Rapport d'information n° 139 (2021-2022) de M. Éric BOCQUET et Mme Sylvie VERMEILLET , fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 10 novembre 2021

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N° 139

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 novembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) sur l' avenir des dettes publiques ,

Par M. Éric BOCQUET et Mme Sylvie VERMEILLET,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette délégation est composée de : M. Mathieu Darnaud, président ; MM. Julien Bargeton, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Conconne, Cécile Cukierman, M. Ronan Dantec, Mme Véronique Guillotin, M. Jean-Raymond Hugonet, Mmes Christine Lavarde, Catherine Morin-Desailly, Vanina Paoli-Gagin, MM. René-Paul Savary, Rachid Temal, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, MM. Jean-Jacques Michau, Cédric Perrin, secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars, Mme Catherine Belrhiti, MM. Éric Bocquet, François Bonneau, Yves Bouloux, Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Philippe Dominati, Bernard Fialaire, Mme Laurence Harribey, MM. Olivier Henno, Olivier Jacquin, Roger Karoutchi, Jean-Jacques Lozach, Cyril Pellevat, Alain Richard, Stéphane Sautarel, Jean Sol, Jean-Pierre Sueur, Mme Sylvie Vermeillet.

AVANT-PROPOS

La crise sanitaire de 2020 a fortement sollicité les finances publiques en France et dans le monde. Face à l'impératif de répondre à l'urgence sanitaire mais aussi de soutenir massivement l'économie en situation de confinement, les États ont déversé de grandes quantités d'argent public , et augmenté substantiellement leur niveau d'endettement.

Cette nouvelle marche dans la progression vers des niveaux toujours plus hauts de dette publique a été franchie sans difficulté , sans crise financière, presque sans bruit. Dix-huit mois après le début de la crise du Covid, la pandémie s'est éloignée mais la dette reste, et suscite nombre d'interrogations.

L'inquiétude face à la dette n'est pas spécifique à la crise que nous connaissons actuellement . Elle s'enracine dans une philosophie de la dette qui influence fortement nos représentations et nos approches, autant sans doute que les paramètres purement économiques.

Les paliers successifs de dette que nous avons traversés depuis les années 1980 ont tous donné lieu à des débats sur la gestion des finances publiques à long terme , avec une interrogation fondamentale sur la soutenabilité de la trajectoire empruntée, et le spectre de l'incapacité à faire face aux échéances : paiement des intérêts et remboursement de la dette.

Paradoxalement, des niveaux d'endettement public que l'on jugeait autrefois insupportables sont devenus admissibles voire courants . Certains pays comme le Japon ont une dette qui dépasse allègrement le produit intérieur brut annuel (260 %) sans que cela ne soit inquiétant. Les États-Unis s'endettent massivement sans entraîner de défiance dans la solidité de la nation ni dans celle de sa monnaie, le dollar.

En Europe, la situation est contrastée : certains États membres de la zone euro comme l'Allemagne ont réduit leur endettement, mais la France, comme nombre de ses voisins du Sud, a vu progresser son endettement presque inexorablement.

La protection assurée par la gestion de la zone euro par la BCE depuis la crise du début des années 2010 a permis d'offrir aux États de l'eurozone des conditions d'emprunt toujours plus favorables . Emprunter plus et moins cher a d'ailleurs été possible dans l'ensemble des pays de l'OCDE car les taux d'intérêt mondiaux ont eu tendance à se réduire, le taux d'intérêt réel devenant parfois négatif. Les marchés financiers continuent à acheter de la dette publique, même si celle-ci ne rapporte plus grand chose.

Cette situation nouvelle conduit à s'interroger sur la stratégie à suivre sur le long terme : faut-il continuer à s'endetter, sans limite, sans carcans, avec comme seule boussole les besoins des citoyens à satisfaire ? Faut-il profiter de la situation pour doper la croissance, ce qui fera mécaniquement baisser le ratio dette/PIB ? Faut-il au contraire anticiper des difficultés futures de refinancement des dettes souveraines ? Avec un ratio d'endettement public désormais à 115 % du PIB, la France sera-t-elle encore en mesure de faire face en cas de nouvelle crise ?

Ce rapport de prospective n'a pas vocation à proposer une seule stratégie des finances publiques pour les années qui viennent . Il ne vise pas à définir des seuils, des ratios de référence ou des règles budgétaires revêtues d'une autorité scientifique indiscutable.

Au contraire, ce rapport de prospective, en interrogeant d'abord le rapport historique et philosophique que nous entretenons avec la question de la dette , puis en analysant la situation actuelle, assez paradoxale, de dettes abondantes et faciles à financer, en particulier grâce à une politique monétaire européenne très accommodante, a pour objet de mettre en exergue l'existence de plusieurs voies, plusieurs approches, entre lesquelles le politique doit trancher .

Car si l'endettement est d'abord et avant tout une question de confiance , en l'État, en l'avenir, en la crédibilité des politiques publiques, les choix en la matière sont éminemment des choix politiques . Nous disposons d'un éventail très large de solutions . Les débats sur la dette qui ont agité les économistes ces derniers mois ont remis sur la table certaines options : la mutualisation des dettes à l'échelle de l'Union européenne, le cantonnement de la dette Covid, l'annulation ou le rééchelonnement des dettes. La stratégie consistant à rouler la dette comme nous l'avons fait pendant des décennies n'est pas non plus disqualifiée.

Les différents scénarios qui sont devant nous doivent être analysés avec lucidité , en sortant d'une approche anxiogène qui s'attache au seul ratio dette/PIB et à l'injonction à ne pas faire peser sur nos enfants le fardeau d'une dette insupportable, mais sans verser non plus dans l'indifférence à un enjeu majeur pour l'avenir de notre économie et de notre État.

I. LA DETTE : UNE INQUIÉTUDE HISTORIQUE

A. LA DETTE : UN MAL NÉCESSAIRE ?

1. Développement économique et endettement vont de pair
a) Une brève histoire de l'endettement des États : une pratique ancestrale ?

Si le prêt entre individus est bien une pratique ancestrale, l'emprunt public, lui, arrive bien plus tardivement au cours de l'histoire. Pendant longtemps en effet, les chefs empruntaient en leur nom propre et avaient pour devoir de rembourser leur dette pendant la durée de leur vie. Hérodote au Ve siècle raconte que pour construire la pyramide de Gizeh, le pharaon Khéops s'était fortement endetté. Incapable d'honorer sa dette il avait été contraint de prostituer sa fille pour la rembourser. Le caractère personnel du projet de construction funéraire pouvait justifier l'endettement personnel du pharaon, mais en réalité la notion d'endettement public, même pour le financement de projets d'intérêt public ou de grande envergure, n'existait pas encore. Comme le dit Earl J. Hamilton, historien et économiste américain, la dette publique est « l`un des quelques rares phénomènes économiques importants qui ne poussent pas leurs racines jusqu'au monde antique » .1 ( * )

Sous l'Empire romain, l'endettement était rare. Les quelques phases d'endettement qu'a connues l'Empire, notamment lors des deux guerres puniques, ont été le fait de dettes contractées par l'empereur personnellement. Lors de la première guerre punique, l'empereur a reçu l'aide financière de riches sénateurs pour acheter une flotte de combat ; le remboursement n'était exigé que si les opérations étaient couronnées de succès.

Le premier phénomène d'endettement au nom d'une entité distincte des individus ne se produit que bien plus tard, au XIIe siècle 2 ( * ) . C'est le fait du monastère d'Evesham en Angleterre, qui, pour payer les frais d'un procès contre l'évêque du comté voisin, imagine un emprunt au nom du monastère afin de disposer d'une somme plus importante. L'idée est née du raisonnement, aujourd'hui fondateur, que le monastère à une durée de vie éternelle , et que le remboursement de l'emprunt pouvait se faire au-delà de la vie des moines.

À l'échelle d'un État, les premières formes d'endettement public sont apparues dans les cités italiennes notamment à Florence, Gênes ou Venise, au XIIIe siècle, pour financer les guerres . 3 ( * ) Ces modes de financement se sont ensuite diffusés dans toute l'Europe.

Dans d'autres États développés du monde, on ne constate pas de phénomène d'endettement public important avant le XIXe siècle. Ni la Chine impériale, ni l'empire espagnol, ni l'Amérique avant cette période n'avaient utilisé l'endettement public comme l'ont fait les Européens.

Parmi les principales raisons qui ont conduit les États à s'endetter 4 ( * ) , il y a en premier lieu la guerre , en raison des dépenses extraordinaires qu'elle exige et qui sont difficilement finançables par l'impôt. Les États se sont également endettés lors de révolutions ou de soulèvements , ainsi que pour financer de grands travaux ou projets, plus ou moins rentables.

Les banques pouvaient également pousser les États à s'endetter plus que nécessaire , dans le but de s'enrichir, et la charge de la dette accumulée pouvait entraîner les États à s'endetter davantage. Après la Seconde Guerre mondiale, les dépenses liées à l'État providence ont été une nouvelle cause de l'accroissement de l'endettement de certains États.

b) La dette, un outil de développement
(1) Le mécanisme de la dette a permis la création de la monnaie

L'anthropologue David Graeber 5 ( * ) attribue la création de la monnaie au système d'endettement qui existait en Mésopotamie en 5000 av J.-C. On inscrivait sur une tablette d'argile des obligations de paiement scellées du sceau de l'empereur et les individus s'échangeaient ces reconnaissances de dettes pour acquérir des biens auprès d'autres individus . Cette « monnaie dette » et, de manière plus générale, le principe de l'endettement sont les premiers moyens d'échange de biens et de services que l'on connaisse. La création de la monnaie a permis aux grandes cités mésopotamiennes de se développer, en utilisant, dans un premier temps, cette monnaie pour construire des fortifications destinées à protéger les contours des cités. Dans un deuxième temps, la monnaie en circulation a permis les échanges et le commerce.

(2) Les dettes et la monnaie ont été utilisées pour structurer les États

De manière plus générale, toutes les monnaies - c'est encore le cas aujourd'hui - sont des reconnaissances de dettes . Une pièce de monnaie est acceptée par un individu car il sait qu'il pourra l'utiliser à son tour et qu'elle sera acceptée d'autres indiROGESvidus. 6 ( * )

Selon l'économiste allemand Georg Friedrich Knapp, auteur de Théorie étatique de la monnaie publié en 1905, l'État fonde la légitimité de la monnaie. La monnaie acceptée en paiement d'obligations à l'État (impôts, amendes) sera la monnaie de la population. Pour David Graeber, l'existence de la monnaie et de l'État vont de pair, les sociétés qui n'ont pas d'État n'ont en général pas de monnaie. La monnaie est le moyen pour l'État de créer une société et la monnaie existe grâce à l'État. Les États dans lesquels on a découvert des mines d'or et d'argent auraient simplement pu organiser le paiement des biens et services avec ces métaux. Pourtant ils ont décidé de frapper de la monnaie à l'effigie du souverain, de la distribuer à la population et ensuite d'en demander une partie en retour sous forme d'obligations. Cela s'explique par la volonté de créer une société et d'implanter un système d'échange et de marché dans le pays.

La création de la Banque d'Angleterre en 1694 s'est également faite grâce à un endettement public. Des banquiers londoniens ont accepté de prêter 1 200 000 livres au roi Guillaume III pour pouvoir bénéficier en contrepartie du droit d'émettre des billets de banque. Les banquiers ont ainsi mis en circulation des fractions de la dette que leur devait le roi, ce qui a fait office de monnaie. Ce système ne fonctionne que si le roi ne rembourse jamais cette dette, ce qui a été le cas.

(3) L'endettement est favorable au développement économique

En plus de la structuration des États et de la monnaie, l'endettement apparait comme un moyen de financement favorable à la croissance économique. Il permet de mettre en relation des individus disposant de capitaux avec d'autres qui ont la volonté de développer une activité économique mais n'ont pas les moyens de la financer. L'endettement évite d'avoir nécessairement besoin d'un capital de départ pour entreprendre un projet. 7 ( * ) On constate d'ailleurs que le développement économique des sociétés ayant autorisé les prêts a été plus significatif que celui des sociétés où il était interdit. Dans une période plus récente, les partisans du micro-crédit, autour de Muhammad Yunus notamment, se sont appuyés sur ce constat, en arguant que la population des pays en développement était pauvre du fait de sa difficulté d'accès au crédit. 8 ( * )

(4) La dette est un lien social puissant

Pour les anthropologues, la dette permet également de créer un lien social puissant entre les générations et les individus . En réglant une dette, on met fin à une relation entre deux parties. Pour s'en rendre compte, on peut se référer à l'exemple donné par Margaret Atwood dans son livre Comptes et légendes : la dette et la face cachée de la richesse . Elle y évoque l'histoire d'un père et de son fils : lorsque le fils quitte le foyer familial, le père lui présente la somme des dépenses qu'il a engagées pour lui depuis sa naissance, et lui en demande le remboursement. 9 ( * ) Le fils règle la facture mais ne parlera plus jamais à son père. L'idée sous-jacente est que ne plus rien devoir à quelqu'un signifie que l'on ne veut plus entretenir de relation avec cette personne.

