Défense : exposé d'ensemble et dépenses en capital

Maurice BLIN

Table des matières




I. PRESENTATION GENERALE

1. Evolution générale des crédits

Le projet de budget de la Défense pour 2002 s'élève à 37,6 milliards d'euros (246,7 milliards de francs), dont 8,75 milliards d'euros (57,4 milliards de francs) de pensions, soit un montant hors pensions de 28,85 milliards d'euros (189,2 milliards de francs) 1( * ) .

Par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2001, la progression atteint 0,2 %, contre une moyenne de + 2,5 % pour l'ensemble des budgets civils .

Les crédits (hors pensions) du Titre III proposés pour 2002 s'élèvent à 16,5 milliards d'euros (107,9 milliards de francs), soit une progression de 2,3 % par rapport à 2001, inférieure de moitié à la majoration de 5,1 % consentie pour l'ensemble des budgets civils de fonctionnement.

Les crédits des Titres V et VI (crédits de paiement) s'élèvent à 12,4 milliards d'euros (81,4 milliards de francs), soit une diminution de 2,5 % par rapport à 2001, très supérieure à la baisse moyenne de 1,7 % pour les dépenses d'investissement civil.

Toutefois, de façon relativement inusitée 2( * ) , le Gouvernement a d'ores et déjà autorisé - et inscrit dans la présentation des chiffres du projet de budget 2002 - le report partiel de crédits d'équipement 2001 non consommés , à hauteur de 411,6 millions d'euros (2,7 milliards de francs), ce qui correspond à la moitié environ de l'enveloppe attendue.

Ceci permet d'afficher un total de « crédits disponibles » 2002 de 12,8 milliards d'euros (84,01 milliards de francs) pour les dépenses d'équipement et de 29,3 milliards d'euros (192 milliards de francs) pour le budget total, et donc une progression -optique- de 0,6 % des crédits d'équipement et de 1,6 % du budget total de la Défense 3( * ) .

Evolution globale des crédits

 

LFI 2001

PLF 2002

Evolution

Rappel : budgets civils

Dépenses ordinaires

- Md euros

- Md francs

16,1

105,5

16,5

107,9

+ 2,3 %

(+ 2,4 MdF)

+ 5,1 %

Dépenses en capital (CP)

(hors reports 2001)

- Md euros

- Md francs

12,7

83,4

12,4

81,4 (1)

- 2,5 %

(- 2,1 MdF)

- 1,7 %

Dépenses en capital (CP)

(y compris reports 2001)

- Md euros

- Md francs

12,7

83,4

12,8

84,0 (1)

+ 0,7 %

(+ 0,6 MdF)

ns

Total hors reports 2001

- Md euros

- Md francs

28,8

188,9

28,9

189,3

+ 0,2 %

(+ 0,3 MdF)

+ 2,5 %

Total y compris reports 2001

- Md euros

- Md francs

28,8

188,9

29,3

192,0

+ 1,6 %

(+3,1 MdF)

ns

2. L'effort français de défense

Avec 29,3 milliards d'euros, le budget de la Défense est devenu le cinquième poste de dépenses de l'Etat , après l'Education nationale (61,4 milliards d'euros), les Charges communes (51,6 milliards d'euros, dont 36,8 milliards de dette publique nette), les concours de l'Etat aux collectivités locales (56,1 milliards d'euros) et l'Emploi et solidarité (32,1 milliards d'euros).

Poids relatif du budget de la Défense (hors pensions)

 

Budget Défense/Budget Etat
(LFI)

Budget Défense/PIB
(LFI)

1980

15,52 %

3,07 %

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

12,30 %

12,28 %

11,65 %

11,70 %

11,26 %

11,17 %

10,87 %

2,41 %

2,36 %

2,19 %

2,19 %

2,05 %

1,96 %

1,89 %

De 1996 à 2002, la part de l'effort consacré à la Défense dans le budget de l'Etat aura diminué de 1,4 point, et la part de l'effort de la Défense dans le PIB de 0,5 point.

Depuis 1980, cette diminution atteint près de cinq points de PIB, et plus de deux points du budget général.

En réalité, le budget militaire est clairement devenu le parent pauvre, ou plutôt la variable d'ajustement privilégiée de l'équilibre du budget général.

Cette tendance, constante tout au long de la loi de programmation, marquée dès les lois de finances initiales, a toujours été renforcée en cours d'exécution.

3. Structure du budget militaire

Depuis 1990, au sein d'une enveloppe demeurée rigoureusement identique en francs courants, la structure du budget militaire s'est profondément modifiée, avec une inversion absolue du poids relatif des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'équipement .

Evolution de la structure du budget de défense
(milliards de francs courants)


 

LFR 1990

PLF 2002

Titre III

Titres V et VI

87

102

107,9

81,4

Total

189

189,3

De façon constante sur l'ensemble de la période, et renforcée au cours de l'actuelle législature, les dépenses du Titre III ont été privilégiées au détriment des dépenses d'équipement du titre V, qui ont systématiquement servi de variable d'ajustement interne, tant en loi de finances initiale qu'en exécution budgétaire.

Au sein même du titre III, ce sont les seules dépenses de rémunérations et de charges sociales qui expliquent cette croissance, les dépenses de fonctionnement et d'entretien courant ayant elles-mêmes fait l'objet d'importantes réductions, qui se traduisent aujourd'hui par une sensible détérioration des taux d'activité des forces. Le projet de budget 2002 marque enfin un coup d'arrêt à cette tendance.

4. Les principales évolutions du budget 2002

a) La priorité donnée à la condition militaire

En dernière année de programmation, le projet de budget 2002 confirme l'évolution générale relevée sur la période. Il se caractérise notamment par une forte revalorisation des rémunérations et charges sociales qui traduit la priorité particulière donnée cette année à la « condition militaire ».

Lié à la réalisation de la dernière annuité de programmation de la professionnalisation, qui se traduit par une création nette d'emplois budgétaire hors appelés de 12.896 unités, cet effort correspond surtout à la mise en oeuvre d'un plan exceptionnel d'amélioration de la condition des personnels .

