II. DEUXIÈME TABLE RONDE

L'APPROCHE DU PIC PÉTROLIER ET SES CONSÉQUENCES

Participent :

• Mme Nathalie ALAZARD, Directeur des études économiques, IFP

• M. Jean-Marie CHEVALIER, Professeur à Paris-Dauphine

• M. Alain GRANDJEAN, Président de Capitalisme durable

• M. Jean-Luc WINGERT, auteur de « La vie après le pétrole »

• M. Bruno WEYMULLER, Directeur général Stratégie et Evaluation des risques, Total

M. Claude SAUNIER - Comme vous le voyez au terme de cette première table ronde, on est loin du discours académique et de la théorie. Il y a la théorie, des éléments de réflexion, de la science pure et des applications financières politiques concrètes.

Pierre LAFFITTE et moi avons passé quelques mois à entendre certaines personnalités qui ont bien voulu nous éclairer. Nous avons vu environ 300 personnes au cours d'une année et avons essayé d'être les greffiers fidèles et sans a priori de ce que nous avons entendu.

Je retire de la première table ronde que les premières orientations que nous avons cru comprendre se trouvent largement confirmées.

La première table a témoigné du choc climatique au rendez-vous, à l'horizon 2030 ou 2050. Il se trouve que, simultanément, on peut s'attendre, c'est notre conviction, à un autre choc à caractère énergétique. Nous préférons parler de transition plutôt que de choc parce que l'histoire de l'humanité s'est structurée autour de ces périodes au cours desquelles on est passé d'un modèle d'énergie à un autre.

L'histoire nous enseigne aussi que chaque fois qu'il y a eu mutation de modèle énergétique, les effets politiques et sociaux ont été considérables.

On ne veut pas faire une approche matérialiste et réductrice mais on ne peut pas ne pas poser la question de la transition énergétique en faisant abstraction des conséquences concrètes sur nos sociétés.

Je vais décrire brièvement cette transition énergétique. Depuis deux siècles et demi, trois siècles, notre civilisation occidentale fonctionne sur le recours massif aux énergies fossiles. A ce jour, l'état du monde nous conduit à considérer que, dans les prochaines décennies, nous continuerons à consommer massivement des énergies fossiles.

En l'an 2000, la planète consommait 10 gigas TEP d'énergie. A horizon 2030, on passera à 20. On est sur un rythme d'augmentation de la consommation d'énergie, toutes énergies consolidées, considérable. Le phénomène est inouï. Jamais, dans l'histoire de l'humanité, on n'a connu de mutation à ce rythme ni un tel accroissement de la consommation d'énergie qui s'explique, comme l'a dit l'un des intervenants, par la croissance démographique et celle de modes de consommations d'énergie liés à notre civilisation.

Un exemple : une des sources de consommation d'énergie est l'automobile, 750 millions dans le monde à ce jour, 1,5 milliard en 2030.

Nous avons passé quelques jours à Pékin pour sentir la façon dont les Chinois pouvaient réagir. Nous l'avons senti dans tous les sens du terme. Pékin, ce sont 1000 véhicules supplémentaires chaque jour...

Voilà des données qui doivent faire l'objet d'une interrogation collective. La question qui se pose est la suivante : en fonction de cette augmentation de la consommation, les ressources sont-elles au rendez-vous ? Il ne s'agit pas seulement des ressources en termes de réserves, les experts nous diront à quel horizon ils les situent.

Notre conviction est que cela se pose aussi en capacités de production à un moment donné. J'ai eu personnellement l'occasion de réaliser une mission en Alberta, il y a quelques semaines. J'ai tenu à aller visiter les gisements de sable bitumineux de cette province. La technologie est complètement différente de celle pétrolière traditionnelle.

On voit bien que, pour toutes sortes de raisons, même si on dit qu'il y a d'énormes réserves pétrolières de bitume dans les gisements de l'Alaska, physiquement, économiquement et industriellement, on est incapable d'extraire au rythme dont l'humanité a besoin de ces énergies.

Il y a donc tension, croissance de la demande, offre en réduction.

Un élément de repère : la planète consomme 83 millions de barils de pétrole par jour. La marge de manoeuvre est de 1,2 à 1,5 million. Elle est étroite. Il résulte de cette tension une hausse des prix. Au cours des derniers mois, l'économie de la planète et de nos sociétés a marché au rythme de l'augmentation du prix du pétrole.

Notre sentiment est que nous allons vers un prix du pétrole inimaginable il y a quelques mois. On annonce 150 $ le baril, je vous interroge : est-ce votre sentiment ? A quel horizon ? Et selon quels effets ?

J'ai introduit le débat très brièvement en vous disant que nous souhaitons, Pierre LAFFITTE et moi-même, que cette table ronde ne soit pas simplement un échange protocolaire ; si vous êtes d'accord, dites-le ; sinon, n'hésitez pas apporter vos correctifs. Nous sommes là pour vous écouter.

Nous allons commencer par Mme ALAZARD, Directeur des études économiques de l'Institut français du pétrole

Mme Nathalie ALAZARD - Je vous remercie de votre invitation.

Quand on parle de pic de production, on évoque souvent le moment où, par insuffisance des ressources exploitables, la production ne pourra que décroître.

Le pic de production est une notion étroitement liée à une pénurie en termes des ressources exploitables. Se pose un problème indubitablement à terme si on continue à exploiter le pétrole au rythme actuel. A notre sens, cette difficulté reste de long terme par rapport à d'autres, de plus court terme, qui vont dans le sens aussi d'un plafonnement de la production.

Quels sont ces problèmes ? Ce sont tous ceux liés aux investissements, également tous les problèmes géopolitiques.

Pour les premiers, il existe des ressources. Encore faut-il pouvoir apporter les fonds, les financements, les investissements nécessaires dans des délais acceptables et en quantité suffisante à leur production, à leur transport et à leur transformation. On utilise des produits pétroliers et non du pétrole brut. C'est à garder en tête.

Tel que cela se dessine aujourd'hui, dans le futur une part croissante des décisions d'investissement concernant les hydrocarbures conventionnels sera du ressort des compagnies nationales des grands pays producteurs. C'est un élément nouveau qui ira en s'amplifiant.

Par ailleurs, certaines ressources, parce qu'elles sont plus difficiles à produire et qu'elles nécessitent des transformations différentes, demanderont des investissements plus conséquents.

Je vous ai parlé d'un plafonnement de la production du fait de problèmes géopolitiques. Dans le futur, le décalage déjà observé entre les zones de production et de consommation devrait s'accroître. En conséquence de quoi, les flux interrégionaux de pétrole et de produits pétroliers augmenteront. Ces flux se concentreront sur certains points de passage comme le détroit d'Ormuz par lequel passent 20 % de la demande. Dans quelques années, ce ne sera plus 1/5 e , mais plus d'un tiers de la demande mondiale.

