EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 3 juillet 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Ronan Le Gleut et Mme Hélène Conway-Mouret sur la défense européenne.

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons ce matin le rapport d'information de M. Ronan Le Gleut et de Mme Hélène Conway-Mouret sur la défense européenne, fruit d'un travail de longue haleine avec de nombreux déplacements, rencontres et auditions.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - La défense européenne est un peu comme un verre à moitié rempli : certains voient le verre à moitié vide, quand d'autres le voient à moitié plein. Avec ma collègue Hélène Conway-Mouret, nous avons travaillé six mois sur ce sujet, mené de nombreuses auditions et effectué sept déplacements en Europe. Ce travail nous a conduits à nous ranger du côté de ceux qui voient le verre à moitié plein.

C'est vrai que la défense européenne, qu'on a parfois appelée Europe de la défense - vous vous souvenez du précédent rapport de notre commission, qui avait montré que ce concept d'Europe de la défense ne fonctionnait pas -, est un peu un serpent de mer dont on a beaucoup parlé, avec parfois l'impression de peu avancer.

Lorsqu'on regarde toutes les initiatives qui sont prises, dans des cadres différents - Union européenne, OTAN, bilatéral, multilatéral -, on se rend compte que les choses avancent. Certes, ce n'est pas d'une façon très planifiée ni inscrite dans un grand schéma politique d'ensemble, mais il faut bien admettre que la défense européenne progresse, de façon protéiforme, à des rythmes et selon des schémas différents selon les pays.

Une des premières choses qui nous ont frappés, c'est que l'approche traditionnelle française, qui consiste à avancer des concepts politiques et à tenter ensuite de faire rentrer la réalité dans ce cadre théorique, n'est pas la mieux adaptée à ce dossier. Soyons pragmatiques : si l'on veut une défense européenne, il faut peut-être se préoccuper un peu de ce qu'en pensent les autres Européens et s'intéresser à la façon dont nos partenaires perçoivent les enjeux.

De ce point de vue, il nous semble qu'il faut dépasser deux faux débats.

Le premier est l'opposition qui est faite par certains entre l'Union européenne et l'OTAN. On entend souvent en France l'idée qu'il faudrait choisir entre une défense européenne et la défense proposée par l'OTAN. Il faut avoir conscience que cette opposition est vraiment une idée franco-française qui n'est partagée par aucun de nos vingt-sept partenaires de l'Union. Donc si nous voulons être un peu efficaces, il nous faut faire attention dans nos discours et nos attitudes à ne pas laisser penser que nous souhaitons un retrait américain d'Europe, car, aujourd'hui, la défense de l'Europe est assurée essentiellement par les États-Unis, qui représentent à eux seuls les deux tiers des dépenses militaires totales des pays de l'OTAN. Au sein de ce budget, les dépenses militaires spécifiquement consacrées à la défense de l'Europe s'élèvent à 36 milliards de dollars, soit presque autant que le budget de défense de la France.

Je ne m'étendrai pas sur les arrangements de partage nucléaire ni sur le déploiement par les États-Unis d'une défense antimissile balistique en Europe, mais ce sont des questions fondamentales pour comprendre la position de beaucoup de nos partenaires européens.

La France fait figure d'exception dans ce paysage. L'autonomie stratégique est pour nous une évidence, garantie en dernier ressort par notre dissuasion nucléaire. Plusieurs Présidents de la République se sont prononcés, depuis le sommet de Chequers en 1995, pour une prise en compte des intérêts de nos partenaires européens dans la définition de nos intérêts vitaux.

C'est donc à l'aune de la prépondérance américaine qu'il faut jauger le débat sur le partage du fardeau. Le coût des investissements que devraient réaliser les pays de l'OTAN pour pouvoir assurer leur défense collective, dans l'hypothèse d'un retrait américain, a été évalué à environ 300 milliards de dollars. Le débat sur l'autonomie stratégique, c'est donc d'abord un débat sur nos lacunes capacitaires.

Le fait que nous dépendions largement des États-Unis pour notre défense collective est, sur le plan historique, une anomalie. Depuis que l'empire romain s'est effondré, les pays européens avaient toujours dû se défendre par eux-mêmes. La situation actuelle est donc bien un héritage historique de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide. D'une façon qui peut apparaître paradoxale, alors que la fin de la Guerre froide aurait dû conduire à la fin de cette situation et à une reprise en main par les pays européens de leur défense, il s'est passé tout le contraire : il y a eu une période où les pays européens ont cru pouvoir toucher les dividendes de la paix et ont donc plutôt réduit leur effort de défense.

Si une évolution est aujourd'hui perceptible, c'est que le contexte a radicalement changé. Plus personne ne croit à la fin de l'Histoire et on voit au contraire le retour à des comportements traditionnels de puissance, c'est-à-dire que les plus grandes puissances ont tendance à préférer le rapport de force, voire la force elle-même, au droit.