Celui-ci comprend à la fois la revalorisation des rémunérations (221 millions d'euros - 1,5 milliard de francs), et plusieurs mesures catégorielles (79 millions d'euros - 518 millions de francs), celles-ci recouvrant notamment l'amélioration des bas salaires (27,7 millions d'euros), des mesures catégorielles spécifiques (38 millions d'euros), essentiellement en direction des sous-officiers, et l'ajustement des crédits d'indemnités liés à la mise en oeuvre des 35 heures au sein du personnel civil 4( * ) (7,5 millions d'euros).

Parallèlement, les crédits de fonctionnement courant (hors rémunérations et charges sociales) sont majorés de 78 millions d'euros (511,6 millions de francs).

De fait, dans sa présentation, le Gouvernement ajoute à ces « mesures nouvelles » l'incidence de la réduction du format des armées et de diverses mesures d'économies et de transferts, à hauteur de 122 millions d'euros, ce qui lui permet d'afficher un effort global de 200 millions d'euros (1.312 millions de francs) en faveur du fonctionnement.

b) Le sacrifice confirmé des crédits du titre V

S'agissant des crédits d'équipement inscrits au budget de la défense, il faut souligner l'évolution très divergente des crédits strictement affectés à l'équipement des forces armées (titre V), dont la baisse se confirme en 2002, tandis que les crédits du titre VI, qui recouvrent des dépenses de nature diverse dont certaines étaient exclues par la loi de programmation (contribution de la Défense au budget civil de recherche et développement, compensation à la Polynésie et dépenses anciens combattants notamment), poursuivent une croissance forte, qui masque partiellement la baisse du titre V.

De fait, les crédits d'équipement (hors reports) du titre V subiront en 2002 une nouvelle encoche importante :

- 2,1 milliards de francs de moins par rapport aux crédits votés de la loi de finances initiale pour 2001 ;

- 7,2 milliards de francs de moins par rapport aux crédits prévus, en francs 2001, pour l'annuité 2002 par l'actuelle loi de programmation révisée qui s'achève ;

- 6,3 milliards de francs de moins par rapport aux crédits envisagés pour l'annuité 2003 par la prochaine loi de programmation.

c) Le poids croissant de la Gendarmerie

L'analyse des crédits proposés pour 2002 confirme également une autre tendance relevée sur la plus longue période : la priorité donnée à la Gendarmerie, et le poids croissant prélevée par celle-ci dans la répartition des moyens.

Evolution des moyens
- Titres III et V -
(en pourcentage du total)


 

LFI
1991

LFI
1996

LFI
2001

PLF
2002

Air

Terre

Mer

Gendarmerie

Total

27,4

34,0

26,3

12,3

100

25,9

34,6

24,8

14,7

100

24,8

34,8

24,0

16,4

100

24,2

34,2

23,9

17,7

100

Représentant un peu plus de 12 % du total des moyens de la Défense (titres III et V) en 1991, la Gendarmerie en représente en 2002 près de 18 %.

De fait, sur l'ensemble de la période de programmation, la part des dépenses de fonctionnement de la Gendarmerie aura représenté 125 milliards de francs courants, soit l'équivalent des dépenses conjointes de la Marine et de l'armée de l'Air.

5. Bilan de la loi de programmation militaire 1997-2002

a) Titre III : un objectif globalement atteint en termes d'emplois budgétaires, pour un coût sensiblement supérieur au calibrage initial

En termes d' emplois budgétaires , l'objectif fixé par la loi de programmation militaire est globalement atteint : 436.221 emplois inscrits pour 2002, contre 440.206 prévus au titre de la loi de programmation militaire, soit une différence inférieure à 1 %.

L'analyse plus détaillée des effectifs réels fait toutefois apparaître des difficultés spécifiques, notamment sur les effectifs des civils et des volontaires et des insuffisances réelles dans certaines catégories (sous-officiers de gendarmerie) ou certains secteurs (service de santé, informaticiens, atomiciens). Apparaît en outre un souci particulier concernant la fidélisation des recrues, compte tenu d'un écart croissant avec la situation et les conditions du marché civil du travail.

En réalité, la croissance plus forte que prévue des dépenses du titre III , qui a dû être financée par des prélèvements croissants sur le titre V, résulte de plusieurs facteurs :

1.- Une relative sous-estimation du coût de la professionnalisation des armées

Au total, sur la période 1997-2002, le coût des mesures d'accompagnement de la professionnalisation aura représenté, pour les seuls crédits de rémunérations et de charges sociales -aides au départ, reconversion, réserves, sous-traitance, mensualisation des militaires du rang et des élèves officiers-, un total de 155 millions d'euros (plus de 1 milliard de francs). Ceci correspond à moins de 10 % de l'augmentation totale des RCS sur la période (en loi de finances initiale).

2.- La non prise en compte de l'impact des mesures générales fonction publique sur le budget de la Défense. Au total, sur la période 1997-2002, l'ensemble de ces mesures peut être évalué à 815 millions d'euros (5,4 milliards de francs), hors mesures catégorielles, prise en compte du GVT et accords salariaux spécifiques. Ceci correspond à 45 % de l'augmentation totale des RCS sur la période (en loi de finances initiale).

3.- Le poids désormais constant, voire croissant, de la participation à des opérations militaires sur des théâtres extérieurs (OPEX). A ce titre, le surcoût des dépenses de fonctionnement, financé en totalité en exécution par prélèvement sur le titre V, atteint en moyenne près de 3 milliards de francs par an (450 millions d'euros), soit, sur l'ensemble de la période 1997-2002, l'équivalent du coût d'un second porte-avions nucléaire.

b) Titre V : une année de crédits en moins au terme de la loi de programmation

Le montant total de l'enveloppe des crédits initialement définie par la loi de programmation militaire pour les dépenses d'équipement avait été fixé à 541,2 milliards de francs 1997 (82,5 milliards d'euros) sur 1997-2002.



