Fonction publique et réforme de l'Etat

Gérard BRAUN

Table des matières




L'examen des crédits de la fonction publique appelle deux analyses distinctes :

-
la première est juridique : il s'agit de la présentation des crédits du ministère chargé de la gestion de la fonction publique, qui sont individualisés dans le budget des services généraux du Premier ministre au sein de l'agrégat 21 « Fonction publique ». Ces crédits s'élèvent à 216,92 millions d'euros (1,42 milliard de francs) en 2002, soit une stabilisation par rapport à 2001 (les crédits avaient alors progressé de 8,1 %) ;

- la seconde est économique : il convient d'analyser les charges de personnel de l'Etat, qu'il s'agisse des crédits de rémunération, des charges sociales ou des pensions. Ce sont des dépenses transversales qui apparaissent au sein de l'ensemble des départements ministériels et sur lesquelles il est indispensable d'avoir une vision globale. Elles représentent en effet 112,5 milliards d'euros (737,95 milliards de francs) en 2002, soit 43,3 % des dépenses du budget général nettes de remboursements et dégrèvements (après 42,2 % en 2001).

I. PRÉSENTATION DES CRÉDITS

A. LES CRÉDITS DU MINISTÈRE CHARGÉ DE LA FONCTION PUBLIQUE

1. Définition

Ces crédits correspondent à l'agrégat 21 « Fonction publique » au sein des services généraux du Premier ministre, qui regroupe les moyens que le ministère de la fonction publique consacre à ses missions interministérielles , qui sont les suivantes :

- la mise en oeuvre d'une politique d'ensemble de la fonction publique : évolution du statut général des fonctionnaires, coordination des politiques ministérielles en matière d'organisation statutaire et indiciaire, de gestion des ressources humaines, de protection sociale, de rémunération et de temps de travail ;

- la coordination des actions engagées dans le cadre de la réforme de l'Etat ;

- la modernisation de l'administration et de ses méthodes de gestion ;

- la tutelle des écoles d'administration.

Il convient de noter la part décroissante qu'occupe cet agrégat au sein des crédits des services généraux du Premier ministre :

- 27 % en 2000 ;

- 22,1 % en 2001 ;

- 19,6 % en 2002.

2. Évolution des crédits de 2001 à 2002

Pour 2002, les crédits du ministère chargé de la fonction publique s'établissent ainsi :

a) Les dépenses de personnel

Elles sont exclusivement constituées de prestations d'action sociale interministérielle (aides au logement, aide ménagère à domicile pour les retraités, chèques-vacances ou prestations « crèche ») ou d'opérations d'action sociale telles que la rénovation de restaurants administratifs.

Le tableau ci-dessous récapitule les prestations servies en 2000 au titre de l'action sociale interministérielle :



Ces crédits s'élèvent, pour 2002, à 113,90 millions d'euros (747,14 millions de francs), soit une diminution de 1,8 % par rapport à 2001.

Cette évolution résulte d'ajustements des crédits aux besoins, en ce qui concerne notamment les chèques vacances et les autres prestations d'actions sociales. En revanche, les aides au logement et les prestations de service « crèche » sont légèrement revalorisées.

b) Les dépenses de fonctionnement

Les actions de formation, de perfectionnement, d'insertion et de modernisation dans la fonction publique mobilisent des crédits à hauteur de 9,95 millions d'euros (65,27 millions de francs), en hausse sensible de 26,8 % par rapport à 2001 (après + 35,5 % l'année dernière). Cette augmentation résulte de la très forte progression (+ 632,6 % !) des crédits alloués à des opérations interministérielles de formation non déconcentrées, et au doublement des dotations du fonds interministériel pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.

Les subventions aux écoles (ENA 1( * ) , IIAP 2( * ) et IRA 3( * ) ) représentent 59,87 millions d'euros (392,72 millions de francs), en progression de 4,5 %. Cette progression est principalement imputable à l'augmentation de la subvention allouée aux cinq IRA résultant de l'accroissement du nombre des élèves en scolarité. La subvention versée à l'ENA augmente de 0,5 % et s'établit à 26,32 millions d'euros (172,65 millions de francs) ; il convient de noter la création de deux emplois d'expert pédagogue dans cette école.

Les crédits destinés aux études et à la communication sur la gestion publique s'établissent à 2,03 millions d'euros (13,32 millions de francs), soit un recul de 1,5 % par rapport à 2001 ; il convient de souligner que ces crédits doivent notamment être consacrés au développement des actions de communication et des publications liées aux chantiers de la réforme de l'Etat .

Les crédits du Fonds pour la réforme de l'Etat FRE : ils diminuent de 17,4 % en 2002, s'établissant à 13,72 millions d'euros (90 millions de francs). Le recul des dotations concerne essentiellement les opérations à caractère local supportées par le FRE (près de - 19 %).

c) Les dépenses d'interventions
Sur le chapitre 43-02 sont inscrits 2,36 millions d'euros (15,48 millions de francs) au titre des subventions à des actions de formation et d'information, en hausse de 1,6 % : 304.898 euros (2 millions de francs) sont destinés au Centre des études européennes de Strasbourg, 2,01 millions d'euros (13,2 millions de francs) aux organisations syndicales de la fonction publique, et, pour la première fois, 38.112 euros (250.000 francs) à la mise à disposition d'un service gratuit intégré au service légifrance par le GIP Banque de données juridiques inter-fonctions publiques.

d) Les dépenses en capital

Ces crédits correspondent à 15,09 millions d'euros (99 millions de francs), en hausse de 2,1 % par rapport à l'année précédente, destinés à des équipements en faveur d'actions interministérielles, ainsi répartis :

- 9,91 millions d'euros (65 millions de francs) pour l'action sociale interministérielle, dont 5,34 millions d'euros (35,03 millions de francs) pour des opérations d'action sociale d'équipement et de logement, et 4,57 millions d'euros (environ 30 millions de francs) au titre d'actions de réservation de logement « Comité interministériel des villes » ;

- 4,57 millions d'euros (environ 30 millions de francs) au titre du financement des logements sociaux des fonctionnaires en Ile-de-France ;

- 610.000 euros (4 millions de francs) au bénéfice du fonds interministériel pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.

