B. PENSER EN TERMES DE « SYSTÈME DE SYSTÈMES » : UNE EXIGENCE NOUVELLE

1. L'architecture du SCAF

En 2040, les menaces devraient avoir beaucoup évolué. Les défenses aériennes longue-portée et les systèmes de déni d'accès, en pleine expansion avec notamment l'exportation des systèmes russes (S400 et suivants), se seront « démocratisées ». La furtivité des avions sera généralisée, l'ennemi usera systématiquement de moyens de défense cyber, de drones volant en essaim ou non, de missiles hypervéloces. L'intégration des défenses terre/mer/air/espace et des capacités cyber sera elle-même beaucoup plus développée. L'enjeu de l'aviation de combat future sera ainsi d'avoir la capacité de conquérir et maintenir la supériorité aérienne, afin de pouvoir agir à travers la troisième dimension, à terre comme en mer.

La construction du SCAF nécessite donc de changer de paradigme . À la menace en système, il faudra répondre par un SCAF lui-même construit en système afin de mener le « combat collaboratif » . Le SCAF comportera ainsi obligatoirement plusieurs composants, eux-mêmes agencés en plusieurs cercles.

• Le premier cercle constitue le NGWS (next generation weapon system) qui englobe :

- un avion de combat a priori habité à ce stade (le NGF) capable de mener à bien les missions d'interception et la défense air/air ainsi que, dans le cas français, la dissuasion. Il semble ainsi y avoir nécessité de maintenir un avion piloté, notamment dans les cas où la décision d'intervention comporte une dimension politique marquée ; en outre les systèmes non pilotés sont plus exposés au brouillage ou à la destruction de leur liaison de donnée à grande distance (satellite). Toutefois, cet aspect est sans doute encore susceptible d'évoluer (cf Partie III) ;

- des « remote carriers » (effecteurs déportés) pouvant avoir une masse de l'ordre du kilogramme à celle de la tonne, machines non habitées ayant des capacités de saturation (envoi d'essaims pour saturer les défenses ennemies), de leurrage, de renseignement (avant et pendant la mission), voire de frappe contre des cibles très défendues. Certains d'entre eux seront récupérables par retour direct ou par récupération sur le terrain, d'autres seront consommables à l'instar d'une munition. Ils seront dotés dans une certaine mesure de capacités autonomes (intelligence artificielle), notamment afin de faire face aux menaces qu'ils pourraient rencontrer en avance de phase par rapport aux avions de combat ;

Les remote carriers, outils polyvalents du combat du futur

De nombreuses applications sont possibles pour les remote carriers, « effecteurs déportés » qui pourront peser de quelques kilos à plusieurs tonnes : pénétrer les défenses ennemies en les saturant par le nombre ; leurrer les appareils adverses ; effectuer des missions de guerre électronique (brouillage) ; désigner des cibles pour d'autres avions ; effectuer des missions de reconnaissance ; lancer des missiles à la place des avions de combat, etc.

MBDA étudie particulièrement les plus petits remote carriers, qui seraient des « consommables », c'est-à-dire qu'ils ne seraient pas récupérables. Ils seront éventuellement équipés d'une charge explosive pour pouvoir les détruire en cas de perte, afin que leur technologie ne bénéficie pas à l'ennemi. Ces petits remote carriers devront par ailleurs être peu onéreux dans la mesure où ils devront être utilisés en grand nombre.

Airbus travaille davantage sur les remote carriers plus massifs, potentiellement de plusieurs tonnes, qui seraient largués depuis des gros porteurs (A400M). Ils pourraient être récupérés au sol, ou en vol, tandis que les plus gros pourraient être équipés de trains d'atterrissage. Accompagnant des avions habités, ces derniers seraient ainsi des « Loyal wingman » (équipier fidèle), capables de mener des opérations de combat, de défense d'avions pilotés ou de recueillir du renseignement.

- le tout au sein d'un « Air combat cloud » connectant l'ensemble des plateformes et permettant de mener le combat collaboratif.

• Le 2 ème cercle comprendra, pour la France, le Rafale dans ses déclinaisons à venir, des satellites, des avions de ravitaillement, des avions radar, des navires de la Marine, des satellites, les moyens des forces alliées, etc.