Bilan en fin de programmation
- écarts en milliards d'euros 2001 par rapport à la loi de programmation initiale

- Effet de la revue de programmes : - 2,67 milliards d'euros (17,5 milliards de francs)

- Crédits inscrits en LFI : - 6,25 milliards d'euros (41 milliards de francs)

- Dépenses exécutées
(hors BCRD) : - 12,74 milliards d'euros (83,6 milliards de francs

- écarts en milliards d'euros 2001 par rapport à la loi de programmation militaire révisée

- crédits inscrits en LFI : - 3,58 milliards d'euros (23,5 milliards de francs), soit un taux d'exécution de 95,6 %

- dépenses exécutées hors BCRD : - 10,1 milliards d'euros (66,25 milliards de francs), soit un taux d'exécution de 87,8 %

En fin de programmation, les conditions d'exécution des crédits d'équipement militaire sur la législature conduisent à un écart qui peut être estimé à 12,6 milliards d'euros courants (82,6 milliards de francs) par rapport aux objectifs de la loi de programmation initiale, soit l'équivalent d'environ une année de crédits d'équipement, et à 10,1 milliards d'euros courants (66,25 milliards de francs) par rapport aux objectifs de la loi de programmation révisée 5( * ) .

De fait, fin 2001, les plus hauts responsables militaires reconnaissent désormais qu'il y a d'ores et déjà, sinon des ruptures de capacité, du moins « érosion des matériels », « dégradation du contenu du modèle d'armée 2015 » et surtout, ce qui est plus grave, « inquiétude sur la cohérence des forces ».

Les armées devront dès lors aborder la prochaine loi de programmation militaire avec une double difficulté : une réalisation en termes physiques moins favorable que prévue, et une dotation en autorisations de programmes, comme en crédits de paiement, qui présente un écart sensible avec les dotations prévues pour 2003.

6. Eléments de comparaison internationale

a) Effort global de défense

Dépenses globales de défense (hors pensions)
(En pourcentage du PIB, après recomposition en structure OTAN)

Années

France

Allemagne

Grande-Bretagne

Etats-Unis


Défense

dont :
Equipement


Défense

dont :
Equipement


Défense

dont :
Equipement


Défense

dont :
Equipement

1991
1996
1997
1998
1999
2000

2,60
2,07
2,04
1,88
1,85
1,77

1,16
0,77
0,74
0,62
0,63
0,59

1,89
1,25
1,21
1,19
1,19
1,14

0,46
0,26
0,25
0,27
0,28
0,29

3,95
2,73
2,50
2,50
2,36
2,29

1,04
0,85
0,79
0,82
0,79
0,78

4,68
3,52
3,36
3,14
3,06
2,87

1,43
1,08
0,99
0,91
0,85
0,74

Source : Memorandum statistique OTAN - décembre 2000

Retraitement Ministère de la Défense in Annuaire Statistique - juin 2001

La baisse de l'effort de dépense en pourcentage du PIB -« l'effet dividendes de la paix » - caractérise l'ensemble des pays de l'OTAN, Etats-Unis compris.

Il reste qu'en 2000, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne consacrent encore près de trois points de PIB à leur effort de défense, tandis que la France est très en deçà de deux points et l'Allemagne proche de un.

b) Dépenses de fonctionnement

L'analyse plus détaillée des chiffres souligne le poids particulièrement élevé des dépenses de fonctionnement, qui atteint près du triple des dépenses d'équipement pour les Etats-Unis et l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni se situant dans un rapport de 1 à 2.

Dépenses de défense par habitant
(structure OTAN)
- francs 2000 -

Dépenses totales
Dépenses de fonctionnement
Dépenses d'équipement

France

Allemagne

Royaume-Uni

Etats-Unis

2 742
1 824
918

1844
1384
461

3 470
2 284
1 186

6 742
5 003
1 739

Source : ibid.

Dépenses de fonctionnement (yc RCS) par soldat
Année 2000

- France : 209 300 F

- Allemagne : 253 300 F

- Royaume-Uni : 441 000 F

- Etats-Unis : 562 100 F

Source : ibid

De fait, en 2000, la dépense française de fonctionnement par soldat est la plus basse des quatre grands pays de l'OTAN. La dépense britannique est plus de deux fois plus élevée, et la dépense américaine près de trois fois.

Aujourd'hui, le taux de croissance moyen des dépenses de fonctionnement et de rémunérations des armées américaine et britannique est de 2 % par an en termes réels.

c) Dépenses d'équipement

L'écart est également sensible s'agissant de la dépense d'équipement par militaire. Si le niveau d'équipement du soldat français est cette fois supérieur à celui de l'allemand, il reste inférieur des deux tiers à celui des soldats britannique et américain, de même ordre.

Dépenses d'équipement par soldat
Année 2000

- France : 135 000 F

- Allemagne : 85 500 F

- Royaume-Uni : 218 700 F

- Etats-Unis : 212 500 F

Source : ibid

II. DÉPENSES D'ÉQUIPEMENT6( * )

1. Analyse générale

a) Une nouvelle encoche forte par rapport à l'actuelle loi de programmation et une jonction difficile avec la prochaine loi de programmation

Crédits de paiement

La présentation du budget d'équipement pour 2002 intègre 412 millions d'euros (2,7 milliards de francs) de reports de crédits de la gestion 2001.

Compte non tenu de ces reports, les crédits de paiement des titres V et VI s'élèvent à 12,4 milliards d'euros (81,34 milliards de francs), en diminution de 2,8 % par rapport à 2001 (soit une baisse une fois et demie plus forte que celle des budgets d'investissement civil limitée à 1,7 %).

Si l'on intègre les reports 2001, les crédits de paiement s'élèvent à 12,8 milliards d'euros (84,03 milliards de francs), en hausse de 0,7 % par rapport à 2001.

Il reste que, même en intégrant les reports autorisés, l'enveloppe des crédits d'équipement subit en 2002 une encoche forte par rapport au niveau arrêté par la revue de programmes de 1998 .