Autre problème géopolitique qui peut générer des tensions : la part croissante des pays émergents. On pense à la Chine. Nous avons suffisamment abordé le sujet ce matin.

La demande qui sera le fait des pays émergents accentuera l'enjeu stratégique qu'est le problème de l'accès aux réserves. Cela va exacerber les tensions politiques plus ou moins déjà présentes. On voit les acteurs se positionner au niveau international et les compagnies chinoises, à titre d'exemple, intervenir de plus en plus fréquemment hors de leur territoire de manière à accéder à des domaines miniers et à assurer leur approvisionnement.

Dans ce contexte, outre le souci de pénurie des ressources pour nous de plus long terme, aller vers une dépendance moins forte au pétrole et aux produits pétroliers, pour le secteur des transports notamment, apparaît nécessaire.

Vous avez parlé de la transition énergétique, l'IFP adhère totalement à cette idée. Aujourd'hui il n'existe pas - je me borne aux aspects et aux solutions technologiques, il y en a d'autres en matière de changement de comportements - de technologie immédiatement accessible permettant une résolution.

Il existe une palette de solutions plus ou moins mûres d'un point de vue scientifique, industriel, etc. Elles apportent plus ou moins de réponses aux problèmes et permettent de tracer une « road map » allant dans le sens d'une moindre dépendance au pétrole et aux produits pétroliers.

A titre d'illustration, on entend beaucoup parler de la biomasse dans le domaine énergétique. On ne peut absolument pas envisager de substituer la totalité du pétrole et des produits pétroliers dans le secteur du transport par des biocarburants aujourd'hui, mais on peut imaginer, moyennant une exploitation raisonnée de la biomasse, substituer une petite part du pétrole et des produits pétroliers par des biocarburants. Si on l'allie à des efforts en matière d'efficacité énergétique sur les moteurs, dans le secteur transport, on voit se dessiner un début de solution.

M. Jean-Marie CHEVALIER - Je partage ma vie entre Dauphine, où je dirige le centre géopolitique de l'énergie et des matières premières, et Cambridge Energy Research Associates (CERA), basé à Cambridge, Massachusetts, compagnie américaine qui a un bureau à Paris.

Le pic pétrolier, oui, mathématiquement il y en aura un, mais nul ne peut prévoir sa forme ni quand il arrivera.

Il y a deux écoles : les pessimistes, en général des géologues, qui disent depuis 10 ans qu'il est pour demain. Ils sont à la fois pessimistes sur les réserves et sur la technologie.

Et de l'autre les optimistes, auxquels le CERA appartient d'emblée. S'agissant des réserves, je me base sur les thèses du CERA. Ce centre est optimiste sur les réserves et la technologie.

Il a été racheté il y a quelques mois par une société, la plus grosse banque de données minières au monde, avec des données sur des milliers de gisements de gaz et de pétrole.

Que disent cette société et le CERA à propos des chiffres des réserves ? Il y a probablement des mensonges, des trucages, des inexactitudes mais cela donne une idée assez exacte des réserves récupérables aujourd'hui.

En revanche, ces données sur les réserves sont biaisées, aussi bien dans les pays de l'OPEP que dans les compagnies internationales, par le fait que les critères d'évaluation sont basés sur des technologies des années 70 à une époque où on forait par 30 m de fond alors que maintenant c'est par 3 000 m. Il y a révision à la hausse des réserves.

Par ailleurs, le CERA est très optimiste sur les technologies du futur, notamment le fait qu'on puisse aller chercher sous 3 000 m d'eau et que soient mises au point des technologies appelées « Digital oil feel of the future », une espèce d'automatisation de l'exploitation des champs dont on attend qu'elle permette une augmentation considérable du taux de récupération des gisements. Le pétrole est comme une éponge, ses taux à l'heure actuelle sont de l'ordre de 35 %.

On pourrait aller à 50 ou 60 %, d'où un gisement énorme.

De plus, les technologies d'aujourd'hui permettent d'aller chercher des gisements là où ils n'ont pas du tout été explorés. Le cas de l'Irak est malheureusement très intéressant. Ce pays a toujours vécu son histoire pétrolière sur deux gros gisements, l'un en zone chiite et l'autre en zone kurde. On n'a pas pris le soin d'explorer la partie ouest de l'Irak qui détient de grandes réserves.

Dans ce pays, par exemple, de grandes découvertes ont été faites avant la guerre avec l'Iran et des gisements n'ont pas été mis en production. Pour le faire, ce qui pourrait augmenter de plusieurs millions de barils/jour la production irakienne, il faut des investissements et du temps. Qui prendra ce risque en Irak aujourd'hui ?

On arrive sur l'idée qu'il y aura un pic un jour, mais quand ? Comment ? Par ailleurs, ce ne sont pas seulement des problèmes géologiques ou technologiques, mais aussi économiques et géopolitiques.

On peut parfaitement imaginer qu'une récession mondiale se produisant dans les prochaines années entraîne un effondrement de la demande et, à ce moment-là, qu'il y ait une espèce de restriction de la demande expliquant le pic émanant de la demande et non de l'offre.

La récession arrivera un jour, mais de nature différente car la Chine sera entraînée par les États-Unis.

On peut aussi imaginer que les contraintes environnementales plus fortes amènent à des baisses de consommation.

Le CERA n'emploie pas le terme de « pic » mais de « ondulating plateau », une espèce d'évolution en tôle ondulée, avec des pics qui redescendront sans pouvoir les modéliser.

Il est intéressant de voir qu'il y a des effets du côté de l'offre et de la demande.

Concernant la première, je rejoins Mme ALAZARD, l'une de nos craintes porte sur les investissements. Vont-ils se réaliser pour développer les ressources en place ? C'est la question-clé.

La prévision du CERA est optimiste jusqu'en 2010, avec une hausse de 15 millions de barils/jour. En revanche, après, c'est plus complexe. J'ai établi à Dauphine une carte représentant les « pays rouges », pays à risques, qui contiennent plus de 80 % des réserves de pétrole et de gaz. Ils s'étalent sur une espèce de bande allant de la Bolivie, du Venezuela, du Mexique, à l'Afrique de l'Ouest et du Nord, à l'Asie centrale, la Russie et l'Indonésie.

Au CERA, on dit « Danger is not below the ground but above the ground » « Le danger est essentiellement géopolitique », les investissements vont-ils se faire ?

Quand on examine attentivement ces pays, on voit que beaucoup sont fermés à l'investissement international. Donc les grandes compagnies qui réalisent beaucoup de profits ont un territoire limité, elles ne peuvent aller au Mexique, en Arabie Saoudite. En Irak c'est difficile, tout comme en Iran.