Le tableau ci-après retrace l'évolution, depuis 1997, des crédits consacrés aux trois principales actions conduites par le ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat :

B. LES CHARGES DE PERSONNEL DE L'ÉTAT

1. Les dépenses de fonction publique « stricto sensu »

Dans le projet de loi de finances pour 2002 , l'ensemble des principales composantes des dépenses de fonction publique du budget général progresse de 4,6 % par rapport à la loi de finances initiale de 2001, soit 4,79 milliards d'euros (31,45 milliards de francs) supplémentaires , les dépenses du budget général devant augmenter de 2 % en 2002.

Elles s'élèvent donc à 109,13 milliards d'euros (715,85 milliards de francs), répartis de la façon suivante :

Il convient de souligner la très vive progression des pensions , soit près de + 6 % en une année, et près de + 7 % pour les pensions civiles.

Les dépenses de fonction publique représentent ainsi 43,3 % du budget général en 2002 , contre 42,2 % en 2001.

2. La dépense « induite » de fonction publique

La fonction publique de l'Etat « induit » des dépenses qui vont au-delà des seules charges liées aux fonctionnaires.

Si l'on intègre les dépenses induites, notamment les subventions à l'enseignement privé et les pensions des anciens combattants, ces dépenses étaient, en 2000, de 116,14 milliards d'euros (761,85 milliards de francs) dans leur ensemble - y compris 1,09 milliard d'euros (7,14 milliards de francs) de rebudgétisations, dont 770 millions d'euros (5,03 milliards de francs) sur le chapitre des pensions - soit 115,10 milliards d'euros (755 milliards de francs) hors modifications de périmètre 4( * ) .

En 1999, elles étaient de 111,75 milliards d'euros (733 milliards de francs), soit une progression à champ constant de 3 %.

Le graphique ci-dessous présente l'évolution des dépenses induites de fonction publique depuis 1991 5( * ) :

Près de 92 % des dépenses induites par la fonction publique sont indexées sur la valeur du point en 2000, contre 90 % en 1991. Ainsi une revalorisation de 1 % du point fonction publique engendre-t-elle un coût de l'ordre de 1,07 milliard d'euros (7 milliards de francs) pour le budget de l'Etat.

II. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Votre rapporteur spécial est amené à formuler trois observations relatives aux crédits alloués à la fonction publique et à la réforme de l'Etat pour 2002, en tentant de présenter un bilan de l'action du gouvernement au cours de la législature.

A. LA FONCTION PUBLIQUE, PREMIÈRE PRIORITÉ DU GOUVERNEMENT TOUT AU LONG DE LA LÉGISLATURE

1. Toujours plus de fonctionnaires

a) Le gel de l'emploi public démythifié

Au début de la législature, le gouvernement avait affirmé vouloir « geler » l'emploi public, cette bonne résolution étant motivée tant par des considérations budgétaires que par un souci affiché de bonne gestion. Sa position officielle consistait ainsi à stabiliser le nombre de fonctionnaires, tout en procédant à des redéploiements d'effectifs en direction des secteurs prioritaires comme la justice ou la sécurité 6( * ) . Inversement, l'administration fiscale et celle de l'équipement devaient voir leurs effectifs diminuer.

Cette ambition s'est brisée - rapidement - sur des résistances, voire des corporatismes de nature syndicale, qu'il n'était du reste ni étonnant ni illégitime de voir se manifester, mais auquel le gouvernement n'a pas eu le courage de faire face, préférant, par facilité, renouer avec une politique qui, faute d'être réformatrice, a au moins le mérite de la lisibilité : créer des emplois supplémentaires.

Le graphique ci-après traduit bien l'abandon par le gouvernement de son objectif initial de « geler » l'emploi public :



C'est à partir de la loi de finances pour 2001 que le gouvernement a fait le choix de créations massives d'emplois publics telles qu'il n'y en avait plus eu depuis le début des années 1990 7( * ) . Le présent projet de loi de finances confirme ce choix, en l'amplifiant, puisqu'il prévoit la création de 15.892 emplois budgétaires supplémentaires , dont 14.611 au sein des services de l'Etat et 1.281 dans les établissements publics.

Le tableau ci-après présente ces créations d'emplois par section budgétaire :

Ces arbitrages sont évidemment critiquables, et suscitent quelques interrogations.

Le ministère de l'éducation nationale bénéficie de 7.716 créations d'emplois, soit près de la moitié du total : 5.737 emplois dans l'enseignement scolaire et 1.979 emplois dans l'enseignement supérieur. Il convient de rappeler que le même ministère avait déjà obtenu les deux tiers des créations d'emplois décidées par la loi de finances pour 2001.

Il paraît légitime de se demander jusqu'où va aller ce mouvement, d'autant plus que le nombre des élèves comme des étudiants diminue désormais très régulièrement, et que les projections démographiques montrent bien que cette décrue va se poursuivre.

Certes, le gouvernement indique que ces créations d'emplois s'inscrivent dans un plan pluriannuel ayant vocation à anticiper les départs importants à la retraite des enseignants. Ne paraît-il pas plus urgent - mais c'est aussi bien plus difficile - de réfléchir à la façon d'adapter le format de l'Etat à cette occasion historique que constitue une telle évolution ?

Cette question fondamentale
, à laquelle le gouvernement n'a jamais donné d'autre réponse que quantitative, se pose plus généralement pour l'ensemble de la fonction publique , tant il est vrai que, comme le lui suggérait du reste un rapport du Commissariat général du Plan l'année dernière, il semble inconcevable de remplacer chaque fonctionnaire partant à la retraite.

En effet, non seulement cela entraînerait un coût budgétaire considérable, mais cela paraît également contradictoire avec les gains de productivité que les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont susceptibles d'engendrer dans les services, permettant ainsi de réduire les effectifs et surtout d'enrichir le contenu de certains emplois publics.
Par ailleurs, des mesures « d'ordre » (c'est-à-dire de remise en ordre des personnels) sont prévues :
- l'inscription de 3.996 emplois au titre de la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique, soit 3.150 emplois dans l'enseignement scolaire, 520 à l'agriculture, 200 à la culture, 50 à l'emploi, 50 à la santé et 26 dans les services généraux du Premier ministre ;

Le plan de résorption de la précarité dans la fonction publique

Au mois de juin 2000, le ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat et plusieurs organisations syndicales de fonctionnaires ont conclu un accord, d'une durée de cinq ans, tendant à résorber la précarité dans la fonction publique.