De fait, l'écart s'établit à 4,5 milliards de francs (680 millions d'euros) par rapport au niveau fixé par la loi de programmation révisée, et à 8,9 milliards de francs (1,35 milliard d'euros par rapport à celui fixé par la loi de programmation initiale.

Hors reports, l'écart atteint 7,2 milliards de francs (1,09 milliard d'euros) par rapport à la loi de programmation révisée, et 11,5 milliards de francs (1.760 millions d'euros) par rapport à la loi de programmation initiale.

Par ailleurs, on ne peut que s'inquiéter déjà de l'écart tout aussi considérable entre l'annuité 2002 et le montant retenu pour la prochaine loi de programmation pour 2003, soit 13,34 milliards d'euros (87,5 milliards de francs). Hors reports, celle-ci atteint près de 1 milliard d'euros (7 milliards de francs).

Hors dépenses dites de « bourrage », en principe exclues par la loi de programmation militaire, -c'est-à-dire essentiellement contribution au BCRD 7( * ) et financement des compensations accordées à la Polynésie 8( * ) au titre de l'arrêt des essais nucléaires-, la « marche » budgétaire qu'il faudra, en principe, escalader, est de l'ordre de 1,4 milliard d'euros (plus de 9 milliards de francs).

Autorisations de programme

Les autorisations de programme s'élèvent à 13,01 milliards d'euros (85,34 milliards de francs), soit une progression de 0,7 % par rapport à 2001.

Bien que supérieures de 4 milliards de francs à celui des crédits de paiement, le niveau des autorisations de programme ne devrait pas suffire toutefois à maintenir une politique cohérente de commandes totales.

La limitation de la dotation obligera ainsi à repousser début 2003 des commandes importantes qui auraient dû être passées en 2002, comme celle des missiles M51.

b) Poursuite du « bourrage d'enveloppe »

Outre l'effet des reports, l'appréciation portée sur l'évolution des crédits d'équipement doit également tenir compte de l'incidence des procédures diverses de « bourrage d'enveloppe », correspondant à des dépenses non prévues ou exclues par la loi de programmation, et pour l'essentiel inscrites au titre VI du budget.

On soulignera d'ailleurs que, sur l'ensemble de la durée de programmation, l'évolution générale des dépenses d'équipement recouvre deux mouvements divergents entre les crédits du titre V, strictement affectés à l'équipement des forces armées, et ceux du titre VI, qui regroupent des subventions de nature diverse, parfois très indirectement rattachées à l'équipement militaire.

De fait, en 2002, seuls les crédits du titre V sont diminués (- 2,8 % en crédits de paiement et + 0,6 % en autorisations de programme).

Inversement, ceux du titre VI poursuivent la forte progression enregistrée au cours des exercices précédents, du fait de l'imputation croissante sur ce titre de dépenses non liées à l'équipement des forces armées : aides à la Polynésie française consécutives à l'arrêt des essais nucléaires 9( * ) , financement de la recherche civile par transfert de crédits au budget de la recherche civile 10( * ) , Fonds pour les restructurations de la défense (FRED) 11( * ) subventions à l'ONERA ( Office national d'études et de recherches aérospatiales ) et à l'Institut franco-allemand de Saint-Louis, dotations pour les fondations et le tourisme de mémoire ( Anciens combattants ), pour l'essentiel.

Le titre V « porte » en outre des dépenses dont la nature relèverait davantage du titre III. Celles-ci, qui contribuent à majorer « optiquement » le poids du titre V, correspondent d'ailleurs souvent à des transferts progressifs, au cours de la programmation, en provenance du titre III.

Tel est le cas par exemple du transfert partiel des crédits d'entretien programmé du matériel , dont le total, au terme d'un nouveau transfert de 40 millions d'euros (262 millions de francs), s'élève pour 2002 à 304 millions d'euros (près de 2 milliards de francs).

De même, la masse salariale correspondant aux personnels employés par la Direction des constructions navales et par le Service de maintenance aéronautique ne figure pas au titre III du budget mais au titre V, dès lors qu'elle est financée sur les programmes d'armement et d'entretien commandés à ces deux services par les armées. La même situation prévaut pour la Direction des applications militaires (DAM) du CEA , dont la masse salariale est financée sur les programmes militaires.

2. Répartition par armée et service

La réduction en 2002 des dotations de la Marine et de l'Etat-major des armées provient en partie du niveau élevé des dotations affectées à certains programmes en 2001 (Espace, Rafale notamment).

L'augmentation des dotations en autorisations de programme de l'armée de l'Air et de l'armée de Terre s'explique notamment par d'importantes commandes prévues en 2002 (FSAF -missiles Famille sol-air futurs-, valorisation VAB, véhicules divers notamment).

3. Évolution par domaine

L'augmentation sensible en 2002 des crédits consacrés au domaine nucléaire résulte principalement de la montée en puissance des grands programmes, tels que le quatrième SNLE-NG (sous-marin nucléaire lance-engins - nouvelle génération), l'ASMP-A (missile air-sol moyenne portée amélioré) et le programme de simulation. Parallèlement, les enveloppes des domaines spatial et classique enregistrent des réductions importantes, en partie seulement liées au niveau élevé des crédits consacrés à certains programmes en 2001 (Hélios, Syracuse, Rafale, char Leclerc, MTGT (modernisation des moyens de transport des garnisons de l'armée de Terre).

En réalité, l'évolution enregistrée en 2002 reflète sans doute une tendance de plus long terme à laquelle il convient d'être attentif.

Elle correspond en effet à une remontée structurelle du poids des dépenses nucléaires, dont l'effet d'éviction sur les autres grands programmes pourrait bien progresser.

Après avoir considérablement diminué depuis les années soixante-dix, (il était alors proche de 30 milliards de francs), l'agrégat nucléaire est tombé à un niveau voisin de 15 milliards de francs en 2001. La forte progression enregistrée en 2002 (+ 23 % pour les autorisations de programme ; + 13 % pour les crédits de paiements), signale vraisemblablement le début d'un retournement de tendance, lié à la modernisation simultanée des vecteurs, des missiles et des charges, et à la montée en puissance de la simulation 12( * ) .