Dans ce contexte, la priorité des États-Unis est leur compétition avec la Chine, et non pas la sécurité de l'Europe. En outre, l'examen des budgets de défense fait apparaître très clairement que la Russie n'est pas de taille à rivaliser au niveau global avec les États-Unis ou la Chine. L'origine de la revendication américaine du partage du fardeau est celle-là : les États-Unis ont besoin de pouvoir concentrer leurs moyens sur leur compétition avec la Chine.

En revanche, nous nous sommes efforcés de montrer dans notre rapport qu'il y a une contradiction dans la logique américaine lorsque ceux-ci exigent en même temps que l'Europe achète du matériel américain et ne développe pas une véritable base industrielle et technologique de la défense européenne (BITDE). Il y a une concurrence, dans le discours américain, entre les préoccupations stratégiques - l'Europe doit se défendre par elle-même plutôt que de se reposer sur les États-Unis - et les préoccupations économiques et industrielles - l'Europe doit acheter américain si elle veut être défendue par les États-Unis.

Les pays européens ont bien compris que la garantie de protection américaine, formalisée dans l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, n'est finalement ni inconditionnelle ni éternelle, pour reprendre les propos que nous a tenus un parlementaire dans un pays pourtant très atlantiste.

Dans le même temps, l'Europe est confrontée à la vigueur nouvelle de la menace à l'est, dans un enchaînement guerre de Géorgie, action au Donbass et annexion de la Crimée, test des frontières aériennes et maritimes, et diverses actions d'espionnage ou de tentatives de manipulation de l'information ou des scrutins.

Sur le front sud, la menace prend une autre forme qui découle d'abord de l'effondrement des États - Irak, Syrie, Libye, Mali -, avec deux conséquences : l'organisation pérenne d'une menace terroriste djihadiste en capacité de frapper le sol européen et des mouvements migratoires vers l'Europe dont la rapidité et le caractère inédit ont créé un trouble profond dans les pays européens en favorisant le populisme et les mouvements xénophobes.

C'est du reste le second faux débat qu'il faut écarter : il n'y a pas à privilégier la menace est où la menace sud. La défense européenne doit pouvoir faire front à l'est et au sud, sans quoi il n'y aura pas de défense commune des Européens. Il nous semble que ce débat est en partie derrière nous, et les signes de solidarité à l'égard de nos partenaires de l'est de l'Europe, notamment à travers la présence avancée renforcée de l'OTAN (enhanced Forward Presence, ou EFP), ont grandement aidé sur ce sujet.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Le troisième élément qui a poussé à un élan nouveau de la défense européenne, c'est la contrainte née du Brexit. Le Royaume-Uni joue en effet un rôle si important dans la défense du continent que son départ programmé de l'Union européenne a fait prendre conscience à beaucoup d'autres pays de la nécessité de faire plus en matière de défense et surtout de faire plus ensemble.

Mais le Brexit a entraîné paradoxalement un regain d'intérêt du Royaume-Uni pour les coopérations européennes. La géographie est implacable... Nous avons besoin du Royaume-Uni pour défendre l'Europe. C'est pourquoi nous plaidons pour une association étroite de celui-ci à la défense européenne, quitte à sortir des cadres habituels.

Il faudra un traité de sécurité et de défense entre l'Union européenne et le Royaume-Uni pour l'impliquer autant que possible et lui permettre de participer aux dispositifs européens, notamment le fonds européen de défense, la coopération structurée permanente et Galileo.

Nous devrons également veiller à ce que les positions de la France sur le Brexit ne soient pas préjudiciables à notre coopération bilatérale dans le domaine de la défense. Nous avons entendu plusieurs fois, à Londres, le mot « ressentiment ». Il est essentiel que la sortie du Royaume-Uni le 31 octobre prochain - si elle a bien lieu à cette date - se déroule dans de bonnes conditions pour pouvoir donner une impulsion nouvelle à nos relations bilatérales, alors que nous célébrerons l'an prochain les dix ans des accords de Lancaster House.

J'en viens maintenant à la seconde partie de notre rapport. J'indique à cette occasion que, plutôt que de nous reposer sur les nombreux rapports qui ont été publiés jusqu'alors, nous avons voulu aller au contact de nos partenaires, qui ont été très heureux de nous recevoir, peu habitués qu'ils sont à ce que nous les écoutions.

La défense européenne est multiforme : elle passe par l'OTAN, mais aussi, de plus en plus, par l'Union européenne et par une multiplicité de coopérations opérationnelles et capacitaires, dont nous donnons de nombreux exemples dans notre rapport.

L'Union européenne est devenue un acteur majeur de la défense européenne. C'est un tournant historique. Le traité de Lisbonne a rendu cette évolution possible, mais c'est le « réveil stratégique » de l'Europe, après 2014, qui l'a véritablement déclenchée.

Il y a eu, tout d'abord, en 2015, l'activation par la France de la clause d'assistance mutuelle de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne.