Un autre aspect me trouble : on a dénoncé les profits des compagnies pétrolières mais personne n'a parlé des profits astronomiques réalisés par les investisseurs financiers sur le pétrole depuis début 2004. On a en matière de commerce pétrolier plusieurs dizaines de fois en valeur le commerce physique qui se traite de façon financière avec des « hedge funds », que j'ai beaucoup rencontrés depuis deux ans et qui achètent des volumes extraordinaires qu'ils revendent trois semaines après et qu'ils rachètent s'ils sont à la hausse. Cela pourrait créer une véritable bulle financière qu'on a beaucoup de mal à analyser.

Vous avez interpellé la théorie économique, Monsieur SAUNIER. Elle est assez pauvre à l'heure actuelle. Quand j'interroge mes camarades macro économistes sur l'effet du prix du pétrole sur la croissance, ils ont beaucoup de mal à me répondre de façon précise. Personne n'est en mesure, pour l'instant, mais j'espère que ce sera possible, d'analyser la relation entre les sphères financière et physique. On gagne beaucoup plus d'argent en se servant du pétrole comme moyen de gagner de l'argent qu'en allant le chercher dans des endroits peu sûrs et en investissant des sommes astronomiques sur de longues durées. Il y a un réel problème, avec une carence d'analyse et une opacité épouvantable parce que l'on n'arrive pas à identifier, à évaluer et à quantifier ces masses d'argent énormes.

Sur l'investissement international, les compagnies sont limitées et les financiers font de la finance. On parle de spéculation. Il ne faut pas oublier que c'est leur métier. Tout est bon pour spéculer. Le pétrole autant que le reste et, en ce moment, le pétrole est très intéressant.

Les compagnies nationales des pays producteurs se mesurent toujours au bras de fer avec leur gouvernement pour investir. Le cas du Venezuela est frappant. Sa compagnie nationale rêvait d'être un major international, d'aller aux États-Unis, en Afrique, en Asie mais Chavez voulait l'argent du pétrole...

Il n'est pas évident que les compagnies nationales investissent les montants nécessaires au développement des ressources.

Mon sentiment est que la fin du pétrole n'est pas pour demain. Le pic pétrolier arrivera un jour, mais sous forme de plateau ondulé. Il faut donc s'y préparer et même si la fin du pétrole n'est pas imminente, il faut préparer l'après-pétrole.

A cela plusieurs éléments. J'ai une dent contre la classe politique française à l'heure actuelle car elle ne dit pas aux consommateurs la vérité sur les prix. Ceux de l'électricité sont bloqués, la fusion de Gaz de France/Suez fait lever les bras au ciel : on a tellement peur que les prix du gaz augmentent, ce qui serait dramatique du point de vue électoral pour la gauche comme pour la droite.

Il faut dire aux Français que l'on a changé de paysage, que l'on est dans un nouveau monde dans lequel les prix de l'énergie en général ont beaucoup de chances d'être plus élevés. Il faut s'y préparer et pour cela les deux grandes leçons de politique économique et énergétique sont :

- la diversité : aucune énergie n'est parfaite, ni le nucléaire, ni la biomasse,

- l'efficacité énergétique, message qui aurait dû venir avant : nous pouvons avoir le même mode de vie en consommant deux fois moins d'énergie, et on ne le dit pas. Je pense que la classe politique a une très grande responsabilité.

Je terminerai en citant un poète que j'aime bien qui écrivait, il y a 20 siècles : « Encore un peu de patience et tout finira mal »... !

M. Claude SAUNIER - Comme la responsabilité des politiques est engagée, je vous rappelle que nous sommes théoriquement là pour éviter d'aller dans le mur. Je prolonge votre propos et votre mise en cause des politiques, vous avez dit avoir une dent contre eux, gauche comme droite, sauf pour nous deux parce qu'en allant à contre-courant dans nos propositions, nous reprenons votre analyse en disant qu'il faudra bien apprendre aux Français à vivre avec une énergie plus chère. La classe politique, quant à elle, est très préoccupée par les effets électoraux de telle ou telle annonce. Nous lui disons qu'il faut annoncer aux Français que, pour manager la transition énergétique, de l'argent doit être prévu. Comme il est absent des caisses de l'État, il ne faut pas exclure, voire envisager, la hausse progressive de la TIPP. Ce n'est pas facile à expliquer, et à condition aussi de passer le message : si on prend de l'argent, c'est pour le réinjecter dans l'élaboration d'un modèle énergétique alternatif.

Nous prenons nos responsabilités, nous n'en sommes pas certains mais cela dépendra des concitoyens, des électeurs et de la presse pour relayer notre discours.

Monsieur WEYMULLER, Directeur général de la Stratégie et Evaluation des risques chez Total.

M. Bruno WEYMULLER - Merci, Monsieur le Président.

Bien évidemment, je partage beaucoup des observations formulées et je vais tenter de les compléter en apportant le point de vue industriel d'un opérateur pétrolier international.

Pour cela je voudrais faire quatre remarques.

La première concerne la problématique de l'offre pour sensibiliser à l'importance des défis que rencontre l'industrie pétrolière mondiale actuellement afin d'assurer l'offre à moyen terme.

La méthodologie que nous utilisons dans cet horizon de temps n'est pas celle d'un stockage, d'un bac de réserves disponibles ni même celle du pic pétrolier plus riche parce qu'intemporelle, mais met l'accent sur la dynamique entre une courbe d'offre et de demande.

C'est une autre méthodologie de développement de capacité de production. Il ne faut pas une vision trop géologique dans l'horizon des dix prochaines années. Il ne suffit pas d'avoir des réserves trouvées par les géologues mais de les mettre sur le marché, de les produire et cela nécessite du temps et des ressources.

Notre schématisation est très simple : à partir de la production actuelle, nous avons une courbe décroissante des productions à partir des champs existants. Un chiffre réaliste est une décroissance de 5 % par an. La courbe de la demande latente, potentielle, de pétrole augmente de 1,8 % par an. Ces deux courbes s'écartent au fur et à mesure. Si on prend un horizon de 10 ans, assez proche, en 2015 l'écart entre ces deux courbes représente 50 millions de barils/jour.

Le sénateur SAUNIER rappelait la production de 83 millions de barils/jour. A horizon de 10 ans, ce sont 60 % de la production existante qu'il faut mettre sur le marché et pouvoir développer. C'est notre défi formidable à court terme qui n'est pas si facile à relever.

Je ne reviens pas sur tous les enjeux. Pour éclairer, la profession pétrolière rencontre des difficultés pour réaliser des projets complexes. Ils nécessitent des associations avec nombre de partenaires et sont donc difficiles à gérer. Il existe une surchauffe dans les professions et les services pétroliers. Nous avons des augmentations faramineuses des rythmes de forage et de leurs coûts. Un ensemble de soucis ne rend pas évidente l'apparition de capacités disponibles au niveau mondial.

