2. Quelques considérations sur l'appréciation économique et financière des situations de fort endettement public

Ces observations arithmétiques doivent être complétées par des considérations plus économiques .

S'il est bien vrai qu'un pays où le poids de la dette publique est relativement élevé peut stabiliser celui-ci avec un déficit public lui-même comparativement élevé, ce constat arithmétique ne signifie pas qu'il lui soit plus facile d'atteindre ce solde stabilisant.

On peut, en premier lieu, observer que le niveau de la dette publique dépend d'une accumulation donnée de déficits publics au terme de laquelle l'endettement aura crû davantage que le produit intérieur brut. Autrement dit, entre deux pays connaissant des niveaux différents de dette publique, celui où il est le plus élevé est celui pour lequel l'écart entre la progression de la dette publique et la croissance économique a été le plus fort.

Il se peut que, pour un tel pays, l'effort à entreprendre pour retourner à une trajectoire de la dette parallèle à celle du PIB soit aussi le plus exigeant.

Il ne s'agit cependant pas d'une certitude pour ou moins deux raisons. En premier lieu, l'augmentation de la dette peut avoir servi à acquérir des actifs qu'il est possible de céder. Le suivi de la seule dette brute se révèle ainsi insuffisant pour apprécier la situation financière des États. La crise en cours qui a entraîné des prises de participation - sous des formes variées - dans des entreprises par les Etats montre qu'il peut exister différentes configurations de variations des dettes nettes des actifs pour une même variation de la dette publique brute.

En second lieu, même s'il n'existe pas de contreparties directes de la dette publique en termes d'actifs, la dette publique finance des dépenses publiques, ou résulte d'allègements fiscaux, dont l'effet sur la croissance économique doit être pris en compte.

C'est évidemment là le point crucial.

En théorie, une augmentation de la dette publique manifeste que les déficits publics s'accumulent plus que le PIB ; autrement dit, cela signifie que l'effet multiplicateur du déficit public est, à long terme, inférieur à l'unité (le produit additionnel est moins élevé que le déficit).

Cependant, deux cas de figure susceptibles de remettre en cause cette conclusion doivent, en toute rigueur, être envisagés :

- l'hypothèse où le déficit de croissance vient d'autres mécanismes dont la correction rendrait à la politique budgétaire son efficacité économique ;

- l'hypothèse où le rendement économique immédiat d'un déficit serait inférieur à l'unité mais où son rendement cumulé, ou retardé, lui serait égal ou supérieur.

Pour illustrer ces deux cas de figure, on peut songer, dans le premier cas, par exemple à des effets éventuellement contrariants de la politique monétaire (mais beaucoup d'autres variables peuvent être envisagées) et, dans le second cas, aux dépenses d'éducation dont le rendement peut être retardé (mais beaucoup d'autres interventions publiques peuvent être concernées) ou à des déductions fiscales susceptibles de hausser le niveau de l'investissement privé.

Dans tous les cas, ce qui est en cause c'est la rentabilité économique des interventions publiques financées par l'emprunt .

Etant donné l'importance potentielle des interventions publiques à l'avenir, il parait tout à fait prioritaire de progresser dans la connaissance des effets induits de ses interventions .

A cet égard, le projet de la Commission européenne d'adjoindre à sa surveillance des positions budgétaires davantage de considérations pour la « qualité des finances publiques » doit être encouragée, cette réflexion prenant déjà une place naturelle dans les travaux des autorités budgétaires nationales, du moins selon l'expérience qu'en donne le Sénat français.

En outre, plus la dette initiale est élevée plus le risque d'encourir « l'effet boule de neige » de la dette est important et plus celui-ci est lourd de conséquences.

L'effet boule de neige de la dette désigne le processus autonome d'aggravation du déficit public résultant d'un écart entre le taux de croissance économique et le coût de la dette publique (associé à un niveau donné des taux d'intérêt).

Lorsque le taux de la croissance nominale du PIB est inférieur au taux d'intérêt apparent de la dette, la dette des administrations publiques tend spontanément à s'accroître sous l'effet d'un processus auto-entretenu, la charge d'intérêt, conduisant à augmenter le déficit ce qui augmente à nouveau la charge de la dette.

Autrement dit, au-delà des facilités apparentes qu'offre un niveau relativement élevé de dette publique à un Etat qui entreprend de le stabiliser, l'importance réelle de l'effort à entreprendre, en termes de solde primaire, doit tenir compte du resserrement des disciplines budgétaires qu'implique, le cas échéant, le déclenchement d'un « effet boule de neige ».

Le danger vient qu'un niveau d'endettement public relativement élevé expose à une configuration où cet effet se déclenche .