En réponse, nos partenaires européens ont apporté de multiples contributions aux opérations françaises ou à des missions de l'Union européenne et de l'ONU sur plusieurs théâtres d'opération, notamment au Levant et en Afrique, mais aussi au Liban, avec l'engagement d'une compagnie finlandaise au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) pour permettre aux militaires français de rentrer en France.

C'est une affirmation sans précédent de la solidarité européenne.

L'activation de cette clause n'avait jamais été réellement envisagée, avant 2015, par les institutions européennes. Il serait utile, aujourd'hui, de préciser les hypothèses d'activation et les modalités d'application de l'article 42, paragraphe 7, sur la base du retour d'expérience français.

L'Union s'est dotée d'une Stratégie globale en 2016. Celle-ci porte explicitement l'ambition d'autonomie stratégique, qui n'est donc pas qu'une élucubration française, mais bien un objectif partagé avec nos partenaires.

Paradoxalement, seules trois missions et opérations de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ont été lancées depuis 2015, avec néanmoins des résultats tangibles, notamment dans le cas de l'opération Sophia. La suspension partielle de cette opération est regrettable et n'a pas de sens, puisqu'elle est l'illustration même du continuum sécurité-défense et de l'« Europe qui protège ». Je ne reviendrai pas sur les divisions politiques qui ont entraîné la suspension des navires, privant ainsi la mission de moyens d'information et d'action et l'empêchant de mettre en oeuvre l'embargo sur les armes à l'encontre de la Libye.

L'élaboration de cette Stratégie globale a été suivie du lancement de la coopération structurée permanente (CSP) en mars 2018 par vingt-cinq États membres autour de trente-quatre projets.

Cette CSP inclusive ne correspond pas à ce que la France souhaitait ni aux dispositions du traité de Lisbonne, qui la réservait aux « États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires ».

Ce n'est donc pas l'avant-garde initialement imaginée, mais tous nos interlocuteurs en Europe nous ont indiqué en avoir une appréciation positive, ce qui est déjà une réussite en soi.

La CSP manque simplement d'une directive politique d'ensemble, qui en ferait une démarche ordonnée de comblement des lacunes capacitaires de l'Union. Elle doit s'inscrire dans le cadre d'une planification et ne pas répondre exclusivement à une logique de retour industriel aux États membres.

Par ailleurs, nous préconisons une réaffirmation claire du caractère obligatoire des engagements que les États prennent dans le cadre de la CSP. Les pays participants se sont en effet accordés sur vingt engagements, aux termes desquels ils promettent notamment d'augmenter leurs dépenses d'investissement et de recherche, de développer l'interopérabilité de leurs forces, mais aussi, de renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe et sa base industrielle et technologique de défense.

Je voudrais maintenant aborder un point qui a beaucoup retenu notre attention dans nos travaux et dont beaucoup de personnes auditionnées ont souligné le caractère révolutionnaire : l'initiative de la commission européenne de créer un fonds européen de la défense (FEDef). Cette initiative lancée en 2016 et formalisée en 2018 a été approuvée par le Conseil au mois de février et par le Parlement au mois d'avril. Il s'agit de prévoir un fonds de soutien à la recherche en matière de défense d'un montant proposé de 13 milliards d'euros sur la période 2021-2027. Ces montants, qui devront encore être confirmés par le nouveau Parlement européen, se décomposent en 4,1 milliards d'euros pour la partie de recherche pure, et 8,9 milliards d'euros pour la partie R&D.

Pour cette partie R&D, le financement communautaire serait de l'ordre de 20 %. Il y aurait donc un effet de levier puisque les États membres apporteraient les 80 % restants.

Ce schéma reprend, d'une part, l'action préparatoire pour la recherche de défense, et, d'autre part, le plan européen de développement de l'industrie de défense (Pedid), ces deux outils provisoires ayant joué le rôle de prototypes du FEDef.

Il y a deux particularités fondamentales dans ces dispositifs : c'est la première fois que de l'argent communautaire finance une politique de défense, tournant majeur qui ramène l'Union européenne à sa vocation première, celle d'être une organisation destinée à protéger les peuples européens de la guerre ; en outre, pour être éligible, un projet doit être présenté par des entreprises d'au moins trois pays différents, ce qui veut dire que l'argent communautaire va servir à faire émerger une véritable BITDE. De plus, les projets seront en concurrence pour les crédits évalués selon ces critères, parmi lesquels leur apport en termes d'innovation de rupture ou leur contribution à l'autonomie stratégique européenne.

Comme le faisait remarquer un analyste, du fait de l'effet de levier, les montants sont tout à fait considérables. Pour la partie R&D, le financement des États membres représenterait 35,6 milliards d'euros, soit un total de 44,5 milliards d'euros de financement de R&D de défense sur la période, le tout dans cette perspective de coopération entre pays européens.