L'ensemble des éléments qui composent ces deux cercles devront communiquer entre eux en permanence de manière à constituer une équipe dirigée par les pilotes des avions de combat. Ainsi, l'interopérabilité, la connexion et le dialogue entre les plateformes, au sein du « cloud de combat», seront essentiels. La capacité militaire résidera moins dans les performances unitaires des éléments constitutifs (plateformes, senseurs, effecteurs) que dans la manière de les combiner . Ce système pourra notamment décider en fonction de la menace ou de l'évolution de la situation quelle plateforme doit attaquer (drone, missile) et quelle plateforme doit rester en arrière.

En tout état de cause, les formations d'attaque devraient comporter moins d'avions de combat qu'actuellement , l'effet nombre pouvant être obtenu grâce aux divers remote carriers, dont on acceptera plus facilement l'attrition puisqu'ils ne seront pas habités et qu'ils seront potentiellement moins onéreux, pris individuellement, qu'un avion de combat.

Dessin : MBDA

2. Des innovations nécessaires

Pour être au rendez-vous de 2040 et rester compétitif jusqu'en 2080, le SCAF devra être très innovant . Il s'agit non seulement de conserver une supériorité effective au combat face aux moyens déployés par les adversaires, mais aussi d'être attractif à l'exportation . Seul un système comportant une ou des « briques » totalement exclusives et innovantes sera compétitif face à des concurrents très expérimentés en matière d'exportation d'armements.

La nouvelle organisation en système de systèmes rend ainsi des innovations indispensables dans les secteurs suivants :

- Les technologies de l'avion : meilleure propulsion grâce à un moteur plus chaud (cf.ci-dessous) et à la technologie du cycle variable, meilleure furtivité, meilleure manoeuvrabilité. L'avion de combat, qui sera optionnellement « dronisé », reste au centre du SCAF. Il est clairement dans l'intention des dirigeants du programme de reprendre de l'avance en 2040 face aux adversaires et concurrents actuels et futurs avec un avion de combat doté des meilleures capacités possibles à cette date.

- les technologies des capteurs , avec le développement d'antennes combinant radar, écoute, communication et guerre électronique ;

- la technologie des « remote carrier » , des percées étant notamment nécessaires en matière de réduction des coûts s'agissant des drones consommables, de miniaturisation, de vol en essaim.

Trois domaines d'innovation technologique appellent par ailleurs un développement spécifique : la connectivité et le cloud de combat ; l'intelligence artificielle, le nouveau moteur.

3. Les défis de la connectivité et du cloud de combat

Les aspects liés à la connectivité seront essentiels. Celle-ci comprendra probablement une liaison intra-patrouille haut débit, une liaison satellite haut débit, éventuellement des liaisons optiques (Cf. encadré ci-après). La cyber sécurité sera également un enjeu primordial pour l'ensemble du système. Le SCAF devra aussi pouvoir fonctionner hors connectivité en cas de perte totale des connexions. Sur tous ces aspects, l'armée de l'air développe actuellement le projet Connect@aéro 12 ( * ) en prenant en compte les systèmes existants, qu'il s'agisse du satellite Syracuse 4 ou du système de navigation Oméga, ou bien du Rafale F4 pour lequel la « brique » connectivité sera centrale.

De manière corrélative, la gestion des données constituera un aspect essentiel du SCAF . Les données extrêmement nombreuses produites par les multiples aéronefs qui constitueront le SCAF devront être triées, traitées, analysées pour fournir la meilleure information aux opérationnels.

Actuellement, le Rafale est déjà mis en réseau mais le pilote se sert principalement de ses propres capteurs et, dans une moindre mesure, d'informations apportées par le réseau. De nombreuses données issues des capteurs de l'avion ne sont pas partagées. La nouvelle génération du combat aérien ira de pair avec de meilleures capacités des capteurs ; une meilleure utilisation du spectre électromagnétique ; une augmentation des capacités de stockage ; l'intelligence artificielle permettant d'extraire et de traiter les données ; des outils et architectures de fusion de données hétérogènes, intégrant les données brutes émanant de capteurs embarqués ou déportés et que pratiquent déjà de manière isolée les avions de 5 ème génération (F22 et F35) ; enfin une meilleure diversité et rapidité de développement des applications. Ainsi, sur le SCAF, la gestion du transfert des données par le réseau devra se faire indépendamment du pilote, qui ne verra que les données fusionnées. Il supervisera ainsi la globalité du processus. Il s'agira au total d'un changement de paradigme : le passage d'un échange de données dicté par le format du réseau à des données qui sont au centre du système 13 ( * ) .