En effet, en dépit d'un accord similaire conclu en 1996 - accord dit « Perben » -, dont 2000 était la quatrième et dernière année d'application 8( * ) , la fonction publique compte un grand nombre d'emplois précaires, ayant parfois une longue ancienneté, l'Etat s'autorisant ce qu'il refuse aux entreprises.

Pourtant, le même constat est dressé à l'issue de chaque plan de résorption de la précarité : « les administrations recrutent fréquemment de nouveaux agents non titulaires pour remplacer ceux ayant bénéficié d'une mesure de titularisation » notait le rapport annuel du ministère, portant sur la période mars 1999-mars 2000.

Il subsiste en effet de nombreux emplois hors statut général dans les trois fonctions publiques :

- 80.000 personnes en contrat à durée déterminée dans la fonction publique d'Etat ;

- 320.000 dans la fonction publique territoriale ;

- 26.000 dans la fonction publique hospitalière.

Afin d'éviter que la précarité ne se reconstitue, l'accord signé en juillet 2000 concerne l'ensemble des catégories de fonctionnaires, et non pas seulement la catégorie C comme l'accord Perben. Par ailleurs auront droit à la titularisation tous les contractuels des trois fonctions publiques qui, au cours des huit dernières années, justifient de trois ans d'activité en équivalent temps plein.

- l'inscription de 6.917 emplois au titre de la régularisation d'emplois « Berkani », soit 2.335 emplois au ministère de la défense, 2.106 à celui de l'intérieur, 1.452 au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, 962 à l'équipement, 35 à l'emploi, 20 à l'outre-mer, et 7 à la mer ;

- 2.500 régularisations de surnombres, dont 1.500 enseignants stagiaires et 1.000 policiers, auxquelles il convient de retrancher 120 emplois pour solde des diverses autres mesures d'ordre.

Soit un total de 13.293 emplois au titre de l'ensemble des mesures d'ordre.

Si le gouvernement indique que ces mesures interviennent « à effectifs constants », il convient bien de garder à l'esprit qu'elles n'en emportent pas moins des conséquences budgétaires, le versement d'une pension par exemple.

Au total, ce seront donc 29.185 emplois budgétaires supplémentaires qui sont créés par le projet de loi de finances pour 2002 (après 20.820 en 2001).

b) La question non réglée du devenir des emplois-jeunes

Les emplois-jeunes peuvent être considérés comme des emplois publics, puisque l'Etat prend en charge 80 % de leur rémunération, et même 100 % pour les adjoints de sécurité recrutés par le ministère de l'intérieur et les aides-éducateurs embauchés par celui de l'éducation nationale.

Le gouvernement a régulièrement modifié ses objectifs en matière d'emplois-jeunes. Au départ, notamment lors de l'examen de la loi du 16 octobre 1997, il avait affiché l'ambition de parvenir, à la fin 2002, au recrutement de 350.000 emplois-jeunes. Puis cet objectif a été avancé à la fin 2000, puis de nouveau repoussé, en renvoyant la réalisation à la date initialement fixée, soit fin 2002 !

Désormais, son objectif a changé de nature : il ne s'agit plus de mesurer le dispositif en stock mais en flux. Ainsi les documents budgétaires pour 2002 indiquent-ils que ce dispositif doit viser à « porter à 360.000 à la fin 2002, le nombre des jeunes qui auront bénéficié du programme depuis sa création » 9( * ) .

Le tableau ci-dessous indique le nombre d'emplois-jeunes embauchés au 30 juin dernier, sans que l'on ne sache plus très bien s'il s'agit d'un stock ou d'un flux :

Pour la première fois depuis le lancement du dispositif, les dotations allouées aux emplois-jeunes diminuent, de 3,6 %, s'établissant à 3,23 milliards d'euros (21,19 milliards de francs).

Il convient toutefois de noter que ce chapitre budgétaire fait traditionnellement l'objet d'une importante surdotation, puis d'une régulation non moins importante en cours d'exercice . Ainsi, la Cour des comptes, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2000, note que « les dépenses nettes ont été inférieures de plus de 610 millions d'euros (4 milliards de francs) aux crédits ouverts en LFI 2000 ».

La question essentielle concerne toutefois le devenir des jeunes ainsi recrutés.

Le 6 juin dernier, le gouvernement a annoncé un plan de « consolidation » visant à pérenniser le dispositif. Selon des informations transmises à votre rapporteur spécial, ces mesures tendent, « pour ce qui concerne les emplois des ministères, à conserver les postes réellement occupés et à assurer une certaine stabilité dans le recrutement ; en effet, alors que les jeunes embauchés comme aides-éducateurs ou adjoints de sécurité en remplacement d'un jeune ayant rompu son contrat, ne pouvaient être recrutés que pour la durée restant à courir jusqu'au terme de l'emploi fixé à 5 ans, il a été décidé que les embauches en remplacement le seraient pour une durée de cinq ans et que l'aide apportée au financement du poste serait prolongée de 5 ans ».

Bref, les emplois seront consolidés - et les dépenses pérennisées ! - mais on ne sait toujours pas ce que deviendront les jeunes. Il faut d'ailleurs probablement voir dans cette incertitude quant à leur avenir la raison de la récente manifestation des aides-éducateurs...

Votre rapporteur spécial en vient donc une fois encore à s'inquiéter de la probable intégration d'une part conséquente des emplois-jeunes dans la fonction publique , d'autant plus que de très fortes pressions syndicales ne manqueront probablement pas de s'exercer en ce sens.

2. La fonction publique : véritable priorité budgétaire du gouvernement

a) Des rémunérations publiques de plus en plus coûteuses

La création de près de 16.000 emplois nouveaux va alourdir le poids des dépenses de fonction publique, et réduire davantage encore les marges de manoeuvre du budget de l'Etat.

Votre rapporteur spécial rappelle que les dépenses de la fonction publique représenteront 43,3 % du budget général en 2002 , après 42,2 % en 2001.