Il s'agit d'un dispositif remarquable. Il faudra néanmoins conserver quelques points de vigilance : tout d'abord, il faudra que le nouveau Parlement européen valide bien ces crédits ; ensuite, les projets retenus devront l'être pour leur efficacité, et non pas seulement dans une logique de cohésion ; enfin, les parlementaires nationaux devront être vigilants pour que cet apport nouveau d'argent pour la R&D de défense ne soit pas une justification pour les ministères du budget de réduire à due concurrence les crédits purement nationaux.

Enfin, il restera la question particulièrement sensible du statut des États tiers, c'est-à-dire les pays non membres de l'Union. Cela concerne en particulier deux pays, pour des raisons différentes : les États-Unis et le Royaume-Uni.

Pour ce qui est des États-Unis, la situation est simple : ils sont naturellement extrêmement hostiles à ce dispositif, car ils n'y ont pas accès. C'est pourtant parfaitement logique : on ne on ne voit pas pourquoi le contribuable européen devrait financer la R&D des entreprises américaines ! L'explication de cette hostilité tient plutôt à la crainte que suscite chez les Américains l'émergence d'une véritable BITDE, structurée autour de champions européens qui auront plus de facilité à l'avenir à séduire les clients européens dans la mesure où ils associeront nécessairement plusieurs pays de l'Union voire, pour les plus grands projets, une majorité d'entre eux. Nos amis américains savent que la concurrence sera plus rude ! Sur ce dossier, la partie n'est pas encore gagnée, mais il s'agit d'une avancée sans précédent pour la défense européenne.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Un dernier point sur lequel il nous semblait utile d'apporter un éclairage concerne le partenariat stratégique avec l'Allemagne dans le domaine capacitaire.

Comme vous le savez, la France s'est engagée à construire avec l'Allemagne le système de combat aérien du futur (SCAF) et le système de combat terrestre du futur, ou Main Ground Combat System (MGCS). Comme sans doute beaucoup d'entre vous, nous avons été informés des difficultés réelles qui sont apparues dans l'avancée de ces projets. Celles-ci tiennent pour l'essentiel à une remise en cause par une partie des interlocuteurs allemands du partage des tâches et du contrôle de ces projets.

Il faut être bien clair : ces projets ne peuvent être l'occasion pour l'Allemagne de récupérer les compétences aujourd'hui maîtrisées par la France qu'elle ne détient pas ni l'occasion pour Rheinmetall, dans le cas du MGCS, de prendre le contrôle de KMW+Nexter Defense Systems (KNDS). D'après les informations que nous avons recueillies, les difficultés ne viennent pas tant de l'exécutif que du Bundestag, sans doute en raison des intérêts locaux.

Je rappelle enfin le sujet que nous avons déjà évoqué en commission la semaine dernière : les difficultés rencontrées avec nos partenaires allemands en matière d'exportations.

Ces deux projets sont très ambitieux et s'inscrivent dans le long terme. Ils ne pourront réussir que s'ils sont équilibrés et bénéfiques pour les deux partenaires. Il nous reviendra, à nous parlementaires, de nous assurer que le Gouvernement tient bien cette ligne et aussi de relayer ce message auprès de nos collègues et amis du Bundestag.

Monsieur le président, vous nous avez indiqué la semaine dernière que vous comptiez bien vous saisir de ce dossier avec votre homologue : sachez que les rapporteurs de la mission « défense européenne » vous soutiennent entièrement dans cette démarche.

Le budget défense de l'Allemagne, pour la première fois, selon un document publié par l'OTAN le 25 juin 2019, vient de dépasser celui de la France : 47,3 milliards d'euros contre 44,3 milliards d'euros. Cela s'explique par l'augmentation du PIB allemand : ces dépenses représentent 1,35 % de leur PIB contre 1,84 % du nôtre.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - En conclusion, je voudrais souligner l'importance et la nouveauté des évolutions auxquelles nous assistons. La défense européenne a plus progressé ces trois dernières années qu'au cours des vingt années précédentes. Comme nous a dit un chercheur que nous avons auditionné, personne n'aurait pu imaginer il y a vingt ans que nous aurions les débats que nous avons aujourd'hui sur l'autonomie stratégique européenne et sur la défense européenne.

Beaucoup reste à faire, mais incontestablement les choses avancent dans la bonne direction.

Nous avons formulé douze propositions, que nous allons maintenant vous présenter.

Pour conforter les engagements de chacun des pays et forger les éléments d'une défense européenne à partir des initiatives existantes, travailler à la rédaction collective d'un Livre blanc européen de la défense, chaînon actuellement manquant entre la Stratégie globale de l'Union européenne, les processus capacitaires et les dispositifs opérationnels existants.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Créer les conditions d'une plus grande visibilité des enjeux de défense au sein des institutions européennes : direction générale défense et espace, voire création d'un poste de commissaire européen ou d'adjoint au Haut-Représentant dans ces domaines, reconnaissance d'une formation « défense » du Conseil, qui se réunit aujourd'hui sur les questions de défense en format « affaires étrangères ».

