II. UNE EXCEPTION FOOTBALLISTIQUE EN QUESTION ?

Dans une étude déjà un peu ancienne citée par le premier rapport du gouvernement au Parlement sur la situation du sport professionnel et mentionnée par la Charte 2002 des clubs de football français comme fondant la nécessité de « se rapprocher rapidement des droits et modes de fonctionnement de tous les autres footballs professionnels européens », le cabinet Deloitte & Touche présente, dans le tableau synthétique ci-après, les données qui constituent, à ses yeux, les éléments de la concurrence entre les clubs de football en Europe.

Cette récapitulation met en évidence un handicap de compétitivité du football hexagonal par rapport à ses voisins.

Il faut évidemment considérer avec toute l'attention qu'elles méritent les données mentionnées, même si certaines on un peu vieilli.

Toutefois, il convient aussi d'échapper à l'impression d'ensemble qu'elles produisent et de compléter le tableau par la prise en compte d'autres éléments qu'il ne fait pas apparaître . Sur le premier point, il apparaît nécessaire d'abord de hiérarchiser les informations présentées . Sur le second point, des éléments aussi essentiels que l'émergence d'une élite financière des clubs européens , ou encore l'existence de clubs en déficits structurels élevés doivent être réintroduits dans le panorama du football européen.

Ce n'est qu'à ces conditions qu'il devient possible de porter un jugement sur l'exception footballistique française, sa nature et sa viabilité.

Les éléments de la concurrence entre les clubs de football en Europe

 

France

Angleterre

Allemagne

Italie

Espagne

Droits TV

 
 
 
 
 

Croissance moyenne annuelle du CA des championnats (sur 4 ans)

13 %

25 %

nd

17 %

25 %

Chiffres d'affaires moyens des clubs de D1 (98/99 en MF)

143

335

217

256

217

Revenus annuels des nouveaux contrats TV (MF) D1 uniquement

2 150

5 897

2 013

3 000

1 971

Situations juridiques

 
 
 
 
 

Possibilité de verser des dividendes

oui (SASP) 1)

oui

oui

oui

oui

Contrôle de gestion des clubs

oui

non

oui

non

non

Dirigeants rémunérés

oui (SASP) 1)

oui

non

oui

oui

Charges sociales et fiscales

 
 
 
 
 

Poids total pour un salaire annuel de 2 MF

1 538 460

992 040

1 118 140

934 360

954 900

Charges patronales pour un salaire annuel brut de 2MF

495 620

238 650

60 840

79 570

56 300

Divers

 
 
 
 
 

Possibilité juridique de l'accès
à la bourse

non

oui

oui

oui

non (possible en 2002)

Nombre de clubs côtés

0

19

1

2

0

Nombre de clubs propriétaires de leur stade

1

20

nd

0

12

1. Société anonyme sportive professionnelle.

Source : Extrait d'un tableau de Deloitte & Touche cité par Sport Finances Marketing - 6 juillet 2000 - complété et modulé par des données issues de la Revue de Presse du Centre de droit et d'économie du sport.

A. UN CADRE JURIDIQUE DONT LES ADAPTATIONS DOIVENT ÊTRE PROLONGÉES

Le cadre juridique d'exercice des activités sportives professionnelles a été rénové, mais il subsiste certains compléments à apporter à partir d'une approche raisonnable.

1. Un cadre juridique rénové

Le modèle européen d'exercice du football s'est historiquement développé à partir du cadre associatif qui a prévalu, dans un premier temps, pour l'ensemble des sports.

Le développement du football professionnel a exercé une pression sur la forme associative, dont plusieurs caractéristiques propres, issues de la présomption du caractère non lucratif de l'activité exercée, sont apparues inadaptées, ou qu'elles fassent obstacle au développement économique des intervenants, ou qu'elles conduisent à leur appliquer des régimes juridiques insuffisamment contraignants.

C'est pour remédier à ces deux types de problème que la France a modifié l'encadrement juridique des organismes à objet sportif. Ce faisant, elle a suivi l'exemple de l'ensemble des pays européens qui ont entrepris de réformer le cadre juridique d'exercice des activités sportives professionnelles, en suivant deux voies distinctes avec, dans certains pays, une obligation d'adapter le cadre juridique des clubs professionnels et dans d'autres, une option ouverte entre le maintien du cadre associatif et l'entrée dans une formule sociétale.


