5. L'urgence de mettre en oeuvre une politique de prévention énergique

a) Prendre la mesure du problème

Les spécialistes de l'obésité entendus estiment qu'en l'absence de contre-mesures appropriées, l'obésité de la population continuera à croître au rythme de 17 % par an, tempo auquel nous atteindrions, en 2020, la situation des Etats-Unis qui comptent aujourd'hui 30 % d'obèses .

Cette évolution signifierait des coûts dérivés directs pour l'assurance maladie de l'ordre de 15 milliards d'euros par an 74 ( * ) .

En d'autres termes, et toute croissance des risques maladies égale par ailleurs, l'assurance maladie implosera en 2020 si un plan énergique de lutte contre l'obésité n'est pas rapidement mis en oeuvre .

Il s'agit d'un fléau social qui ne sera pas contenu par des demi-mesures . Il n'est plus possible de se contenter d'actions d'information comme celles justement entreprises dans le cadre du PNNS ou d'actions très prometteuses mais trop cantonnées comme celles menées par l'initiative EPODE.

Une politique volontariste dans ce domaine suppose que l'on prenne en considération plusieurs domaines d'action.

b) Lancer un plan national de prévention de l'obésité

La mobilisation de l'ensemble des acteurs, industriels, élus locaux, éducation nationale, parents, professionnels de santé est nécessaire autour d'un programme national de lutte contre ce fléau social.

La contention de l'obésité qu'il a été possible de mener dans deux communes du Nord ( cf. supra - l'initiative EPODE ) peut et doit être poursuivie à l'échelon national.

Mais cette mobilisation ne peut être mise en oeuvre que sur la base d'un volontarisme politique affichant des objectifs, affectant des moyens, informant massivement les populations et évaluant périodiquement les résultats .

Cela implique, bien entendu, un changement de mentalités encourageant la culture de prévention :

- auprès du corps médical, culturellement plus tourné vers les thérapies que vers la prévention.

- auprès de l'assurance maladie, dont le budget avoisine les 140 milliards d'euros et qui, jusqu'ici, gère le fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires auquel ne sont affectés que 300 millions d'euros - soit environ 2°/°° de ses recettes. Sur ces 300 millions d'euros, une très faible part est dirigée vers les préventions de l'obésité, alors que la charge de celle-ci pour le système de soins se chiffre déjà annuellement en milliards d'euros .

On se trouve ici confronté à un problème assez classique d'arbitrage dans le temps, en l'occurrence dégager aujourd'hui 2 euros par an pour éviter d'avoir à payer 100 euros à long terme. C'est le type de situation que les pouvoirs publics ne savent plus gérer dans notre pays, alors que l'intérêt collectif le commande .

Mais c'est également affaire de procédures et d'organisation administrative.

La France, on le sait, a excessivement orienté son système sanitaire sur le soin au détriment de la prévention. Cette déshérence se répercute sur la gestion de la prévention.

Le rapport annuel de l'Inspection générale des affaires sociales pour 2003 met en exergue l'enchevêtrement des procédures et des interventions, nationales, déconcentrées, décentralisées entre la caisse nationale, les caisses locales et les collectivités locales.

Or, une politique volontariste de lutte contre l'obésité ne peut avoir de succès que si elle est lisible par tous les acteurs et est mise en oeuvre avec des règles d'application claires .

Compte tenu de l'importance, sanitaire mais aussi financière, du sujet, il serait probablement nécessaire qu'un plan de prévention de l'obésité puisse être pris en charge par une structure indépendante, mais sous contrôle politique de la représentation nationale.

C'est un des domaines où, compte tenu de la diffusion et du croisement des responsabilités et de la dimension nationale du problème, la création d'une agence se justifierait, à condition qu'elle ne soit pas l'alibi d'un nouveau désengagement financier de l'État et d'une nouvelle fuite devant ses responsabilités.

c) Réexaminer les conditions d'externalisation du fléau social que constitue l'obésité

L'obésité est une maladie polyfactorielle mais un de ses déterminants de constitution et de déclenchement est l'absorption exagérée d'aliments à forte densité calorique, à faibles coûts relatifs, conçus en fonction de leur palatabilité, ce qui implique un taux de graisses et de sucres supérieur à la moyenne.

