B. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE CONSACRE, EN DROIT, LA FIN DES RELATIONS CONVENTIONNELLES GLOBALES

Au lieu de tenter de favoriser le dialogue conventionnel, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, en son article 17, définit un nouveau cadre pour ces relations conventionnelles, exclusivement comptable, et dans lequel rien n'est plus à négocier : l'ajustement se fait automatiquement, par des lettres-clés flottantes.

En outre, un amendement adopté à l'Assemblée nationale donne les bases légales à des accords purement sectoriels, par spécialité médicale : il s'attaque directement à l'existence même des syndicats de médecins spécialistes.

1. L'article 17 définit des conventions dans lesquelles plus rien n'est à négocier

L'article 17 procède à une réécriture complète des articles du code de la sécurité sociale qui définissent le cadre légal des relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professionnels de santé : médecins généralistes et spécialistes, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, auxiliaires médicaux, infirmières, masseurs-kinésithérapeutes et directeurs de laboratoires privés d'analyses.

Alors que les dispositions en vigueur avaient été adoptées, profession par profession, en fonction de la spécificité des conditions d'exercice, l'article 17 prévoit, pour toutes les professions, un contenu identique de l'annexe annuelle conclue chaque année à la suite du vote de l'ONDAM par le Parlement.

Au lieu de promouvoir une maîtrise médicalisée des dépenses de santé, cette annexe annuelle ne jouera que sur les prix.

En effet, à partir d'un objectif fixé pour chaque profession (un objectif étant fixé pour les médecins généralistes, d'une part, et pour les médecins spécialistes, d'autre part) et correspondant aux dépenses remboursables au titre de leurs seuls honoraires, à l'exclusion des prescriptions, l'annexe fixe les tarifs correspondants.

Outre cette régulation des tarifs, l'annexe peut modifier, dans la limite de 20 %, les cotations des actes fixées par le pouvoir réglementaire : les partenaires conventionnels peuvent donc agir sur les deux déterminants des prix, les tarifs et la cotation des actes.

Votre Commission n'approuve pas cette intrusion limitée des partenaires conventionnels dans les cotations : elle estime que ces cotations doivent être intégralement fixées, soit par le pouvoir réglementaire, soit par les partenaires conventionnels. Chacune de ces solutions comporte certes des inconvénients, mais qui sont bien moindres que ce partage des rôles 80 %/20 %. Un des inconvénients majeurs de ce système est qu'il n'encourage pas l'adaptation permanente des cotations en fonction de l'évolution des pratiques et des techniques médicales.

Au-delà de cette action sur les prix, l'article 17 prévoit que tous les professionnels de santé libéraux pourront, à titre individuel, accepter de limiter leur volume d'activité en signant des " contrats de bonne pratique " : en contrepartie, ils bénéficieront d'un meilleur taux de prise en charge de leurs cotisations sociales par l'assurance maladie.

Les tarifs étant fixés par l'annexe annuelle conclue entre l'assurance maladie et les professionnels de santé, rien n'est pourtant définitif.

Le projet de loi prévoit en effet des rendez-vous au quatrième et au huitième mois, à la suite desquels, en cas d'augmentation des dépenses, les tarifs peuvent être modifiés.

Certes, la fiction de relations conventionnelles normales est maintenue : ce sont les professionnels eux-mêmes qui signeront, avec l'assurance maladie, les " annexes infra-annuelles " diminuant leurs tarifs.

Etant précisé que, s'ils ne signent pas, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et au moins une autre Caisse nationale auront l'obligation légale (cf. art. L. 162-15-2, II) de diminuer unilatéralement les tarifs.

Et si l'assurance maladie elle-même ne se soumet pas à cette obligation, ou si le Gouvernement juge que les mesures qu'elle a prises ou signées sont insuffisamment restrictives, c'est un arrêté ministériel qui viendra diminuer les tarifs.

Quelle marge d'action reste-t-il pour les partenaires conventionnels ? Quel syndicat de professionnels de santé acceptera de signer des tarifs qui pourront être modifiés au quatrième et au huitième mois de l'année ?

Et, si ces arguments ne pouvaient être compris par le Gouvernement s'agissant de professionnels libéraux, imaginerait-on qu'une entreprise puisse baisser ainsi les salaires de son personnel, aux quatrième et huitième mois de l'année en fonction de l'état conjoncturel de son carnet de commandes ?

De telles dispositions légales sont de nature à dissuader durablement les professionnels de santé d'entrer dans le jeu conventionnel.

2. En complément, un amendement adopté à l'Assemblée nationale s'attaque directement à l'existence des syndicats représentatifs de l'ensemble des médecins spécialistes

Une fois les professionnels de santé dissuadés d'entrer dans un cadre global de relations conventionnelles, il ne restait plus qu'à encourager la division en prévoyant la possibilité d'accords partiels.

Le Gouvernement s'est chargé, dans le texte initial du projet de loi, du premier volet. C'est l'Assemblée nationale, à l'initiative de M. Claude Evin, qui a pris la responsabilité du second.

Il a en effet légalisé la possibilité d'accords partiels, dans tous les cas, qu'une convention ait été ou non signée.

En l'absence de convention, l'assurance maladie et une organisation syndicale nationale de médecins d'une spécialité ou d'un groupe de spécialités médicales peuvent conclure un " protocole " comportant tous les éléments d'une annexe annuelle, les tarifs et les modifications de cotation des actes autorisées dans la limite de 20 %, ainsi que toute mesure de nature à garantir le respect de l'objectif.

Et, même lorsqu'une convention médicale est en vigueur, s'il n'y a pas eu d'accord sur le contenu d'une annexe entre l'assurance maladie et les syndicats de médecins spécialistes signataires, un tel protocole peut être conclu.

Du côté des médecins, ce " protocole-annexe " peut être signé :

- soit par un syndicat représentant une spécialité ou un groupe de spécialités adhérant à l'un des syndicats représentatifs de l'ensemble des médecins-spécialistes signataires de la convention... ;

- soit par un syndicat catégoriel appartenant à un syndicat représentatif de l'ensemble des médecins spécialistes non signataire de la convention.

Ainsi seraient attisées les rivalités entre grands syndicats représentatifs de l'ensemble des médecins spécialistes.

Ainsi seraient aussi ouvertes les surenchères et les rivalités entre les différentes spécialités.

Votre commission estime très dangereuse cette réforme qui contribuera à éloigner de façon durable les professionnels de santé libéraux du dialogue conventionnel avec les pouvoirs publics. Ni notre système public d'assurance maladie, ni d'ailleurs le Gouvernement n'ont à y gagner.