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Multiplier les échanges et les dispositifs de formation, ainsi que les exercices interarmées à l'échelle européenne, essentiels à la construction d'une culture stratégique commune. Au niveau militaire, la France doit participer davantage au dispositif d'Erasmus militaire, créer une session européenne, sur la base de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) afin de développer une vision stratégique commune des futurs décideurs, augmenter progressivement la capacité d'accueil dans les écoles de guerre afin de faciliter la formation commune des officiers, intensifier, sur le plan politique, les contacts avec nos partenaires européens, par exemple en mettant en place une université d'été de la défense européenne, qui soit une enceinte de réflexion et d'échange parlementaire.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - En conséquence du Brexit, créer à l'OTAN un nouveau poste d'adjoint au commandant suprême des forces alliées en Europe (Supreme Allied Commander Europe, ou SACEUR) réservé à un représentant d'un État membre de l'Union européenne en plus du poste déjà existant, traditionnellement réservé à un Britannique.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Mieux articuler les processus de planification capacitaire européens, les rendre cycliques et cohérents avec le processus structuré établi de longue date de l'OTAN.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Relancer la PSDC en concentrant les moyens là où l'Union européenne a la plus forte valeur ajoutée, ce qui est le cas en Afrique grâce à son « approche globale » combinant un volet militaire avec des volets diplomatique, économique et d'aide au développement. Renforcer par ailleurs les moyens de la capacité militaire de planification et de conduite récemment créée.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Défendre le budget proposé pour le fonds européen de défense dans le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, soit 13 milliards d'euros. Il faudra que ces crédits aillent à des projets d'excellence choisis pour leur apport à l'autonomie stratégique européenne et à la consolidation de la BITDE, et ne soient pas saupoudrés selon une logique de cohésion. Veiller à ce que le FEDef ne serve que les intérêts industriels de l'Europe. Prévoir un projet spécifique sur l'intelligence artificielle, enjeu transversal permettant d'associer aussi des États qui n'ont pas ou peu d'industries de défense.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Faire autant que possible de la coopération structurée permanente une démarche de comblement des lacunes capacitaires de l'Union européenne, cohérente avec le Livre blanc précédemment proposé, et réaffirmer le caractère obligatoire des engagements pris par les États dans ce cadre, s'agissant notamment de leurs stratégies d'acquisition, qui doivent être favorables au développement de la BITDE.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Préciser le fonctionnement de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne en attribuant un rôle d'information et de coordination à un organe de l'Union européenne, par exemple le Haut-Représentant. Réfléchir en amont aux hypothèses d'activation de cet article, ainsi qu'aux modalités de l'assistance requise, en tenant compte du retour d'expérience du déclenchement de cet article par la France en 2015.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Proposer comme priorité absolue de l'Union européenne la conclusion d'un traité de défense et de sécurité avec le Royaume-Uni, partenaire vital de la défense européenne, à qui nous devons proposer des solutions flexibles pour lui permettre de participer autant que possible aux dispositifs de l'UE - FEDef, CSP, Galileo, etc.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Les grands projets industriels franco-allemands sont structurants pour l'avenir de la défense européenne. Mais pour qu'ils aboutissent, il faut tenir un discours de vérité à notre partenaire allemand : sans accord clair sur les règles d'exportation, sans respect d'un partage industriel équilibré sur le long terme, c'est-à-dire sans sécurité sur les plans juridique et économique, ces projets ne pourront suivre leur cours. Ces projets doivent être un point de départ pour permettre à d'autres partenaires européens de les rejoindre afin de construire un vrai consortium européen.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Privilégier et encourager les dispositifs flexibles, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union européenne, c'est-à-dire les coopérations spontanées ou les mécanismes de mutualisation, à l'exemple de celui qui existe dans le domaine du transport aérien militaire, le European Air Transport Command d'Eindhoven (EATC), dont le principe mériterait d'être étendu à d'autres domaines - hélicoptères, soutien médical, par exemple.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Nous avons voulu aborder ce sujet sur plan politique plutôt que sur le plan capacitaire, pour que ce rapport se distingue de ceux, nombreux, qui ont été publiés antérieurement et qu'il s'inscrive dans le prolongement de celui, excellent, qui avait été publié en 2013.

M. Christian Cambon, président. - Je remercie nos rapporteurs pour ce travail de fond et d'actualisation d'un certain nombre de données sur l'Europe de la défense. Nous souscrivons à vos propositions. Nous mesurons à quel point ont été utiles et productives les rencontres régulières que nous avons eues avec nos collègues anglais pour mieux comprendre le Brexit. Par contraste, nous mesurons le déficit de communication avec nos amis allemands. Lundi prochain, je dois rencontrer mon homologue allemand, dans l'espoir d'aplanir nos difficultés en la matière.

De la même manière, le FEDef doit bénéficier à la BITDE ; les industriels ont en effet souligné le risque accru que les Américains, pour ne citer qu'eux, captent des marchés par le biais de filiales implantées en Europe.