Au-delà de la création d'un lien entre les individus, l'endettement peut également être considéré, dans un sens plus philosophique, comme à l'origine d'un lien entre les générations. C'est l'idée que développe Saint-Augustin dans Les confessions lorsqu'il demande : « qu'avons-nous que nous n'ayons reçu de vous ? » 10 ( * ) . Tout ce que nous avons aujourd'hui est le fruit du travail et des sacrifices des générations antérieures. En réalité on ne peut échapper à une forme d'héritage car dans tous les cas, d'un point de vue anthropologique, nous avons une dette envers nos ainés ; un enfant ne peut pas se construire seul. C'est en quelque sorte une dette non remboursable, mais qui ne doit pas forcément être vue négativement, car elle donne envie aux générations suivantes de donner autant qu'elles ont reçu aux générations futures. Cette vision anthropologique de la dette se distingue d'une vision négative de la dette dans laquelle on n'envisage la dette qu'associée à de la culpabilité alors que celle-ci peut se percevoir sous l'angle de la reconnaissance et de la transmission. 11 ( * )

2. S'endetter, c'est fauter ?
a) Un interdit religieux, moral et philosophique

L'endettement, tant individuel que public, est le plus souvent considéré de manière négative. Ce phénomène n'est pas récent et il est nécessaire de connaitre son origine pour comprendre une partie des raisonnements actuels sur les dettes publiques. Les taux d'endettement connus par les pays développés depuis les années 1970 ont en effet donné lieu à des inquiétudes parfois démesurées et à la crainte de franchir le seuil d'insoutenabilité à tout instant.

L'étymologie bien connue du terme allemand s c huld, qui signifie aussi bien la dette matérielle que la faute morale, illustre parfaitement le lien et la proximité entre les deux notions. De même, le mot schuldig désigne à la fois le coupable et le débiteur. 12 ( * ) En français, au Moyen Âge, le mot « failli » désignait à la fois la méchanceté et le manquement aux règles féodales 13 ( * ) . Pour tenter d'expliquer cette relation entre dette et culpabilité, la philosophie, la religion et l'histoire apportent des éléments de réponse.

(1) Culpabilisation morale : esclavage pour dette

Comme l'évoque Nietzsche dans Généalogie de la morale , l'homme est amené à engager sa parole et à faire des promesses. Nos civilisations n'ont pas hésité à inscrire par la violence, l'obligation pour tous les individus de tenir parole . Les châtiments les plus violents ont pu être infligés à ceux qui essayaient de se soustraire à leurs promesses. Cette responsabilité ainsi imprimée au plus profond des individus est devenue indissociable du sentiment de culpabilité, celui d'une conscience de la faute par celui qui ne paye pas sa dette. Car, par définition, une dette se fonde sur une promesse entre un débiteur et un prêteur.

Le regard de culpabilité porté sur les débiteurs incapables de rembourser leurs dettes est bien antérieur à l'existence de l'endettement public. Un individu incapable de rembourser ses dettes est presque toujours considéré comme coupable. Plutarque décrit la coutume de la Crète antique qui veut que les débiteurs simulent dans une mise en scène le vol de la bourse des créanciers afin qu'ils puissent être reconnus comme entièrement coupables en cas de non-remboursement de leurs dettes 14 ( * ) .

Dans d'autres cas, on a observé le développement de phénomènes d'esclavage pour dette. François Tricaud indique ainsi : « La servitude pour dette est une éventualité banale dans de nombreuses sociétés de l'antiquité. Et dans le monde occidental moderne, la prison pour dette n'a disparu qu'à une date assez récente. Pendant des millénaires, s'endetter a donc signifié risquer de perdre sa liberté, pour un temps ou à jamais ». 15 ( * ) Comme le montrent les recherches d'Alain Testart, l'importance de l'esclavage pour dettes dans les sociétés primitives a longtemps été sous-estimée. Différentes règles s'appliquaient pour les débiteurs incapables de rembourser, allant de l'esclavage au travail pour dette, en passant par la mise en gage d'un individu auprès d'un créancier en guise de garantie d'une dette.

Lorsqu'un individu devenait esclave, il était généralement exclu de la société, il perdait son nom, et ses enfants devenaient eux aussi esclaves . C'est une des raisons pour lesquelles le sentiment de transmettre un fardeau aux générations futures est toujours si prégnant aujourd'hui.

L'existence même de ces pratiques de péonage montre que les sociétés ont très tôt admis le rôle fondamental de la richesse et que nul n'est libre puisque devenir esclave étant possible à tout moment de la vie.

Cependant, dans les sociétés occidentales comme dans les sociétés musulmanes, l'esclavage pour dette n'était pas admis. À Athènes, Solon a interdit cette pratique par refus d'asservir des membres de sa propre communauté. Mais, à l'inverse, il était tout à fait acceptable d'asservir des peuples vaincus. Avec cette même logique, l'islam a interdit l'esclavage pour dette, seuls les infidèles pouvant être asservis en cas de non-remboursement.

(2) Culpabilisation religieuse

Dans les religions, la culpabilité liée à l'endettement peut être attribuée à l'idée que chaque individu, en naissant, porte sur lui une dette primordiale. Dans les textes sacrés de l'Inde ancienne, il y a 3000 ans, le dieu Mitra prête la vie aux hommes . En naissant, un homme est donc obligatoirement endetté envers les dieux . Ces dettes primordiales pourraient être à l'origine des ordres sociaux qui se sont développés dans la civilisation indo-européenne. Un certain nombre de contraintes ont été posées aux individus pour qu'ils tentent de rembourser les dettes qu'ils doivent aux dieux. Les ordres sociaux étant fondés sur l'idée de dette, le manquement au remboursement de celle-ci entrainait une remise en question de « l'équilibre du monde des hommes et des dieux » ainsi que la peur de représailles divines. Pour s'assurer la confiance des dieux, les sociétés se sont organisées pour que les individus remboursent bien leurs dettes et tout manquement à cette obligation était perçu comme un « manquement à l'engagement collectif » 16 ( * ) .

En parallèle, les religions ont également cherché à limiter voire interdire la violence exercée par les créanciers pour exiger le remboursement de leurs dettes. Dans l'islam comme dans la chrétienté, il est bon de prêter de l'argent à ceux qui en ont besoin. Pour les chrétiens, « la remise des dettes est une attitude fortement recommandée et impérative si le débiteur n'est pas en état de rembourser ou s'il l'est a` un coût anormalement élevé' notamment sur le plan humain » 17 ( * ) . Le jubilé, chez les chrétiens, est une pratique ancienne, de tradition biblique, qui consiste à effacer les dettes.

b) L'endettement, un asservissement

La relation de violence et d'asservissement qui s'est établie entre les créanciers et les débiteurs peut également s'observer, dans une certaine mesure, entre États. Bien que le droit international interdise dès 1907, avec la Doctrine Drago, du nom d'un ministre argentin, de « recourir à la force armée pour le recouvrement de dettes contractuelles réclamées au gouvernement d'un pays par le gouvernement d'un autre pays comme dues à ses nationaux » 18 ( * ) , cela ne signifie pas qu'un État endetté ne puisse pas être contrôlé pas d'autres puissances.

(1) La dette et la colonisation

Selon Éric Toussaint , la dette a été un moyen utilisé par les États pour prendre le contrôle d'autres territoires . Dans son livre Le système dette , il indique que « dans la seconde moitié du XIX e siècle, plusieurs pays tels que la Tunisie et l'Égypte, dans l'incapacité de rembourser leur dette, passent sous domination coloniale française ou anglaise » 19 ( * ) . En prenant l'exemple de l'endettement de la Tunisie, on constate que celui-ci s'est même fait contre l'intérêt de la population, car seuls les chefs corrompus profitaient de l'argent emprunté pour financer leurs dépenses personnelles. Les prêteurs, principalement la France, n'étaient pas en reste car les titres de dettes émis pour le compte des pays débiteurs étaient vendus en dessous de leur valeur faciale. Ainsi pour un emprunt de 10 000 livres par exemple, la Tunisie n'en recevait que 7 000 mais devait tout de même rembourser les 10 000 du principal ainsi qu'une charge d'intérêts. Dans ces conditions, la dette s'est révélée rapidement insoutenable, ce qui a conduit à la mise sous tutelle du pays. Cette logique s'applique également à d'autres pays colonisés par les puissances européennes et c'est en ce sens qu'Éric Toussaint considère la dette comme « un puissant relais des politiques impérialistes ».

David Graeber explique également dans son livre Dette : 5000 ans d'histoire que lors de l'invasion de Madagascar en 1895, la France a instauré une lourde imposition sur la population pour lui faire payer le coût de l'invasion et la construction des infrastructures nécessaires aux colons. Cette dette que devait rembourser Madagascar à fortement ralenti le développement du pays. David Graeber parle également de la situation d'Haïti : après la proclamation de son indépendance en 1804 et après deux décennies de négociation, la France réclame  150 millions de francs-or à son ancienne colonie pour dédommager les anciens colons. Haïti ne se débarrassa de cette dette qu'au milieu du XX e siècle ; elle aura pesé lourdement sur son développement. 20 ( * )

(2) Dette et perte de souveraineté

Sans qu'elle n'implique nécessairement un processus de colonisation, la relation débiteur-créancier peut amener les États à perdre leur souveraineté.

Comme le montre Anne-Laure Kiechel dans une publication récente, l'endettement peut constituer une vraie menace pour la souveraineté des États. Elle donne l'exemple de l'Autriche 21 ( * ) à la fin de la Première Guerre mondiale qui connaissait disette et hyperinflation. Sa demande de rattachement à l'Allemagne est refusée par la Société des Nations, qui à la place, lui accorde des prêts à la condition que l'Autriche effectue un certain nombre de restructurations sous la supervision d'un gouverneur non autrichien.

Cette situation n'est pas sans rappeler la perte de souveraineté connue par l'Argentine ou la Grèce, respectivement dans les années 1990 et 2012. Les aides financières ont été conditionnées au respect de règles strictes édictées notamment par le FMI. Dans le cas de la Grèce, Éric Toussaint montre d'ailleurs que la perte de souveraineté de la Grèce sur sa politique économique en raison d'un endettement important n'est pas récente. Dès son indépendance dans les années 1820, les puissances européennes créancières de la Grèce ont exigé des augmentations d'impôts et des programmes d'austérité pour assurer le remboursement de leur dette. 22 ( * )

B. QUAND L'ENDETTEMENT FINIT MAL

1. La crainte de l'endettement hors de contrôle

L'endettement public est aujourd'hui souvent considéré comme un actif sans risque mais cette situation est très récente. Et d'ailleurs, si le risque pour un pays de faire défaut est rare, il n'est toutefois pas impossible. En revanche, en remontant dans le temps, de nombreux exemples de défauts souverains peuvent être évoqués. Les conditions dans lesquelles les États font défaut sont souvent les mêmes : la crainte des marchés financiers de ne pas obtenir de remboursement fait augmenter les taux d'intérêt. Le service de la dette pèse alors de plus en plus lourd dans les budgets des États, ce qui augmente encore le risque de défaut et donc les taux d'intérêt. Cette perte de contrôle sur l'endettement, aussi appelée « effet boule de neige » , est redoutée par tous les États.

a) Les défauts souverains à la préhistoire de la dette

Lors de la « préhistoire de la dette » comme la nomme Michel Lutfalla, les défauts souverains étaient fréquents. Les souverains français utilisaient différentes manières pour spolier les créanciers tout en veillant à ne pas les ruiner totalement afin d'éviter le risque qu'il n'y ait plus de préteur. 23 ( * ) Il n'est donc pas rare de voir des créanciers être menacés de mort ou d'emprisonnement sous la monarchie. Ces spoliations récurrentes ont pour conséquence de rendre les taux d'intérêt particulièrement élevés. Sous la surintendance de Fouquet, les taux d'intérêt ont pu atteindre 50%. Sous le règne de Louis XIV, les nombreuses guerres conjuguées aux aléas climatiques et à la construction du château de Versailles ont fait exploser la dette, qui a atteint l'équivalent actuel de 250% du revenu national. Sous Louis XVI, Necker emprunte des sommes considérables, principalement pour financer la guerre d'Amérique. À la veille de la Révolution française, la situation des finances publiques est catastrophique. Après les années d'agitation révolutionnaire, malgré la vente des biens du clergé et la création des assignats, la situation économique et financière continue de se dégrader. Le Directoire vote alors la dernière banqueroute française en 1797: la banqueroute des deux tiers.

b) Les défauts souverains depuis le XXe siècle

Même si depuis le XX e siècle la dette publique est considérée comme un actif plus sûr dans les pays développés, il existe encore de nombreux cas de défauts. Selon Reinghart et Rogoff, au cours du XXe siècle, on ne dénombre pas moins de 320 défauts souverains 24 ( * ) dans le monde. Parmi ces pays il y a l'Allemagne qui, après la Seconde Guerre mondiale, a utilisé une palette variée d'outils pour résorber son endettement. Néanmoins, pour favoriser sa croissance économique alors que la guerre froide se mettait en place et que les États-Unis avaient besoin de pouvoir s'appuyer sur des alliés solides, un accord est signé à Londres en 1953 lui permettant de réduire sa dette de 50 % 25 ( * ) afin de lui laisser la possibilité de se développer économiquement. Un autre exemple de défaut est celui de la Russie en 1998. Les titres à court terme émis par le pays depuis 1993, appelés GKO, étaient très intéressants pour les investisseurs en raison de leur rendement à court terme. Cependant, leurs taux d'intérêt n'ont fait qu'augmenter sur la période 1993 - 1998, obligeant la Russie à emprunter toujours plus cher pour rembourser ses dettes précédentes. 26 ( * ) Le choc économique de la crise asiatique en 1997 ainsi que les déficits excessifs russes ont conduit à la banqueroute en 1998.

2. Mais les crises de dettes ne se soldent pas nécessairement par des banqueroutes.
a) L'utilisation d'outils divers a permis aux États de ne pas connaître de banqueroute

Il existe des cas de surendettement qui ne se sont pas soldés par un défaut souverain. Cela ne veut pas dire que les créanciers n'ont pas été spoliés ou que la situation économique et sociale du pays a été meilleure mais que d'autres issues que la banqueroute ont été trouvées.