Outre les créations d'emplois budgétaires nouveaux réalisées essentiellement depuis deux ans, la progression de le rémunération des fonctionnaires résulte en partie du coût de l'accord salarial du 10 février 1998, qui s'est établi, au cours de ses trois années d'application (1998-2000), à 6,30 milliards d'euros (41,3 milliards de francs) dans l'ensemble des trois fonctions publiques.

Or, il convient de rappeler que les négociations salariales dans la fonction publique visant à couvrir la période suivante ont échoué, ce qui a amené le gouvernement à prendre des mesures unilatérales.

Le ministre de la fonction publique a ainsi annoncé, en avril dernier, les mesures de revalorisation suivantes, qui viennent s'ajouter à la revalorisation du point fonction publique au 1 er décembre 2000, déjà décidée :

- + 0,5 % au 1 er mai 2001 ;

- + 0,7 % au 1 er novembre 2001 ;

- + 0,5 % au 1 er mars 2002 ;

- + 0,7 % au 1 er décembre 2002.

Au total, pour la seule fonction publique d'Etat, ces mesures emportent un coût de 2,98 milliards d'euros (19,52 milliards de francs), dont 46 millions d'euros en 2000, 930 millions d'euros en 2001, 1,25 milliard d'euros en 2002, et 750 millions d'euros en 2003. Elles concerneront 3,9 millions de fonctionnaires, dont 2,2 millions d'actifs et 1,7 million de retraités.

Par ailleurs, le ministre a annoncé la distribution de points d'indice différenciés jusqu'à l'indice nouveau majoré 350 (soit l'équivalent de 1,4 SMIC), ces mesures ayant un coût de 132,63 millions d'euros (870 millions de francs), dont 54,88 millions d'euros (360 millions de francs) en 2001. Ces mesures concernent environ 615.000 fonctionnaires en activité et 350.000 retraités.

Toutes fonctions publiques confondues, le coût de l'ensemble des mesures annoncées par le ministre de la fon,ction publique s'établira à environ 5,18 milliards d'euros (environ 34 milliards de francs).

Enfin, il convient de préciser que, afin de maintenir le pouvoir d'achat des fonctionnaires, compte tenu d'une inflation plus importante que prévu (1,6 % au lieu de 1,2 %), le ministre a annoncé un « coup de pouce » supplémentaire de 0,4 % au 1 er mars 2002, soit un coût de 445 millions d'euros (près de 3 milliards de francs).

Les négociations salariales dans la fonction publique :

un champ d'application extrêmement large

Au-delà des 2,2 millions d'agents civils de l'Etat et de ses établissements publics, il faut en effet comptabiliser dans l'emploi public :

- les 455.000 agents des exploitants publics de la Poste et de France Telecom ;

- les 321.000 militaires (hors appelés du contingent) ;

- les 1,507 million d'agents de la fonction publique territoriale ;

- les 857.000 agents de la fonction publique hospitalière (hors médecins) ;

- ainsi que 148.000 enseignants des établissements privés sous contrat et 125.000 salariés des établissements de santé privés à but non lucratif tarifés en dotation globale.

Au total, on recense donc 5,5 millions d'agents publics 10( * ) pour une population active de 22,4 millions, soit plus d'un actif sur cinq .

C'est la totalité de cette population qui est concernée par la négociation salariale dans la fonction publique, même si seule une partie de ses effets apparaît dans le budget de l'Etat.

b) Le budget général va-t-il devenir un budget de rémunération des fonctionnaires ?

Cette progression des dépenses traduit la très forte inertie des dépenses de rémunération de la fonction publique.

La part croissante des dépenses de personnel accentue en effet la rigidité du budget de l'Etat.
Dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998, la Cour des comptes notait que « la part des dépenses de personnel et des dépenses obligatoires dans le budget de l'Etat n'a cessé d'augmenter au cours des derniers exercices. La rigidité du budget s'en trouve accentuée et les efforts de réduction des dépenses seront à l'avenir plus difficiles ».

La Cour des comptes note, par ailleurs, la forte concentration de ces dépenses.

Cinq ministères 11( * ) représentent 89,9 % (comme en en 1999 et après 89,4 % en 1998) de l'ensemble des rémunérations d'activité versées par l'Etat en 2000. A eux seuls, le budget de l'enseignement scolaire et celui de l'enseignement supérieur regroupent plus de 50 % des dépenses salariales du budget général, et 64,3 % de celles des ministères civils.

Le plus grave est sans doute que les dépenses de fonction publique s'accroissent de façon largement automatique , du fait du mécanisme du glissement-vieillesse-technicité (GVT).

Ainsi, l'essentiel de la progression des dépenses de l'Etat résulte des dépenses de fonction publique, comme le montre le tableau ci-après, qui provient du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2002 :

Ainsi, de 1997 à 2002, les dépenses de la fonction publique, qui ont augmenté de 15,9 % depuis le début de la législature, ont représenté plus de 70 % de la progression des dépenses au titre des dix premiers postes du budget général, soit 15 milliards d'euros (98,39 milliards de francs) sur 21 milliards d'euros (137,75 milliards de francs).

Les dernières informations relatives à l'exécution de la loi de finances initiale de 2001 laissent présager une accentuation de cette tendance. Au 31 août 2001, les rémunérations, pensions et charges sociales s'établissaient à 60,96 milliards d'euros (399,9 milliards de francs), contre 59,47 milliards d'euros (390,1 milliards de francs) à la même date de 2000, et à 57,69 milliards d'euros (378,4 milliards de francs) en 1999. En un an, ces dépenses ont augmenté de 2,5 %.

3. Les 35 heures dans la fonction publique : un piège pour le gouvernement

Suite à l'échec, à la fin de l'hiver 2000, des négociations engagées avec les organisations syndicales en vue de parvenir à un accord-cadre national relatif à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans la fonction publique, le gouvernement avait renvoyé les négociations au niveau ministériel, et a publié un décret relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat 12( * ) , qui entrera en vigueur au 1 er janvier 2002.