Le nouveau traité de défense qui devra être signé avec le Royaume-Uni après le Brexit s'imposera de lui-même, et tout montre que cette volonté est partagée.

S'agissant de l'expérimentation de mécanismes de mutualisation tels que l'EATC, j'adhère à cette idée. Construisons l'Europe comme on l'a fait à travers l'accord Capacité motorisée (ou CAMO) : c'est ce que j'appelle la politique des briques. Je me suis exprimé cette semaine au sujet du drone MALE : pour concurrencer le Reaper, nous avons besoin d'un drone léger ; or les Allemands, pour faire de la surveillance urbaine, proposent un drone pesant onze tonnes et équipé de deux moteurs, ce qui le rendrait difficilement exportable.

Avant que les uns et les autres ne prennent la parole, j'indique que j'ai été mandaté par le Bureau pour faire respecter strictement les temps de parole. Nous sommes en revanche convenus unanimement de ne recourir à la procédure d'un orateur par groupe que lorsqu'il existe des contraintes horaires.

M. Joël Guerriau. - Cet exposé rompt avec cette ambiance pessimiste qu'on a connue les années précédentes. Un certain nombre d'indices indiquent que nous allons finalement dans la bonne direction. La création du fonds européen constitue un événement majeur. Au-delà, qu'est-ce qui, dans les contacts que vous avez eus, serait de nature à conforter cet optimisme ?

M. Olivier Cigolotti. - Merci pour la clairvoyance de ce rapport et l'objectivité de vos propositions. Vous avez dit qu'aucun État européen n'était en mesure de soutenir sa BITD, d'où l'intérêt d'une BITDE pour faire face à des États comme la Russie et la Chine. Or on a le sentiment que la défense européenne fait peur tant à l'extérieur - M. Trump évoque régulièrement une sortie éventuelle de l'OTAN et Washington accuse l'Union européenne d'écarter les firmes américaines des projets de défense - qu'à l'intérieur, les États membres conservant l'illusion de leur souveraineté. Ces peurs peuvent-elles être surmontées ?

M. André Vallini. - La défense européenne, l'Europe de la défense : cela me fait penser aux exportations d'armes, notamment vers l'Arabie Saoudite. Il conviendrait que l'Europe harmonise ses positions, entre l'Allemagne qui déclare ne plus en exporter, alors qu'elle le fait par pays détournés, et la France qui poursuit ses exportations alors qu'elle ne devrait plus le faire.

S'agissant du fonds européen de défense, chaque pays pourra-t-il prendre des initiatives en matière de recherche et développement dans le domaine du matériel militaire, d'armement et de défense en étant subventionné par l'Europe ou bien faudra-t-il un minimum de pays ?

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Au moins trois pays.

M. Ladislas Poniatowski. - Vous dites que le budget défense des Allemands est supérieur au nôtre. Où vont ces 47 milliards d'euros ? La moitié de leur flotte de sous-marins reste à quai !

M. Christian Cambon, président. - La totalité !

M. Ladislas Poniatowski. - N'existe-t-il pas un subventionnement déguisé des entreprises allemandes d'armement, particulièrement performantes, et qui parfois nous dament le pion ?

M. Richard Yung. - Cela sert peut-être à payer les retraites !

Les Britanniques, comme cela été dit, souhaitent continuer à participer à l'effort de défense européen. Pour autant, on a du mal à concevoir quelle forme prendrait cette participation. Nous avons essayé de construire avec eux un porte-avions, et cela n'a pas marché.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci pour ce très intéressant rapport, qui fait suite à celui de 2013, qui, au sujet de l'Europe de la défense, parlait d'un « fatras conceptuel intraduisible pour nos partenaires européens ». C'est encore un peu le cas : les Européens n'en veulent pas et les Américains exercent une pression considérable, encore récemment sur le Parlement européen au sujet des achats.

Lors du dernier conseil d'administration de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), il a été annoncé que la voilure allait être réduite, en particulier à l'international. Comment faire alors pour aller de l'avant ?

Au sujet du SCAF, celui-ci comportera des éléments nucléaires. Or l'Allemagne a adopté une position antinucléaire. Comment surmonter cette contradiction ?

M. Robert del Picchia. - Une partie du budget militaire allemand est destinée à aider les centres de recherche civils qui ont une activité duale pouvant bénéficier aux militaires. J'ai un exemple en tête à côté de Munich.

Le Livre blanc, pourquoi pas, mais c'est un vaste programme ? Pour ne prendre que cet exemple, que voudra y inscrire l'Autriche, dont la neutralité permanente est inscrite dans sa constitution ?