En France, sous la monarchie, une méthode de spoliation plus élaborée que la banqueroute a été utilisée par les Rois de France : la dévaluation monétaire . La valeur de la monnaie était fixée par le roi car les pièces n'étaient pas frappées d'une valeur faciale, il pouvait ainsi décider qu'une même quantité de métal précieux avait plus de valeur « en monnaie ». Au moment de rembourser, le roi fixait une valeur « en monnaie » très élevée pour une même quantité de métal, il était alors bien plus aisé de rembourser. Après le remboursement de la dette aux créanciers, le roi fixait de nouveau la valeur du métal précieux au niveau initial. Ainsi, entre 1686 et 1709, le Louis d'or a changé de valeur quarante fois dans les deux sens.

La méthode de l'inflation a également été utilisée par la France après la Seconde Guerre mondiale. Alors qu'en 1950, le ratio de dette sur PIB était de 30%, six ans plus tôt, en 1944, il s'élevait à plus de 250%. 27 ( * ) Les prix ont quadruplé entre 1945 et 1948 et les détenteurs de la dette qui étaient très majoritairement des épargnants français, obligés durant la guerre d'acheter des obligations d'État, ont perdu ce que l'État a gagné.

Une autre pratique a été mise en place par François 1er : le système de rente perpétuelle . L'État n'avait pas de date butoir pour rembourser le principal, il devait seulement verser des intérêts aux créanciers.

Une autre méthode, plus vertueuse, est celle qui consiste à dégager des excédents budgétaires, dont la pratique la plus marquante a été celle du Royaume Uni. En 1819 le ratio entre le niveau de dette et le PIB du pays était de 260%. Cet endettement était pour l'essentiel issu des nombreux conflits dans lesquels était engagé le Royaume Uni depuis le milieu du XVIIe siècle. Le pays pouvait difficilement faire défaut car les dettes étaient détenues par l'aristocratie de l'époque qui ne voulait pas voir sa fortune spoliée. Après avoir restructuré certains taux d'intérêt à la baisse ainsi qu'en transformant les titres de court terme en titres de long terme, le pays connut d'abord une période de stabilisation du ratio de la dette. Puis, le ratio a diminué à partir de 1860 pour atteindre 30% du PIB en 1900. La réduction de la dette britannique aura donc pris presque un siècle grâce à deux facteurs principaux : d'une part, une forte croissance démographique (multiplication de la population par 2,4 en un siècle), d'autre part, une forte augmentation de la croissance économique lors de la révolution industrielle. 28 ( * )

b) L'importance de la confiance des créanciers dans le remboursement de la dette

La capacité de financement des États a pour ainsi dire toujours reposé sur la confiance qu'avaient les créanciers dans le remboursement de leur dette. Aussi, les États ont cherché à envoyer des signaux de confiance pour maintenir leur capacité d'endettement. Selon l'économiste Jean-Marc Daniel 29 ( * ) , les États ont depuis longtemps cherché à donner de la crédibilité à leur signature . Charles Quint en Espagne avait juré sur la Bible de ne pas faire défaut et les titres de dettes émis à ce moment s'appelaient des juros. Dans le but de redonner confiance aux investisseurs, Necker était convaincu de l'importance de la transparence des comptes publics et il a publié en 1781 le Compte rendu au Roi, listant toutes les dépenses et créances du royaume. Après la Révolution française, dans la Charte constitutionnelle de 1814 est inscrit à l'article 70 : « La dette est garantie. Toute espèce d'engagement pris par l'État avec ses créanciers est inviolable ».

Aujourd'hui, la logique est toujours la même, la notion de confiance est primordiale dans la capacité des États à s'endetter et à s'endetter à un taux d'intérêt faible. Cette confiance se traduit notamment dans l'appréciation des dettes souveraines faites par les agences de notation.

C. LA MAÎTRISE DE L'ENDETTEMENT PUBLIC : PARADIGME DES FINANCES PUBLIQUES

1. Théorie
a) Pourquoi s'endetter ?
(1) Dans les années 1920, l'endettement est considéré comme une mauvaise gestion des dépenses publiques

Au début du XIXe siècle, la dette servait principalement à financer les guerres et n'était pas tournée vers le financement d'activités productives. C'est la raison pour laquelle, selon Thomas Grjebine, les économistes de cette époque, notamment l'économiste classique David Ricardo, pensaient que la dette était un frein pour l'économie et que la meilleure manière de gérer la dette était de la rembourser via des excédents primaires.

Selon les économistes classiques en effet, l'endettement de l'État restreint la quantité d'épargne disponible car avec une quantité d'épargne limitée, la fraction utilisée par l'État ne va pas pouvoir être utilisée par les ménages et les entreprises pour réaliser des investissements productifs. De plus, si la demande de prêts de la part des ménages, des entreprises et de l'État est supérieure à la quantité d'épargne disponible, cela va entraîner une augmentation des taux d'intérêt qui pénalisera une nouvelle fois les investissements productifs. 30 ( * )

(2) La théorie keynésienne fait évoluer le regard porté sur l'endettement

Après la crise de 1929, le regard sur l'endettement change sous l'impulsion des nouvelles théories économiques de Keynes. Celui-ci développe l'idée que la dépense publique a un effet multiplicateur et que lors d'une relance, la hausse du PIB est plus importante que le montant dépensé par l'État. Sa vision sur l'épargne diffère également de celle des économistes classiques car, pour lui, ce sont les crédits qui font les dépôts , c'est-à-dire qu'en investissant, les entreprises et les ménages génèrent des revenus qui constitueront l'épargne future. Selon Keynes, l'endettement peut permettre à l'État d'assurer la stabilisation des cycles économiques en lui permettant de financer des dépenses exceptionnelles qu'il ne peut pas financer par l'augmentation des prélèvements obligatoires au risque d'annuler l'effet de la dépense. À l'inverse, pour éviter une augmentation infinie de l'endettement il est préférable que les dépenses courantes soient financées par des prélèvements obligatoires. Par ailleurs la dette contractée dans les moments de crise doit être consolidée dans les moments de forte croissance .

(3) Aujourd'hui, l'objectif est de stabiliser le radio d'endettement

Aujourd'hui, l'endettement des États est admis et la priorité n'est plus tant le niveau de dette que la stabilisation du ratio d'endettement par rapport au PIB. Ce ratio dépend d'abord du niveau de déficit primaire , c'est-à-dire du solde du budget hors charge d'intérêt de la dette. Si celui-ci augmente, alors que la croissance reste identique, le ratio d'endettement augmentera. La deuxième variable qui influence la dynamique de l'endettement est le niveau de croissance , si celle-ci ralentit et que le déficit primaire reste constant, il en résultera également une augmentation du ratio d'endettement par rapport au PIB. Le troisième facteur est le rapport entre le taux d'intérêt et le taux de croissance du PIB . Si les taux d'intérêt sont supérieurs au taux de croissance, les dépenses publiques s'alourdiront plus rapidement que l'amélioration du solde public issu de la croissance. 31 ( * )

b) La nécessité de fixer des règles en union monétaire

L'idée de créer une monnaie commune au sein de la Communauté économique européenne (CEE), alors nouvellement créée, apparait dès 1960. L'écroulement du système de Bretton Woods en 1971, provoqua une grande instabilité monétaire au niveau mondial et conforta les pays membres de la CEE dans l'idée de mettre en place une monnaie stable 32 ( * ) . Le Système monétaire européen, entré en vigueur en 1979, a établi des conditions favorables à la création d'une monnaie unique en limitant les fluctuations trop importantes entre les monnaies des pays membres de la CEE. En 1988, l'annonce de la création de l'Union par le Conseil européen amorça le début de longs travaux préparatoires jusqu'en 1999.

Plusieurs raisons expliquent la volonté des États de créer une union monétaire. D'abord, les fluctuations monétaires trop importantes au sein de la CEE étaient néfastes pour les échanges économiques en raison de l'imprévisibilité qu'elles créaient pour les entreprises et, dans ce contexte, une union monétaire permettait de faire l'économie des opérations de change. Plus symboliquement ensuite, la politique monétaire commune opérait un transfert de souveraineté nationale au niveau communautaire et cela permettait de poser une nouvelle pierre dans la construction européenne, dans la poursuite de la vision de Jean Monnet. 33 ( * )

Dans l'Union économique et monétaire, la Banque centrale européenne (BCE) ne gère pas une seule dette comme le font les autres banques centrales, mais les 19 dettes des pays ayant adopté l'euro. L'augmentation du ratio de dette d'un seul pays de la zone euro peut alors avoir des conséquences néfastes pour les autres États membres. Il est donc nécessaire de mettre en place des règles budgétaires car un État pourrait être tenté de monétiser sa dette par la banque centrale, c'est-à-dire de l'obliger à lui accorder des prêts, ce qui correspond en réalité à créer de la monnaie. L'État qui recourt à la monétisation de sa dette n'a pas à augmenter les prélèvements obligatoires, mais il fait planer le risque de l'inflation qui agit comme une taxe sur les ménages. Dans une union monétaire, l'inflation touche tous les États utilisant la même monnaie, ainsi l'endettement d'un pays peut pénaliser tous les autres.

Cette situation illustre la raison pour laquelle l'indépendance des banques centrales a été instituée. Les interférences du pouvoir politique peuvent nuire à leurs missions consistant à assurer la stabilité de l'économie et de l'inflation.

2. La mise en oeuvre de ces règles au niveau européen et par la France
a) Une politique monétaire commune...

La politique monétaire commune européenne implique en premier lieu l'indépendance de la banque centrale. L'unique objectif de la BCE étant de maintenir la stabilité des prix, il est donc nécessaire qu'elle assure cette mission en étant préservée de l'influence politique de l'un ou l'autre des pays membres de la zone euro. Cela permet ainsi d'assurer une égalité de traitement entre les pays et une stabilité plus fiable de l'inflation et des fluctuations économiques.

Deux textes principaux régissent son fonctionnement et assurent son indépendance : les statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Selon ces textes, la BCE n'est pas autorisée à accepter des instructions venant d'organismes extérieurs, les membres de son directoire sont nommés pour huit ans et ne peuvent être révoqués que pour faute grave afin d'éviter toute pression sur leurs décisions. De plus, son seul objectif est la stabilité des prix et elle n'est pas autorisée à monétiser la dette d'un pays membre de la zone euro (article 123 du TFUE). Par ailleurs, la BCE et les banques centrales sont autonomes financièrement et la BCE dispose de la personnalité juridique qui lui permet de déposer des recours devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) si son indépendance venait à être compromise. 34 ( * ) Selon Gaël Giraud, un tel niveau d'indépendance de la banque centrale n'a aucun équivalent dans l'histoire ni dans un autre pays.

b) ...Implique une politique budgétaire contrainte

Comme les États n'ont pas la main sur leur politique monétaire, ils ne peuvent monétiser leurs dettes, dévaluer ou susciter de l'inflation pour résoudre les crises d'endettement. Ils doivent donc, le cas échéant, mettre en place les règles budgétaires nécessaires pour faire face à une situation de crise.

Le traité de Maastricht, fondateur de l'Union économique et monétaire, signé en 1992 a instauré un certain nombre de règles de maitrise de l'endettement de la zone euro. En application de ce traité, le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) a été institué en 1997. Par la suite, d'autres textes sont venus modifier et compléter le PSC, d'abord en 2005 puis en 2011 avec les règlements du « six pack », en 2012 avec le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et en 2013 avec les règlements du « two pack ».

Sur le fondement de ces textes, plusieurs règles fondamentales ont été mises en place. D'abord, au nom de la coordination des politiques économiques, le Conseil européen fixe, sur recommandation de la Commission européenne, les grandes orientations de la politique économique. L'Union européenne est ainsi juridiquement autorisée à surveiller le budget des États (article 121 du TFUE)

Par ailleurs, l'article 126 du TFUE stipule que « les États évitent les déficits excessifs ». Ainsi un plafond de 3% de déficit et de 60% de PIB pour la dette publique est imposé aux États. À moyen terme le déficit public des États doit également atteindre « une position proche de l'équilibre ou excédentaire ». Des sanctions sont prévues contre les États en situation de déficit excessif sur l'appréciation du Conseil européen.

Les modifications apportées après la crise financière ont également permis de renforcer les règles préexistantes : depuis le TSCG en 2012, des Objectifs de moyen terme (OMT) ont été mis en place, les États doivent avoir un solde structurel supérieur à -0,5% du PIB si leur niveau d'endettement est supérieur à 60%. Dans le cas où le niveau d'endettement d'un pays est inférieur à 60 %, son solde structurel ne peut descendre en dessous de -1%. Si les OMT ne sont pas atteints, les « efforts structurels » c'est-à-dire les mesures mises en place pour l'atteindre sont toutefois pris en compte par l'Union européenne lorsqu'elle analyse la trajectoire de l'endettement des pays en vue de formuler des recommandations ou d'imposer des sanctions.

Dans le cas où la trajectoire diverge de manière importante, le mécanisme de correction est déclenché automatiquement . Les États doivent alors mettre en place des dispositions pour réduire les écarts avec les OMT. Il est également imposé aux États de transposer dans les législations nationales les règles européennes et de créer au niveau national des « comités budgétaires nationaux » chargés de surveiller l'évolution du solde structurel. 35 ( * )

3. Un cadre progressivement remis en cause

Depuis la crise de 2008, le cadre européen des finances publiques a été remis en cause pour plusieurs raisons.

