CHAPITRE 3 : REFONDER LA SURVEILLANCE FINANCIÈRE POUR UNE SURVEILLANCE FINANCIÈRE RÉALISTE EN EUROPE

Dans l'Union économique et monétaire, la surveillance des équilibres financiers a été polarisée sur les situations budgétaires (déficit et dette) des États. La surveillance financière des agents privés est restée embryonnaire.

Cette équation imparfaite a été dénoncée à plusieurs reprises au Sénat, soit pour déplorer certaines lacunes européennes dans la prévention et le traitement des crises financières 28 ( * ) , soit, dans de très nombreux rapports de votre délégation pour la planification, pour s'inquiéter des biais de jugement sur la situation économique et financière des pays et des effets pervers sur les équilibres financiers en Europe de cette surveillance cyclopéenne.

Dans son précédent rapport 29 ( * ) sur la coordination des politiques économiques en Europe, votre délégation consacrait, dans la lignée de ses rapports antérieurs, une place importante à la question de la coordination des politiques budgétaires, d'un point de vue tant conjoncturel que structurel.

On y observait que la coordination des politiques budgétaires en Europe fonctionnait particulièrement mal en raison notamment d'un certain nombre de phénomènes liés entre eux :


• l' incomplétude de la coordination des politiques économiques qui a pour effet de faire peser sur l'instrument budgétaire le poids des ajustements rendus nécessaires par les antagonismes économiques européens ;


• les impacts des concurrences structurelles résultant de visions fortement divergentes de l'intervention publique ;


• et les règles et procédures mêmes de la discipline budgétaire qui, non contentes de déboucher sur des appréciations erronées de la position budgétaire des États peuvent jouer contre l'objectif de stabilité financière de la zone euro .

En bref, on estimait que la coordination des politiques budgétaires en Europe souffrait, en premier lieu, de son contenu essentiellement financier et, en second lieu, des erreurs de conception de cette surveillance strictement financière.

Depuis, la crise financière et économique en cours a apporté une vérification empirique de plus (et de poids) à ce diagnostic .

Elle entretient, en effet, des relations étroites avec ces défauts.

Elle peut, dans une certaine mesure, être vue comme la conséquence de la dérégulation macroéconomique à laquelle participe l'incoordination des politiques économiques.

Elle est aussi, bien sûr, la manifestation des dangers de la dérégulation financière à laquelle a contribué, paradoxalement, une surveillance financière exclusivement consacrée aux États.

Dans les faits, la position des différentes économies européennes face à la crise ressort comme particulièrement critique dans des pays qui, il y a peu, se voyaient crédités d'une bonne situation financière publique.

La question abordée dans la présente partie - celle de la surveillance financière en Europe, et de ses lacunes - n'est ainsi pas seulement une question de circonstances.

Sans doute l'urgence commande-t-elle d'examiner la réponse aux perspectives de récession que les pays peuvent trouver dans l'utilisation de l'instrument budgétaire. De ce point de vue, les conséquences qu'auraient dans le moment le maintien des conditions usuelles de la surveillance budgétaire montrent assez, de ce point de vue, que les principes de la « discipline budgétaire » telle qu'elle est organisée résultent d'approches théoriques qui n'ont pas toute la force qu'on prétend.

Mais, ces problèmes doivent être considérés dans une perspective plus longue, dès lors qu'on imagine leur résolution comme essentielle à la stabilité de l'Europe et de son régime de croissance.

Le pacte de stabilité et de croissance est censé assurer la discipline budgétaire en Europe dans la perspective de promouvoir la stabilité monétaire et financière de la zone euro. Depuis son adoption, il n'a cessé d'être contesté sous cet angle, les obligations qu'il impose étant, au demeurant, controuvées dans les faits.

La crise actuelle représente un nouvel épisode de cette déjà longue histoire. Elle confirme que l'Europe ne dispose pas, avec le pacte de stabilité et de croissance, d'un cadre efficace, c'est-à-dire capable d'atteindre ses objectifs : la stabilité monétaire et financière .