Les principales dispositions du décret du 25 août 2000

Le décret du 25 août 2000 définit les principes de la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat :

- la durée du travail effectif est fixée à 35 heures par semaine dans les services et établissements publics administratifs de l'Etat ainsi que dans les établissements publics locaux d'enseignement ;

- le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1.600 heures maximum, étant précisé que cette durée annuelle peut être réduite pour tenir compte des sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent ;

- l'organisation du travail doit respecter des garanties minimales, sauf exception : lorsque l'objet même du service public en cause l'exige en permanence, notamment pour la protection des personnes et des biens, et lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient ;

- le travail est organisé selon des périodes de référence dénommées cycles de travail, les horaires de travail étant définis à l'intérieur du cycle, qui peut varier entre le cycle hebdomadaire et le cycle annuel ; les cycles de travail sont définis par arrêtés ministériels, et peuvent être définis par service ou par nature de fonction ; les conditions de mise en oeuvre de ces cycles et les horaires de travail en résultant sont définis pour chaque service ou établissement.

Le gouvernement a toutefois affirmé à plusieurs reprises, notamment au Sénat lors de l'examen des crédits de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, que la réduction du temps de travail dans la fonction publique serait réalisée à effectifs constants.

Or, il semble que le gouvernement soit confronté à de très grandes difficultés au cours de ces négociations, qui, pour l'instant, n'ont abouti que dans deux ministères : celui de la défense et celui de l'environnement. Par ailleurs, il devrait y avoir, selon l'expression du ministre, « un non accord non conflictuel », aux ministères de l'équipement et de l'agriculture.

Ces négociations donnent lieu à des conflits sociaux, précisément en raison du refus de la part du gouvernement d'assortir la réduction du temps de travail de créations d'emplois. Il est vrai que, de ce point de vue, le gouvernement s'est placé lui-même dans une situation pour le moins paradoxale : répéter à l'envi que les 35 heures créent beaucoup d'emplois... sauf dans la fonction publique ! Il est vrai que le rapport Roché sur le temps de travail dans les trois fonctions publiques avait montré que le passage aux 35 heures demanderait, dans certaines administrations, de travailler plus...

Pour sortir de ces difficultés, le gouvernement est donc contraint :

- de s'affranchir de la réglementation qu'il a lui-même édictée :
par exemple, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, certains agents pourraient bénéficier d'une durée annuelle de travail de 1.530 heures, voire de 1.420 heures (au lieu des 1.600 heures prévues) ;

- de créer des emplois, malgré ses engagements réitérés en sens contraire : il a ainsi prévu la création de 45.000 emplois sur trois ans dans la fonction publique hospitalière, pour un coût de 1,52 milliard d'euros (10 milliards de francs). Ainsi, les personnels hospitaliers de nuit, qui sont déjà aux 35 heures, devraient progressivement passer, d'ici au 1 er janvier 2004, à une semaine de travail de 32 heures 30, ce qui ne peut évidemment qu'inciter les syndicats de la fonction publique à prendre ce cas en exemple pour en demander la généralisation à l'ensemble des fonctionnaires soumis à des sujétions professionnelles particulières.

B. L'ABSENCE TRÈS PRÉOCCUPANTE DE RÉFORMES STRUCTURELLES

1. Les retraites publiques : immobilisme et conservatisme

Votre rapporteur spécial s'en était déjà inquiété l'année dernière : la question du financement des retraites des fonctionnaires de l'Etat va se poser rapidement, l'explosion du coût des pensions de la fonction publique étant déjà programmée.

Le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2001 comportait des développements extrêmement intéressants sur ce point 13( * ) . Votre rapporteur spécial déplore que ce type d'informations, extrêmement utile au cours des débats budgétaires, soit absent du rapport économique, sociale et financier annexé au présent projet de loi de finances.

Le « papy boom » dans la fonction publique aura, si rien n'est fait, des conséquences dramatiques sur le budget de l'Etat.

Or, le gouvernement n'a pris aucune mesure à même d'engager la moindre réforme. Il s'est contenté d'installer un Conseil d'orientation des retraites (COR), dont les premiers travaux, empreints de sérieux et d'objectivité, concluent à la nécessité d'agir, et mettent en exergue les écarts entre le régime vieillesse des salariés du privé et celui des fonctionnaires, à l'avantage des seconds.

Dans une des notes rédigées à l'occasion de la réunion du COR du 4 juillet dernier, on peut lire que « l'allongement à 40 ans de la durée de cotisation pour les fonctionnaires diminuerait les besoins de financement pour les retraites des fonctionnaires et irait dans le sens d'une réduction des inégalités entre les salariés du secteur privé et ceux du secteur public ».

Par ailleurs, le COR a également souligné que ces disparités entre les retraites publiques et privées vont s'accroître en l'absence de modification législative . Les taux de remplacement (rapport entre le dernier salaire et la pension versée) sont aujourd'hui relativement proches entre les secteurs public et privé, puisqu'ils varient de 55 % à 72 % du salaire brut dans le premier, et de 55 % à 70 % dans le second (retraites complémentaires comprises). Si rien n'est fait, le taux de remplacement se situera en 2040 entre 45 % et 57 % dans le secteur privé, mais entre 55 % et 75 % pour les fonctionnaires.

Votre rapporteur spécial considère qu'il faut saisir l'opportunité de l'évolution démographique qui va affecter la fonction publique pour réduire le nombre de fonctionnaires et doter notre pays d'un Etat moins lourd mais plus efficace. Il est également favorable à un alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires, aujourd'hui de 37,5 années, sur le droit commun applicable aux salariés du secteur privé, soit 40 ans depuis la réforme courageuse de 1993.

2. La gestion des ressources humaines dans la fonction publique : surtout ne rien faire !

En janvier 2000, la Cour des comptes publiait un rapport particulier consacré à La fonction publique de l'Etat , premier acte de la démarche de contrôles systématiques engagés par la haute juridiction financière sur ce sujet.

Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2000 : l'Etat, un employeur accablant

Le rapport public particulier de la Cour des comptes de janvier 2000 consacre d'importants développements à la gestion des emplois, des effectifs et des rémunérations de plusieurs ministères :

- l'éducation nationale, pour l'enseignement secondaire ;

- l'économie, les finances et l'industrie, pour la direction générale des impôts et la direction générale de la comptabilité publique ;

- l'intérieur, au titre des personnels des préfectures et de la police nationale ;

- la justice, pour les personnels de l'administration pénitentiaire ;

- l'emploi et la solidarité, en particulier ses services déconcentrés ;

- l'équipement ;

- l'agriculture.