L'objectif final du cloud tactique est ainsi d'accélérer la prise de décision et son exécution , de manière à obtenir la supériorité tactique.

Un des aspects cruciaux du Cloud et des liaisons de données sera également leur robustesse contre les menaces cyber-électronique : le NGWS évoluera probablement dans un environnement électromagnétique très contraint et brouillé, ce qui imposera la possibilité de fonctionner sans connexions.

L'enjeu central de la communication satellitaire

Le SCAF reposera donc sur un échange de données très important, via une mise en réseaux de tous les acteurs. La maîtrise de ces échanges est fondamentale et représente un véritable enjeu de souveraineté sans remettre en cause la recherche d'une très haute interopérabilité (...).

L'aviation de combat est aujourd'hui aux débuts du concept de système de systèmes. La connectivité entre différents vecteurs est déjà une réalité mais elle est encore assez partielle et limitée : le standard F4 du Rafale qui préfigure l'avion de combat ultra-connecté est le premier à implémenter de série la communication par satellite.

Le domaine spatial jouera un rôle éminent dans les capacités opérationnelles du SCAF en apportant des briques essentielles dans la construction du « système de systèmes », considérant la réactivité, l'allonge et la vitesse de déplacement qui caractérisent les vecteurs aériens. Inversement, le SCAF pourrait lui aussi contribuer au domaine spatial.

L'espace exo-atmosphérique est en effet devenu un maillon essentiel à chaque étape du cycle des opérations, de la connaissance de nos centres d'intérêt, à l'évaluation de nos actions sur nos ennemis, en passant par la planification et l'exécution de nos opérations. Les services fournis par le spatial sont nombreux tels que les communications satellitaires, le positionnement, la navigation, la synchronisation horaire, l'alerte avancée, la météorologie, la surveillance et l'écoute spatiales. Ces capacités fournissent un avantage majeur et différenciant, en réduisant les incertitudes liées aux situations de combat. Elles permettent d'accéder aux zones ne pouvant être atteintes par les moyens terrestres, maritimes et aériens. Le suivi depuis l'espace des zones d'intérêt, par l'observation et l'écoute, contribue à la planification et à la conduite des opérations ainsi qu'à l'autonomie nationale d'appréciation de situation, en permettant de renseigner sur les dispositifs et intentions ennemis ou d'exercer une surveillance générale d'anticipation. Il apporte une aide pour tracer, cibler et engager l'adversaire et constitue un moyen pour l'estimation des dommages de combat ou « Battle Damage Assessment». L'appui ISR (intelligence, surveillance, and reconnaissance) permet une meilleure compréhension de la situation, notamment pour l'alerte des unités et l'appréciation de la manière dont les forces amies perturbent l'adversaire. Dans le domaine de la veille stratégique permanente, il contribue à la connaissance et l'anticipation des risques et des menaces potentielles.

L'appui du spatial aux opérations futures demande néanmoins des évolutions.? La précision requise pour les opérations, exige des données fiables, calibrées, actualisées, distribuées en temps quasi-réel. L'image d'origine satellitaire permet la désignation d'un objectif mais ses contraintes la rendent incompatible avec une exploitation temps réel embarquée : la fréquence de revisite sera un paramètre essentiel pour s'approcher de la permanence.

La protection face aux nouvelles menaces comme les missiles hyper véloces s'appuiera sur l'alerte avancée. Il faudra détecter et caractériser les tirs, alerter dans les plus brefs délais, évaluer les impacts et déduire d'éventuelles contre-mesures pour les objets du SCAF le nécessitant.