De ce point de vue, si on ne peut affirmer qu'à mesure que la dette publique s'accroît les taux d'intérêt augmentent, on doit cependant souligner que le risque d'une tension sur les taux d'intérêt augmente lui-même dans cette hypothèse et que les effets déstabilisateurs d'une telle tension s'aggravent aussi.

Il n'y a évidemment pas d'automatisme entre le niveau de la dette publique et le niveau des taux d'intérêts appliqués aux emprunts publics. La crise en cours a provoqué une augmentation considérable de la dette publique. En même temps, les taux d'intérêts attachés aux nouveaux emprunts sont historiquement bas. On attribue ces phénomènes à une « fuite vers la qualité » qui permet de financer à bon compte la dette publique. Mais, même en l'absence d'un tel processus, la corrélation entre la dérivée de la dette publique et les taux du marché obligataire souverain n'est que très lâche.

Au demeurant, on vérifie souvent qu'à niveau égal d'endettement, une économie où la part de l'endettement public est relativement plus élevée connaît des conditions monétaires plus favorables. En temps normal, le risque souverain est moins « cher » que les risques des agents privés 83 ( * ) .

Il n'en reste pas moins qu'il est impératif de considérer le risque financier encouru par un Etat dont la configuration des finances publiques débouche sur une hausse continue de la dette publique .

Le danger est évidemment que cet Etat rencontre des difficultés de financement, soit que les prêteurs se détournent des titres qu'il émet, soit qu'ils lui imposent des taux d'intérêts supérieurs.

Dans cette dernière hypothèse (différente d'une crise de solvabilité à quoi se résume la première), l'écart entre le coût de la dette et la croissance aggrave l'effet boule de neige de la dette et élève la contrainte d'assainissement budgétaire. Il faut un solde primaire encore supérieur à celui nécessaire à la stabilisation de la dette avant la tension sur les conditions des emprunts publics.

L'actualité montre que les marchés peuvent imposer à des Etats des conditions monétaires de plus en plus tendues. De même, l'histoire n'exclut pas des crises de solvabilité.

BREF RETOUR SUR LE PROTOCOLE FINANCIER DE LA ZONE EURO

Le pace de stabilité et de croissance a posé un double plafond :

- 3 points de PIB pour le déficit public,

- 60 points de PIB pour la dette publique brute.

Cette norme est en partie contingente, en partie cohérente.

Du côté de la contingence , on peut relever le choix de fixer à 60 points de PIB le niveau-cible de la dette publique. Ce plafond correspond semble-t-il à la moyenne de la dette publique en Europe au moment de l'adoption du protocole. La référence est donc plus historique qu'économique. En effet, il est difficile de justifier qu'une dette publique supérieure ne soit pas soutenable. Inversement, les évènements postérieurs à l'adoption du protocole (le resserrement de la contrainte budgétaire européenne) paraissent impliquer que cette cible n'est pas soutenable car trop laxiste.

Du côté de la cohérence , on signalera le lien établi entre la valeur cible de dette publique et le plafond de déficit public. Compte tenu des perspectives de croissance économique d'alors (+ 3 % en volume et des prix du PIB augmentant de 2 % par an), soit 5 % en valeur, un déficit public de 3 % permet de stabiliser le niveau de la dette publique dans le PIB des Etats.

A cet égard, l'Europe, qui exclut la mise en oeuvre de mécanismes d'assurances publiques entre Etats (alors que de tels mécanismes sont possibles quand il y a un partenaire privé dans l'opération), en même temps qu'elle renforce par là la contrainte budgétaire, se prive d'un instrument de régulation des marchés des dettes souveraines 84 ( * ) .

En même temps, l'appétit des prêteurs pour les dettes publiques ne doit pas être négligé dans un contexte où, dans le couple rendement-risque, les primes de risque ont été revues à la hausse.

Dans ces conditions, moyennant la mise en oeuvre de mesures destinées à prévenir l'accumulation des comportements spéculatifs tant sur les marchés souverains que des émetteurs privés, le risque financier ne serait vraiment fort, pour un Etat, qu'en cas de dérive prolongée de la dette publique.

* 83 Il peut y avoir des exceptions. Dans la période précédant l'éclatement du crédit hypothécaire, les crédits immobiliers aux particuliers ont pu être assortis des taux d'intérêt plus bas que pour les emprunts d'Etat. Par ailleurs, ces constats ne préjugent en rien de l'efficacité économique des emplois financés par l'emprunt.

* 84 Le fonds monétaire international n'est pas exposé à cette limitation de son champ d'action et pallie les lacunes nées de l'absence d'un fonds monétaire européen.

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