De façon un peu anecdotique peut-être, on peut noter que, face à ce qui constitue une crise financière majeure , le pacte qui représente le dispositif central de la surveillance financière en Europe devrait être mis entre parenthèses , même si la Commission européenne semble peiner à l'admettre.

C'est pour le moins reconnaître que les règles du pacte ne sont pas tellement indispensables à la stabilité financière en Europe et, question qui est exposée dans le chapitre suivant, qu'elles sont particulièrement gênantes quand la politique budgétaire doit être activée.

Les questions ici abordées sont celles de savoir si en réduisant la coordination des politiques économiques en Europe au seul domaine budgétaire, l'Europe n'est pas passée à côté des vrais enjeux d'une coordination destinée à assurer sa stabilité financière et monétaire et si elle n'a pas, en plus, finalement accentué les risques de déséquilibres financiers .

Notre jugement est que c'est bien ce qui s'est produit, non seulement parce qu'en procédant ainsi la surveillance des positions budgétaires a manqué à sa tâche techniquement et, surtout, politiquement, mais encore parce qu'elle a créé un système d'incitations débouchant sur une série de déséquilibres autrement préoccupants que ceux qu'elle affichait vouloir prévenir.

I. UN CADRE DE SURVEILLANCE FINANCIÈRE IRRÉALISTE DU POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

La question du réalisme économique du pacte de stabilité et de croissance a, dès son début, été posée. Après quelques années d'atermoiement, cette critique a convaincu les États d'apporter à ses dispositions quelques correctifs.

Le « nominalisme » du pacte de stabilité et de croissance a été un peu corrigé, mais cette correction est restée très incomplète et les modalités de surveillance des situations budgétaires n'ont pas été débarrassées de tout nominalisme.

A. DES PROGRÈS ONT ÉTÉ ACCOMPLIS POUR MIEUX APPRÉCIER LES LIENS ENTRE POSITIONS BUDGÉTAIRES ET CROISSANCE

Dans son rapport du 20 novembre 2002 sur les perspectives économiques à moyen terme 2002-2007 30 ( * ) , votre délégation avait déploré , d'une part, le glissement progressif vers une conception de plus en plus rigoriste de la politique budgétaire en Europe et, d'autre part , les différentes contradictions de doctrine qui résultaient de l' empilement des textes et des interprétations de la « discipline budgétaire » européenne.

LES DISPOSITIONS EUROPÉENNES RELATIVES À L'ÉQUILIBRE DES COMPTES PUBLICS

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• Le règlement n° 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 dispose que les États membres présentent des programmes de stabilité à moyen terme que fournissent des informations sur : l'objectif à moyen terme d'une position budgétaire proche de l'équilibre ou excédentaire, ainsi que la trajectoire d'ajustement qui doit conduire à la réalisation de cet objectif concernant l'excédent, le déficit des administrations publiques et l'évolution prévisible du ratio d'endettement de l'État .


• La résolution d'Amsterdam du 17 juin 1997 (donc, antérieure au règlement) indique que : « l'adhésion à l'objectif qui consiste à parvenir à une situation budgétaire saine proche de l'équilibre ou excédentaire permettra à tous les États membres de faire face aux fluctuations conjoncturelles normales tout en maintenant le déficit public dans la limite de la valeur de référence de 3 % du PIB ».

La combinaison de ces deux textes conduit à interpréter l'objectif d'équilibre des comptes publics à moyen terme à la lumière des variations de l'activité économique :


• dans les phases de croissance ralentie, les comptes publics peuvent être déficitaires ;


• dans les phases de forte croissance, ils doivent se rapprocher de l'équilibre, voire se traduire par un excédent ;


• si bien qu'envisagée sur une période de moyen terme, un objectif d'équilibre (ou d'excédent) soit, de fait, poursuivi par les États membres.


• Le Code de conduite du 12 octobre 1998 adapté par le Conseil Ecofin a entériné un avis du Comité monétaire relatif aux programmes de stabilité et de convergence qui, de ce fait, a constitué une première version du Code de conduite associé au pacte de stabilité et de croissance.