Autre aspect, quand je disais 5 % de déclin par an, cela suppose beaucoup de travail. Spontanément le taux ne serait pas loin des 10 %.

Il faut maintenir et améliorer les taux de récupération, assurer des travaux de maintenance et disposer de personnel qualifié et sur tous ces enjeux, des clignotants s'allument. C'est l'aspect industriel.

Il y a aussi l'aspect politique, l'essor des nationalismes qui revêt plusieurs formes. La première est assez douce : un certain attentisme. Contrairement à la théorie politique, quand les prix du pétrole augmentent, l'offre ne croît pas. Les pays détenteurs de réserves qui ont un pouvoir sur leurs sociétés nationales sont plutôt incités, quand le prix est élevé et paie aisément les finances publiques, à retarder le lancement de nouveaux projets et hésitent à s'engager dans des partenariats avec des compagnies internationales pas bien vues par leur opposition anti-occidentale.

Il y a des mesures plus nationalistes en Russie, au Moyen-Orient, voire des pulsions, des tentations plus bolivariennes ou révolutionnaires en Amérique Latine.

Par conséquent, le paysage est relativement préoccupant sur le moyen terme, indépendamment du pic pétrolier et sans parler des réserves ultimes.

Je rappelle, parmi les compagnies pétrolières internationales souvent citées, que les sept principales ne représentent que 16 % de la production internationale. Elles ne sont donc pas dominantes sur le marché et beaucoup moins concernant les réserves.

L'autre point que je voulais signaler est l'aspect demande, très important sur la forme du pic. On prévoit une hausse de la demande de 1,8 %. Il y a un impératif urgent à réduire la croissance de la consommation pétrolière à 1%, voire moins. Le pic serait déplacé dans le temps d'une ou plusieurs décennies.

Cela veut dire qu'il faut réserver le pétrole aux usages dans lesquels il est non substituable et dominant aujourd'hui, c'est-à-dire les carburants, et essayer d'éviter son usage pour tous les cas (chauffage, pétrochimie pour lesquels on peut recourir à d'autres sources.). De façon plus générale, il faut économiser l'énergie, cela a été dit et c'est un point fondamental. En tant que compagnie pétrolière, on est sur cette ligne.

Je ne citerai que le troisième point parmi les différentes réponses pour satisfaire aux besoins énergétiques futurs. M. CHEVALIER a justement souligné qu'il faut faire feu de tout bois et avoir un bouquet de réponses. Dans les enjeux, la mise en place de filières technologiques produisant des carburants pour le futur est une composante importante. Cela touche plusieurs sujets comme le raffinage traditionnel. Il faut, de plus, investir pour assurer ces productions de carburants.

Je détaillerai en fonction des différentes zones internationales mais il faut produire des carburants à partir d'autres sources que pétrolières. En ce sens, la biomasse est une possibilité intéressante. Mais c'est encore une démarche nécessitant des progrès techniques. Vraisemblablement, celle de première génération à partir de ressources nobles n'est peut-être pas la solution à long terme techniquement, en termes d'efficacité technique ou de concurrence avec les surfaces agricoles mais il y a des perspectives de deuxième génération plus importantes. De façon plus générale, à partir des techniques initiées par les Allemands, les techniques de gazéification permettent d'autres sources (le charbon, le gaz).

Bien évidemment, le dernier point important est la contrainte climatique, prise de plus en plus au sérieux par nos sociétés. Pour des compagnies pétrolières productrices de H et de C, c'est clairement un enjeu majeur. Nous en sommes conscients chez Total.

Il faut réduire les émissions à l'origine : moins de torchage en amont, avoir des schémas de raffinage minimisant le CO 2 , éviter les hydrotraitements parce que l'hydrogène à produire est très émissif, avoir des procédés de captage en sachant qu'il y a de grands enjeux technologiques parce que la concentration en CO 2 est très importante. C'est un paramètre clé pour le coût de capture sur les fours et les centrales thermiques. Ce sont des points primordiaux.

La séquestration ne pose pas de problème technique. On sait injecter le CO 2 depuis longtemps. Lequel n'est pas un polluant (on en met dans le Perrier ou le Coca-Cola). La difficulté est de faire en sorte que ce gaz ne reparte pas dans l'atmosphère, rendant illusoire la technique de stockage. Tout cela correspond à des enjeux importants auxquels une compagnie pétrolière s'attelle.

Le projet pilote de Lacq est une illustration de ce dernier point. C'est un site industriel dont nous sommes propriétaires à 100 %. Nous pouvons faire une installation.

La technique de capture est l'oxyconduction. Pour réduire et améliorer la concentration, on utilisera de l'oxygène pur. On évite l'azote, ce sera plus facile à capturer. La séquestration ne pose aucun problème d'injection. On essaie de montrer que cela reste. Il faut trouver une petite partie du gisement autonome et fermée pour bien prouver la durée de la capture.

M. Claude SAUNIER - Nous posons la question à M. WINGERT : y a-t-il une vie après le pétrole ?

M. Jean-Luc WINGERT - Oui, bien sûr. C'est un petit rappel du titre de mon livre « La vie après le pétrole ».

Je suis ingénieur conseil spécialisé dans les questions énergétiques.

Très rapidement, il a été dit tout à l'heure par M. LAFFITTE que c'était le début d'un changement de société. C'est ainsi qu'il faut considérer le pic de production de pétrole, évènement majeur qui s'ajoute au problème du réchauffement climatique, donc double difficulté.

Il est important de voir que cela va bouleverser certaines de nos représentations. On a tendance à ne pas savoir, dans le grand public, comment le pétrole disparaîtra.

On dit parfois qu'il reste 40 ans de pétrole. C'est une vision erronée, voire trompeuse. C'est une manière de représenter une quantité.

Il pourrait être trompeur de penser que pendant 40 ans la production sera constante et qu'à la 41 e année se produira une catastrophe. Cet évènement serait impossible à gérer pour nos sociétés.

Toutefois, la nature est bien faite et ne nous forcera pas à faire un tel saut. Il y aura disparition progressive du pétrole. C'est le phénomène du pic de production schématisé. Une première moitié du pétrole est relativement simple à extraire avec des gisements importants et faciles d'accès qui permettent d'atteindre un haut niveau d'exploitation.

M. WEYMULLER l'a bien rappelé, en permanence il y a renouvellement des gisements en exploitation. Arrive un moment où on ne suit plus le rythme : on est obligé de remplacer les gros gisements faciles d'accès par des petits, plus difficiles d'accès et plus nombreux.

C'est éventuellement difficile à admettre par certains économistes mais se pose un problème de capacité technique qui ne permet plus de suivre le rythme.