Inversement, il faut souligner le relatif « sacrifice » des crédits liés à l'Espace, tout au long de la loi de programmation, notamment en exécution 13( * ) . Certes liée à une visibilité difficile sur l'évolution des programmes, en raison des multiples défaillances de la coopération européenne, ce choix apparaît coûteux aujourd'hui, notamment en termes d'autonomie.

4. Evolution par catégorie de dépenses

Les variations observées traduisent principalement :

- un effort en faveur de moyens d'études et de recherche , longtemps sacrifiés ;

- un effort également en faveur du maintien en condition opérationnelle des matériels, dont le niveau était devenu préoccupant ;

- la diminution des enveloppes qui avaient été « privilégiées » au cours de l'exercice 2001 : infrastructures (Gendarmerie et Service de santé des armées), fabrications et munitions.

III. LES GRANDS PROGRAMMES

1. Le nucléaire

En 2002, le domaine nucléaire fait l'objet d'une sensible augmentation des crédits qui lui sont consacrés (+ 13 % en crédits de paiement, + 22 % en autorisations de programme).

Cette évolution traduit principalement la montée en puissance des grands programmes (sous-marins nucléaires SNLE-NG et missiles ASMP-A) ainsi que, en rupture avec la tendance précédente, une reprise des efforts en faveur du programme de simulation .

• L'admission au service actif du troisième SNLE-NG interviendra en 2004 . Celle du quatrième, commandé en 2000, équipé directement du missile M51, reste prévue pour 2008 .

• Le missile M51 qui doit équiper le 4 ème SNLE-NG ne sera mis en service qu'en 2010 (contre 2008 prévu initialement). Une commande d'1,1 milliard d'euros portant sur une tranche ferme de deux ans de développement a été enfin passée en décembre 2000, au terme d'une difficile bataille contractuelle entre EADS et la Délégation générale à l'armement.

• S'agissant du missile ASMP-A , dont la mise en service est prévue fin 2007 sous Mirage 2000 et en 2008 sous Rafale , la notification de la première tranche du contrat de réalisation est également intervenue en décembre.

• Le programme de simulation bénéficie enfin de moyens supplémentaires, après la diminution importante intervenue au cours du dernier exercice.

Des ressources supplémentaires seront également consacrées à la préparation du renouvellement des têtes nucléaires destinées aux missiles M51 et ASMP-A.

En principe, la poursuite du programme RES du réacteur d'essai à terre pour la propulsion nucléaire navale, et celle des travaux de démantèlement des usines de Pierrelatte et Marcoule devraient être assurées.

2. L'Espace

Après avoir été particulièrement malmenés au cours de l'exécution 2000, les crédits affectés à l'Espace avaient enregistré, en loi de finances initiale 2001, une forte progression tant en crédits de paiement (+ 17,4 %) qu'en autorisations de programme (+ 52,4 %). Celle-ci est partiellement remise en cause par l'exécution budgétaire.

Les crédits prévus au budget 2002 marquent une nouvelle baisse, avec une chute de 28,7 % des autorisations de programme et une progression des crédits de paiement limitée à 9,1 %.

Cette situation traduit vraisemblablement la persistance de difficultés en matière de coopération européenne sur les projets concernés, notamment Hélios II et le programme successeur Syracuse II 14( * ) . De fait, le premier satellite Helios II ne pourra être lancé qu'en 2004 et le premier satellite successeur Syracuse II que fin 2013.

3. Les forces classiques

Les crédits affectés aux programmes classiques sont sensiblement réduits : (- 2,3 % en autorisations de programme et - 2,5 % en crédits de paiement).

a) l'armée de Terre

• Blindés : En 2002, 50 chars Leclerc devraient être livrés. Fin 2002, 406 chars Leclerc auront été commandés, conformément à la cible fixée par la loi de programmation révisée. Mais seulement 310 auront été effectivement livrés. Etant entendu que les 17 premiers chars livrés sont inaptes à une quelconque activité militaire, le « trou » par rapport à l'objectif s'établira à 113 chars . 22 simulateurs Leclerc seront livrés en 2002.

Le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) destiné à remplacer l'AMX10, dont l'état actuel a atteint le niveau critique, fait l'objet d'un projet en coopération avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne qui n'est toujours pas conclu, compte tenu de désaccords importants sur les besoins à couvrir.

Des crédits sont prévus par le projet de budget 2002 pour des opérations de « rénovation » de l'AMX 10 (commande de 44 châssis).

• Aéromobilité

Le programme hélicoptère Tigre , mené en coopération avec l'Allemagne dans le cadre de l'OCCAR, est entré en phase de production depuis fin 1998. Une commande globale de 80 appareils (70 hélicoptères antichar (HAC) et 10 hélicoptères appuiprotection (HAP)), a été notifiée en 1999. Les premières livraisons sont prévues en 2003 pour la version antichar et en 2011 seulement pour la version appui-protection.

L' hélicoptère de transport NH90 fait également l'objet d'un programme en coopération (Allemagne, PaysBas, Italie).

Aucune commande n'a encore été notifiée s'agissant des appareils destinés à l'Armée de Terre. Ils ne peuvent donc être disponibles avant 2011 , ce qui pose un réel problème compte tenu du vieillissement accéléré des PUMA, soumis à une utilisation plus intense que prévue.

• Munitions - Transmissions - Communications - Renseignements

En 2002, l'armée de Terre devrait bénéficier d'une livraison de 410 obus BONUS , étant entendu qu'une nouvelle version plus performante est actuellement en cours de développement, pour une qualification prévue en 2002.

Le programme radar de contre-batterie COBRA , mise en coopération avec l'Allemagne et le Royaume-Uni dans le cadre de l'OCCAR prévoit la livraison de 3 radars de série en 2002.

Enfin, 1 200 postes de radio 4 ème génération PR4G seront livrés en 2002.

b) La Marine

• La commande d'un second porte-avions nucléaire ne figure pas, en l'état actuel, dans la prochaine loi de programmation.