L'intérêt essentiel du Code réside dans les tentatives d'interprétation du principe d'une position à moyen terme proche de l'équilibre ou excédentaire qu'il comporte.

Sur ce sujet, on ne peut que constater la coexistence d'éléments d'interprétation contradictoires.

Du côté des analyses susceptibles de soutenir une application souple de la règle, il convient d'abord de souligner la référence à la résolution du Conseil européen d'Amsterdam, déjà mentionnée, qui implique de récuser le retour coûte que coûte à l'équilibre. Par ailleurs, le Conseil fait siens les arguments tendant à une appréciation relative des programmes et de leur application tenant compte de l'impact de la conjoncture sur les finances publiques . Une précision importante est apportée à ce sujet puisque le Conseil, suivant en cela le comité monétaire, estime que l'objectif de moyen terme doit être envisagé par référence à la longueur du cycle économique .
Il ajoute que tout jugement sur la position budgétaire doit emprunter la méthode de l'ajustement conjoncturel à partir des conditions propres à chaque pays, c'est-à-dire tenir compte de l'évolution des soldes structurels.

L'ensemble de ces considérations est toutefois contrebattu par d'autres éléments.

En effet, le comité estime qu'« il importe d'empêcher que la situation budgétaire à moyen terme proche de l'équilibre ou excédentaire devienne une cible mouvante ». Il demande donc que les programmes de stabilité et de convergence, qui, alors, devaient être soumis à la fin de 1998, fassent état de la réalisation aussi rapide que possible de l'objectif à moyen terme proche de l'équilibre ou excédentaire devienne une cible mouvante ». Il demande donc que les programmes de stabilité et de convergence, qui, alors, devaient être soumis à la fin de 1998, fassent état de la réalisation aussi rapide que possible de l'objectif à moyen terme de l'équilibre des comptes publics. Il considère même, sur la base de l'analyse de la Commission, que cet objectif devrait être atteint à la fin de 2002 au plus tard.

Ainsi, le même document, entériné par le Conseil, contient deux conceptions contradictoires des règles du pacte.


• La révision du Code de conduite par le Conseil Ecofin de juillet 2001
a promu plusieurs dispositions susceptibles de modifier les conditions de présentation et d'examen des programmes de stabilité et de convergence par rapport au cadre en vigueur résultant des recommandations du Conseil Ecofin de 1998.

Même s'il comporte la recommandation d'apprécier les positions budgétaire des États en les corrigeant de leur composante conjoncturelle, le code révisé accentue les exigences d'équilibre (ou d'excédents) budgétaires.

En effet, la recommandation entend compléter la surveillance des soldes nominaux par la prise en compte de la situation structurelle des finances publiques . La distinction entre la position marque un progrès vers le dépassement de la référence du solde nominal et le lien entre solde public et conjoncture est à nouveau évoqué.

Pour autant, les précisions apportées sur les conséquences d'un tel examen sont surprenantes. Il est, en effet, recommandé que la situation structurelle des comptes publics offre une marge suffisante pour qu'une dégradation de leur composante conjoncturelle ne les éloigne pas d'une situation budgétaire proche de l'équilibre à moyen terme .

Par cette recommandation, la règle d'un équilibre permanent du solde nominal des comptes publics est consacrée. Le solde structurel doit être suffisamment excédentaire pour qu'elle soit toujours vérifiée.

La recommandation implique un renoncement de principe à des situations de déficits publics, ce qui représente un durcissement du règlement.

A ses yeux, il résultait de ces évolutions une grande confusion sur le cadre budgétaire européen, confusion nuisible à la conduite de la politique budgétaire. Votre délégation s'inquiétait de la perspective d'une politique budgétaire tellement contrainte que l'action des États serait paralysée .

Elle avait proposé de refonder le pacte de stabilité et de croissance de sorte que les budgets des États membres retrouvent des marges de manoeuvre, tout en respectant les garde-fous qu'impose le partage d'une même monnaie.

