circulaire du 24 juin 1997 ?

M. GALABERT - La plupart des préfectures pensent tenir le délai d'avril, même si certaines sont plus prudentes ou plus pessimistes, comme la préfecture de police ou la préfecture des Bouches-du-Rhône. Maintenant, si beaucoup de décisions ne sont pas prises, elles sont déjà largement préparées, ce qui paraît de nature à restreindre quelque peu votre inquiétude.

Il est en outre tout à fait certain qu'on a commencé par traiter les cas les plus simples. Je dois tout de même signaler que même en l'état actuel, les chiffres qui sont communiqués, même préfecture par préfecture, d'admissions et de refus, ne sont pas encore très significatifs. Il n'est pas question d'arriver au taux national, ne serait-ce que parce que les conditions au niveau des populations étrangères ne sont pas les mêmes d'un département à un autre. On aura forcément des chiffres différents et cela dépend aussi de la façon dont la préfecture a procédé. Celle qui a vraiment appliqué la règle a commencé par traiter les cas les plus favorables et, inévitablement, les choses vont évoluer quand on arrivera au 1-6. Ce n'est pas très significatif.

Je crois tout de même que la nouvelle loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France va être une "passerelle". Si on a été conduit à prolonger après le 1er novembre la possibilité, pour les malades, de bénéficier de la régularisation, c'est parce que l'on pouvait penser que la loi nouvelle prendrait le relais de la circulaire et qu'on ne voulait pas créer de hiatus ; ceci dit, une fois la nouvelle loi en vigueur, il deviendra délicat d'appliquer une circulaire dès lors qu'elle serait contraire à la loi nouvelle.

M. LE PRÉSIDENT.- Pensez-vous que la loi sera en vigueur avant le terme de la circulaire ?

M. GALABERT - Je ne suis pas parlementaire mais disons qu'il y a de très fortes probabilités. Je précise que je ne crois pas m'aventurer beaucoup en disant que je ne pense pas que les dispositions de la future loi appelleront énormément de décrets d'application. Certaines devraient pouvoir s'appliquer sans décret.

M. LE PRÉSIDENT.- Que se passerait-il en cas de vide juridique entre la fin de l'application de la circulaire et l'application de la loi ?

M. GALABERT - Disons que ce serait fâcheux.

M. LE PRÉSIDENT.- Le ministre a annoncé que les décrets d'application ne seraient pas pris avant les élections.

M. GALABERT - Cela paraît probable.

M. LE PRÉSIDENT.- Mes chers collègues, Monsieur le rapporteur, si votre curiosité est satisfaite je remercie M. Galabert pour la façon très claire et très spontanée dont il nous a fait part de ses impressions. Il nous a très fortement éclairé sur l'environnement de cette procédure et nous l'en remercions.