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Beaucoup de nos interlocuteurs ont été surpris que nous venions les écouter, habitués à ce que la France soit force de proposition. Le sentiment global a été positif. Pour autant, nous avons été surpris par certaines de nos rencontres. Au Bundestag, notre interlocuteur, porte-parole sur les questions de défense au SPD, a défendu l'idée d'une armée européenne, ce à quoi nous ne nous attendions pas. En Pologne, nos interlocuteurs ont une position qui s'explique par l'Histoire. Les Polonais considèrent qu'il n'y a pas de défense européenne possible sans les Américains. C'est ainsi qu'ils veulent construire une base américaine, gérée par les Américains avec des missiles dont le déclenchement serait décidé par les Américains. Quelqu'un nous a dit que la Pologne se comportait comme un État américain sur le territoire européen.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Tous nos déplacements ont donné lieu à des surprises. Les visions développées par certains de nos interlocuteurs nous ont fait tomber de notre chaise. Le député du SPD dont a parlé Mme Hélène Conway-Mouret nous a dit qu'il était favorable à une armée européenne qui serait créée ex nihilo. C'est une idée à laquelle nous n'adhérons absolument pas. Il a précisé néanmoins - le SPD est membre de la coalition au pouvoir en Allemagne - qu'il émettait une opinion personnelle. Il faut savoir qu'il existe au sein du SPD un profond mouvement pacifiste qui a une influence considérable sur la politique allemande. Plus tard, un député CSU nous a expliqué que son parti avait rendu publique une position favorable à une armée européenne.

En Roumanie et en Pologne nos interlocuteurs nous ont dit craindre une menace depuis leur flanc est.

M. Christian Cambon, président. - M. Wolfgang Hellmich, président de la commission de la défense au Bundestag, nous indiquait que, selon un sondage récent, 86 % des Allemands souhaitaient le rapatriement des forces allemandes déployées à l'étranger, notamment dans le cadre d'opérations des Nations unies. Les positions des députés allemands sont atomisées, contrairement à ce qu'on constate chez nous.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Pour répondre à M. Olivier Cigolotti, nous avons constaté une volonté d'avancer sur la BITDE. Certes, il existe des réticences pour des raisons économiques - certains pays n'ont pas d'industries d'armement ni la capacité d'investir. De même, certains pays de l'est de l'Europe craignent d'irriter les Américains - M. Donald Trump, très imprévisible, a déjà menacé de quitter l'OTAN. Le FEDef permettra d'aider un certain nombre de pays. Si les projets, nécessairement présentés par au moins trois pays - un pays leader et deux autres -, dans les domaines de l'innovation et de la recherche, sont agréés, ils bénéficieront de l'aide du FEDef à hauteur de 20 %. Nous avons insisté sur l'importance de l'intelligence artificielle et du numérique, qui nécessitent des investissements moins importants au départ.

Le sentiment de faire partie de cette grande famille européenne peut aussi apaiser les peurs.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - En effet, certains de nos interlocuteurs nous ont donné le sentiment que la défense européenne pouvait faire peur. Depuis le discours de Barack Obama sur le pivot asiatique, la politique américaine a été réorientée dans cette direction - sans changement depuis lors. Tous nos interlocuteurs avaient en tête la déclaration de Donald Trump, qui a semblé indiquer que l'article 5 du traité de l'OTAN ne serait pas automatiquement appliqué en cas d'attaque du Monténégro. Une réponse, qui est notamment celle de la France, est de considérer que l'Europe ne pourra pas éternellement compter sur les États-Unis pour assurer sa sécurité et devra un jour la prendre davantage en main. D'autres États veulent tout faire pour empêcher ce mouvement, en considérant que la promotion d'une défense européenne risquait d'accélérer un éventuel désengagement américain. Comment surmonter ces divergences ? Nous avons évoqué les trente-quatre projets de la coopération structurée permanente, qui avancent, ou le fonds européen de défense - La Commission européenne propose 13 milliards d'euros sur la période 2021-2027. L'idée de ce fonds est de créer une base européenne à partir de projets reposant sur des industriels issus de trois pays différents au minimum. Si le projet s'inscrit parmi les trente-quatre projets évoqués à l'instant, il bénéficie d'un bonus supplémentaire. C'est également le cas si les industriels font appel à des PME ou des ETI d'autres États, la participation pouvant alors atteindre 50 %.

M. Ladislas Poniatowski a soulevé un point très important : son industrie est ce qu'il y a de plus important pour l'Allemagne. Un Allemand sur sept travaille de près ou de loin pour l'industrie automobile ! Indiquons aussi que les soldes des militaires allemands sont largement supérieures à ce qu'elles sont en France, de même que le niveau de confort des casernes militaires allemandes. Ce n'est pas dans les opérations extérieures que les Allemands dépensent leur argent - l'Allemagne compte 3 300 hommes en OPEX contre 10 000 pour la France.