• Aéronavale

La première flottille de Rafale-marine au standard F1 sera opérationnelle en 2002 (10 appareils sur les 12 prévus par la loi de programmation). Mais l'entrée en service du premier escadron opérationnel au standard F2 n'est pas prévue avant 2006 . Un seul appareil sera livré en 2002.

La Marine a par ailleurs bénéficié en juin 2000 d'un contrat de commandes portant sur 27 hélicoptères NH90 , dont les premières livraisons sont prévues pour 2005 .

• Flotte de surface

Après le retrait de la Grande-Bretagne en 1999, le programme de frégates antiaériennes Horizon se poursuit en bilatéral avec l'Italie. L'admission au service actif du premier bâtiment est prévue en 2006, avec deux ans de retard sur l'objectif , celle du second interviendra en 2008.

Le programme PAAMS (système d'auto-défense des frégates Horizon) continue d'être menée en coopération avec la GrandeBretagne et l'Italie.

Le programme de construction de 17 frégates multimissions doit passer au stade de la conception d'ici fin 2001. L'admission au service actif de la première frégate est prévue pour 2008.

Le programme Barracuda de construction de sous-marins nucléaires d'attaque est encore actuellement au stade de la conception. L'admission au service actif du premier sous-marin n'est pas prévue avant 2012.

Le programme Nouveaux transports de chalands de débarquement a fait enfin l'objet d'une notification de commande fin 2000 pour deux unités. Les admissions au service actif sont prévus pour 2005 et 2006 .

La Marine bénéficiera enfin en 2002 de la livraison de 50 torpilles MU 90 , de 60 missiles MICA (missile d'interception, de combat et d'autodéfense) et de 24 missiles Aster 30 (sol-air moyenne portée pour le PAN Charles-de-Gaulle.

- Un chasseur de mines tripartite (CMT) type Eridan modernisé sera livré en 2002.

- Le bâtiment hydrographique et océanographique commandé en 2001 sera livré en 2003.

- Le quatrième avion de surveillance maritime sera livré en mars 2002.

- Le troisième avion de fret aérien Hawkeye sera livré en 2003.

c) - L'armée de l'Air

• Avions de transport

Après la signature du MOU ( Memorandum of Understanding ) par les principaux états participants au programme A-400M , la signature de la commande de 50 avions devrait intervenir, en principe, fin 2001.

La moitié des autorisations de programme nécessaires pour honorer la commande ont été financées par redéploiement dans le collectif de fin d'année 2000. Le solde (3,6 milliards d'euros, soit 23,6 milliards de francs) « devant être ouvert en 2001 », selon les documents de présentation budgétaire, c'est-à-dire dans le collectif de fin d'année.

Une incertitude importante demeure néanmoins sur la signature attendue de l'Italie et sur celle de l'Allemagne, compte tenu des réticences fortes du Bundestag, au moins au sein de sa commission des Finances. Aucune précision n'a été donnée sur la date de disponibilité de ces nouveaux appareils, alors que la flotte actuelle des C160 Transall est usée.

• Missiles

L'armée de l'Air devrait bénéficier d'une livraison de 43 missiles Apache anti-piste . Les premiers missiles SCALP/EG ne seront disponibles qu'en 2003.

• Transmissions, communications


Six nouvelles bases aériennes seront équipées en 2002 du Moyens de transmission de bases aériennes (MTBA), portant à 26 le nombre de sites modernisés.

L'armée de l'Air poursuivra par ailleurs la réalisation du Système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA).

PRINCIPALES OBSERVATIONS

1. En 2002, le budget de la défense confirme son rôle de variable d'ajustement privilégiée de l'équilibre budgétaire général

L'examen du budget de la Défense pour 2002 s'inscrit dans un double contexte : la fin de l'actuelle loi de programmation militaire, dont il convient de dresser le bilan avant de s'engager dans la prochaine, et la nécessaire analyse, sinon la prise en compte, des événements du 11 septembre 2001, s'agissant des évolutions potentielles de la « nature de la menace ».

Les principales données du budget 2002 confirment la tendance lourde relevée tout au long de l'exécution de la loi de programmation qui s'achève. Le budget de la Défense a constamment constitué la variable d'ajustement privilégiée de l'équilibre budgétaire général, et n'a jamais bénéficié des « dividendes de la croissance », pourtant considérables sur la durée de la législature.

De 1996 à 2002, la part du budget de la Défense dans le budget de l'Etat aura diminué de 12,3 % en 1996 à 10,9 % en 2002. Parallèlement, la part de l'effort militaire dans le PIB aura régressé de 2,41 % à 1,89 %.

Avec 29,3 milliards d'euros (y compris les reports autorisés), le budget de la Défense devient en 2002 le cinquième poste de dépenses de l'Etat, après l'Education nationale, les Charges communes -qui comprennent la charge de la dette- les concours de l'Etat aux collectivités locales et l'Emploi et solidarité.

De façon relativement inusitée, et en tout état de cause contraire au strict droit budgétaire, le Gouvernement inclut dans la présentation du budget 2002 des reports de crédits de l'exercice 2001, pour un montant total de 412 millions d'euros (soit 2,7 milliards de francs), ce qui lui permet d'afficher un montant de crédits « disponibles » sensiblement plus élevé.

Hors reports, le budget 2002 s'établit à 28,85 milliards d'euros hors pensions (189,2 milliards de francs), soit une croissance limitée à 0,2 %, nettement inférieure à celle de l'inflation prévue (+ 1,6 %), et correspondant à moins du dixième de ce qui est prévu en moyenne pour les budgets civils (+ 2,5 %).

Certes, l'exercice 2002 correspond à un effort particulier en direction de la « condition militaire », puisque le titre III progresse de 2,3 %. Cette évolution reste toutefois inférieure de moitié à celle des budgets civils (+ 5,1 %), et correspond pour moitié à l'inéluctable prise en compte des mesures Sapin. Si un réel effort est fait en termes de mesures catégorielles, généralisées cette fois à l'ensemble des armées et services, celles-ci ne concernent que les sous-officiers pour l'essentiel, et ne peuvent constituer qu'un début de réponse, face à l'ampleur des besoins justifiés qui commencent, à peine, à s'exprimer.