On arrive dans un phénomène de dépression progressif. La dernière goutte de pétrole est prévue pour 2150 mais le problème est celui du pic, situé en 2015. Les horizons sont plus ou moins proches suivant les points de vue.

Ce pic est une réalité. Vous sont ici présentées la production du Royaume-Uni qui a connu un pic en 1999, et celle la Norvège qui l'a connu en 2001. La production européenne est en déclin et le gaz suivra. C'est déjà le cas pour le Royaume-Uni.

Selon l'estimation qui me semble la plus réaliste, on arrive à un pic en 2015, à plus ou moins cinq ans. Il y a beaucoup d'incertitudes. L'Agence internationale de l'énergie est très optimiste, on pourrait atteindre des niveaux très élevés de production en 2030. Il n'y a plus beaucoup d'industriels sérieux qui pensent que seront dépassés les 100 millions de barils/jour. La compagnie Total annonçait, par le biais de son Président, un pic éventuel en 2020 ; l'IFP voit un possible plateau en 2030, en dessous de 100 millions de barils/jour.

On est dans des visions compatibles. Peu importe que ce soit 2015 ou 2025, cela reste très proche à l'échelle de nos sociétés. C'est ce qu'il faut comprendre. Ce sommet se présentera plutôt sous la forme d'un plateau ondulé.

En résumé, une contrainte sur l'offre de pétrole avec un plateau en 2015, sur celle du gaz naturel environ en 2030, d'où une forte pression sur les énergies disponibles. Il faudra réduire la demande en augmentant notre efficacité énergétique.

Sur l'offre, il n'y a plus grand-chose à attendre dans les années à venir. Il faut néanmoins développer l'offre d'énergies alternatives, il reste le renouvelable et le nucléaire, et prévenir un choc social. Je ne fais pas un étalage des solutions techniques, elles sont connues. Il faudra investir dans la période de transition, car les ménages les plus défavorisés seront étranglés par la hausse des prix du carburant.

Je rappelle aussi que le dérèglement climatique, et l'effet de serre notamment, sont induits par l'utilisation massive d'énergies fossiles. Le problème de ce dérèglement s'articule différemment. Il concerne le charbon et la déforestation.

Je parle de révolution énergétique, on peut parler de crise si c'est mal géré. Ce sera majeur. On peut s'interroger sur l'avenir de la mondialisation et sa possibilité d'extension puisque la logistique de la mondialisation, c'est le pétrole.

C'est bien l'énergie, le problème sur lequel s'attaquer en priorité. La transition sera un chantier immense qu'il faudra encourager, organiser et financer, d'où l'idée de proposer un véritable plan Marshall de la transition énergétique financé par une taxe que j'appelle : « la taxe de solidarité concertée sur l'énergie et le climat ». Il faut un signal clair à envoyer à nos citoyens. La problématique sera décentralisée et il faut une solution simple et pragmatique pour être adoptée idéalement au niveau européen et plus si possible.

Son fonctionnement, pour montrer qu'il y a d'autres idées que celles du quota d'émissions, consisterait à taxer la consommation d'énergie toutes formes, plus les énergies fossiles qui posent un problème climatique. Les industriels vertueux se verraient proposer un guichet pour qu'ils se manifestent dès qu'ils accomplissent un progrès en matière de diminution des émissions de CO 2 ou de gaz à effet de serre, indépendant des baisses de consommation d'énergie.

Il suffira de vérifier leurs arguments et non de prévoir une solution globale en partant du principe que tout le monde adaptera des solutions de captation de CO 2 pas opérationnelles à ce jour, et organiser la concertation avec les associations de défense de l'environnement qui, de toute façon, exercent une veille gratuitement. Nous avons besoin de souplesse dans notre système. Ils sont très alertes sur les problèmes d'environnement, autant les écouter, recueillir leurs arguments et vérifier par les services techniques de l'État leur bien-fondé et les laisser arbitrer entre les différents niveaux de taxation.

On peut imaginer que les énergies fossiles seront plus taxées et celles nucléaires aussi, mais il faut dégager des revenus, ce que ne permet pas le système de quotas de CO 2 .

Il faut financer la transition. Les fonds collectés sont un choix politique. Il est bien que ces derniers se saisissent de ce dossier. On est relativement d'accord sur les solutions : recherche sur l'efficacité énergétique, isolation du bâti, véhicules plus économes, reclassement des professions sinistrées (les chauffeurs routiers qui ne manqueront pas de manifester), aide au développement national, organisation d'une solidarité Nord/Sud.

Mon message est de se recentrer sur la problématique énergétique et d'espérer que cela règle celle climatique, plus simple à traiter par le biais énergétique.

M. Alain GRANDJEAN - Bonjour et merci de m'accueillir.

J'ai rédigé avec Jean-Marc JANCOVICI un livre : « Le plein s'il vous plaît », qui plaide en faveur de la mise en place d'une taxe. On est proche de ce que vient de dire Jean-Luc WINGERT.

Je travaille dans les milieux financiers. Je suis conseil auprès des directions d'entreprise.

Le maximum de production, puisqu'il y a débat, est-ce un pic ou un plateau ? C'est un maximum. C'est une évidence mathématique. Cela obéit à un théorème, celui des « intégrales bornées », toute courbe de production dont l'intégrale est constante passe forcément par un maximum. Il n'y a pas de débat sur le sujet, seulement sur le moment.

Il faut avoir en tête les ordres de grandeur concernant ce moment, dû au fait qu'on est sur des courbes exponentielles. M. WEYMULLER l'a rappelé : 1,8 % est différent de 1 %.

Un chiffre pour illustrer : le champ de Ghawar, en Arabie Saoudite, représentait 90 milliards de barils en 1950, soit 25 ans de la production mondiale de pétrole, aujourd'hui il s'agit de 3.

Dans les 50 dernières années, on a multiplié par 8 notre consommation de pétrole alors que notre taux de croissance est de 4 à 5 %.

Des taux de croissance, qui peuvent paraître peu élevés deviennent monstrueux dès qu'on se projette sur des décennies. 2 %, à l'horizon de 100 ans, est un facteur 7.

Ce qui est vrai pour le pétrole l'est aussi pour le gaz et même pour le charbon. Le phénomène mathématique est identique.

On dit que ce dernier ne pose aucun souci en dehors du petit détail de changement climatique. « Si on a 300 ans de charbon devant nous, cela va. Ce ne sont même pas nos petits-enfants qui sont concernés. » Aujourd'hui, 300 ans de charbon représentent 300 fois la consommation d'une année de charbon. Si on augmente à 2 % cette consommation, les 300 ans ne durent que 100 ans.

Il faut faire attention aux exponentiels, les phénomènes s'accélèrent, la problématique du moment du pic de production n'est pas la même selon que l'on est sur des courbes à 2, 3 ou 4 %. On peut vite constater qu'en 2020 la pression sera très forte si on reste sur des courbes exponentielles de consommation d'énergie, ce qui est le cas aujourd'hui.