Outre l'allonge des nouveaux vecteurs et leur très grande connectivité, l'intégration de vecteurs pilotés à distance et/ ou automatisés caractérisera les opérations intégrant le SCAF. Les communications par satellite permettent de piloter à distance et de communiquer indépendamment des contraintes géographiques. La mobilité opérationnelle, pour des vecteurs utilisant des Satcom, devient vitale tout comme l'effacement des contraintes de couverture autour du globe et l'accès aux fréquences (Ka, Ku, X, voire utilisation de communication par Laser). La disponibilité des ressources Satcom devient critique. Elle devra faire l'objet d'une planification précise et nécessitera beaucoup de robustesse (notamment cyber) et de la résilience. Opérer avec des objets de nature très disparate impose une coordination forte entre ces objets. Les données position, navigation et temps (PNT) qui sont déjà indispensables, le seront encore plus demain. Il s'agira de garantir aux forces l'usage d'informations de localisation fiables et intègres afin de mieux s'entraîner, planifier et conduire leurs opérations (gain en précision et limitation des risques dommages collatéraux). Outre la coordination des opérations, la maîtrise du temps permet le fonctionnement des systèmes et réseaux d'informations en termes de synchronisation et de sécurité.

Enfin, la Guerre de la navigation (NavWar) va continuer de se répandre, coordonnant des actions défensives et offensives pour garantir l'usage des données PNT aux forces amies et le dénier à leurs adversaires. Les objets du SCAF devront donc non seulement s'en préserver mais potentiellement jouer un rôle offensif dans ce domaine. Enfin, les systèmes du SCAF pourront apporter une capacité de soutien tactique aux opérations spatiales. Ainsi, les approches les plus futuristes imaginent la contribution de l'avion de chasse NGF du SCAF pour mettre en orbite des petits satellites de faible durée de vie via l'emport d'une fusée/missile sous son fuselage, apportant ainsi une grande réactivité.

Source : Jean-Pascal BRETON | N° 118 - Le Spatial, 1er juin 2019

(Jean-Pascal Breton est le responsable AA du programme SCAF.)

L'une des caractéristiques essentielles du SCAF sera aussi d'être un système ouvert , capable d'interconnecter et d'interopérer tous les systèmes d'armes entre eux. Cette approche est nouvelle : même les États-Unis ont jusqu'à présent davantage mis en oeuvres des systèmes fermés. Ainsi, le F35, malgré sa modernité et ses performances, est plutôt un système fermé, ce qui explique les difficultés qu'il rencontre à travailler hors de son réseau propre.

Ceci pose toutefois la question de l'autorité capable d'imposer les standards de cette interopérabilité . L'une des possibilités aurait été une intégration aux normes américaines qui soutiennent le F35. Ce serait cependant, là encore, une atteinte importante à l'autonomie stratégique européenne. La France a donc plutôt décidé de développer avec l'Allemagne et l'Espagne son propre Cloud, ce qui supposera ensuite de travailler à l'interopérabilité otanienne. Concrètement, les pays du SCAF doivent avoir la capacité de développer un standard d'interopérabilité qui viendra se substituer à la liaison 16 de l'OTAN, basée sur une technologie américaine et qui ne peut donc être employée à l'extérieur des États-Unis sans leur accord (cf. le programme EcoWar déjà évoqué, page ).

4. L'intelligence artificielle

L'Intelligence Artificielle (IA) sera essentielle à la performance du SCAF . Elle constituera en effet un assistant virtuel pour le pilote, capable de l'aider dans sa décision en triant les informations les plus pertinentes issues des capteurs afin d'éviter la saturation et réduire le stress du combat. L'IA permettra également la génération automatique de plans de mission, l'adaptation des capteurs au terrain ou encore la maintenance prédictive. Elle jouera également un rôle dans le domaine de la coopération entre drones. L'IA jouera ainsi un rôle essentiel aussi bien au sein du NGF que pour les « remote carriers ».