D'abord, de nombreux États se sont retrouvés dans l'incapacité de respecter les traités . L'augmentation du déficit public causé par la crise financière a remis en question la possibilité pour certains pays membres de respecter les critères de 3 % de déficit et 60% de dette/PIB . 36 ( * )

Source graph : OFCE

L'absence de sanction imposée aux États s'écartant des critères a fortement dégradé la crédibilité des règles européennes . La décision d'adopter des sanctions étant prise par le Conseil européen, une certaine flexibilité concernant les situations particulières justifiant les dépassements temporaires des critères, a été acceptée. Jusqu'à présent, aucun pays n'a été placé en procédure de déficit excessif s'il dépassait la règle des 60% d'endettement. 37 ( * )

Les règles européennes ont également été remises en cause en raison de leur caractère jugé procyclique et récessives par une partie des économistes. La volonté de réduction des déficits et de l'endettement après la crise financière de 2008 a été jugée trop rapide par certains. Dès 2012, la consolidation budgétaire a fortement réduit la croissance économique que d'autres pays en dehors de l'Union européenne ont retrouvée plus tôt grâce à la relance permise par les déficits.

De manière générale, pour certains économistes, l'impossibilité de creuser les déficits empêche les États de réaliser les dépenses d'investissement nécessaires à la construction de la croissance de demain. Selon l'OFCE : « sur l'ensemble de la période 1999-2017, le déficit moyen de la zone euro à 12 s'établit à 2,6 % de PIB, un niveau nettement inférieur à celui observé aux États-Unis (5,4 %), au Japon (6,1 %) et dans une moindre mesure à celui observé au Royaume-Uni (3,9 %) ». 38 ( * )

La rigidité des règles européennes, mise en cause après la crise financière de 2008, a eu pour effet de faire revenir partiellement la BCE sur l'interdiction de monétisation de la dette des pays de la zone euro avec le rachat des titres de dettes en 2015.

Dans le contexte particulier de la crise sanitaire, la suspension des règles budgétaires européennes a été décidée afin de laisser aux États les marges de manoeuvre nécessaires pour faire face à la crise d'une ampleur sans précédent

II. AU SORTIR DE LA CRISE DU COVID, LA QUESTION DE LA DETTE PUBLIQUE EN FRANCE ET EN EUROPE SE POSE DANS DE NOUVEAUX TERMES

A. LA PROGRESSION DES DETTES PUBLIQUES : UN MOUVEMENT DE FOND

1. Des pays riches de plus en plus endettés
a) La progression rapide des dettes publiques dans l'ensemble des grandes zones économiques

Depuis les années 1980, les pays développés ont connu une tendance lourde à l'augmentation de l'endettement public , appréhendé à travers le ratio dette/PIB.

Compte tenu de la progression du PIB, l'augmentation en valeur absolue des montants de dette publique a été encore plus rapide. Ainsi, aux États-Unis, la dette publique totale est passée d'un peu plus de 5 000 milliards de dollars au début des années 2000 à plus de 25 000 milliards aujourd'hui, avec des débats récurrents sur le relèvement du plafond de la dette fédérale que doit autoriser régulièrement le Congrès américain pour éviter un défaut de paiement.

Après avoir été relativement stable autour de 60 % du PIB de 2000 à 2008, le taux d'endettement des États membres de l'Union européenne a fortement augmenté pour atteindre 87 % en 2014, cette hausse étant l'une des conséquences de la crise financière de 2008. Le taux d'endettement a ensuite diminué pour tomber à 80 % juste avant la crise du Covid.

La crise financière de 2008 a conduit à une augmentation d'environ 20 points des ratios d'endettement public dans l'ensemble des pays de l'OCDE 39 ( * ) . Cependant, dans ce mouvement globalement haussier, tous les grands États n'ont pas suivi la même stratégie . Ainsi, l'Allemagne se singularise par une première phase de progression de son endettement suite à la crise financière de 2008, suivie d'une forte baisse, à rebours du mouvement observé sur toute la décennie 2010 en moyenne dans l'OCDE. Quelques autres pays européens ont également suivi cette trajectoire baissière : Pays-Bas, Pays Baltes.

On distingue en réalité plusieurs situations au sein de l'OCDE :

- endetté à la même hauteur que les États-Unis au milieu des années 1990, à hauteur d'environ 100 % du PIB, le Japon a vu ses déficits et sa dette exploser de manière quasi-continue depuis 25 ans, pour atteindre aujourd'hui près de 260 % du PIB, sans d'ailleurs que le financement de sa dette pose problème ni que le sujet suscite de grandes interrogations des citoyens japonais ;

- particulièrement touché par la crise financière de 2008, le Royaume-Uni a vu son ratio d'endettement doubler au début des années 2000, avant de le stabiliser, sous l'effet notamment d'une croissance forte, un peu au-dessus des 100 % ;

- dans la zone euro , certains pays ont connu une explosion de leur endettement public : celui de l'Espagne était à environ 40 % à la fin des années 2000 avant que celle-ci soit touchée par la crise financière et que son taux d'endettement monte à près de 120 %. Le Portugal maintenait aussi sa dette à environ 70 % du PIB avant la crise de 2008, avant de la voir atteindre les 150 % tandis que l'Irlande passait de 30 % à 130 %, avant de revenir à la veille de la crise sanitaire à 70 %. La Grèce et l'Italie ont vu leur endettement, déjà élevé, encore augmenter. Les pays de l'Union européenne hors eurozone ont un endettement légèrement plus faible que les pays de l'eurozone.

Source : OCDE - Traitement de données par le Sénat

Dans ce mouvement de hausse globale de l'endettement public, la France ne s'est pas particulièrement distinguée : à l'instar de la moyenne de nombre d'autres pays de l'OCDE, après la hausse de ses ratios d'endettement lors de la crise financière de 2008, la dette s'est stabilisée mais sur un plateau haut, avec une divergence croissante entre les trajectoires des finances publiques française et allemande 40 ( * ) , mais sans connaître l'explosion des ratios d'endettement public des pays particulièrement attaqués au sein de la zone euro lors de la crise de 2008.

b) Une nouvelle marche de l'endettement avec la crise du Covid

La crise du Covid a conduit à une nouvelle marche en avant de l'endettement public . Mécaniquement, la baisse du PIB a fait monter les ratios d'endettement (effet dénominateur). Mais l'endettement a aussi fortement augmenté en valeur absolue avec une stratégie de soutien massif à l'économie mise en oeuvre par les Gouvernements des pays développés à travers leurs politiques budgétaires.

L'étude 2021 de l'OCDE portant sur les dettes souveraines 41 ( * ) montre que l'on est passé d'un montant total des dettes publiques dans l'OCDE de 47 trillions de dollars en 2019 à 55,7 trillions en 2020 et on devrait monter jusqu'à 61 trillions de dollars en 2021 .

En Europe, le ratio de dette publique/PIB qui était respectivement de 86,4 % dans l'eurozone et 80,5 % dans l'UE28 fin 2019 42 ( * ) , est passé au-dessus des 100 % avec la crise du Covid 43 ( * ) , pour s'établir fin 2021 à respectivement 98,3 % et 90,9 %, soit un effet de la crise Covid de plus de 10 points 44 ( * ) .

Montants et ratios de dette dans l'OCDE (source OCDE)

Il n'y a pas eu de symétrie entre les phases d'endettement et les phases de désendettement . En réalité, chaque nouvelle crise économique a conduit à un niveau d'endettement public global plus haut.

Questions de définition : comment mesurer la dette publique ?

Il est important d'utiliser un référentiel commun de calcul des dettes publiques afin de faciliter les comparaisons dans l'espace et dans le temps. Or, il existe plusieurs manières de calculer la dette publique et le ratio d'endettement.

Première approche : la dette brute des comptes nationaux . Il s'agit de la somme de l'ensemble du passif figurant dans les comptes de patrimoine des administrations publiques (APU), calculé en valeur de marché. C'est un calcul de la dette brute et non consolidée : les actifs financiers des États et les dettes que se doivent les administrations entre elles ne sont pas déduits du calcul. L'approche par la dette brute est très large. Même les dettes de certains organismes situés en dehors du champ des administrations sont comptabilisées : cela s'explique par le fait que si ces dettes ne sont pas remboursées par les organismes débiteurs, elles le seront par l'État. À la fin de l'année 2020, la dette brute des administrations publiques françaises était estimée à 3 766 Md€, soit 163% du PIB 45 ( * ) .

Deuxième approche : la dette au sens de Maastricht 46 ( * ) . Ce calcul est défini par l'article 126 du traité de Maastricht et le protocole n°12 qui lui est annexé ainsi que par le règlement n° 479/2009. Il donne le niveau de la dette brute consolidée. On ne déduit pas du calcul les actifs financiers que possède l'État, mais l'on soustrait les dettes que se doivent les administrations entre elles. Par ailleurs, tous les passifs ne sont pas pris en compte, seuls le passif numéraire et de dépôt, les titres de créances et les crédits le sont. Ce calcul ne prend en compte que le principal, en valeur nominale, cela signifie que les intérêts futurs de la dette ne sont pas intégrés dans le calcul de la dette au sens de Maastricht. À la fin du premier trimestre 2021, la dette française au sens de Maastricht s'élevait à 2 739 Md€, soit 118% du PIB.

Troisième approche : la dette publique nette. C'est le mode de calcul retenu par l'INSEE 47 ( * ) . Ce calcul part de celui de Maastricht, mais il déduit les actifs financiers tels que les dépôts, les titres de créances négociables et les prêts, évalués à la valeur de marché, détenus par les administrations publiques sur d'autres acteurs, ce qui permet d'obtenir une dette nette de l'État. Au sens de l'OCDE et d'Eurostat, la mesure de l'endettement des États se fait à partir de la dette brute des comptes nationaux en déduisant tous les actifs financiers que possèdent les États. À la fin du premier trimestre 2021, la dette publique nette des administrations publiques en France s'élevait à 2 410 Md€, soit 104 % du PIB.

2. Comment expliquer la hausse durable des encours de dette publique ?
a) L'hypothèse du laxisme budgétaire

La hausse des dettes publiques s'explique essentiellement sur la période récente par l'accumulation des déficits budgétaires . En France, c'est le déficit de l'État et celui des comptes sociaux qui expliquent la progression de l'endettement. S'il n'est pas négligeable, l'endettement des collectivités territoriales, désignées sous le vocable d'administrations publiques locales (APUL) au sens européen, est stable en France, à un peu plus de 200 milliards d'euros par an, et ne contribue donc pas à la progression du ratio d'endettement du pays.

La France n'a plus connu de budget en excédent depuis 1974. Depuis le début des années 2000, le déficit des administrations publiques n'a été inférieur à 3 % qu'en 2006, 2007 et 2018, année où le déficit de l'État (66 milliards d'euros) était atténué par un excédent des régimes de sécurité sociale (près de 12 milliards d'euros), pour réduire le déficit global au sens de Maastricht à 54 milliards d'euros 48 ( * ) . Sans prise en compte du déficit record de 2020 de plus de 9 % du PIB, lié à la crise du Covid, le déficit public moyen enregistré sur la période 2002-2019 s'est élevé à 3,6 % .

Or, l'accumulation des déficits creuse mécaniquement l'endettement public, même si le ratio dette/PIB dépend aussi du rythme de progression du PIB. Un PIB élevé rétroagit en effet sur le solde public en gonflant les recettes fiscales et en réduisant certaines dépenses, en particulier les dépenses sociales. Mais la relative faiblesse de la croissance sur la dernière décennie en France et en Europe (croissance moyenne du PIB de 1,6 % par an en France sur la période 2010-2019 et de 1,8 % dans l'UE sur la même période) n'a pas fait de la croissance un critère déterminant de l'évolution des ratios d'endettement public. L'inflation est une autre variable qui aurait pu jouer pour réduire l'endettement. Mais celle-ci est globalement faible et rogne peu la valeur réelle du stock de dette.

C'est donc bien le solde budgétaire qui est le déterminant principal de la progression de l'endettement . Celui-ci résulte de la différence entre recettes et dépenses.

Or, un peu partout s'impose l'idée de ne pas alourdir la fiscalité pour ne pas pénaliser la compétitivité de l'économie. Dans un rapport relatif à la dette souveraine des États de la zone euro publié en 2015 49 ( * ) , le député Nicolas Sansu chiffrait les pertes de recettes de l'État entre 2000 et 2009 de 100 à 120 milliards d'euros. Soulignons toutefois, que la part des recettes publiques dans le PIB a eu tendance à progresser sur longue période, stagnant certes à 50  % du PIB durant toute la décennie 2000 mais progressant ensuite jusqu'à 53 % à partir de 2013 50 ( * ) . Sans cette hausse, le déficit et l'endettement auraient certainement été encore plus élevés en France.

L'attention est donc portée aujourd'hui de manière prioritaire sur les dépenses publiques pour piloter le solde budgétaire. C'est en effet sur les dépenses que les Gouvernements successifs ont affirmé vouloir faire reposer la charge de l'ajustement des comptes publics. Celles-ci avaient baissé durant la décennie 2010 de 3 points de PIB dans l'ensemble de l'UE, passant de 49,7 % du PIB en 2012 à 46,7 % en 2019, à la veille du déclenchement de la crise du Covid 51 ( * ) . Sur la même période, les dépenses publiques sont passées en France de 57 % du PIB à 55,5 %.

L'analyse de ces données montre bien que pour avoir un effet massif sur les déficits et la dette publique, les ajustements budgétaires doivent être d'une grande ampleur, en tout cas d'une ampleur supérieure à la pratique actuelle. Or, la rigidité à la baisse des dépenses comme la rigidité à la hausse des recettes compliquent l'équation visant à améliorer les soldes publics et freinent le retour à l'équilibre budgétaire. Seule l'application d'un « remède de cheval » consistant à contracter brutalement les dépenses ou à alourdir considérablement la fiscalité, voire la combinaison des deux, pourraient réduire fortement les déficits publics, mais en comportant des risques sociaux, politiques, mais aussi économiques, à travers une contraction de la demande intérieure.

b) Une réponse aux déséquilibres macroéconomiques mondiaux ?