Je parie sur le fait que ce sera compliqué. Dans les années 2015-2020, les chocs des prix seront forts. Les mathématiques ne se discutent pas. L'économie et la géopolitique sont compliquées. M. CHEVALIER a bien raison de dire qu'on n'a pas de modélisation des conséquences économiques parce que trop complexe.

En revanche, il est certain que se reproduira ce qui s'est passé dans les années 70. On oublie souvent que c'est au cours de ces années, et celles postérieures au pic de production du pétrole américain, que les pays producteurs de l'OPEP notamment ont pris conscience de leur pouvoir de négociation. Ce qui se passe actuellement, sauf que le pic est mondial.

Il me paraît évident que ce qui se produira sera du même ordre de grandeur. Même si les tensions sur le prix sont très marginales. Le prix du baril est encore largement inférieur à 1979. On raisonne en dollars constants 2004.

Une incidente : le pétrole est resté à 20 $ le baril, en dollars 2004, de 1880 à 1970, il était gratuit. En 1979, il est monté à 80 $ valeur 2004. Aujourd'hui il est encore bas, il augmentera fortement et forcément. C'est mathématique et économique.

On souffrira beaucoup. Notre système n'est quand même pas conçu pour un baril plus cher. Cette augmentation va tomber au mauvais moment dès lors que les effets du changement climatique commenceront à être sensibles. On aura vraiment envie de se climatiser l'été, il y aura plus de pluie l'hiver. C'est ennuyeux. La population aura vieilli. Je suis prêt à parier que la moyenne de consommation d'énergie dépend du cycle de vie. Enfin, les finances publiques, à cette époque, auront souffert. Vous avez entendu évoquées les questions d'assurance. Tout sera dans le rouge.

Tout le monde est convaincu qu'il faut baisser très fortement notre consommation d'énergie en commençant par celle d'origine fossile, qu'il n'y a pas de solution magique en matière de technologie. C'est pourquoi nous disons qu'il n'y a d'autre choix que d'augmenter, via un mécanisme de taxe, le prix des énergies. Cela a beaucoup d'avantages, je vais expliquer comment.

On peut déclarer qu'il faut que chacun d'entre nous baisse sa consommation d'énergie, cela n'a aucun effet. C'est aussi simple. Le litre de pétrole coûte de moins en moins cher, rapporté au SMIC depuis des années.

Quand on fait des économies d'énergie sur notre réfrigérateur, on achète un four à micro-ondes ou un congélateur. Quand on achète une voiture qui consomme moins d'énergie on en achète une deuxième. Dans notre budget énergie, les données sont malheureusement intraitables, la consommation augmente. Le seul driver, c'est le prix.

Du côté climat, la problématique est assez simple : les quotas de CO 2 mis en place au niveau européen ne concernent que les gros émetteurs. En France, ils représentent 30 % des émissions de gaz à effet de serre, d'où un angle mort énorme et diffus. Il s'agit de l'habitat, des transports et de l'agriculture. Quand on mange du beefsteak, on envoie du méthane dans l'atmosphère. Il faut couvrir cet angle mort par des outils économiques. Les économistes de l'environnement n'ont eu que trois idées pour internaliser des effets externes, la taxe, les quotas et les règlements.

Les quotas d'émission de CO 2 pour chacun d'entre nous, en France 62 millions et 200 millions et plus d'européens, me paraissent difficiles et irréalistes. Soyons clairs.

Les règlements sont ce vers quoi nous irons, règlement, rationnement, pouvoirs politiques extrêmement forts sans action avant. Ma fille est en Italie, le gaz est rationné. Il est évident que si on ne fait rien, cela se terminera par le troisième outil ou par plus désagréable comme des guerres ou une ambiance sociale dévastatrice.

La taxe pour le diffus est un très bon instrument relatif au climat. La taxe a deux avantages, un côté pétrole et l'autre climat. Comment faire ? Ne pas créer un choc économique. Il faut être certain de réussir et annoncer une progressivité, un signal de moyen et long terme de manière à ce que tous les acteurs économiques intègrent le fait qu'il est certain que le prix de la ressource augmentera et le coût du CO 2 aussi.

Même s'il est évident, au plan économique, que les prix du pétrole et du gaz augmenteront dans les années qui viennent, on n'est pas à l'abri de baisses de ce même prix sur la période. Je n'ai jamais vu aucun économiste ni aucune projection d'économiste fiable en matière de prix.

Les acteurs économiques, dans leurs programmes d'investissements et leur manière de raisonner, savent qu'il est certain que le prix augmentera. Il faut un signal permanent de moyen et long termes, progressif et permettant aux acteurs économiques d'intégrer ces données dans leur calcul.

M. Claude SAUNIER - Deuxième constat après la première table ronde qui a établi une convergence avec l'approche de Pierre LAFFITTE et la mienne. Là encore il y a convergence sur le diagnostic et - cela a été exprimé par les uns et les autres - sur la nécessité de prendre des mesures politiquement probablement courageuses et difficiles à prendre, réclamant un grand effort de pédagogie. On ne fait rien contre une société dans un régime démocratique. Cela nous condamne à expliquer et à montrer la raison, le choix à long terme, y compris pour les personnes les plus à risque et dont les revenus sont les plus modestes. Il faut aller dans cette direction.

Mme Dominique DRON - Trois questions : que pourrait-il en être de la sensibilité des plates-formes off-shore aux aléas climatiques ?

Lorsque l'accès aux ressources devient difficile, on essaie de faire des contrats long terme. Il en existe de nombreux sur le pétrole et le gaz. A quoi ressemblent les contrats sur l'uranium ?

Quand on parle de montée des prix, on parle bien sûr de répartition de la recette que cela représente. Quid de la régulation des opérateurs dans un cadre de hausse forte du prix de l'énergie ?

M. Bruno WEYMULLER - S'agissant des plates-formes, deux indications : en Norvège et en mer du Nord, le niveau de la vague centenaire a été changé. C'est lié au problème climatique et cela représente 1,5 Mds$ d'investissements pour réévaluer certaines plates-formes.

Les problèmes d'ouragan dans la zone Louisiane-Texas ont conduit à des surcoûts importants les années précédentes. Cela risque de rester. Il est difficile de donner un chiffre précis mais cela commence à être une préoccupation économique très ressentie.

M. Claude SAUNIER - S'agissant de l'off-shore, je suis allé à Houston, il y a quelques mois, trois semaines après le deuxième ouragan. La capitale mondiale du pétrole était très préoccupée. Elle ne voyait pas à quel moment ni selon quel rythme remettre en état la totalité des installations.