Ce rapport est accablant pour l'Etat-employeur tant sont nombreux les dysfonctionnements ou irrégularités constatés : emplois en surnombre ou bloqués, existence de mises à disposition ou de détachements injustifiés ou irréguliers, système de contrôle des effectifs réels insatisfaisant, gestion prévisionnelle des ressources humaines défaillante, voire carrément inexistante, dépenses indemnitaires financées sur des ressources extra-budgétaires, avantages indus sans base juridique autre qu'une simple décision ministérielle, méconnaissance des effectifs de fonctionnaires...

En avril dernier, la Cour des comptes a publié le 2 ème tome de ce rapport public particulier, qui présente les résultats des contrôles de la gestion des emplois et des rémunérations dans six ministères :

- l'économie, les finances et l'industrie, pour la direction générale des douanes et des droits indirects ;

- la défense, en particulier les personnels militaires de la gendarmerie nationale ;

- l'éducation nationale, en ce qui concerne les enseignants-chercheurs et les personnels enseignants du second degré ;

- la justice, au titre de l'administration centrale, et des services judiciaires ;

- les administrations centrales du ministère de l'emploi et de la solidarité ;

- l'équipement, pour l'ensemble des personnels titulaires et contractuels.

Les observations soulignées dans ce rapport vont malheureusement dans le même sens que celles du premier.

La Cour des comptes a également présenté les mesures prises par le gouvernement à la suite de ses enquêtes. Elle note d'entrée de jeu que « mises à part les dispositions adoptées dès avant la parution du premier rapport de la Cour sur la fonction publique de l'Etat, les mesures effectivement prises ne concernent que quelques ministères et sont de portée limitée », et considère que « la refonte des dispositifs de gestion et de rémunération des personnels de l'Etat est une oeuvre de longue haleine ».

A la suite du rapport de la Cour des comptes, le gouvernement a pris trois types de mesures :

1) des dispositions de portée générale :
la publication de la circulaire du 1 er octobre 1999 rappelant les règles fondamentales concernant l'élaboration et la publicité des textes relatifs à la rémunération des fonctionnaire, et la création de l'Observatoire de l'emploi public par le décret du 13 juillet 2000 14( * ) .

Votre rapporteur spécial, en tant que membre de l'Observatoire de l'emploi public, estime que ses travaux présentent une qualité réelle et permettent notamment de progresser dans la voie d'une plus grande transparence en matière d'effectifs, en particulier par la mise au point d'une matrice décrivant le passage des effectifs budgétaires aux effectifs payés et en fonction, et aux effectifs gérés.

Toutefois, il s'interroge sur les conséquences qui seront tirées de ces travaux, avant tout techniques. En effet, il convient de prendre garde de tirer des enseignements déjà largement connus, du type : « la gestion de l'emploi public recouvre des réalités différentes selon les ministères », « malgré des progrès, les difficultés perdurent dans la production et la circulation de l'information sur les ressources humaines », ou encore « la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences représente un enjeu majeur pour les trois fonctions publiques ». Ces vérités s'imposaient à l'évidence dès avant la création de l'Observatoire de l'emploi public...

Il semble que les missions assignées à l'Observatoire sont trop restrictives. L' « observation » dont il est question se limite au champ juridique, et ignore la dimension économique. Il conviendrait, au cours des années prochaines, qu'il s'intéresse à des notions davantage statistiques et qu'il puisse réaliser des études de productivité.

D'autre part, les discussions qui ont lieu au sein de l'Observatoire restent trop internes à l'administration, conduites en « vase clos » entre représentants de l'administration et syndicats de fonctionnaires. Il conviendrait que les travaux de l'Observatoire servent à alimenter le débat public sur le rôle et l'évolution de l'administration, ainsi que sur le rapport entre les effectifs de la fonction publique et la qualité des services publics ;

2) la sincérité budgétaire : sur ce point, la Cour des comptes note que « des évolutions positives peuvent être constatées pour la budgétisation des rémunérations. En revanche, la situation reste insatisfaisante pour ce qui est de la présentation et du respect des dotations budgétaires en emplois, une aggravation devant même être relevée dans certains cas », notamment au ministère de l'éducation nationale et à celui de l'économie, des finances et de l'industrie ;

3) la refondation juridique des régimes indemnitaires : la publication de plusieurs décrets et arrêtés est intervenue pour plusieurs ministères, mais n'a pas toujours constitué une réelle amélioration : par exemple, en ce qui concerne les ministères de l'intérieur et de la justice, la Cour des comptes note que « réguliers en la forme, ces textes ne simplifient pas l'architecture des systèmes indemnitaires [...] et n'affectent pas le fond de ses observations ». En revanche, des progrès sont plus notables aux ministères de l'équipement, de l'agriculture, ou encore de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ces rapports de la Cour des comptes sur la fonction publique de l'Etat devraient être complétés, dans les années à venir, par d'autres études portant sur la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.

C. LA « RÉFORMETTE » DE L'ÉTAT

1. La vision du gouvernement : affichage et micro-décisions

Trop souvent, le gouvernement se contente, en matière de réforme de l'Etat, d'afficher des axes de réforme nombreux et ambitieux, mais se limite, dans les faits, à un ensemble de micro-décisions. Suite à la réunion du comité interministériel pour la réforme de l'Etat (CIRE) du 12 octobre 2000, le site Internet du ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat n'affiche ainsi pas moins de 17 axes de réforme 15( * ) ! Mais, indéniablement, le gouvernement manque d'un projet d'ensemble.

M. Michel Sapin, dans un article qu'il a publié en juin dernier 16( * ) , écrivait : « Loin d'un irréel grand soir, [la réforme de l'Etat] est faite de réalités quotidiennes, de mesures nouvelles constatées sur le terrain, d'engagements nombreux, individuels et collectifs ».