LA MODERNISATION DU CADRE JURIDIQUE D'EXERCICE DU FOOTBALL PROFESSIONNEL DANS QUELQUES PAYS EUROPÉENS

Au Portugal , le décret-loi n° 67/97 du 3 avril 1997 a donné la possibilité aux clubs sportifs professionnels de choisir entre la constitution d'une société à objet sportif ou le maintien de leur statut actuel de personne morale à but non lucratif. Dans ce dernier cas, les clubs sont toutefois soumis à un régime spécial de gestion.

En Espagne , la loi n° 10/1990 du 15 octobre 1990 complétée par le décret royal n° 1084/91 modifié en 1996 fait obligation aux groupements susvisés d'adopter la forme de sociétés anonymes sportives ( sociedad, anonima deportiva ). Peuvent seuls échapper à cette obligation, les clubs de football et de basket-ball créés avant l'entrée en vigueur de la loi et dont le bilan a été constamment positif pendant la période 1980-1990, à condition toutefois que leurs actionnaires n'aient pas pris de décision en sens contraire.

En Italie , la loi n°91 du 23 mars 1981 modifiée par la loi n° 586 du 18 novembre 1996 impose aux clubs de se constituer en sociétés par actions ( società per azioni ) ou en société à responsabilité limitée ( società a responsabilità limitata ) pour pouvoir contracter avec des sportifs professionnels.

Au Royaume-Uni , l'adoption par les groupements sportifs professionnels du statut de société est, coutumièrement, admise de longue date.

Elle semble aussi devoir s'imposer en Allemagne puisque, s'ils sont très attachés au statut d'association déclarée d'intérêt général, les clubs allemands de football se sont vu offrir par leur fédération, en octobre 1998, la possibilité de créer pour la gestion de leurs activités professionnelles, des sociétés de capitaux, des sociétés par actions ou des sociétés en commandite.

a) Une évolution législative progressive

La France n'est pas restée à l'écart de ce mouvement. Les lois successives sur le sport ont progressivement autorisé, puis dans certains cas imposé, la transformation des associations sportives en société :

La loi n° 75-988 du 29 octobre 1975 relative au développement de l'éducation physique et du sport a eu notamment pour objet de permettre la création par les clubs professionnels de sociétés d'économie mixte locales (SEML).

La loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 complétée par le décret n° 86-407 du 11 mars 1986 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives a imposé aux associations sportives dépassant certains seuils la création d'une société à objet sportif ( SAOS ) ou d'une société d'économie mixte sportive locale ( SEMSL ). Les entités concernées sont les associations sportives participant habituellement à l'organisation de manifestations sportives payantes procurant des recettes supérieures à 2,5 millions de francs et employant des sportifs dont le montant total des rémunérations excède 2,5 millions de francs. Le caractère cumulatif de ces seuils associé à leur faible montant soumettait aux nouvelles contraintes législatives des clubs modestes.

Devant les difficultés rencontrées par certaines associations sportives obligées de créer une société, la loi n° 87-979 du 7 décembre 1987 a assoupli le régime mis en place : les groupements sportifs dépassant les seuils réglementaires n'étaient plus nécessairement tenus de constituer une société. Ils pouvaient en effet continuer à gérer leur secteur professionnel par la voie associative à condition toutefois que l'association en charge de cette mission adopte des statuts renforcés.

Cette faculté de choisir le statut d'association sportive à statuts renforcés n'a été que passagère puisqu'elle a disparu avec la loi n° 92-652 du 13 juillet 1992. Cette même loi autorisait cependant les associations existantes de ce type à conserver ce régime à condition que leurs comptes annuels certifiés ne présentent pas de déficit pendant deux exercices consécutifs.

La loi n° 99-1124 du 28 décembre 1999 , enfin, a mis un terme définitif à l'existence de l'association à statuts renforcés, forme juridique que revêtaient des clubs de football comme l'A.J. Auxerre et le F.C. Sochaux.

Ont désormais l' obligation de se constituer en société pour la gestion de leur secteur professionnel , toutes les associations sportives qui participent habituellement à l'organisation de manifestations sportives payantes procurant des recettes supérieures à 7,5 millions de francs et employant des sportifs dont le montant total des rémunérations excède 5 millions de francs. Tous les clubs de football appartenant aux lignes 1 et 2 concernés.