En revanche, le montant des crédits d'équipement militaire ne peut être, en aucun cas, considéré comme satisfaisant. Il correspond à une nouvelle encoche par rapport à l'objectif fixé par la loi de programmation militaire, même révisée, dont il s'écarte (hors reports) de près de 5 milliards de francs si l'on tient compte des reports autorisés, et de plus de 7 si, en toute rigueur budgétaire, on n'en tient pas compte. Il représente surtout un écart considérable avec l'annuité en principe retenue pour 2003 par la prochaine loi de programmation.

Hors dépenses dites de « bourrage », en principe exclues par la loi de programmation militaire, c'est-à-dire notamment contribution au BCRD et financement des compensations accordées à la Polynésie au titre de l'arrêt des essais nucléaires, cet écart peut être évalué à près de 10 milliards de francs.

Quant au niveau des autorisations de programmes, bien que supérieur de 4 milliards de francs aux crédits de paiement, il ne suffit pas à maintenir une politique cohérente de commandes globales, et impose de repousser à nouveau d'un an des commandes importantes, comme celle du programme de missiles M51.

2. Le sacrifice constant de l'équipement militaire tout au long de la législature handicape la réalisation du « modèle d'armée 2015 »

Au sein même du budget de la Défense, les dépenses d'équipement ont elles-mêmes toujours servi de variable d'ajustement à des dépenses de fonctionnement en constante progression et désormais prépondérantes (57,1 % du total du budget).

En particulier, les dépenses de fonctionnement liées à la participation de la France à des opérations extérieures, notamment sur le théâtre du Kosovo, pourtant prévues et récurrentes, ont constamment été financées par un prélèvement, en cours d'exécution, sur les crédits d'équipement du titre V : soit, en cinq ans, l'équivalent du prix du second porte-avions nucléaire.

Au sein du titre III, le poids croissant des dépenses de rémunérations et charges sociales, également lié à l'incidence lourde des mesures globales fonction publique, a exercé par ailleurs un important effet d'éviction sur les crédits d'activité et de fonctionnement courant, contribuant à une sensible détérioration des taux d'activité des forces françaises, tombés en deçà des normes OTAN, et surtout très en deçà des seuils britanniques.

Au total, l'exécution globale de la loi de programmation risque de se solder par une année complète de dépenses d'équipement en moins, et une détérioration des matériels plus importante que prévue.

De fait, fin 2001, les plus hauts responsables militaires reconnaissent désormais qu'il y aura, sinon ruptures de capacités d'ores et déjà avérées, du moins « érosion des matériels », « dégradation du modèle d'armée 2015 », et « inquiétude sur la cohérence des forces ».

En réalité, les retards successifs pris dans les commandes au cours de l'actuelle programmation font que la plupart des programmes majeurs ne seront pas livrés avant 2008-2011 ; ainsi, par exemple, le quatrième SNLE-NG, équipé directement du missile M51, ne sera admis au service actif qu'en 2008 au plus tôt ; la mise en service des missiles ASMP-A sous Mirage 2000 et Rafale n'interviendra pas avant 2007-2008 ; le premier satellite successeur de Syracuse II ne sera lancé qu'en 2013 ; les premiers Tigre version appui-protection de l'armée de Terre, ainsi que ses premiers hélicoptères NH90 ne seront livrés qu'en 2011 ; le premier escadron opérationnel de Rafale au standard F2 n'entrera en service qu'en 2006, la première frégate anti-aérienne Horizon et la première frégate multimissions qu'en 2008 ; le premier sous-marin nucléaire d'attaque type Barracuda ne sera admis au service actif qu'en 2012 ; et les premiers nouveaux transports de chalands de débarquement qu'en 2006. Quant au futur avion de transport A-400M, son sort apparaît aujourd'hui particulièrement incertain.

Les armées françaises devront dès lors aborder la prochaine loi de programmation militaire avec une double difficulté : une réalisation en termes physiques d'ores et déjà moins favorable que prévue, et une dotation en autorisations de programmes, comme en crédits de paiement, qui présente un écart sensible avec les dotations prévues pour 2003.

3. L'adaptation du secteur public de nos industries d'armement n'a pas été menée à terme

Malgré une dépense budgétaire d'ores et déjà considérable, la restructuration de DCN et de GIAT-Industries n'est toujours pas acquise. On peut d'ailleurs alternativement considérer que c'est la baisse des budgets d'équipement de défense qui a mis à mal nos anciens arsenaux terrestres et maritimes, ou que c'est le prélèvement lié aux restructurations et la dégradation de la qualité du service rendu qui ont contribué à la détérioration des équipements militaires. Quoi qu'il en soit, le résultat est tout à la fois désastreux pour les industries d'armement et pour l'équipement des forces armées.

Dans les deux cas, la mutation, difficile, notamment parce qu'elle exige d'abord celle des personnels, ne se fera pas sans une nouvelle et forte contribution budgétaire. Sur la période 1997-2002, le coût de restructuration de la DCN aura déjà représenté 3,3 milliards de francs. Depuis sa création en 1990, le groupe GIAT-Industries aura totalisé 24 milliards de francs de pertes et l'Etat, actionnaire unique, aura versé 18,5 milliards de francs au titre de sa recapitalisation (dont 11,7 depuis 1996), au prix d'un prélèvement important sur le titre V. Une nouvelle recapitalisation, de l'ordre de 4 milliards de francs, est attendue d'ici la fin de l'exercice.

4. La dérive française s'inscrit dans le cadre d'une évolution européenne fragilisée

La politique européenne de défense a certes franchi, il y a deux ans, une étape décisive au sommet d'Helsinki de décembre 1999, avec l'adoption du principe d'une « force de réaction rapide » européenne, théoriquement opérationnelle à horizon 2003.