Aussi le gouvernement a-t-il dû se sentir quitte de sa tâche, lorsqu'il a annoncé ses deux principales mesures de l'année 2001 : la suppression de la fiche individuelle d'état civil, et la suppression récente de la certification conforme de copies de documents... Certes, ces décisions ne sont pas négligeables puisqu'elles simplifieront la vie de nos concitoyens, mais elles en disent surtout long sur la part d'archaïsme que recèle encore l'administration française, et paraissent peu ambitieuses, notamment au regard des réformes, parfois profondes, qu'ont entreprises les principaux pays développés.

La réforme de l'Etat à l'étranger : des enseignements à tirer pour la France

Au cours de l'année 2001, votre rapporteur spécial a effectué une étude comparative sur la réforme de l'Etat dans 21 pays étrangers d'un niveau de développement comparable à celui de la France 17( * ) . Or, la quasi-totalité des exemples étrangers montre l'existence d'une nette corrélation entre la réduction du format et des missions de l'Etat et une réforme de celui-ci susceptible d'obtenir quelque succès significatif.

La réforme de l'Etat apparaît, dans de très nombreux pays, comme une nécessité faisant consensus, bien plus souvent que comme un choix politique partisan : la réforme de l'organisation administrative, de la procédure budgétaire ou de la fonction publique a été engagée suite à des difficultés, parfois très sérieuses, dont les gouvernements étaient bien décidés à sortir. Ces réformes ont été, le plus souvent, soutenues, tant par l'opinion publique que par les grandes formations politiques et organisations syndicales , sans regain de conflits sociaux particuliers, et au-delà des alternances politiques.

La première orientation de la réforme de l'Etat concerne la modernisation de la gestion publique, qui vise à apprécier les résultats obtenus par les administrations et services publics. Si l'état d'avancement de ces réformes varie selon les pays, la tendance générale est la même : attention portée aux résultats plus qu'aux moyens, introduction de nouvelles méthodes comptables, adoption de méthodes proches de celles existant dans le secteur privé.

Le deuxième volet est relatif aux réformes, parfois profondes, qu'a subies la fonction publique : gestion des ressources humaines dynamisée, assouplissement des dispositions statutaires, voire alignement sur le droit du travail, plus grandes possibilités de rémunération au mérite, sensibilisation des fonctionnaires aux résultats de l'administration par la responsabilisation et la recherche de l'efficacité.

Le troisième axe de la réforme de l'Etat concerne la simplification et la modernisation des structures administratives : systèmes administratifs reposant sur des agences, souvent puissantes et gérées comme des entreprises privées, amélioration de la qualité du service rendu, intérêt porté à la satisfaction des usagers-clients, réforme des administrations centrales, simplification des démarches administratives, développement de l'administration électronique.

Par ailleurs, les instruments dont s'est doté notre pays pour impulser la réforme de l'Etat disposent de moyens trop souvent insuffisants, et manquent indéniablement d'ambition. Tel est le cas du fonds pour la réforme de l'Etat.

Le manque d'ambition du fonds pour la réforme de l'Etat

Votre rapporteur spécial a réalisé, au cours de l'année 2001, un contrôle de l'emploi des crédits du fonds pour la réforme de l'Etat (FRE) 18( * ) .

Le fonds pour la réforme de l'Etat, créé en 1996 en vue de participer au financement d'opérations innovantes de modernisation de l'administration, tant au niveau central que déconcentré, devait à l'origine contribuer à l'amélioration de la qualité des relations entre l'Etat et les citoyens, de la décision publique et de la gestion publique.

Or, le bilan financier du FRE apparaît extrêmement nuancé : la multiplicité des opérations cofinancées en cinq ans - 488 projets au titre de la section centrale, et 2.045 au titre de la section territoriale - et l'impression de « saupoudrage » budgétaire viennent brouiller la portée de l'instrument de réforme de l'Etat que constitue le fonds, d'autant plus que ses dotations sont relativement modestes, une centaine de millions de francs chaque année en moyenne.

Par ailleurs, de nombreux ministères et services considèrent le FRE comme un moyen d'obtenir des financements complémentaires à leurs crédits de fonctionnement , si bien que l'emploi des dotations du fonds n'est pas toujours conforme aux objectifs qui lui avaient été initialement assignés . Quel lien, en effet, existe-t-il entre la réforme de l'Etat et l'achat de téléviseurs ou de bicyclettes pour des brigades de gendarmerie, ou avec la réparation de la chaudière d'une cité administrative ?

Enfin, des procédures administratives excessivement lourdes et une absence d'évaluation de l'impact des opérations financées mettent en évidence la contradiction fondamentale à laquelle le fonds est confronté : il est mis en oeuvre par un Etat qui ne s'est pas encore engagé sur la voie de réformes structurelles.

Plutôt que de publier un nombre impressionnant de circulaires, dont la mise en oeuvre effective se fait attendre, ce qui n'est du reste pas étonnant puisque l'ensemble de ces textes tend trop souvent à constituer un galimatias à la portée normative extrêmement réduite, le gouvernement devrait s'attacher à améliorer la qualité des services publics.

Parmi ses 17 priorités de réforme de l'Etat, figure l'amélioration de la qualité de l'accueil et du service rendu aux usagers. Or, la lecture du rapport annuel 2001 de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), intitulé Les institutions sociales face aux usagers , montre qu'il reste de très amples efforts à fournir pour atteindre cet objectif.

Sans entrer dans les détails, votre rapporteur spécial rappellera simplement que, selon l'IGAS, les services publics sanitaires et sociaux ont besoin de « se réformer profondément pour s'adapter aux nouveaux besoins » des usagers. Si des progrès importants ont été accomplis depuis une vingtaine d'année, le rapport note que « les usagers ont encore des raisons d'être mécontents, parfois pour des raisons particulièrement sérieuses ». Quelques exemples suffiront à illustrer les défaillances qui persistent : « une difficulté générale à traiter les usagers les plus fragiles », « une administration insuffisamment réceptive aux plaintes des usagers », « un droit de recours très affaibli », « organiser le service public autour de l'usager », « en finir avec le splendide isolement des institutions »...

2. Le « préalable à la réforme de l'Etat », une initiative parlementaire

Il convient toutefois de rappeler avec force que l'année 2001 a vu l'adoption de la plus importante réforme de l'Etat engagée depuis 1958 : le vote de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances , qui réforme profondément l'ordonnance du 2 janvier 1959.