Lors d'un colloque consacré à la réforme du pacte, dont les actes sont reproduits dans son rapport du 5 juin 2003 sur les règles des politiques budgétaires en Europe 31 ( * ) , la délégation avait recueilli le sentiment de différents experts européens sur les voies de réforme du pacte. A cette occasion, certains des intervenants participant à la responsabilité de la politique budgétaire avaient douté qu'il soit possible d'apporter tout changement aux règles en vigueur.

C'est pourtant quelques mois après ce colloque que, devant la multiplication des critiques sur l'irréalisme des règles budgétaires, une réforme devait intervenir .

Cette réforme a apporté quelques améliorations au dispositif mais des améliorations insuffisantes et ambiguës.

La révision du règlement n° 1466/97 intervenue en 2005 reprend la question de l'objectif d'équilibre des comptes publics, qui est l'un des deux piliers de la « discipline budgétaire » européenne. Quelques assouplissements sont apportés au dispositif de surveillance, mais, à l'issue de cette réforme, le maniement contra-récessif de la politique budgétaire reste excessivement limité.

1. La prise en compte du cycle économique

La première correction apportée à cette défectuosité a d'abord porté sur le fait que, dans sa version originelle, les indicateurs de déficit et de dette résultaient de l'application de règles comptables qui ne tenait nullement compte de l'impact de la position conjoncturelle des économies sur les recettes, les dépenses, le solde public et la dette .

En effet, l'alternance de phases de croissance économique supérieures ou inférieures à la croissance économique normalement prévisible (la croissance économique potentielle) conduit à des résultats financiers aux apparences trompeuses : trop favorables quand la croissance est forte ; trop défavorables quand elle est faible.

La prise en considération d'un déficit public corrigé des effets du cycle économique a, dans une certaine mesure, limité ces risques .

QUELQUES ASSOUPLISSEMENTS

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Une modulation nationale des objectifs budgétaires est désormais prévue. Compte tenu de l'hétérogénéité des positions économiques et budgétaires des États, il est admis que chacun dispose d'un objectif à moyen terme propre.

Cette modulation est comprise comme permettant à un État de s'écarter de l'objectif d'équilibre ou d'excédent :

- sous réserve qu'une marge de sécurité soit constituée pour éviter le déficit excessif (ou 3 points du PIB) ;

- et que le déficit programmé n'excède pas 1 point du PIB...

- dans la perspective de dégager un levier d'action budgétaire, notamment pour financer des investissements publics.


• L'appréciation de la position budgétaire
(et de la trajectoire décrite dans les programmes de stabilité) est placée sous le sceau d'une considération des variables économiques conjoncturelles, mais aussi de la viabilité budgétaire .

Ainsi, l'objectif d'équilibre décrit par les programmes de stabilité peut varier en fonction des perspectives structurelles qu'offrent les comptes publics.

Sur ce point, une précision significative est toutefois apportée : la prise en compte des réformes structurelles par le Conseil ne peut concerner que celles qui « entraînent des économies de coûts à long terme », seules jugées susceptibles d'une « incidence vérifiable sur la viabilité à long terme des finances publiques ». Ainsi, de façon significative, les réformes structurelles concernant le financement des politiques publiques sont d'emblée écartées du champ de celles qui peuvent être prises en compte pour apprécier la position et les perspectives budgétaires d'un État .

Tout se passe comme si une amélioration structurelle des perspectives budgétaires ne pouvait passer que par une hausse tendancielle des dépenses publiques et non par une hausse structurelle des prélèvements destinés à financer les différentes interventions collectives.

* 28 Rapport n° 284, 23 mars 2000, « Pour un nouvel ordre financier mondial ». Commission des Finances, M. Philippe Marini.

* 29 « La coordination des politiques économiques : le malaise avant la crise ? » Rapport d'information n° 113, du 5 décembre 2007. Délégation pour la planification. MM. Joël Bourdin et Yvon Collin.

* 30 Rapport d'information n° 66 (2002-2003), Délégation pour la planification, Joël Bourdin, 20 novembre 2002.

* 31 Rapport d'information n° 369 (2002-2003), Délégation pour la planification, Joël Bourdin, 5 juin 2003.

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