Parlons aussi de l'Eurodrone, sur lequel travaillent la France, l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne, chacun de ces pays s'étant engagé à en passer une commande préalable pour son financement : sept pour l'Allemagne, cinq pour l'Italie et l'Espagne et quatre pour la France.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Le directeur général de l'Agence européenne de défense nous a dit que le Royaume-Uni n'avait jamais été aussi volontariste pour présenter des projets en matière de défense que depuis le vote du Brexit ! En quittant l'Union européenne, les Britanniques perdent tous les accès aux outils qui existent. L'idée de ce traité, c'est de voir comment l'armée britannique - que nous connaissons bien à travers les OPEX et des actions de formation conjointes - pourrait se voir faciliter l'accès à ces différents outils pour arrimer le Royaume-Uni au continent européen.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - À bien des égards, le partenaire naturel de la France, c'est le Royaume-Uni. Nous sommes membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, nous disposons de l'arme atomique, dont les doctrines d'emploi sont similaires. On ne retrouve ce degré de proximité nulle part ailleurs.

Nous sommes favorables à ce que le Royaume-Uni participe à un conseil de sécurité européen, idée développée par les dirigeants français et allemand. Il faut ancrer ce pays dans la politique européenne de sécurité et de défense, ne serait-ce que pour des raisons géographiques.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Nous collaborons étroitement avec le Royaume-Uni dans le domaine du renseignement, et il ne faut pas dissocier sécurité et défense.

Madame Garriaud-Maylam, vous connaissez bien l'IHEDN pour en être administratrice. Nous proposons de créer une sorte d'IHEDN européen à Bruxelles, sur le modèle français, qui rassemble pendant une année des militaires, de hauts fonctionnaires et des civils. Cela fonctionne très bien et permet de sensibiliser de futurs décideurs aux questions de défense et de sécurité.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - La plupart des pays vous répondront qu'une telle structure est inutile compte tenu de l'existence de l'OTAN. C'est en tout cas la réponse que m'avait faite son secrétaire général lorsque je l'avais interrogé sur la complémentarité entre l'Union européenne et l'OTAN en matière de défense. Il m'avait répondu qu'après le Brexit, 85 % de la défense européenne serait assurée par des pays n'appartenant pas à l'Union européenne.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Rien n'empêche de commencer avec deux ou trois pays.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Rappelons que le Brexit va amputer le budget du Royaume-Uni, qui n'aura peut-être pas les moyens d'avancer.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Sur le SCAF, il faut signaler, ce que peu d'Allemands savent, que des pilotes allemands pourraient être amenés à piloter des jets dotés d'armes nucléaires installées sur leur sol, et que des entraînements ont lieu quotidiennement.

La remarque de M. Robert del Picchia est tout à fait juste. Nous utilisons souvent des termes qui sont intraduisibles ou difficilement traduisibles, par exemple « Europe de la défense », cependant que d'autres n'ont pas le même sens d'un pays à l'autre. C'est pourquoi il faut mener un travail pour sortir de ce flou artistique, objet de ce Livre blanc européen : il faut définir des termes sur lesquels tout le monde se mettra d'accord.

Nous pensions que les Européens pouvaient être classés en deux catégories : ceux qui craignent une menace sud et ceux qui craignent une menace est. Nous en avons trouvé une troisième : ceux qui ne se sentent pas menacés. À partir de là, il est difficile de trouver des solutions en commun.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - L'idée du Livre blanc, c'est de mettre tout le monde autour de la table pour éviter toute duplication avec l'OTAN. Le discours de la Sorbonne du président français, ainsi que sa déclaration sur une armée européenne, nous ont conduits à parler de ce sujet. Et ce Livre blanc doit aussi nous permettre d'éviter que la France ne soit perçue comme voulant imposer sa vision à l'ensemble des autres pays. Il faut enclencher une réflexion stratégique au niveau européen : dans un certain nombre de pays, l'autonomie stratégique est un véritable chiffon rouge, parce qu'elle est synonyme d'indépendance vis-à-vis des États-Unis.

M. Christian Cambon, président. - Merci encore pour ce travail, qui remet à niveau les connaissances de la commission et qui lui fait honneur. La synthèse de ce rapport fera l'objet d'une traduction.

M. André Vallini. - Ce rapport me fait penser à celui que nous avions rédigé en 2013 avec nos anciens collègues Xavier Pintat, Jacques Gautier et Daniel Reiner.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Vous figurez tous en bonne place dans notre rapport !

Mme Christine Prunaud. - Je vous félicite de ce travail et de l'intérêt qu'il suscite. Malgré tout, nous voterons contre. J'ai apprécié les réserves que vous avez formulées à l'égard de cette défense européenne qui ne concernait que la France et l'Allemagne. Il serait souhaitable que d'autres pays aient un pouvoir de décision. Pour mon groupe, le problème est de savoir ce que serait l'indépendance de cette défense européenne par rapport à l'OTAN, organisation dont nous contestons l'utilité. Qui commandera ? Qui assurera la gouvernance de cette future défense européenne ? L'OTAN ? Quelle autonomie stratégique par rapport à celle-ci ?

M. Christian Cambon, président. - C'est donc une opposition constructive...

Mme Gisèle Jourda. - Pour ma part, je m'abstiens.

La commission autorise la publication du rapport d'information.