Les développements relatifs à l'IA touchent un champ très large de domaine, en particulier les questions d'organisation militaire et des sujets d'éthique (usage de la force létale/lois de la guerre). En tout état de cause, pour le moment, l'intelligence artificielle est considérée par les dirigeants du programme SCAF comme un moyen d'augmenter les capacités de l'homme, qui resterait au coeur du système, plutôt que comme un moyen de le remplacer 14 ( * ) . C'est dans cet esprit qu'a été lancé le 16 mars 2018 par le ministère des armées le projet « Man Machine Teaming » (MMT) , qui a précisément pour but de préparer les technologies d'intelligence artificielle nécessaires à l'aviation de combat du futur. Un contrat a été confié à Dassault Aviation et Thales. Dans le cadre de ce programme, un quart des études seront confiées à des laboratoires, à des ETI-PME innovantes et à des startups spécialisés dans l'intelligence artificielle, la robotique et les nouvelles interfaces homme/machine. Il s'agit de faire émerger des technologies qui bénéficieront à la fois au Rafale modernisé et au futur SCAF. Deux appels à projet ont déjà été lancés et ont permis de sélectionner des entreprises.

Le projet Man Machine Teaming

Ce projet vise à doter les différents systèmes-machines de d'avantage d'autonomie et d'intelligence artificielle « au service d'une relation Homme-Machine élargie et repensée » . Dans cette perspective, ces systèmes intelligents ne se limiteraient plus seulement à la simple exécution des actions demandées par un opérateur. Ils permettraient un travail collaboratif qui rendrait les actions et décisions des opérateurs plus efficaces et performantes tout en économisant les ressources mentales et physiques de ces derniers.

Pour ce faire, ces systèmes seraient dotés d'une connaissance accrue des situations à l'aide notamment de différents moyens de perception et d'analyse (état des opérateurs, interactions, prédiction des intentions des acteurs, situations tactiques de combat, etc.). Cette capacité permettrait aux systèmes d'apprendre des situations rencontrées, de s'adapter en conséquence et de partager les informations pertinentes afin d'apporter une aide à la prise de décision et à la planification des opérateurs. Pour garantir un haut niveau de performance, gage du succès des missions, ce Système Aérien Cognitif intégrerait également de nouvelles modalités d'interactions plus naturelles et adaptées aux situations rencontrées par les opérateurs.

Dans ce contexte, le rôle du projet MMT est d'initialiser l'identification des technologies susceptibles d'être intégrées à ce Système Aérien Cognitif. Dans le cas où celles-ci ne seraient pas assez matures, MMT a pour mission d'aider à les développer. L'une des originalités de ce projet, est l'ambition de réaliser ces développements technologiques en collaboration avec un écosystème français de startups, PME et organismes de recherche déjà impliqués dans l'exploration, l'utilisation ou la production de ces technologies émergentes.

Afin de structurer cette démarche, le projet MMT se décompose en 6 axes de développements technologiques: (I) Assistant Virtuel & Smart Cockpit, (II) Interactions, (III) Gestion de la Mission, (IV) Capteurs Intelligents, (V) Services Capteurs et (VI) Mise en OEuvre & Soutien.

Source : projet Man Machine Teaming

5. Le défi de la conception d'un nouveau moteur

Le développement d'un nouveau moteur pour propulser le NGF constitue l'un des grands défis du programme SCAF.

a) Un sujet d'autonomie stratégique

Il s'agit d'abord, là encore, d'un sujet d'autonomie stratégique pour l'Europe : conserver sa capacité à produire un moteur d'avion de combat à l'instar des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Russie, la Chine réalisant également de gros investissements dans ce domaine.

C'est en particulier un enjeu central pour SAFRAN, qui contribue à la production de moteurs civils, mais seulement pour les « parties froides » (parties basse pression, considérées comme un peu moins « pointues » que les parties chaudes), en partenariat avec General Electric (GE) sur le CFM56, moteur de l'Airbus A320, au sein de la Joint-Venture 50/50 CFM International. Le SCAF doit ainsi permettre à SAFRAN de conserver ses capacités sur les « parties chaudes », y compris in fine sur les moteurs civils, alors que l'entreprise n'a pas réalisé de parties chaudes de moteurs depuis le M88 du Rafale.

b) Un défi technique

Le défi technique pour un avion de chasse consiste à obtenir le moteur le plus compact et le plus puissant possible.

