C. ... DE GRAVES LACUNES SUBSISTENT

La surveillance européenne de la situation financière des États ne prend en compte ni la soutenabilité de leur régime de croissance économique, ni les effets induits par les politiques des partenaires (désinflation compétitive des concurrences fiscales par exemple), ce qui est une autre façon d'ignorer les équilibres fondamentaux dans l'exercice de cette surveillance.

1. Prendre en compte la soutenabilité des régimes de croissance

La surveillance européenne institutionnelle des positions budgétaires néglige la soutenabilité des régimes de croissance sous-jacents aux positions budgétaires.

a) Position du problème

L'amélioration de la surveillance des positions budgétaires est restée trop incomplète . Les modalités de surveillance des situations budgétaires n'ont pas été débarrassées de tout « nominalisme ».

Or, le nominalisme des indicateurs de suivi de la position budgétaire des États - le déficit public et la dette publique - fixés par le système européen de surveillance budgétaire est un défaut fondamental , puisqu'il conduit à des erreurs potentielles de diagnostic sur la situation des finances publiques .

Dans notre précédent rapport sur la coordination des politiques économiques en Europe, nous avions appelé l'attention sur les dangers d'une illusion : celle d'imaginer que la surveillance financière en Europe puisse ne s'appliquer qu'au champ des administrations publiques, se passer de toute réflexion sur l'équilibre général du sentier de croissance économique et s'appuyer sur des indicateurs purement comptables et par ailleurs tronqués.

Il s'agissait de montrer qu'il était vain et dangereux d'instaurer une surveillance forte des positions financières des administrations publiques sans la compléter par l'ensemble des éléments qui en font le contexte économique.

La considération de la seule position des finances publiques n'informe pas, en soi, sur la position financière d'un pays : les dettes des administrations publiques ne sont qu'un élément de l'endettement intérieur total ; en outre, elles ne peuvent être considérées sans prendre en compte l'équilibre de la croissance économique du pays mais aussi de ses partenaires.

Négliger ces données se révèle dangereux. D'une part, les erreurs de diagnostic auxquelles conduisent des modalités de surveillance financière sans pertinence peuvent être dommageables. D'autre part, un tel cadre de surveillance crée des incitations susceptibles d'aggraver les déséquilibres économiques, financiers, sociaux, environnementaux, etc.

L'examen annuel de la situation des finances publiques est resté caractérisé par une prise en compte trop superficielle des liens entre les positions budgétaires et la réalité de l'activité économique , et par un présupposé contestable d'indépendance entre la situation budgétaire des pays et la situation financière des autres agents économiques .

Il convient de souligner les graves insuffisances de la surveillance des positions budgétaires résultant du manque de considération apportée à l'équilibre de la croissance économique qui en constitue pourtant le soubassement .

Ce sont deux questions différentes d'apprécier ce que la situation des finances publiques doit au rythme de la croissance et particulièrement à son écart avec la croissance potentielle et de vérifier si la croissance en cause est soutenable pour mesurer les risques pensant sur la situation budgétaire.

Le premier exercice est, on l'a indiqué, une composante à part entière de la surveillance budgétaire, même si la méthode suivie est contestable et, plus grave encore, la portée de cet examen beaucoup trop faible (voir le chapitre : refonder la politique budgétaire en Europe).

Le second volet d'un examen réellement sérieux de la situation des finances publiques - l'examen de la croissance économique qui en constitue le contexte - est étonnamment négligé .

Sans doute faut-il concéder que cet examen est prévu puisque dans le cadre de la procédure de surveillance budgétaire, les États sont obligés de présenter des scénarios macroéconomiques à moyen terme dont la vraisemblance est, en théorie, examinée.

Mais, votre délégation, qui chaque année procède à cet examen s'agissant de la programmation française à moyen terme, est bien placée pour exprimer plus que des doutes sur la qualité de l'examen du contexte macroéconomique des positions budgétaires.

Au demeurant, les services de la Commission européenne eux-mêmes paraissent peu satisfaits des conditions dans lesquelles cette analyse est effectuée. Ils proposent, en effet, de refonder la coordination des politiques économiques en Europe autour de l'approfondissement de la réflexion sur la soutenabilité des régimes de croissance économique 34 ( * ) .

Or, si l'on néglige la soutenabilité de la croissance, tout diagnostic sur la situation structurelle des finances publiques, quand bien même il serait étayé sur une comparaison rigoureuse entre la croissance effective et la croissance potentielle (c'est-à-dire qu'il tiendrait compte de la composante cyclique de l'activité économique) encourt le risque d'être gravement erroné .

Contrairement à ce que supposent implicitement les modalités actuelles de surveillance des positions budgétaires en Europe, ce n'est pas de la seule comparaison entre la croissance effective et la croissance potentielle qu'il faut se préoccuper pour apprécier la soutenabilité de la croissance économique .

Les théories économiques montrent de longue date, et la crise en cours le confirme avec éclat, que des croissances fortes peuvent reposer, au moins un temps, sur des déséquilibres qui les rendent, à terme, insoutenables .

Or, l'examen des positions budgétaires découplé de celui des équilibres macroéconomiques en Europe , qu'il s'agisse des équilibres internes à chaque pays ou des équilibres entre pays, est, semble-t-il, de règle. Il conduit à des erreurs de diagnostic dont la période actuelle témoigne abondamment.

* 34 Voir dans ce rapport : « Les propositions de la Commission européenne ». Extrait de « l'EMU@10 - Succès et défis après dix ans de l'Union économique et monétaire ». Direction générale des Affaires économiques et financières.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page