Un an avant la date envisagée, toutefois, de nombreux points sensibles et stratégiques, dont l'insuffisance a été concrètement soulignée sur le terrain du Kosovo, restent encore à améliorer, en particulier en matière de défense anti-missile, de forces opérationnelles spéciales, de renseignement, de communication et de transport stratégique aérien et naval.

En réalité, les conditions, et même le succès, de la mise en place d'une défense européenne, paraissent étroitement dépendants d'un degré minimum de convergence des choix budgétaires -et donc en réalité politiques- des Etats membres.

Or, dans ce domaine, l'écart se creuse entre la France et le Royaume-Uni d'un côté et l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne de l'autre, mais surtout, et ceci est sans doute plus pernicieux, entre le Royaume-Uni et la France.

En 2000, le Royaume-Uni consacre encore près de 2,3 % du PIB à son effort de défense, tandis que la France y consent moins de 1,8 %. Le niveau actuel des dépenses de fonctionnement par soldat est deux fois et demie plus élevé chez les britanniques, et les dépenses d'équipement par soldat près de deux fois plus importantes. A tous ces égards, l'écart entre la France et le Royaume-Uni est plus élevé que celui, souvent très faible, entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

De fait, concrètement, la coopération en matière de programmes d'armement marque le pas. Lors de l'examen du précédent budget, il convenait de se féliciter du proche aboutissement du projet de l'avion de transport A-400M. Un an après, à quelques semaines de la décision finale, de sérieuses incertitudes menacent la participation de l'Allemagne et de l'Italie. S'ajoutant à l'échec du programme Syracuse (satellite de communication) en 1998, puis Horizon (frégate anti-aérienne) en 1999, du fait du retrait britannique, ceci réduirait à bien peu de choses la liste des succès réels de la coopération européenne en ce domaine (le seul missile Meteor...).

Enfin et surtout, les événements du 11 septembre 2001 ne sont pas sans conséquences sur les perspectives de cette Europe de la défense. L'accélération considérable donnée au programme de l'avion de combat américain Joint Strike Fighter pèse sur les perspectives de développement du Rafale et de l'Eurofighter, rebat considérablement les cartes de l'industrie européenne, et constitue un exemple qui doit être médité. Plus profondément, il convient sans aucun doute d'être attentif au repositionnement politique évident de certains partenaires européens -le Royaume-Uni, certes, mais aussi l'Italie- autour des Etats-Unis.

5. Conclusion : un « état des lieux » préoccupant

Au total, dans un contexte géostratégique profondément évolutif, la professionnalisation des armées françaises est acquise, mais elle reste à consolider et à inscrire dans la durée. La modernisation des équipements a subi successivement encoches, reports et annulations de crédits, qui aboutissent en fin de loi de programmation à un « trou » de l'ordre de 80 milliards de francs, et se traduisent par l'érosion des matériels, la dégradation de la cohérence des forces, et des perspectives de ruptures capacitaires au cours de la prochaine législature.

Du seul point de vue budgétaire, il faut être conscient que la professionnalisation des armées, pour être seulement consolidée, implique une charge supplémentaire importante sur le titre III. Que le lancement de commandes importantes en fin de programmation risque fort de se traduire, au cours de la prochaine législature, par la nécessité de renforcer considérablement le niveau des crédits de paiement, sauf à aboutir à une véritable crise des paiements. Que l'adaptation de notre industrie d'armement n'a pas été menée à terme et que le coût pour l'Etat, compte tenu de la nécessaire prise en compte des considérations liées au maintien de l'emploi et à l'aménagement du territoire, sera conséquent - sans pour autant d'ailleurs qu'il revienne nécessairement au budget de la Défense, dont ce n'est pas la vocation, de le supporter indéfiniment.

Du seul point de vue budgétaire donc, qui est celui de la commission des Finances, les conditions générales d'exécution de l'actuelle loi de programmation conduisent à souligner l'ampleur des charges accumulées, qui conduiront mécaniquement, et en dehors de tout choix politique de renforcement de notre effort militaire, à une sensible augmentation des dépenses militaires au cours de la prochaine législature, sauf à remettre en cause définitivement le modèle d'armée 2015.


1 Hors reports 2001.

2 Utilisée déjà, il est vrai, lors de la présentation du projet de budget pour 1998, pour « faire passer » l'encoche créée par la revue de programmes.

3 Chiffres retenus dans la présentation du document de presse.

4 Accord signé le 11 juillet 2001.

5 Cette hypothèse est cohérente avec les chiffres avancés par le chef d'Etat-major des Armées et le Délégué général de l'armement, qui évaluent à 10,4 milliards d'euros l'insuffisance cumulée des crédits d'équipement fin 2001.

cf. Audition du Général Jean-Pierre Kelche, chef d'Etat-major des Armées (Commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale - 2 octobre 2001)

cf. Audition de M. Yves Gleizes, Délégué général pour l'armement (ibid - 18 octobre 2001)

6 En l'état actuel des informations disponibles, les chiffres commentés correspondent aux « crédits disponibles » présentés par le Gouvernement, c'est-à-dire aux crédits nouveaux 2002 majorés des reports autorisés 2001.

7 De l'ordre de 1,25illiard de francs.

8 De l'ordre de 1 milliard de francs.

9 Soit, en 2002, 152 millions d'euros (997 millions de francs) en autorisations de programme et 94 millions d'euros (617 millions de francs) en crédits de paiement.

10 Soit, en 2002, 191 millions d'euros (1,25 milliard de francs) en autorisations de programme et en crédits de paiement.

11 Soit, en 2002, 26,6 millions d'euros (175,5 millions de francs) en autorisations de programme et en crédits de paiement.

12 L'évolution sensible du contexte stratégique depuis la fin de la guerre froide doit également être pris en compte : un passage du concept de « pure dissuasion » à celui de « frappe éventuelle » ne doit pas être totalement exclu.

13 L'Espace a souvent été une victime de choix pour les annulations de crédits...

14 Les déclarations d'intention allemande et italienne restent toujours à confirmer