Cette explication comptable de la hausse tendancielle de l'endettement public en France par l'accumulation des déficits peut être complétée par une explication macroéconomique plus globale.

D'abord, l'endettement correspond à la mise en oeuvre de procédés keynésiens de soutien public à l'activité économique , par la croissance des dépenses publiques ou par la baisse de la fiscalité. L'objectif, à travers l'effet multiplicateur de la dépense publique ou des baisses d'impôt, consiste à stimuler la demande pour obtenir une croissance économique plus forte. Malgré toutes les limites des politiques de relance par la demande dans une économie de plus en plus ouverte où la hausse des revenus dans un pays peut profiter surtout à ses partenaires commerciaux, celles-ci ne sont pas totalement disqualifiées. On peut néanmoins constater le caractère asymétrique du pilotage du cycle par des politiques budgétaires keynésiennes classiques : l'endettement se creuse fortement dans la période basse du cycle, mais il ne se réduit pas ou peu dans sa phase haute . La mise en oeuvre des politiques conjoncturelles classiques, qui passe notamment par les stabilisateurs automatiques, conduit donc à creuser sans cesse la dette publique.

Mais la progression de l'endettement public pourrait tenir à un autre facteur : l'excès d'épargne mondiale . En s'enrichissant, les ménages ne trouvent plus à dépenser la totalité de leurs revenus. Ils doivent donc placer leur épargne. Une partie de cette épargne s'oriente vers le secteur privé. Mais lorsque la demande de créances dépasse les émissions de dette privée, les États sont donc conduits à jouer le rôle « d'emprunteur en dernier ressort ». C'est ce phénomène que tentent de mettre en évidence trois économistes dans un ouvrage récent intitulé : L'économie de la dette 52 ( * ) . Ils rappellent que la dette de l'État constitue pour les agents privés un support privilégié de leurs transferts de pouvoir d'achat dans le temps. Dans cette approche, le niveau de la dette serait la conséquence d'un excès d'épargne plutôt que la cause de déséquilibres macroéconomiques, et les taux d'intérêt indiqueraient un certain degré de préférence des agents économiques pour le présent : forte lorsque les taux sont élevés, faible lorsque les taux sont bas.

La conjonction de taux bas et de volumes encore importants d'épargne disponible traduirait aussi un déficit de projets d'investissements offrant des perspectives de rendement intéressants, ou encore une aversion au risque des détenteurs de capitaux, qui préfèreraient des placements sûrs. Ce faisant, l'endettement public remplace l'endettement privé, ce qui peut être négatif si le secteur privé trouve plus difficilement à se financer.

La progression des inégalités de revenu peut contribuer enfin à alimenter le phénomène d'excès d'épargne, les agents économiques ayant les revenus les plus élevés ayant aussi une plus forte propension à épargner . Le vieillissement de la population est de son côté susceptible d'entraîner une hausse du taux d'épargne. Cette thèse de l'État emprunteur en dernier ressort invite à ne pas se focaliser sur le niveau atteint par l'endettement public, qui serait une conséquence de déséquilibres macroéconomiques, mais à déplacer le débat sur les dépenses publiques utiles, celles-ci devant viser à préparer l'avenir efficacement.

B. DES DETTES DEVENUES FACILES À FINANCER

1. La baisse continue des taux d'intérêt allège la charge de la dette
a) Des taux de plus en plus bas pour tous

En règle générale, plus un agent économique est endetté et plus son risque de défaut s'accroît, sauf à ce que le rythme de ses revenus progresse lui aussi en parallèle . Or, si les dettes publiques ont augmenté, les recettes publiques ou encore le PIB n'ont pas suivi la même courbe. On aurait pu s'attendre à ce que les taux d'intérêt réclamés par les marchés financiers sur les dettes souveraines s'accroissent. Il n'en a rien été, bien au contraire.

Depuis le début des années 2000, les taux d'intérêt nominaux à long terme n'ont cessé de baisser. Les taux à long terme sont supérieurs aux taux à court terme car ils intègrent une « prime de terme ». Leur observation sur longue période montre que la baisse est générale et concerne tous les pays développés.

Cette baisse des taux d'intérêt a des raisons structurelles. Elle peut s'expliquer par la baisse du rendement des investissements et la réduction tendancielle des gains de productivité, dans une économie de plus en plus tournée vers les services. Le progrès technique pourrait désormais s'intégrer sous forme de baisse des prix à la consommation plutôt que dans la hausse de la profitabilité des investissements, expliquant à la fois les taux bas, la croissance faible et l'inflation maîtrisée. D'autres facteurs comme le vieillissement de la population ou encore la propension à épargner plus élevée lorsqu'on s'enrichit jouent également. Une note de 2016 du Conseil d'analyse économique présentait les raisons profondes de la baisse tendancielle des taux d'intérêt, provenant tant de l'offre de prêts que de la demande de prêts. Finalement, seul l'endettement des États était susceptible de contrecarrer le mouvement de baisse tendancielle des taux 53 ( * ) :

Mais la baisse des taux a aussi été entretenue activement par la politique monétaire des banques centrales, de plus en plus accommodante : ainsi les taux directeurs de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui avaient pu dépasser 6 % au début des années 2000, sont tombés à moins de 1 % dès 2009, et ne sont remontés à 2 % qu'en 2019, pour revenir à 0 % avec la crise du Covid. La BCE partait de taux moins élevés, entre 2 et 5 % durant les années 2000, avant de les baisser suite à la crise financière de 2008 à 1 % puis 0 %.

La politique de soutien monétaire en Europe a également conduit à réduire les écarts de taux d'emprunt entre États membres de l'eurozone, appelés « spreads » . Ces écarts peuvent être analysés comme des primes de risque exigées par les prêteurs du fait de l'inégale qualité de signature des États membres de l'eurozone. Ces spreads sur les dettes souveraines, qui avaient pu atteindre 400 à 500 points de base en 2012 entre l'Allemagne, dont la signature est considérée comme la plus sûre, et l'Italie, dont le taux d'endettement et le déficit sont bien plus élevés, se sont réduits pour atteindre 150 points. La dette souveraine de la France a aussi bénéficié de ce phénomène, malgré une hausse de son endettement durant la même période bien plus élevée que l'Allemagne.

Taux d'intérêt sur les OAT à 10 ans dans l'OCDE (source OCDE)

Les « spreads » de taux entre dettes souveraines

Dans le vocabulaire financier, « spread » est un terme général qui désigne un « écart » entre un taux d'intérêt dit « de référence », appliqué sur une obligation sans risque et le taux réellement appliqué pour une obligation d'un emprunteur déterminé.

On observe ainsi des spreads entre les taux d'intérêt appliqués aux différents États qui souhaitent emprunter sur les marchés financiers. Les comparaisons portent sur des obligations à 10 ans. Au sein de la zone euro, les obligations émises par l'Allemagne se voient reconnaître la confiance maximale de la part des marchés. C'est donc le pays qui emprunte au taux le plus bas de la zone euro. Le taux des emprunts d'État allemands est donc la valeur de référence pour le taux dit « sans risque » et le spread , dans la zone euro, est la différence entre le taux d'intérêt pour un prêt sur 10 ans accordé à l'Allemagne et le taux appliqué à un autre pays pour la même maturité.

Les spreads peuvent donc être assimilés à des primes de risque appliquées aux États. Lorsqu'un pays est identifié par les marchés comme susceptible de faire défaut sur sa dette souveraine, les taux d'intérêt qui lui sont appliqués augmentent. L'augmentation des spreads est donc un reflet d'une inquiétude asymétrique des marchés envers la capacité de remboursement des pays européens. Les spreads augmentent d'ailleurs en raison d'un double mouvement : en se repliant sur les titres de dette allemands, plus sûrs, les marchés font baisser leur taux d'intérêt en même temps qu'ils augmentent les taux d'intérêt des autres pays européens. L'Italie, l'Espagne, le Portugal ou encore la Grèce ont connu des situations de spreads très importants après la crise financière de 2008.

La politique de rachat de titres publics mise en place par la BCE a eu pour effet de faire baisser les taux d'intérêt mais aussi de réduire les écarts de taux entre les États de la zone euro. Les programmes de rachats d'actifs furent très avantageux pour les pays du sud de l'Europe, plus endettés. Aujourd'hui encore ils permettent aux pays européens de se financer sur les marchés à taux faibles voire négatifs.

Toutefois, même avec l'action de la BCE, des différences de taux peuvent être observées reflétant des différences dans la confiance que les marchés accordent aux titres de dette de certains pays européens. L'apparition de spreads importants serait alors préoccupante, car les pays obligés de se refinancer à des taux élevés entreraient dans une spirale d'endettement pouvant conduire à la banqueroute. La mise en difficulté d'un seul pays de la zone euro pourrait alors entrainer une déstabilisation des autres pays en raison des nombreux prêts accordés les uns aux autres.

b) Une baisse des taux qui allège la charge de la dette

Malgré une inflation en légère baisse sur la dernière décennie, la chute continue du taux d'intérêt nominal a conduit à une chute significative du taux d'intérêt réel 54 ( * ) , permettant d'alléger considérablement la charge de la dette publique et donc les dépenses budgétaires correspondant aux intérêts à verser aux détenteurs de titres de dette publique.

En France, en 1980, la dette s'élevait à 30 % du PIB et le taux d'intérêt moyen sur l'encours de la dette s'élevait à 9 %. En 2020, l'encours de la dette dépassait les 100 % pour un taux moyen en-dessous de 1,5 %.

Les emprunts à court terme se font même désormais à des taux nominaux négatifs, les détenteurs de capitaux acceptant un remboursement moins élevé que le montant prêté. Une telle situation s'explique par la volonté des détenteurs de capitaux de sécuriser leurs avoirs en les plaçant en titres de dette publique, considérés comme sûrs. La dette souveraine joue ainsi un rôle de « coffre-fort », du fait de l'absence de risque pris par l'investisseur par rapport à d'autres types de placements financiers. Les titres de dette souveraine entrent donc dans une logique de gestion de patrimoine, en constituant le segment le moins rémunérateur, certes, mais aussi le moins risqué. En situation de forte incertitude sur l'avenir de l'économie, la demande de placements sûrs et sans risques peut avoir tendance à augmenter, rendant possible la poursuite de l'émission de dettes à taux faible.

Avec un taux d'intérêt devenu de plus en plus faible, la charge budgétaire de la dette a été d'abord contenue puis a baissé sur la dernière décennie, alors même que l'encours de dette ne cessait de croître. Le solde primaire 55 ( * ) qu'il fallait dégager pour stabiliser le ratio dette/PIB a donc fortement diminué : alors qu'il fallait dégager un excédent budgétaire au début des années 2000 pour obtenir cette stabilisation, on peut maintenant se permettre d'être en léger déficit.

On a donc connu un mouvement inverse entre la progression de la dette publique et le coût de la dette, qui explique le paradoxe que nous connaissons aujourd'hui : les dettes publiques n'ont jamais été aussi élevées et n'ont jamais été aussi peu coûteuses . Cette situation peut-elle être durable, avec un coût de la dette qui deviendrait quasi-nul sur longue période ? Cette question est particulièrement sensible pour la France, qui est l'une des grandes gagnantes de cette situation, puisqu'elle connaît un stock de dettes élevé.

Source : Banque de France

c) Une condition : disposer d'une monnaie forte

S'endetter à taux bas nécessite cependant de garantir la solidité de la monnaie dans le temps. La confiance dans la solidité de l'euro ou du dollar prévient les crises de dettes souveraines.

Si un pays s'endette dans une monnaie susceptible de perdre de la valeur par rapport à ces deux devises de référence, le taux d'intérêt qui lui sera appliqué intégrera un risque de change, qui peut être très élevé.

En outre, leur capacité de création monétaire pour financer d'éventuels déficits publics est fortement contenue. Ils disposent ainsi d'une souveraineté monétaire limitée, sauf s'ils sont très peu ouverts sur l'extérieur, avec une non-convertibilité de leur monnaie et une faible dépendance aux approvisionnements extérieurs.

Certains pays émergents ont ainsi dû, pour financer leur dette, émettre des titres libellés en monnaie étrangère. Or, lorsqu'un pays s'endette dans une devise extérieure, par exemple en dollars, la dévaluation de la monnaie nationale peut conduire à une explosion de l'endettement extérieur. C'est ce qu'a connu l'Argentine dans les années 1990, conduisant à faire défaut sur sa dette souveraine en 2001.

2. Le rôle des politiques monétaires accommodantes
a) La mise en oeuvre par la BCE d'une politique monétaire accommodante pendant une décennie

La crise des subprimes aux États-Unis à partir de 2007-2008 avait mis en tension le secteur bancaire mondial. La défiance envers les capacités de remboursement des établissements financiers faisait alors craindre une raréfaction du crédit, touchant les ménages et les entreprises. Les banques centrales, à commencer par la Réserve fédérale américaine, ont alors dû jouer un rôle de prêteur en dernier ressort pour fournir suffisamment de liquidités afin d'éviter une crise systémique engendrée par une défiance généralisée des banques les unes vis-à-vis des autres et des clients vis-à-vis de leurs banques. La BCE a suivi la même stratégie à partir du début des années 2010, en particulier pour faire face à la crise de la dette grecque en 2012.