Ceux-ci peuvent choisir entre trois régimes différents, celui des nouvelles entreprises unipersonnelles sportives à responsabilité limitée, celui de la société à objet sportif et celui de la société anonyme sportive professionnelle.

Les clubs dépassant les seuils ne peuvent plus recourir à la société d'économie mixte locale sportive, mais les clubs constitués sous cette forme avant l'entrée en vigueur de la loi peuvent conserver ce régime juridique.

b) Les formules ouvertes aux clubs

Au terme de ces évolutions, quatre formes sociales sont empruntées par les clubs de football professionnel.

La société d'économie mixte sportive locale ( SEMSL ) peut apparaître comme une survivance mais elle concerne encore un club de L1 (Guingamp) et quatre clubs de L2 (Grenoble, Istres, Laval et Wasquehal).

La SEMLS est décalquée des sociétés mixtes locales traditionnelles, mais alors que pour celles-ci les personnes publiques détiennent, séparément ou à plusieurs, plus de la moitié du capital, dans les SEMLS, la majorité du capital social et la majorité des voix dans les organes délibérants ne sont pas nécessairement détenues par des personnes publiques. Elles peuvent en effet l'être par l'association sportive seule ou, conjointement, par l'association sportive et les collectivités territoriales.

La SEMSL permet en fait de doter la collectivité locale d'un pouvoir d'orientation et de gestion considéré comme la compensation de son apport financier au sport professionnel et reste très marquée par sa dimension publique.

En effet, la gestion de la SEMSL dans son ensemble est soumise au contrôle des chambres régionales des comptes.

Surtout, la SEMLS ne peut ni distribuer de bénéfices à ses actionnaires, ni rémunérer ses dirigeants.

Cette formule est vouée à disparaître. Elle a, dans le passé, été utilisée par de nombreux clubs qui peuvent toutefois conserver ce statut.

La société anonyme à objet sportif ( SAOS ) est, quant à elle, une société commerciale régie par le livre II du nouveau code du commerce mais avec de nombreuses dérogations parmi lesquelles l'interdiction de rémunérer les membres élus des organes de direction de ces sociétés et de distribuer des dividendes . Les bénéfices éventuels doivent en effet être affectés à la constitution de réserves.

Cette formule demeure, malgré ces restrictions, relativement répandue chez les clubs de l'élite du football, plus toutefois chez les clubs de L2 où dix SAOS existent (Beauvais, Châteauroux, Créteil, Gueugnon, Le Mans, Metz, Niort, Reims, Saint-Etienne, Valence), qu'en L1 où seuls deux clubs prennent cette forme (Auxerre et Bastia).

L' entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée ( EUSRL ) est très peu utilisée (un club de L1 - Ajaccio - et un club de L2 - Amiens -).

L'EUSRL est une société à responsabilité limitée à associé unique. Dans l'esprit de la loi, cet associé n'est autre que l'association sportive à la base de la création de la société.

La formule de l'EUSRL est intéressante pour les associations désireuses de conserver un lien très étroit avec la société commerciale qu'elles créent.

Elle ne peut cependant convenir qu'aux associations ne souhaitant pas recourir à des partenaires financiers extérieurs pour gérer l'activité professionnelle. En effet, l'EUSRL ne peut distribuer de bénéfices, ces derniers sont en effet affectés à la constitution de réserves.

Toutefois, et à la différence de la SAOS, la loi ne prohibe pas la rémunération des dirigeants de l'EUSRL. En l'espèce, il s'agit d'un gérant tiers désigné par l'associé unique.

La société anonyme sportive professionnelle ( SASP ) est le régime le plus répandu en L1 avec 16 clubs, mais reste minoritaire en L2 (5 clubs).

C'est la forme juridique la plus proche du droit commun des sociétés commerciales.

La SASP peut distribuer des dividendes à ses actionnaires, rémunérer ses dirigeants et ouvrir librement son capital à d'éventuels investisseurs, dans la mesure où la loi n'impose aucunement qu'une partie du capital soit nécessairement détenue par l'association en charge du secteur amateur.

Mais le régime de la SASP comporte un certain nombre de dispositions dérogatoires au droit commun des sociétés destinées, en théorie, à préserver l'éthique sportive.

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