Votre rapporteur spécial ne reviendra évidemment pas sur le contenu de ce nouveau texte fondamental, qui vise à satisfaire deux objectifs principaux :

- réformer le cadre de la gestion publique pour l'orienter vers les résultats et la recherche de l'efficacité ;

- renforcer la transparence des informations budgétaires et la portée de l'autorisation parlementaire.

Cette nouvelle loi organique, qui constitue, selon l'expression du Président Alain Lambert, « le préalable à la réforme de l ' Etat », est une initiative du Parlement, le Sénat ayant contribué à enrichir considérablement le texte définitif.

Or, le gouvernement a tendance à s'attribuer l'initiative de cette réforme d'envergure. Il conviendrait qu'il s'attache surtout à la mettre en oeuvre avec application, par exemple pour la mise en place d'indicateurs de résultats 19( * ) .

La mise en place d'indicateurs de résultats :

les conclusions du comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics

Au cours de cette année, le comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics, dont est membre votre rapporteur spécial, a consacré une étude à la mise en place d'indicateurs de résultats dans les trois ministères suivants : l'éducation nationale, la justice et la police nationale.

Le rapport indique clairement que ses conclusions portent sur les seuls indicateurs de résultats, « à distinguer des indicateurs d'activités et de moyens qui concernent ce que l'on a pu appeler la « productivité » de l'administration ». Il précise également que « la question de l'usage de ces indicateurs, et en particulier des conséquences qu'on en tire en termes d'allocation de moyens, est restée volontairement ouverte car elle fait encore largement l'objet de débats ».

Le rapport tire de ces trois expériences un certain nombre de conclusions et fait plusieurs recommandations, dont les suivantes :

- si l'état d'avancement des trois expériences et différent, l'éducation nationale présentant une avance relative, elles ont néanmoins des points communs importants ;

- il convient de distinguer indicateurs de résultats et indicateurs d'activité, « sous peine de risques contre-productifs d'efficacité. Par exemple, une diminution des redoublements dans un établissement scolaire entraînera des économies, mais ne sera pas obligatoirement en rapport avec une amélioration des acquis des élèves. La notion de délai moyen de jugement qui a constitué l'essentiel de la communication du ministère de la justice sur l'activité des juridictions pose des problèmes analogues » ;

- la recherche d'un indicateur de résultat unique est à proscrire ;

- il faut s'efforcer d'éliminer les facteurs externes d'efficacité, qui faussent les comparaisons éventuelles ;

- l'usage des indicateurs de résultats ne doit pas seulement rester interne à l'administration, mais susciter des débats publics, notamment en direction des usagers des services publics : ils doivent donc être rendus publics ;

- grâce à une formation adéquate des responsables administratifs, les indicateurs de résultats doivent devenir un outil essentiel du management public.



1 École nationale d'administration

2 Institut international d'administration publique.

3 Instituts régionaux d'administration.

4 Encore ces chiffres n'incluent-ils pas les dépenses de personnel des établissements publics subventionnés par l'Etat.

5 Les données pour 2001 et 2002 ne sont pas encore disponibles.

6 L'ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Christian Sautter, avait par exemple affirmé, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, qu' « il existe un risque d'hypertrophie de certaines administrations centrales que le gouvernement entend corriger ».

7 Il convient bien de préciser qu'il s'agit de créations nettes d'emplois, intervenant en dehors du remplacement des 60.000 fonctionnaires qui partiront à la retraite en 2002.

8 Sur la période 1997-1999, 29.895 agents ont été titularisés dans la fonction publique d'Etat, 8.522 titularisés dans la fonction publique territoriale grâce aux 403 concours réservés, et 3.157 reçus aux concours réservés de la fonction publique hospitalière.

9 Dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2002, la Cour des comptes note que « il avait été prévu en 1997 que 350.000 emplois à temps plein serait créés d'ici 2002. Selon la direction du budget, ce chiffre n'est plus considéré comme un objectif de postes à créer mais de jeunes à faire transiter par le dispositif ».

10 Enfin, environ 4,3 millions de personnes voient leur pension directement indexée sur la rémunération des fonctionnaires : 1,81 million de personnes bénéficiant d'une pension civile ou militaire de retraite et 587.000 bénéficiaires d'une pension versée par la CNRACL, 1,39 million de  bénéficiaires du régime de retraite complémentaire IRCANTEC ainsi que 500.000 personnes ayant droit à une pension d'invalidité.

11 Il s'agit de l'éducation nationale (enseignement scolaire et supérieur), de l'économie et des finances, de l'intérieur, et de l'équipement et des transports.

12 Décret n° 2000-815 du 25 août 2000, paru au Journal Officiel du 29 août 2000.

13 Il présentait notamment un compte simplifié du régime vieillesse des fonctionnaires de l'Etat, c'est-à-dire ce que serait l'équilibre emplois-ressources du régime des fonctionnaires de l'Etat si ce dernier existait en tant que tel. Ce compte simplifié montrait que, de 1998 à 2001, la charge budgétaire des pensions de la fonction publique s'est accrue de près de 3,17 milliards d'euros (20,8 milliards de francs), soit une progression de 12 % en quatre ans. Or, l'Etat supporte l'essentiel de ce coût : 71,5 % en 2001. Sur cette même période, les cotisations salariales n'augmentent que de 4,5 %, tandis que le contribution de l'Etat hors compensation progresse de 15,3 %.

14 Ce décret précise que l'Observatoire « est chargé d'assurer la collecte, l'exploitation et la diffusion de l'information sur l'emploi
[public] ».

15 Il convient toutefois de noter une amélioration certaine de la présentation du site de ce ministère, qui se doit d'être exemplaire puisqu'il promeut le développement de l'administration électronique : désormais, un état d'avancement de la mise en oeuvre des décisions prises par le CIRE est présenté, chaque décision étant accompagnée des mesures concrètes décidées pour la rendre effective.

16 « Trois leviers pour réformer l'Etat », Le Figaro du 27 juin 2001.

17 Rapport n° 348 ; 2000-2001.

18 Rapport n° 383 ; 2000-2001.

19 Le CIRE du 12 octobre 2000 a invité chaque ministère à définir et à utiliser des indicateurs annuels d'activité et de résultats.