Les banques centrales ont utilisé des outils classiques, en particulier la fixation de leurs taux directeurs 56 ( * ) , par une politique de taux bas incitant les banques à prêter aux ménages et aux entreprises. Mais ces outils se sont révélés insuffisants pour relancer l'investissement et la consommation. Les canaux classiques de transmission de la politique monétaire ont été bloqués par de nombreux phénomènes : volonté de désendettement des agents économiques, pressions déflationnistes, phénomène de « trappe à liquidité » à l'approche d'un taux zéro.

Les banques centrales, notamment la BCE, ont été amenées à mettre en oeuvre des mesures dites « non conventionnelles » renforçant leur rôle de prêteur en dernier ressort et facilitant le financement des dettes, privées comme publiques. Ainsi, la BCE a mis en place plusieurs programmes de LTRO ( long term refinancing operations ) consistant en des prêts de trois ans aux banques à des taux attractifs, et appliqué à partir de 2015 des mesures d'assouplissement quantitatif ( quantitative easing ) consistant à racheter aux banques des obligations, principalement de dette publique.

Ces politiques ont contribué à maintenir les taux d'intérêt à des niveaux historiquement bas, aujourd'hui proche de 0 %, alors que sur longue période, les taux réels mondiaux avaient été plutôt de 2 à 4 % 57 ( * ) . Elles auraient permis de soutenir la croissance et l'emploi, et de faire remonter le taux d'inflation, qui, sans cela, aurait probablement été négatif sur la période. En cela, la mise en oeuvre d'une politique monétaire accommodante a répondu aux objectifs fixés en Europe à la BCE. Celle-ci n'a pas à répondre à un objectif de financement des États à bas coût, qui a été l'une des conséquences majeures des baisses de taux. Néanmoins, les niveaux élevés atteints par les dettes publiques ainsi que l'importance de l'encours de titres de dette souveraine qui figurent dans le bilan des banques centrales de l'eurozone oblige à prendre en compte ce paramètre dans la conduite des politiques monétaires.

L'assouplissement quantitatif (quantitative easing)

L'assouplissement quantitatif est un instrument de politique monétaire non-conventionnel utilisé par les banques centrales. Il sert à compléter les instruments conventionnels lorsqu'ils ne sont plus suffisants, c'est le cas lorsque les taux d'intérêt directeurs sont déjà fixés au plus bas ( effective lower bond ) mais que la cible d'inflation à 2 % n'est pas atteinte. La BCE peut alors racheter aux banques commerciales des actifs financiers, principalement des titres de dettes publiques de long terme. Cela a pour effet de donner aux banques davantage de liquidités qu'elles pourront prêter aux ménages et aux entreprises à taux bas. Le but de cette opération est de favoriser le crédit pour faire repartir l'économie et donc l'inflation. La banque centrale, en achetant des titres de dettes publiques sur le marché secondaire, augmente ainsi la masse monétaire.

L'effet collatéral de ce mécanisme est très avantageux pour les États, car cela leur permet de placer de grandes quantités d'obligations à des taux particulièrement bas. Les marchés financiers n'hésitent pas à prêter aux États de la zone euro, car ils savent que leurs titres de dettes seront rachetés par la BCE.

Déjà expérimenté entre 2001 et 2006 par la Banque du Japon et par la Fed américaine dès 2008, le quantitative easing n'a été adopté par la BCE qu'à partir de 2015 avec son programme Asset Purchase Programme (APP). Selon la Banque de France « à la fin juin 2021, l'ensemble des achats réalisés au titre de l'APP s'élève à 3 169 milliards d'euros ». Avec la crise sanitaire, un nouveau plan appelé Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) a été mis en place pour acheter à hauteur de 1 850 milliards d'euros d'actifs financiers aux banques. Au total avec ces deux programmes, à la fin de l'année 2020, la BCE détenait 21 % du stock de dettes publiques de la zone euro. La fin du programme PEPP est prévue pour le mois de mars 2022 mais la décision d'arrêter ou de poursuivre cette politique fait l'objet de débats au sein des autorités monétaires.

b) Les risques des politiques monétaires accommodantes

Conçues comme temporaires, les politiques monétaires accommodantes sont devenues la norme. Mais est-ce une solution pérenne ? Le maintien de taux bas par les banques centrales n'est pas exempt de risques.

Le premier d'entre eux, si les projets d'investissements des ménages ou des entreprises ne sont pas au rendez-vous, réside dans l'inflation des prix des actifs , réels comme financiers, pouvant former des phénomènes de bulles de crédit ou alimentées par le crédit. Ce ne sont pas alors les prix à la consommation et l'inflation qui sont stimulés par la création monétaire, mais l'acquisition de titres ou de biens, dont la valorisation augmente sans rapport avec leur valeur réelle, mais uniquement par le jeu des anticipations de hausse de prix, et sans aucune contrainte en matière de distribution de crédits. Les bulles créent un effet de richesse artificiel qui s'évanouit lorsque la bulle éclate, provoquant des défauts de paiement en cascade.

Les taux très bas fragilisent aussi le secteur financier , dont la marge d'intermédiation se réduit. D'ailleurs, pour éviter que les banques commerciales déposant leurs liquidités auprès de la banque centrale ne soient pénalisées par des taux négatifs, il existe désormais un mécanisme dit de « tiering », qui en exempte une partie de leurs dépôts auprès de la BCE. Fin 2020. Cette exemption concernait 855 milliards d'euros de dépôts dans l'eurozone, soit un peu plus d'un tiers des réserves des banques auprès des banques centrales 58 ( * ) . Le secteur de l'assurance est aussi affecté, car il ne peut compter sur la rémunération du capital collecté pour financer les engagements futurs.

Un autre risque est celui de la perte d'efficacité de la politique monétaire au voisinage de taux négatifs : la banque a épuisé ses marges de manoeuvre pour stimuler la demande en cas de crise conjoncturelle. On ne peut alors plus compter que sur l'outil budgétaire.

Enfin, le niveau élevé atteint par les dettes publiques, surtout après l'épisode du Covid, pourrait conduire à considérer comme insupportable pour les États sur le plan budgétaire une remontée des taux d'intérêt. La politique monétaire serait donc contrainte de prendre l'impératif de maintien de taux bas pour faciliter le financement de leur dette par les États. On parle de « dominance budgétaire », qui mettrait fin à une logique d'indépendance des banques centrales, au risque de peser sur la confiance dans l'euro.

Or, si le maintien à long terme d'une politique de taux bas comporte des risques, la sortie de cette politique de taux bas est aussi extrêmement risquée. D'abord, l'inversion de tendance d'une politique monétaire peut produire des effets d'emballement . La lourdeur de paquebot de la politique monétaire explique pourquoi les annonces, tant de la BCE que de la Fed, sont aujourd'hui effectuées avec la plus grande prudence. Un resserrement des conditions d'accès au crédit, même modéré, pourrait en effet modifier en profondeur les anticipations des agents économiques et les conduire à sur-réagir. Ensuite, la remontée des taux fera peser une énorme pression sur les comptes publics , les États étant bien plus endettés aujourd'hui qu'il y a dix ans, les plaçant devant un grave dilemme : soit laisser filer encore plus l'endettement sous l'effet de la charge de la dette, soit réaliser un ajustement budgétaire et fiscal extrêmement brutal, au risque de casser la croissance.

3. Un nouveau contexte macroéconomique qui réclame une nouvelle approche de l'endettement public
a) Éviter des politiques publiques récessives

La France connaît une situation de stabilité paradoxale : la dette a atteint un niveau historiquement élevé, mais avec des taux bas, une inflation basse et une croissance faible. Les paramètres qui pourraient conduire à basculer dans le surendettement ou à améliorer mécaniquement le ratio dette/PIB sont tous au point mort.

Dès lors, le débat s'engage entre deux écoles : les rassuristes et les inquiets :

- les « rassuristes » voient dans l'absence de difficultés rencontrées par la France pour financer un surcroît d'endettement lié au Covid la preuve que le niveau atteint par l'endettement n'est en soi pas un problème ;

- à l'inverse, les inquiets , partant du même constat, soulignent que des variations mêmes faibles des paramètres précités pourraient avoir des effets considérables sur la soutenabilité de la dette à long terme, dans la mesure où le stock de dette a atteint un niveau particulièrement élevé, la France, qui était dans le groupe central des pays européens moyennement endettés au début des années 2000, étant désormais passée dans le groupe des pays européens les plus endettés.

Alors que les paramètres externes de la dette sont bloqués, les paramètres nous permettant de gérer la dette sont aussi à manier avec précaution. La question du bon calibrage des politiques budgétaires se pose inévitablement dans le débat public, en lien avec la question de la croissance économique.

Or, par le passé, pour limiter la progression de l'endettement, la France a mené des politiques destinées à limiter les déséquilibres de ses comptes en réduisant petit à petit le déficit public. Cette méthode n'a pas été couronnée d'un grand succès. Une des raisons avancées est que ces politiques ont des effets récessifs, pénalisant la croissance. La recherche d'un ajustement budgétaire entraîne alors dans une spirale négative : on se retrouve à la fin avec un taux d'endettement identique voire supérieur, un taux de croissance plus faible et un chômage plus élevé. Il serait donc contreproductif de réaliser des excédents pour rembourser sa dette et rétablir les comptes publics.

Avec des taux très faibles, on pourrait être tenté de profiter de la situation pour s'endetter davantage afin de financer des dépenses publiques supplémentaires et en espérer une croissance plus forte ou plus vertueuse. Mais en augmentant le volume de dette on s'exposerait toujours plus à des retournements de tendance brutaux. Il y a donc un sérieux dilemme.

L'idée que l'endettement, c'est-à-dire une politique budgétaire expansionniste, stimule mécaniquement la croissance est au demeurant battue en brèche par certains économistes : en 2010, les économistes américain Reinhart et Rogoff estimaient ainsi que la relation entre endettement et croissance était faible, et même négative au-delà de 90 % d'endettement. De son côté, l'économiste François Facchini indiquait qu'au-delà d'un certain seuil, estimé à environ 30 % du PIB, soit bien en deçà de notre niveau actuel (55 % en 2019, avant la crise du Covid), la dépense publique a un effet négatif sur la croissance, du fait de sa tendance à financer des dépenses improductives.

Compte tenu des liens économiques étroits des pays de la zone euro, le bon calibrage de la politique budgétaire doit être trouvé à cette échelle, afin que les choix macroéconomiques ne rentrent pas en contradiction . Or, en matière de politiques budgétaires, les approches des uns et des autres sont très différentes. Entre frugaux et dépensiers, seule est commune la préoccupation d'une plus forte croissance, mais les moyens d'y parvenir à travers la politique budgétaire ne sont pas partagés.

b) La dette : outil d'égalité ou facteur de tensions ?

La dette et la manière de la traiter ne sont pas neutres à l'égard des différentes catégories de la population. L'idée que la dette serait un « fardeau » qu'on laisserait aux générations futures est bien installée dans l'imaginaire collectif .

Cette idée est en réalité assez fragile : si les générations futures auront à gérer l'ensemble de l'héritage de la génération précédente, la dette procède en réalité à une redistribution au sein d'une même génération . Ainsi, avec des taux élevés, les détenteurs de capitaux bénéficient de transferts financiers de la part du budget de l'État. Les contempteurs de la dette soulignent d'ailleurs que la dette devrait être combattue car, par nature, elle accroît les inégalités, en permettant aux détenteurs de patrimoine de recevoir une rente de l'État. Karl Marx lui-même se méfiait de l'endettement public, vu comme un instrument au service de l'accumulation du capital privé. La dette publique, lorsqu'elle est détenue par les résidents, « redistribue des ressources de la totalité de la base taxable vers les ménages les plus aisés, qui détiennent la plus grande part de la dette publique » 59 ( * ) .

Un autre effet redistributif de la dette intervient au moment des consolidations budgétaires . Ainsi, les choix des modalités de remboursement de la dette, à travers la fiscalité, deviennent des questions de répartition et pas seulement des questions techniques. Augmenter les impôts pour financer un plan de désendettement n'entre ainsi plus dans une logique de gestion technique d'un cycle économique, mais introduit l'idée d'une redistribution entre agents économiques, sous l'égide de l'État.

Au final « il ressort que le diagnostic sur les effets redistributifs de la dette est difficile à rendre. La dette ne semble pas avoir d'effet redistributif évident en elle-même. Ce qui compte, du point de vue de la redistribution, n'est pas tant l'existence ou non d'une dette ou son montant, mais la nature des dépenses qu'elle finance et la façon dont la charge des intérêts est répartie sur la population. Si la dette finance des économies d'impôts dont bénéficient en priorité les ménages les plus aisés, elle est fortement anti-redistributive. Si au contraire elle finance des transferts vers les plus pauvres et que la charge des intérêts s'adosse à un système fiscal très progressif, elle ne l'est pas » 60 ( * ) .

La dette et les générations futures

Une des critiques faites à la dette publique repose sur l'idée qu'elle pénalisera les générations futures, qui auront à la rembourser. Cette idée part d'une analogie entre les ménages et l'État : ce dernier devrait donc se comporter en bon père de famille, assurant une gestion rigoureuse de ses finances, interdisant tout déséquilibre. Or, cette analogie est peu pertinente.

D'abord, l'horizon de temps d'une personne physique et de l'État n'est pas identique. Réputé éternel, l'État a un horizon d'emprunt illimité.

En pratique, la durée moyenne des emprunts est bien plus courte qu'une génération : un peu plus de 8 ans pour la dette française. C'est donc à brève échéance qu'il faut rembourser ses dettes, ou décider d'en réémettre.