Il serait abusif d'identifier cette offre alimentaire à celle des cigarettiers, puisque le tabagisme et ses effets délétères sont imputables à un seul facteur.

Il serait inexact de lui faire porter tout le poids de la responsabilité de la montée du phénomène.

Mais il serait tout aussi irresponsable de négliger le facteur de risque lourd que constitue cette offre 75 ( * ) .

On se trouve en présence d'une rebudgétisation des conséquences d'un fléau social.

Il n'est ni admissible aujourd'hui, ni acceptable dans l'avenir de supporter passivement l'externalisation d'une catastrophe sanitaire et d'un désastre financier au détriment de la santé des Français et des équilibres déjà menacés de la sécurité sociale.

Dans cette approche, il est plus que souhaitable de limiter cette offre alimentaire comme on limite l'offre d'alcool et celle de tabac.

L'État a, dans son outillage juridique, plusieurs instruments qui lui permettent d'agir.

- La taxation

L'alcool est surtaxé, le tabac aussi. Les sodas sucrés et beaucoup de produits de confiserie sont assimilés à des produits alimentaires et sont donc taxés au taux réduit de 5,5 %. Ils ne font l'objet d'aucune surtaxation.

On ne pourra s'empêcher de penser qu'il y a dans cette situation un gisement permettant de financer une partie de la politique de prévention de l'obésité, sous réserve naturellement de l'accord du Conseil européen.

- L'interdiction de publicité télévisuelle pour les produits alimentaires destinés aux mineurs de moins de 15 ans

Une publicité diffusée l'an dernier sur les écrans de télévision résume les procédés obliques qui peuvent être employés pour inciter les enfants à consommer des produits alimentaires dont l'abus est délétère . Il s'agissait de faire la promotion d'une barre de chocolat. On voyait un enfant mangeant des légumes (signifiant : il a une diététique impeccable), faire à l'école des expériences de chimie (signifiant : le produit proposé a la garantie de la science) et croquer une confiserie dont il était signalé qu'elle contenait des céréales et du calcium (signifié : le produit est bon pour la santé).

Sans faire preuve d'un excès de puritanisme social, on estimera que ce type de présentation publicitaire est contraire à la préservation de la santé publique, dans un pays où les enfants regardent la télévision près de 3 heures par jour.

Certes, dans le cadre du projet de loi relatif à la santé publique, actuellement en navette, le Sénat a adopté un amendement intéressant comportant le dispositif suivant :

« Toute publicité télévisuelle en faveur de produits alimentaires dans des programmes destinés à la jeunesse doit être assortie d'un message de caractère sanitaire rappelant les principes d'éducation diététique - diversité, modération - agréés par l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé.

A défaut, l'annonceur devra financer un temps de passage équivalent sur la même chaîne et dans les mêmes conditions horaires pour la diffusion d'un message d'information sanitaire sur la nutrition réalisé sous la responsabilité de l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé. »

Mais cela n'est pas suffisant compte tenu des procédés obliques décrits ci-dessus.

La Suède, la Finlande et le Danemark ont adopté des mesures d'interdiction de ce type de publicité avec quelques résultats.

- La prescription des produits trop gras et trop sucrés des distributeurs automatiques dans les écoles

L'introduction d'appareils de distribution automatique de nourriture et de boissons dans les collèges et les lycées se justifie-t-elle ?

Leur maintien est-il nécessaire ?

Ce n'est pas sûr. L'AFSSA a rendu récemment un avis plus que résumé sur l'intérêt du maintien de la collation dans les écoles, en estimant que celle-ci pouvait constituer « une prise alimentaire supplémentaire (...) à l'origine d'un excès calorique qui ne peut que favoriser la prévalence de l'obésité . »

Pour le moins, on estimera que ces distributeurs ne devraient proposer que des produits allégés en sucre et en graisse .

* 74 Calculés sur la base d'un coût direct de 10 % des dépenses de santé, qui est le coût américain. Mais, en France, le chiffre serait probablement plus élevé, car contrairement au système américain le système français d'assurance maladie couvre la quasi-totalité de la population.

* 75 Certains industriels de l'agroalimentaire prennent conscience des problèmes et s'efforcent de mettre en oeuvre des propositions alimentaires moins nocives pour la santé (cf. Deuxième partie).