C. LA SIDÉRURGIE RESTE COMPÉTITIVE ET EST LA FONDATION STRATÉGIQUE DE NOMBREUSES FILIÈRES AVAL DE L'INDUSTRIE FRANÇAISE...

1. La filière française reste compétitive

Malgré le déclin de l'emploi et de la production sidérurgique, la filière française reste compétitive sur ses segments de prédilection.

Sur le marché des produits plats , dominé par ArcelorMittal, les capacités de production sont actuellement utilisées à plein régime, tirées par la bonne santé des clients principaux, tels que le secteur automobile, et par le faible prix des matières premières. Environ 11 millions de tonnes sont produites annuellement en France, ce qui représente plus des deux tiers de la production française totale. Les entreprises implantées sur le territoire français sont majoritairement des filiales de grands groupes performants, aux budgets importants d'investissement et de recherche. La France se caractérise aussi par une spécialisation sur les aciers plats inox, secteur en bonne santé, malgré une concurrence accrue des producteurs asiatiques.

Sur le marché des aciers longs , les produits destinés à la construction font également face à la concurrence internationale, mais ont bénéficié de mesures en faveur des établissements électro-intensifs et du faible coût de l'électricité en France, en dépit de certaines incertitudes sur l'approvisionnement en acier et sur les débouchés. Environ 4,4 millions de tonnes sont produites annuellement en France.

Sur le marché des aciers longs spéciaux et des superalliages, la situation est en revanche plus contrastée. Lors de la structuration du marché européen de l'acier, marqué par un certain degré de spécialisation de chaque pays, la France s'est orientée vers des aciers à haute valeur ajoutée et innovants à destination d'industries de pointe (aéronautique, automobile, pétrole, nucléaire...). Si ces entreprises se trouvent dans des situations très diverses, elles sont fragilisées par leur concentration sur des produits de niches, extrêmement vulnérables aux cycles conjoncturels. À titre d'exemple, le groupe Vallourec a été fortement touché par le retournement du marché du pétrole et du gaz. La production française d'aciers spéciaux et de superalliages représente un peu moins d'un million de tonnes annuelles.

Principaux producteurs français d'acier par type de produit

Source : A3M

2. L'industrie française dans son ensemble est fortement dépendante de l'approvisionnement en acier

La mutation et l'adaptation de la filière sidérurgique est stratégique pour l'industrie française dans son ensemble : en effet, celle-ci représente un facteur de compétitivité pour tout un pan de l'industrie manufacturière dépendant d'un approvisionnement en acier à la fois proche géographiquement, stable, au coût maîtrisé et de qualité. Parmi les filières aval, on compte des fleurons industriels français, tels que les industries du nucléaire, de l'aéronautique, des secteurs ferroviaire ou encore automobile.

La consommation d'acier en France et ses usages

Source : A3M

À l'inverse, un déclin de la production française obligerait de nombreux secteurs d'activités à recourir à l'importation d'acier, avec moins de prévisibilité et de sécurité d'approvisionnement. Sur certains besoins spécifiques, en particulier dans les industries de pointe, les utilisateurs d'acier pourraient même faire face à des pénuries.

La préservation de l'implantation en France de capacités de production d'acier doit donc être un volet incontournable de toute stratégie industrielle digne de ce nom.

a) Le secteur de la construction

En France, le secteur du bâtiment est le premier utilisateur d'acier, à hauteur d'environ 4,3 millions de tonnes, soit plus de 43 % de la consommation totale d'acier en France. Il s'agit principalement de produits liés à l'usage du béton (fers à béton, treillis soudés), de poutrelles, et d'acier dédié aux enveloppes métalliques. Selon l'Union des métalliers, interrogés par votre rapporteure, la production française d'acier est actuellement plutôt adaptée aux besoins de la construction, consommatrice principalement de produits courants, et tous les produits nécessaires sont disponibles sur le marché français, hors besoins spéciaux. 18 ( * )

Produits sidérurgiques consommés par le secteur du bâtiment en France

Source : Fédération française du bâtiment, Union des métalliers

b) Le secteur des transports

Le second principal débouché des produits sidérurgiques est le secteur des transports , en grande partie en raison de la consommation du secteur automobile, mais qui inclut aussi les secteurs aéronautique et ferroviaire. Ensemble, ils représentent 26 % de la consommation française d'acier. Dans le secteur ferroviaire par exemple, les usages comportent notamment le rail, la roue et les essieux, ainsi que les wagons et les moteurs ; dans l'industrie automobile, la carrosserie, les moteurs, et de nombreux composants tels que les boîtes de vitesse ou le châssis, utilisent de l'acier. Plus de 6 millions de tonnes de production d'acier plats et spéciaux, dont 2,7 millions de tonnes d'acier français, sont utilisés annuellement par les équipementiers et constructeurs automobiles.

Comme l'a indiqué à votre mission la Fédération des industries ferroviaires (FIF), « Le ferroviaire s'est installé dans les zones sidérurgiques » 19 ( * ) : pour les industries dépendantes d'un approvisionnement d'acier direct, la proximité géographique des producteurs sidérurgiques est un facteur de compétitivité et de performance.

Dans ces industries de pointe, les exigences techniques de qualité et de sécurité pèsent sur les besoins en acier : en particulier, les matériaux doivent impérativement être traçables, et dans certains cas certifiés. Pour ces raisons, la FIF a relevé que l'approvisionnement en certains produits d'aciers spéciaux n'était pas assuré de manière stable sur le territoire français . À titre d'exemple, elle a signalé que le diamètre maximal des produits français s'avérait souvent inférieur au diamètre nécessaire pour la production de roues et d'essieux.