Ensuite, la dette a pour contrepartie un actif (financier et non financier) 61 ( * ) . En 2002, alors Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin indiquait que « pendant que nous parlons, il y a sans doute un bébé qui est en train de naître dans une clinique, quelque part. Sur ses épaules, dès qu'il va commencer à respirer, il y aura déjà 100 000 francs de dette (15 000€) » 62 ( * ) . Depuis, la dette par habitant a plus que triplé. Or, d'après l'OFCE « en 2020, chaque habitant en France devait assumer une dette publique équivalente à 56 000 euros, mais possédait en contrepartie 35 200 euros d'actifs non financiers publics et 23 600 d'actifs financiers publics. Le patrimoine net public par habitant s'élevait donc à 2 800 euros » 63 ( * ) .

En outre, si l'État émet une dette aujourd'hui, il la remboursera demain auprès des héritiers des créanciers. La dette est donc un héritage pour les débiteurs, mais aussi pour les créanciers.

Enfin, en attendant le remboursement, l'État pourra utiliser cet argent, c'est-à-dire de l'épargne de certains individus, pour faire des transferts à ceux qui en auraient une utilité plus forte pour une activité productive ou pour dépenser et ainsi permettre la croissance. Ainsi comme le disait Ricardo, « la dette de l'État est une dette de la main droite à la main gauche ». Le remboursement de la dette à long terme se fera par les impôts que payeront les enfants des individus ayant reçu des transferts mais aussi les détenteurs de capitaux.

III. QUEL AVENIR POUR LA DETTE PUBLIQUE DE LA FRANCE ?

A. LA SOUTENABILITÉ DE NOTRE DETTE DÉPEND DE NOMBREUX PARAMÈTRES

1. Niveau et financement de la dette : deux questions distinctes
a) L'inquiétude sur le niveau de dette

Le débat public se focalise essentiellement sur la question du niveau de la dette publique, et plus précisément du ratio dette/PIB . Le phénomène n'est pas nouveau. Déjà en septembre 2007, lors d'un déplacement en Corse, le Premier ministre François Fillon déclarait « je suis à la tête d'un État qui est en situation de faillite sur le plan financier ».

Depuis, cette faillite ne s'est pas matérialisée, pourtant la dette publique est passée de 1 200 milliards d'euros fin 2007 à 2 762 milliards d'euros au milieu de l'année 2021 64 ( * ) .

Selon le rapport économique social et financier (RESF) qui accompagne le projet de loi de finances pour 2022, le ratio de dette/PIB, qui avait légèrement baissé en 2017, 2018 et 2019 pour rester en dessous des 100 %, a grimpé avec la crise au-dessus de 115 % et devrait se stabiliser en 2022 à 114 %, soit tout de même 15 points de plus qu'avant la crise sanitaire. La dette française connaît ainsi des marches successives vers un ratio toujours plus élevé de dette/PIB.

Si l'on s'inquiète de la progression de la dette publique en France, cela n'est pas pour une raison budgétaire immédiate . À taux d'intérêt constant, plus de dette signifie plus de frais financiers à payer par la puissance publique. Or, les intérêts d'emprunt, c'est-à-dire la charge de la dette, n'ont cessé de baisser, faisant plus que compenser l'augmentation de l'encours de la dette et permettant de stabiliser le service de la dette à moins de 36 milliards d'euros en 2020, contre 46 milliards en 2011 65 ( * ) .

Contrairement à ce qui prévalait jusqu'aux années 1990 et même encore un peu dans les années 2000, ce n'est plus la charge de la dette qui est la cause prépondérante voire exclusive de la progression de l'endettement public. Il y aurait même un anti-effet boule de neige sur la période récente, comme le montre le graphique ci-après.

Source : Agence France Trésor

En réalité, l'inquiétude sur le niveau de la dette repose sur deux observations :

- d'abord, le ratio dette/PIB n'a cessé de progresser sur longue période et sa progression semble inéluctable. Les phases de stabilisation (en 2000-2007, autour de 60 % du PIB, puis de 2014 à 2019, un peu en dessous de 100 % du PIB) ont été suivies de crises faisant franchir brutalement une marche à l'endettement public : près de 40 points de PIB après la crise de 2008, puis à nouveau 20 points de PIB après la crise du Covid-19. Chaque crise est l'occasion du franchissement d'une nouvelle marche vers un plus haut niveau d'endettement, sans retour en arrière. Dès lors, notre pays semble condamné à être de plus en plus endetté ;

- ensuite, l'écart se creuse entre la France et ses principaux voisins européens , notamment l'Allemagne. Faisant partie avec l'Allemagne du « club » des États endettés à hauteur d'environ 60 % du PIB au début des années 2010, la France tend à rejoindre désormais le « club » des États européens aux plus forts ratios d'endettement. Le rapport Arthuis de mars 2021 66 ( * ) pointe cette divergence, vue comme un facteur de fragilisation de la France. À terme, on pourrait s'interroger dans les mêmes termes que pour l'Italie, le Portugal ou l'Espagne quant à la soutenabilité à long terme de la dette publique française.

Cependant, ces inquiétudes sur le niveau de la dette peuvent aujourd'hui paraître sinon infondées, du moins prématurées. Le niveau historiquement élevé atteint par la dette publique française n'empêche aucunement la France de se financer et à des taux très faibles . D'autres pays développés comme le Japon ou les Etats-Unis connaissent également des niveaux d'endettement élevés sans rencontrer de difficultés à trouver des ressources. Le niveau de l'endettement public ne peut donc pas constituer le critère d'appréciation principal de la soutenabilité de la dette publique. La vraie question serait plutôt celle de la capacité à financer son endettement public .

Évolution de la dette (en points de PIB) - Rapport Arthuis

Source : Eurostat - octobre 2021

b) La question des modalités de financement de la dette

Au-delà de la question du niveau atteint par la dette publique, se pose à long terme la question du financement de celle-ci. En réalité, tant que l'on trouve des solutions de financement, la dette n'est pas un problème, même pour un pays très endetté . Il faut donc trouver des instruments sûrs et peu coûteux de financement.

La France dispose d'un tel premier instrument de financement à travers le circuit du Trésor : administrations de l'État, collectivités, établissements publics mais aussi institutions financières comme la Caisse des dépôts et les Caisses d'épargne déposent leurs liquidités auprès du Trésor public, qui draine ainsi de grandes quantités de liquidités et couvre ses besoins de financement.

Dans les années 1950, les besoins de financement de l'État étaient également couvert par la souscription forcée de bons du Trésor par le système bancaire , les banques devant détenir un volume plancher d'effets publics, en proportion de l'ensemble de leurs dépôts. L'État a donc maîtrisé les conditions du financement de son déficit et de sa dette en obligeant de nombreux acteurs économiques à lui prêter l'argent dont il a besoin.

Jugé fondamentalement inflationniste, le financement administré du déficit et de la dette publique a été progressivement démantelé à partir du début des années 1960, pour aboutir à un financement recherché de manière prépondérante sur les marchés à partir du milieu des années 1980 67 ( * ) . Pour l'État, il s'agit donc d'être attractif pour « vendre la dette » à des investisseurs volontaires, qui peuvent à tout moment se désengager ou demander une rémunération plus élevée pour couvrir le risque qu'ils estiment prendre en souscrivant des emprunts d'État . Comme l'indique le sociologue Benjamin Lemoine dans un ouvrage récent intitulé L'ordre de la dette , le recours aux marchés financiers s'est imposé comme la « seule solution possible » pour financer la dette.

Aujourd'hui, si les correspondants du Trésor existent toujours, mais constituent une source stable mais modeste de financement de l'État, avec des liquidités qui représentent au 31 décembre de chaque année environ 120 milliards d'euros, soit seulement 5 % de l'encours de la dette publique. Ce n'est donc pas à travers eux mais bien par les marchés financiers qu'est assuré l'essentiel du financement de la dette publique de la France et ceux-ci n'ont jusqu'à présent jamais fait défaut.

En effet, malgré des besoins ne cessant de croître année après année, à la fois sous l'effet du déficit public annuel et des besoins croissants d'amortissement de la dette à moyen et long terme, au volume sans cesse en augmentation, le financement par les marchés a toujours été possible, attirant des capitaux nationaux mais aussi, de plus en plus, des capitaux étrangers. Ainsi, le besoin prévisionnel de financement de l'État pour 2022, atteint le niveau record fixé de 292,7 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2022 et correspondant pour moitié au déficit budgétaire et pour moitié au refinancement de la dette. Il devrait être couvert principalement par la souscription d'emprunts sur les marchés. Une émission record de 260 milliards d'euros de titres à moyen et long terme est envisagée .

Le choix de faire financer la dette par des mécanismes de marché expose à des retournements de tendance des marchés financiers. En cas de crise de confiance, dont la manifestation serait l'incapacité de l'Agence France Trésor (AFT) à faire souscrire la totalité de ses emprunts lors de ses adjudications, ou encore une hausse considérable des taux exigés par les marchés pour souscrire ces emprunts, l'État pourrait se retrouver face à un mur de dette infranchissable . Grâce à un accès facile au crédit et des taux directeurs extrêmement bas garantis par la BCE, les marchés ont pu répondre aisément à une demande croissante de placement de titres publics et ce à des conditions de moins en moins coûteuses, du fait de la quasi-disparition des primes de risques. Mais cette situation peut-elle perdurer ? Le défi des années à venir sera celui du financement d'une dette encore croissante à des conditions qui restent favorables pour les États.

Qui sont les détenteurs de la dette française : vraie question

ou fausse inquiétude ?

On ne connaît pas les détenteurs de la dette française. Au moment de l'émission d'une dette, l'AFT connaît les souscripteurs, puisque seulement 15 spécialistes en valeurs du trésor (SVT) sont admis à acheter de la dette publique lors des adjudications. Mais ces SVT, organismes bancaires, collectent une épargne provenant de très nombreuses sources, notamment d'investisseurs non-résidents.

Les titres de dette française sont des titres négociables . En réponse à une question parlementaire, le ministère de l'économie et des finances indiquait en mai 2021 : « on estime à 20 Mds€ (soit 1 % de la totalité de la dette) le montant moyen de titres changeant de détenteurs chaque jour, via de multiples canaux (transactions de gré à gré ou sur diverses plateformes multi-acteurs) ». Il est donc impossible de connaître à tout instant l'identité précise de l'ensemble des détenteurs de titres de dette publique française. Néanmoins, on dispose d'informations sur les catégories de détenteurs à travers une enquête trimestrielle de la Banque de France et une enquête semestrielle du FMI.

L'AFT indique ainsi dans son bulletin mensuel d'octobre 2021 68 ( * ) que 49,5 % des détenteurs de titres de dette négociable de l'État au deuxième trimestre 2021 étaient des non-résidents . Par ailleurs, près d'un quart de la dette est détenue par des compagnies d'assurances, banques et OPCVM français. La part des détenteurs résidents a eu tendance à se renforcer ces dernières années en raison de l'achat de titres par la Banque de France dans le cadre du programme d'achat de l'Eurosystème. Selon les chiffres du FMI, plus de la moitié des détenteurs de titres français non-résidents sont européens.

Cette question a-t-elle une importance ? La diversification géographique de la détention de la dette publique constitue un indicateur d'attractivité des obligations émises par la France. L'accès à une grande diversité de créanciers permet d'accéder à des taux d'intérêt plus faibles. Ayant confiance dans la qualité de la signature de l'État et dans la solidité de l'euro, des détenteurs de capitaux étrangers peuvent même considérer que la détention de titres de dette souveraine française constitue une valeur refuge, toujours liquide et non risquée. De ce point de vue, on pourrait donc se réjouir que des non-résidents acceptent de prêter de l'argent pour des montants très faibles, voire négatifs.

Mais la détention de titres de dette par des non-résidents peut aussi présenter des risques, en cas de nécessité de renégocier la dette . Les investisseurs résidents sont en effet plus « captifs » que les non-résidents. Ils sont moins susceptibles de chercher à vendre leurs titres en cas de crise ou d'incertitudes économiques. Et en cas de crise, l'État dispose d'un plus grand pouvoir coercitif à leur égard, par exemple en modifiant la réglementation financière ou en jouant sur le levier fiscal.

Le rapport d'information de Laurent Saint-Martin de juin 2020 sur la dette publique recommandait de mieux connaître les détenteurs de la dette publique. À l'inverse, lors de son audition au Sénat, l'économiste Jean-Marc Daniel affirmait : « quant à savoir qui détient notre dette, cela n'a aucune importance. Celui qui détient notre dette n'a pas de pouvoir sur l'État ».

2. Des perspectives à long terme dépendant de nombreux paramètres

L'évolution de l'endettement de la France à moyen et long terme dépend de paramètres que nous maîtrisons, comme le niveau des déficits publics que nous nous autorisons chaque année en loi de finances, mais aussi largement de notre environnement macroéconomique et de paramètres que nous ne maîtrisons pas. La soutenabilité des dettes publiques pourrait notamment être impactée par un ajustement des politiques monétaires en réponse au risque de retour de l'inflation.

a) Le spectre du retour de l'inflation, un défi pour les politiques monétaires

L'inflation a des effets contrastés sur la dette publique :

- Elle peut faciliter une stratégie de désendettement : avec une hausse de l'inflation, le PIB nominal augmente, faisant baisser mécaniquement le radio dette/PIB. Elle conduit aussi, dans un premier temps, à réduire le taux d'intérêt réel payé sur la dette, lorsque ce taux n'est pas indexé sur l'inflation, ce qui est le cas pour près de 90 % de la dette française.

- Mais l a hausse de l'inflation peut entraîner ensuite un alourdissement de la charge de la dette , à travers une remontée des taux d'intérêts, au fur et à mesure des besoins de refinancement de la dette publique. Si le taux d'intérêt réel s'établit après le retour de l'inflation à un niveau supérieur à ce qu'il était lors de la période précédente, la charge de la dette peut vite exploser. Le RESF annexé au projet de loi de finances pour 2022 estime qu'une hausse de taux de 1 % (100 points de base) aurait un impact sur la dette française de 2,5 milliards d'euros la première année, de 15 milliards d'euros la cinquième année et de presque 30 milliards d'euros la dixième année (p.36).

