CONCLUSION

Par leur objet, les études qui sont confiées à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques présentent l'intérêt de permettre à la représentation nationale et, au travers elle, à l'opinion et aux Français, d'appréhender les évolutions futures de la science et de la technologie dans les domaines d'investigation qui lui sont confiés.

Mais, parce qu'elles s'efforcent d'être prospectives, ces études renvoient également à une mise en parallèle d'un autre ordre, entre les imperfections de gestion du présent et la nécessité d'en rectifier la conduite, pour que notre pays puisse être en mesure de suivre les mouvements d'un monde où la science et la technologie tiennent un rôle essentiel .

Cette évolution est marquée par une complexité croissante qui résulte :

- des perspectives nouvelles vertigineuses des sciences fondamentales, tant physiques que biologiques,

- des interactions multiples entre les disciplines scientifiques,

- de l'imbrication des sciences cognitives et appliquées,

- de l'irruption massive des mathématiques dans toutes les disciplines, en particulier avec l'utilisation des modèles prédictifs utilisés par la puissance des ordinateurs.

Cette mutation de la science contemporaine, qui est la marque de sa vitalité, explique aussi, pour une part, les inquiétudes de la communauté scientifique.

Ces tensions multiples et fécondes exigent un engagement collectif fort, public et privé, pour soutenir la science. Elles conduisent aussi à reconnaître la nécessité d'une adaptation des instruments et des procédures de recherche aux nouvelles réalités.

A l'heure de la mondialisation de l'économie de la connaissance, le maintien de nos positions économiques et la préservation de notre modèle social dépendent de notre effort renforcé et de notre capacité d'adaptation.

La liberté de circulation des hommes, des biens et des capitaux ne nous permet plus de mener des politiques industrielles « classiques », comme il y a trente ou quarante ans.

Cette nouvelle donne exige que nous soyons capables d'adapter notre appareil de formation, de recherche et de transfert technologique à un monde où il n'y a plus de secteur abrité.

Donner à chaque secteur des projets lisibles sur la durée, y affecter des moyens suffisants affranchis des contraintes de l'annualité budgétaire, passer d'une culture de gestion par ministère ou par organisme à une culture de projet sera un des points essentiels de la réforme de l'État dans les années à venir.

Mais, au-delà de cette nécessité, dont les gouvernements successifs n'ont probablement pas mesuré l'acuité, se pose un autre problème : celui de l'ambiguïté croissante des rapports entre la science et la société.

Dans les pays développés, les citoyens ont bénéficié de façon continue des progrès scientifiques depuis cent cinquante ans. Ils souhaitent encore en bénéficier mais, dans le même temps, les mentalités collectives sont sujettes à des poussées de rejet de la science, souvent irrationnelles.

Ainsi, on veut bien utiliser un téléphone portable, mais on refuse l'implantation d'un relais téléphonique dans sa commune...

Cette attitude est d'autant plus préoccupante que les vingt dernières années ont été marquées par une accélération du progrès scientifique et du développement technologique, dont l'ombre portée pratique nous atteindra d'ici dix à quinze ans dans des domaines aussi variés que les biotechnologies, la microélectronique, les nanotechnologies, les nouveaux matériaux, la médecine...

Or, l'acceptation par l'opinion de ces avancées risque de se déliter car leurs applications vont s'étendre à des domaines encore plus sensibles qu'auparavant : univers de l'invisible, fait d'ondes et de microsystèmes de plus en plus minuscules et en transgression des règles classiques du vivant.

Curieusement, ces réticences que l'on sent monter dans l'opinion face à ces progrès scientifiques s'adressent à des perspectives scientifiques particulièrement prometteuses dans le domaine du développement durable, qui fait également l'objet d'une demande de plus en plus forte des citoyens.

Cela signifie que les sciences appliquées, en particulier, devront travailler plus étroitement avec les psychologues et les sociologues pour vérifier l'acceptabilité des inventions par la société et par les individus.

Cela signifie aussi que les politiques, chargés par la nation d'orienter les grands choix stratégiques de recherche, devront utilement éclairer leurs décisions par les acquis des sciences humaines, et en particulier l'histoire, chargée à nouveau d'éclairer le futur.

C'est un des problèmes de fond sur lesquels nos sociétés devront trouver un minimum de consensus dans les années à venir.

Ce nouveau chantier, celui de la réconciliation de la science et de la société, peut être aussi une belle occasion pour la politique de reprendre sa place au coeur de la cité.