L'industrie automobile représente également l'un des principaux gisements d'évolutions technologiques pour l'acier français : les principaux centres de recherches des sidérurgistes travaillent à l'élaboration d'acier plus légers, plus résistants, ou encore à de nouveaux revêtements. Toutefois, votre rapporteure relève que le replacement progressif du parc automobile par des véhicules à motorisation électrique conduirait à une consommation réduite d'acier, de l'ordre de 15 à 20 % du volume par véhicule, et jusqu'à 50 % des besoins en tubes d'acier.

La Plateforme française automobile (PFA), interrogée par votre rapporteure, a indiqué que la majorité des produits longs utilisés par l'industrie automobile sont disponibles sur le marché français, tandis que les produits plats sont aussi issus de l'importation, les « routes sidérurgiques » étant constituées à l'échelle européenne, pour des raisons tenant principalement à un différentiel de prix. La PFA estime ainsi que : « La principale difficulté des entreprises sidérurgiques françaises réside dans leur manque de compétitivité. Les entreprises françaises gagneraient à s'appuyer sur une vision du prix global de fabrication d'une pièce et non en se focalisant sur la seule part matière. Elles doivent élargir leur vision du produit en assurant des échanges réguliers avec l'ensemble des acteurs de la filière de fabrication d'une pièce. » 20 ( * )

c) Des filières d'avenir aux besoins spécifiques en acier

Enfin, les avancées technologiques font apparaître de nouvelles filières industrielles, susceptibles de modifier la demande d'acier sur le territoire. Ainsi, la transition énergétique laisse anticiper une forte croissance des besoins en matière d'éolien.

Alors que la filière éolienne accélère son développement à l'échelle européenne, la production en France d'acier répondant à ses besoins pourrait représenter un avantage comparatif. Siemens Gamesa a ainsi indiqué à votre rapporteure que le groupe achète ainsi plus de 200 000 millions de tonnes d'acier (principalement de l'acier plat) au niveau européen. 21 ( * ) Toutefois, malgré le lancement de sept nouveaux projets et un parc existant conséquent, le groupe a indiqué ne pas pouvoir entièrement se fournir en France, en raison de prix trop élevés et du défaut de fournisseurs capables d'accompagner la croissance de la demande, privilégiant un acier provenant d'Espagne ou d'autres pays. 22 ( * ) Pourtant, entre 50 % et 90 % d'une éolienne est composée d'acier, utilisé aussi bien pour le mât que pour le transformateur ou la génératrice : une éolienne terrestre avec une fondation de type « jacket » représente ainsi environ 1 200 tonnes d'acier.

Selon le rapport « Analyse de la vulnérabilité d'approvisionnement en matières premières des entreprises françaises », remis en mars 2019 au Gouvernement, l'évolution des besoins en acier dans le secteur des énergies renouvelables continuerait à croître : « Au total, la quantité cumulée de métaux de base (acier, cuivre et aluminium) nécessaire en 2050 pour générer les infrastructures de production électrique à partir d'énergies renouvelables atteindrait entre 6 et 11 fois la production mondiale totale de 2010, en l'absence de nouvelles technologies productives moins consommatrices de ressources. » 23 ( * )

Ainsi, de nombreuses filières industrielles françaises, parmi les plus performantes et les plus internationalisées, sont dépendantes d'un approvisionnement adapté en acier. Si certaines peuvent facilement se procurer l'acier nécessaire via l'import, d'autres industries ont insisté sur la nécessité de conserver une production française, implantée à proximité, de haute qualité et répondant aux besoins spécifiques. Le maintien des capacités sidérurgiques sur le territoire français doit donc être une priorité incontournable de la stratégie industrielle française, comme le préconisaient déjà le rapport « La filière acier en France et l'avenir du site de Florange », remis au Gouvernement par M. Pascal Faure en 2012, 24 ( * ) et le rapport fait au nom de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale chargée d'investiguer sur « la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement » en 2013. 25 ( * )


* 18 Contribution de l'Union des métalliers de la Fédération Française du Bâtiment.

* 19 Audition du 22 mai 2019 par la mission d'information.

* 20 Contribution de la Plateforme française automobile.

* 21 Audition du 22 mai 2019.

* 22 Pourtant, le potentiel de consommation d'acier est important : Siemens Gamesa a indiqué avoir acheté en 2017 des matériaux valant près de 70 millions d'euros en France, 23 % auprès d'ETI.

* 23 Rapport remis au ministre de l'économie et des finances et au vice-président du Conseil national de l'Industrie par Mme Nathalie Homobono et M. Denis Vignolles en mars 2019, intitulé « Analyse de la vulnérabilité d'approvisionnement en matières premières des entreprises françaises ».

* 24 Rapport remis au ministre du redressement productif en juillet 2012 par M. Pascal Faure, intitulé « La filière acier en France et l'avenir du site de Florange » : « La conservation d'une capacité de production sidérurgique dans la filière liquide en France est un enjeu stratégique national. »

* 25 Précité : « Le désengagement puis l'abandon des activités de base hypothéqueraient gravement notre indépendance et ne manqueraient pas de subordonner plus encore la stratégie industrielle de nombreuses entreprises à l'errance des marchés. »

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