La poussée maximale du M88 du Rafale est de 7,5 tonnes (avec des déclinaisons poussées à plus de 8 tonnes). Il s'agit d'une poussée inférieure à celle de son concurrent direct, le J200 de l'Eurofighter (9 tonnes), avion plus lourd que le Rafale, a fortiori à celle du Pratt&Whitney F135, moteur du F35 (jusqu'à 20 tonnes de poussées pour un avion monoréacteur plus lourd que le Rafale). L'objectif est d'atteindre une poussée d'au moins 12 tonnes pour le moteur qui équipera le NGF du SCAF, car cet avion sera nécessairement plus gros et plus lourd que le Rafale . Davantage de puissance implique une température de fonctionnement plus élevée. Actuellement, le moteur du F35 a une avance importante sur le moteur du Rafale M88 en la matière.

La DGA a notifié à Safran un contrat de programme d'étude amont (PEA) Turenne 2 pour un montant de 115 millions d'euros afin de travailler sur une augmentation de puissance du M88, qui pourra éventuellement bénéficier au Rafale et permettra également d'avancer sur le SCAF 15 ( * ) .

Le second défi pour le futur moteur du NGF est de disposer d'innovations technologiques permettant de conserver une forte poussée à des vitesses supersoniques et de diminuer la consommation en croisière à basse altitude. La technologie du cycle variable du moteur , en faisant varier la proportion entre le flux d'air chaud et le flux d'air froid, permet d'obtenir un tel résultat. Elle constitue d'ailleurs un champ de recherche très actif pour les motoristes américains (essais expérimentaux sur le moteur du F35).

Ces défis techniques sont considérables . Il convient de relever que Pratt et Whitney et General Electric, les deux motoristes américains, ont reçu chacun plus d'un milliard de dollars en 10 ans pour les relever. Pour le moment, sur les 150 millions d'euros prévus le 20 février 2020 pour la phase 1A du SCAF, 91 millions d'euros sont fléchés vers l'avion et seulement 18 millions d'euros vers le moteur .

Lors de leur audition, les représentants de Safran ont clairement indiqué qu'ils avaient conscience de ce défi à relever pour créer le moteur du NGF.

6. Une approche nécessairement incrémentale

Afin de pouvoir adopter les technologies à mesure de leur émergence en intégrant de nouvelles capacités au programme en cours de développement, celui-ci doit bénéficier d'une approche incrémentale . Cette évolution graduelle des capacités opérationnelles est également nécessaire dans le cadre des évolutions à venir du Rafale, qui accompagnera le NGF pendant plusieurs décennies.

Ainsi, selon les représentants de MBDA, un système de combat coopératif pourrait être développé dès avant 2030. Cette étape pourrait être atteinte dans le cadre d'un Rafale F4 et du programme Connect@aero. Puis, au début des années 2030, pourraient être mises en oeuvre des fonctionnalités collaboratives entre avions et entre avions et effecteurs (armements et premiers Remote Carriers). Le Rafale F5 et le Typhoon LTE pourraient constituer une opportunité d'implémentation de cette étape capacitaire. Enfin, au-delà de 2035, on assisterait au déploiement progressif des composantes du Next Generation Weapon System.


* 12 Connect@aéro consiste pour l'armée de l'air à débuter la numérisation dès maintenant, étapes par étapes, assurant la connectivité progressive puis renforcée des moyens aériens, des centres de commandement et des bases aériennes. Connect@aéro sera le garant de cette transformation digitale pour déployer progressivement et en cohérence les architectures de communication aéroportées et terrestres, structurer les données et les services opérationnels.

* 13 Cf. Le cloud tactique, un élément essentiel du système de combat aérien du futur, FRS, 19 juin 2019.

* 14 Nous sommes donc loin de la prédiction de la « singularité technologique» faite par certains auteurs de science-fiction (Vernor Vinge) ou de fututologues (Ray Kurzweil), hypothèse selon laquelle l'intelligence artificielle franchira soudain un seuil qui la mettra hors de contrôle des êtres humains.

* 15 Il s'agirait de passer à un moteur capable de supporter une température d'environ 2000 degrés K contre 1850 K degrés actuellement pour la turbine haute pression.