Un ouragan qui dure quelques heures a des effets déstructurants sur un marché tendu ; cela portait sur 10 ou 15 % de la production américaine. Cela a duré des mois parce que l'on ne remet pas les plates-formes en état en quelques jours, d'où des effets majeurs sur les prix du pétrole. Ce n'est pas secondaire.

Concernant l'uranium, nous n'avons pas parmi nous de spécialiste.

M. Jean-Marie CHEVALIER - Concernant les prix, le pétrole paradoxalement est bon marché. Il coûte 7 $ le baril à extraire et génère une richesse extravagante. Le surplus pétrolier est le gâteau, c'est l'équivalent du PIB de la France chaque année, que se partagent les pays consommateurs, qui prennent la grosse part sous forme de taxes, les pays producteurs et tous les intermédiaires, notamment les financiers.

Se posent plusieurs problèmes : l'ajustement entre le coût et le prix. Le marché n'est pas de concurrence parfaite puisque le coût est à 7 $, en marginal à 15 ou 18 $ et un prix à 70 $.

Le consommateur final n'est pas non plus en concurrence parfaite. Les taxes relèvent bien le pouvoir captif des marchés pétroliers.

La dynamique de ce surplus est très compliquée. Par rapport à ce qui a été dit sur le pic, sa courbe et son occurrence dépendront des prix, qui eux-mêmes dépendent d'une espèce d'ajustement entre l'offre et la demande, d'un manque d'investissement ou d'équilibre des marchés. On aura un ajustement, ce que l'on appelle « l'incertitude dynamique du futur », qui se fera par les prix. A la fois, on risque des prix plus élevés mais on n'est pas à l'abri de les voir baisser.

Je vois simplement dans ce mécanisme d'ajustement que les plus pauvres « trinquent ». Je pense toujours à la personne payée au SMIC qui prend sa voiture tous les matins pour aller travailler. Le budget est très lourd.

Je pense aussi aux pays les plus pauvres du monde qui ne peuvent acheter de fuel pour faire tourner les centrales thermiques qui produisent de l'électricité.

La variable d'ajustement par le prix sera douloureuse et accentuera les inégalités. C'est dramatique. Quand vous parliez de taxes et de plan Marshall l'idée est intéressante, mais il ne faut pas oublier que l'un des enjeux de notre siècle est qu'entre 1,5 et 2 milliards de personnes n'ont pas accès à l'énergie moderne, l'électricité notamment, donc au développement économique.

Il ne faut pas focaliser sur l'énergie, mais un des défis du siècle est de sortir de la pauvreté la grande partie de l'humanité qui y est encore. Cela ne simplifie pas la tâche.

M. Claude BAIOTTI - Je travaille pour le Journal « Auto-Moto ». Vous parliez de personnes touchées dans leur mobilité si le prix de l'essence augmente de façon importante. Sous la pression de cette perte de mobilité, n'est-il pas utopique de penser à une élévation de prix du pétrole ? L'État ne va-t-il pas baisser la TIPP sous la pression sociale ?

M. Claude SAUNIER - Nous proposons le contraire.

M. Claude BAIOTTI - Cela se posera-t-il ainsi si on touche à la mobilité ?

M. Claude SAUNIER - Avec la difficulté de l'acceptabilité par la société, et je le dis clairement, notre point de vue n'est pas de réduire la mobilité. Il faut faire preuve d'imagination. Il est évident que dans une société moderne, la mobilité est une des composantes majeures de la liberté individuelle. On ne va pas revenir dessus, mais il faut faire preuve d'imagination. Il y a peut-être d'autres façons d'accepter de développer la mobilité pour chacun et chacune d'entre nous.

Nous préconisons des expériences : une levée de ressources financières nouvelles mais, pour financer des expériences, des types de déplacement alternatifs. Donc imagination...

M. Pierre LAFFITTE - Il faut se préparer aux modifications inéluctables concernant le prix de l'énergie, et par conséquent la diminution de l'énergie liée au transport.

M. Claude SAUNIER - Le problème que vous soulignez nous amène à dire que c'est maintenant qu'il faut l'annoncer et y aller progressivement car, sauf à entrer dans un schéma politique de caractère dictatorial, ce que l'on a du mal à imaginer, si on veut que la société accepte, il faut que ce soit fait progressivement.

M. Alain GRANDJEAN - La tentation actuelle sur la baisse de la TIPP, qui est la même que sur le gaz, c'est l'anesthésie. Je pense que plus dure sera la chute. Plus on a un discours démagogique sur le sujet, plus les pots cassés seront coûteux.

Concernant les plus modestes de notre pays c'est encore plus évident, moins on déploie d'efforts aujourd'hui, plus ils en souffriront plus tard.

Concernant la mobilité à moyen et long termes, nous ne déciderons pas, mais la nature. Il est absolument impossible, à la fois en termes de risques climatiques et de ressources pétrolières, de faire croître notre mobilité de manière aussi élevée. Je pense qu'elle diminuera.

Des nombreuses solutions technologiques existent pour contribuer à cette diminution.

M. Claude SAUNIER - Y compris ce qui concerne les déplacements imposés, obliger les personnes en fonction de critères de revenus, à vivre à 30 ou 40 kilomètres du lieu de travail est anormal socialement et aberrant au point de vue énergétique.

Nous préconisons d'autres règles d'urbanisme moins dévoreuses d'espaces et plaidons pour une redensification urbaine.

Cela dit, vous voyez que ce type de politique n'aura pas d'effet en six mois.

M. ELGHOZI - Je veux réagir à plusieurs niveaux. Parmi les propositions évoquées, il y a un impact à deux niveaux, national et mondial. Les actions au niveau national sont positives mais seront un coup d'épée dans l'eau sans une action concertée mondialement et au moins au niveau européen. Je pense notamment aux comportements et à la consommation des énergies fossiles.

Les constructeurs automobiles se livrent une guerre au niveau de la puissance. Je pense aux 4x4, aux coupés sport. L'évolution ne va pas de 20 à 50 CV mais plutôt de 50 à 500. Parallèlement, les consommations de carburant évoluent très fortement. Il est évident que si des actions sont engagées au niveau national pour réduire ces consommations et ces puissances, ce ne serait absolument pas éthique ni juste pour nos constructeurs par rapport aux autres constructeurs mondiaux. Il serait intéressant de prendre des décisions, au moins à l'échelle européenne, pour permettre de développer les véhicules hybrides, non que la solution soit idéale, mais à court et moyen termes elle permettrait de réduire sensiblement les consommations, et surtout d'arrêter cette course à la puissance.

Un constructeur national a sorti un véhicule dont la puissance n'est pas élevée et à un tarif accessible. Finalement, cette politique ne constitue-t-elle pas une voie, une première marche même si ce même constructeur est engagé en Formule 1 ?

Cela montre bien que la maîtrise de la technologie permet aussi de maîtriser les comportements. Pour en revenir à ceux-ci, si notre gouvernement et les précédents ont eu des idées intéressantes (Bison futé, la chasse aux gaspis), je rejoins l'avis de M. GRANDJEAN qui précise que le comportement individuel n'est pas suffisant pour réagir.

La technologie est plus puissante, elle permet de réguler des milliers de paramètres. Chaque fois que l'on prend son véhicule, on ne s'en rend pas compte mais les injections et carburations sont 50, 100, 300 paramètres gérés simultanément pour permettre une optimisation du rendement. Ce sont des décisions politiques fortes, concertées et pas seulement locales.

A propos des taxes, je reste perplexe dans le sens où la plupart de celles-ci ont été décidées à divers moments de nos républiques, avec toujours des raisons pertinentes sans pour autant toujours impacter la population.

M. Claude SAUNIER - Intégrer la dimension européenne, voire mondiale, est incontournable. Le problème du climat, de la transition énergétique est planétaire.

On ne peut avoir d'un côté des enjeux planétaires et, de l'autre, un système économique mondial de commerce international qui ignore ces réalités. Il faudra parvenir à introduire dans les règles de l'OMC la composante climatique énergétique.

C'est une de nos propositions.

M. Pierre LAFFITTE - Cela fait partie de nos préoccupations. Une de nos propositions, la taxe sous forme de vignettes carbone, peut être modulée. Justement, cela peut s'inscrire aussi dans la longue durée et nous pensons que c'est une façon très puissante de faire en sorte que les industries, française et européenne, puissent reprendre, dans le domaine de la mobilité, une avance qu'elles avaient il y a 50 ans et qu'elles ont perdue au profit de TOYOTA avec sa PRIUS.

Il y a une volonté de stratégie pour laquelle nous pensons que la véritable solution est le véhicule électrique. Lequel est d'ores et déjà techniquement possible.

Si une taxe augmente au cours du temps et permet de financer plus rapidement les recherches sur les batteries, par exemple, encore nécessaires, nous aurons une stratégie qui placera la France et l'Europe dans un peloton de tête ; ainsi l'ensemble du monde sera amené à suivre. Cela sera économiquement indispensable si on ne veut pas disparaître de l'industrie.

En conséquence, nous avons au départ un système qui nous conduit à demander cette révision de l'OMC. Par la suite, les forces du marché et de la technologie acquises permettront de créer beaucoup plus d'emplois en Europe ou plus d'options.

M. Ghislain de MARSILY - Vous avez parlé de l'aspect mondialisation de votre rapport et de la densification de l'habitat, solution éventuelle dans d'autres pays pour lutter contre la consommation inhérente aux déplacements.

Au niveau mondial, le problème est inéluctable. Dans le tiers-monde et dans les pays en voie de développement, des villes dépasseront 10 millions d'habitants. Vous avez dit que ces grandes mégalopoles sont en fait beaucoup plus consommatrices d'énergie que ne l'était l'habitat dispersé autrefois.

Je ne pense pas que ce langage puisse s'appliquer dans ces pays. Pourquoi cette densification ? Les gens ont de meilleures conditions de vie en venant en ville qu'à la campagne. Pourquoi ? Le revenu des paysans est inférieur et insuffisant pour leur permettre de subsister.

On revient sur le problème du commerce international, donc le prix des denrées alimentaires, de l'exportation et de l'importation dans les pays en voie de développement qui contrecarrent la possibilité de produire localement.

M. Claude SAUNIER - Les campagnes africaines ne sont pas les mêmes que celles des grandes banlieues européennes. Ce que nous y cherchons, ce sont des campagnes-jardins. Les campagnes africaines sont des lieux de production et de survie, de vie précaire. Les fondamentaux sont différents.

M. Pierre ZALESKI , de l'université Paris-Dauphine. J'ai l'impression que l'on utilise de plus en plus de charbon. En Chine, en Inde et même en Allemagne, on l'utilise beaucoup. Tous les problèmes climatiques sont liés à l'émission du CO 2 .

Ne pensez-vous pas que le problème essentiel n'est pas le permis de polluer mais d'essayer de capturer le CO 2 ? C'est plus facile pour le charbon mais cela a un coût. Qui doit le payer ?

Pour le moment, s'agissant du permis, le système est le suivant : vous avez pollué et devez diminuer de tant %. Ce système est plus ou moins éthique et juste. Les pays en voie de développement disent : « Nous polluons très peu par habitant, pourquoi payer ? » Si on ne règle pas ce problème, toutes ces histoires de taxe au niveau européen et même peut-être aux États-Unis, hostiles, ne résoudront pas la difficulté. Il faut attaquer de front et savoir qui va payer le supplément lié à l'émission du CO 2 , notamment du charbon, peut-être de façon générale.

M. Claude SAUNIER - Vous avez raison. Cela renvoie à la problématique de Kyoto I et II. Probablement que cela avait des vertus pédagogiques à certains moments et que cela a permis de populariser la question de l'énergie et du dérèglement climatique. On en voit bien les limites aujourd'hui, y compris au travers de mésaventures boursières d'une grande entreprise française.

M. Bruno WEYMULLER - Pour répondre à l'intervention, je voudrais donner notre sentiment car nos activités sont internationales. Nous sommes à la fois dans des zones de l'annexe 1 et de pays ayant ratifié, des zones Kyoto ou pas pour la production en Afrique ou même en Australie ou aux États-Unis.

Le message est peut-être consensuel, je crois qu'il y a eu intérêt à l'exemple donné par l'Union européenne. Cela nous a forcés à mesurer nos émissions. C'est le début de l'action mais il est clair que l'on voit aujourd'hui les limites du processus européen. Il est très parcellaire. Au niveau mondial, le problème couvre une petite zone de moins en moins importante à terme, c'est sa propre limite. Il est relativement bureaucratique.

On a beau parler de « ISO marché », on voit dans les modalités d'application qu'on a à peine cinq mois d'allocations, ce qui est absolument aberrant du point de vue de la politique de concurrence, donc beaucoup de limites à ce processus. Cela amène à s'intéresser à l'esprit américain sur la technologie. Encore une fois, le sens de mon intervention est qu'il y a tout de même des intérêts dans les deux approches. On ne peut les opposer totalement mais les aspects économiques et techniques sont importants, notamment pour le charbon qui sera clairement une solution au niveau mondial du bouclage énergétique puisque l'Inde, la Chine et les USA ont des réserves considérables.

M. Claude SAUNIER - Je vous propose d'en rester là. Nous nous retrouvons après le déjeuner pour deux nouvelles tables rondes.

Madame et Messieurs, merci de votre participation.

La séance est levée à 12 h 37.

CHANGEMENT CLIMATIQUE
ET TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

COLLOQUE DU 29 JUIN 2006