Depuis le passage du franc à l'euro, la France connaît une inflation très modérée 69 ( * ) , inférieure à 2 % par an. L'ensemble de la zone euro est dans une situation similaire, avec des taux d'inflation encore plus faibles après la crise de 2008.

La maîtrise de l'inflation est l'objectif premier désormais assigné à la politique monétaire , placée sous le pilotage de la BCE. L'article 127 du TFUE dispose en effet que « l'objectif principal du Système européen de banques centrales, ci-après dénommé "SEBC", est de maintenir la stabilité des prix ». En 2003, la BCE a précisé son interprétation de la stabilité des prix : il s'agit d'atteindre un taux d'inflation à moyen terme inférieur mais proche de 2 %. Une note du Conseil d'analyse économique de juin 2021 70 ( * ) constate que « depuis 2015, le taux d'inflation annuel a été environ 90 % du temps inférieur à 1,9 %. En outre, les prévisions de la BCE ont constamment surestimé l'inflation : entre 2015 et la crise du Covid-19, la BCE prévoyait chaque trimestre un retour à un taux d'inflation proche de 2 % à un horizon d'un an ou un an et demi. Autrement dit, la BCE ne cesse de manquer sa cible tout en prévoyant de l'atteindre ».

Toute cette architecture repose sur la théorie quantitative de la monnaie (la fameuse équation MV=PT), qui postule que la création monétaire altère le niveau général des prix. Dans cette optique, il convient de limiter l'émission de monnaie par la banque centrale pour éviter que la valeur de la monnaie se déprécie et que les prix augmentent pour compenser cette dépréciation. En application de ce modèle, si les prix montent, il est nécessaire, pour enrayer ce mouvement, de ralentir la création monétaire.

Depuis le début de l'année 2021, avec la reprise économique, l'inflation a fortement augmenté aux États-Unis et en Europe 71 ( * ) , mais la plupart des économistes s'accordent à penser qu'il ne s'agit pas d'un phénomène durable , et que cette hausse correspond à une sortie de crise classique. Le rapport économique social et financier (RESF) accompagnant le projet de loi de finances pour 2022 72 ( * ) anticipe un taux d'inflation en France d'1,5 % en 2022, comme en 2021 et d'1,75 % à l'horizon 2027 (p.76).

Plusieurs facteurs expliquent le maintien de l'inflation à un bas niveau sur longue période 73 ( * )74 ( * ) :

• l'inflation basse pourrait s'expliquer d'abord par une persistance d'un déséquilibre entre l'offre et la demande mondiale , résultant à la fois d'une faiblesse de la demande mondiale depuis la crise de 2008, mais aussi de surpacacités de production, en particulier en Chine, qui maintiennent les prix bas ;

• ensuite, la stimulation de la demande pourrait avoir un effet moindre que par le passé sur l'inflation . On parle d'aplatissement de la courbe de Phillips au sein des économies avancées car la baisse du taux de chômage ne se traduirait plus par des augmentations fortes de salaires entraînant des hausses de coûts de production. Une note de la direction du Trésor explique ce phénomène par l'existence de capacités excédentaires sur le marché du travail, la réduction du pouvoir de négociation des salariés et l'ouverture aux échanges mondiaux à des pays à faible coût de main d'oeuvre. On peut d'ailleurs s'interroger sur la capacité des politiques monétaires expansives à faire remonter le taux d'inflation : malgré des baisses continues des taux, les prix ne sont pas repartis à la hausse ;

• en outre, le vieillissement démographique mondial entraînerait une hausse globale de l'épargne, au détriment de la consommation, contribuant structurellement à comprimer la demande mondiale ;

• enfin, le progrès technique aurait désormais tendance à faire baisser les prix plutôt que de se répercuter sous forme de hausse de la valeur ajoutée. Certains économistes soutiennent que l'innovation a désormais un effet déflationniste, ce qui expliquerait que la révolution numérique ne se soit pas accompagnée de gains significatifs de productivité (paradoxe de Solow).

Plusieurs paramètres sont toutefois à surveiller car ils pourraient de nouveau entraîner l'inflation dans un mouvement haussier durable :

les coûts de l'énergie constituent un sujet d'inquiétude, au-delà de la flambée conjoncturelle des prix du pétrole et du gaz : l'impératif de transition énergétique pourrait conduire demain à payer plus cher notre énergie. Le renchérissement des prix des denrées alimentaires pourrait aussi être observé, sous l'effet de l'épuisement des ressources naturelles ;

la mise en oeuvre de politiques protectionnistes pourrait aussi rendre moins fluides les échanges commerciaux, renchérissant l'approvisionnement en biens d'équipement ou de consommation.

Politique monétaire et inflation : un lien à réinventer ?

La politique monétaire a joué un rôle important dans la maîtrise de l'inflation dans les pays développés. Mais alors que la BCE n'a cessé de mener des politiques monétaires expansionnistes depuis une dizaine d'années, l'inflation n'est pas repartie . Une étude de la Banque de France 75 ( * ) avance deux explications : une conjoncture économique durablement dégradée et des prix des matières premières, notamment du pétrole, restés faibles durant la période 2013-2019. Cette étude indique que sans la politique monétaire accommodante menée par la BCE, les prix auraient encore plus baissé et nous aurions connu une situation de déflation.

Cette politique monétaire expansionniste menée sur plusieurs années présente certains effets pervers , mis en avant par la note précitée du Conseil d'analyse économique : inflation des prix des actifs, contribuant à un accroissement des inégalités de patrimoine, traitement privilégié des dépôts des banques auprès de la BCE pour éviter de leur appliquer un taux d'intérêt négatif, achats d'actifs polluants par la BCE, incitation à une politique budgétaire laxiste, l'Etat n'ayant aucun intérêt à se désendetter, voire susceptible de gagner de l'argent en s'endettant, avec des taux négatifs.

La note du Conseil d'analyse économique suggère donc d'utiliser un nouvel outil de politique monétaire pour créer de la monnaie non par l'intermédiaire du système bancaire et sans aller jusqu'à monétiser la dette publique : il s'agirait de distribuer directement la monnaie auprès des citoyens, ce que l'on appelle la « monnaie hélicoptère » . Cette injection monétaire pourrait se faire jusqu'à atteindre la cible des 2 % d'inflation annuelle et serait stoppée une fois la cible atteinte, comme le propose François-Xavier Oliveau dans une note de l'Institut Sapiens 76 ( * ) . La distribution directe d'argent aux citoyens plutôt qu'aux gouvernements à travers le rachat de titres publics par la BCE auprès des banques et organismes financiers est d'ailleurs considérée comme plus vertueuse car elle n'encourage pas l'endettement public et permet d'avoir un effet plus direct sur la consommation. À l'inverse des prêts accordés aux banques dans le cadre de la mise en oeuvre classique de la politique monétaire par la banque centrale, la distribution directe de liquidités serait définitive, créant pour la banque centrale un passif permanent.

Extrêmement disruptive par rapport aux instruments actuels de politique monétaire, la « monnaie hélicoptère » est une option pourtant défendue par plusieurs économistes. Devant les difficultés de la politique monétaire traditionnelle à produire ses effets, le recours à un tel instrument doit être sérieusement étudié .

b) La zone euro et la dette française restent attractives pour les détenteurs de capitaux

La zone euro a connu une croissance molle durant les années 2010. La France se situe parmi les Etats membres ayant connu la croissance la plus faible. Dans un tel environnement, il a été difficile de réduire les déficits publics, mais cela n'a pas détérioré la confiance des investisseurs dans les titres de dette publique.

Dans une situation où l'épargne mondiale reste abondante, et où les détenteurs de capitaux cherchent à sécuriser une partie de leurs avoirs financiers, la France est considérée comme présentant une signature sûre. Le précédent de la Grèce, dont les difficultés à faire face à ses échéances ont été couvertes par la mise en oeuvre d'un mécanisme européen de solidarité financière, rassure les investisseurs, qui estiment que la zone euro reste solide.

Un taux d'intérêt faible voire négatif est consenti par les détenteurs de capitaux, qui considèrent qu'acheter de la dette publique est aussi fiable que de placer son argent dans un coffre-fort. L'existence d'une libre convertibilité de l'euro et la confiance dans la solidité de l'euro facilitent grandement le financement à bas coût de la dette publique européenne.

La crise du Covid aurait pu voir réapparaître des écarts importants de taux entre Etats membres de l'eurozone. Il n'en a rien été, preuve que la solidité financière de l'édifice paraît aujourd'hui assurée, malgré les soubresauts de la conjoncture.

B. LES OUTILS DES GOUVERNEMENTS POUR GÉRER LA DETTE

1. Rouler la dette : une méthode classique mais qui impose une maîtrise à long terme des comptes publics
a) Emprunter pour rembourser : une méthode classique

On dit souvent que l'État ne rembourse jamais ses dettes, car l'endettement ne cesse de progresser. En réalité, l'État rembourse toujours ses dettes, en faisant rouler la dette. Rouler la dette consiste à rembourser les emprunts arrivés à échéance grâce à de nouveaux emprunts .

Avec la progression du niveau de la dette publique, les montants à financer chaque année pour rouler la dette ont tendance à progresser eux aussi . Selon les derniers chiffres de l'Agence France Trésor (AFT), service de l'État chargé de gérer la dette publique, la France a emprunté à moyen et long terme 77 ( * ) 309,5 milliards d'euros en 2020, empruntera 313,5 milliards d'euros en 2021 et 292,7 milliards d'euros en 2022. En 2020, 178 milliards correspondaient au déficit supplémentaire à financer et 136 milliards correspondaient à l'amortissement de la dette à moyen et long terme. En 2022, ce devrait être plus de la moitié de la dette émise, soit presque 150 milliards d'euros, qui correspondraient à l'amortissement des dettes passées.

La durée de vie moyenne de la dette a une influence non négligeable sur les montants à faire rouler chaque année . Elle s'élève aujourd'hui à près de 8 ans et demi, en hausse tendancielle. Selon le dernier rapport d'activité de l'AFT 78 ( * ) , en 2020, plus de la moitié des dettes émises l'ont été sur des titres d'une durée de vie supérieure à 10 ans. Une durée longue de maturité de la dette permet d'être moins exposé à des retournements de tendance des marchés, car les montants à collecter chaque année ne correspondent qu'à une petite partie de la dette totale.

Dans un contexte de taux bas, il peut être souhaitable de profiter de la situation pour allonger la durée de la dette et ainsi bénéficier à long terme de conditions de financement favorables. La France a ainsi émis en janvier 2021 pour 7 milliards d'euros une obligation à 50 ans au taux particulièrement bas de 0,5  %. Mais l'émission d'obligations à très long terme semble ne pouvoir concerner qu'une part réduite de la dette publique, la demande des investisseurs étant plus limitée à des échéances aussi lointaines. En 2020, sur les 289,5 milliards d'euros d'émissions brutes de l'AFT, seulement 33,4 milliards l'ont été sur des titres de maturité supérieure ou égale à 30 ans.

Rouler la dette constitue la méthode classique, mise en oeuvre depuis des décennies, faisant ainsi appel de manière croissante aux marchés financiers pour couvrir le besoin de financement de l'État. La baisse spectaculaire des taux d'intérêt permet aujourd'hui de refinancer la dette de manière plus avantageuse que lors des émissions initiales, mais cette situation pourrait changer et il convient de maîtriser l'ensemble des paramètres permettant de continuer à rouler la dette sans anicroche.

b) Une condition : convaincre de la soutenabilité à long terme de la dette pour conserver la confiance des marchés

Cette méthode implique en réalité d'accepter à tout moment les conditions dictées par les marchés financiers, car elle ne fonctionne que tant que des investisseurs souhaitent placer leurs avoirs en titres de dette publique. C'est aujourd'hui le cas, et l'AFT ne rencontre aucune difficulté pour que les emprunts qu'elle émet soient souscrits par les 15 banques spécialistes en valeurs du trésor (SVT) qui sont les intermédiaires admis à intervenir pour acheter de la dette publique en France. Par ailleurs, le marché secondaire des obligations d'État est liquide et les titres s'échangent sans difficulté. La dette publique française est aujourd'hui considérée comme attractive, malgré un taux d'intérêt très faible, car les marchés n'anticipent pas de risque de défaut de la France. Acheter de la dette française c'est aujourd'hui faire un placement sûr.

La baisse tendancielle des taux a grandement facilité la stratégie consistant à rouler la dette, car le refinancement de chaque tranche venant à échéance est de moins en moins coûteux. Cela se traduit d'ailleurs par l'existence de primes d'émission, lors de l'adjudication d'anciennes souches d'obligations assorties de taux plus élevés que le taux actuel de marché.

Prime et décote d'émission : un mécanisme mal connu

Les primes et décotes d'émission sont enregistrées lors du placement sur le marché de souches supplémentaires d'anciennes obligations. Lorsque les taux du marché sont devenus inférieurs au coupon (taux) qui avait été défini lors de l'émission initiale de l'obligation, son prix de marché s'élève au-dessus de sa valeur faciale, qui est celle à laquelle l'obligation sera remboursée. C'est ici un mécanisme classique des marchés obligataires. L'obligation est alors placée en étant assortie d'une prime d'émission : le souscripteur achète l'obligation à son cours actuel, c'est-à-dire à une valeur plus élevée que lors de l'émission initiale. La prime d'émission correspond au différentiel.

On enregistre une décote d'émission si la situation est inverse, c'est-à-dire si les taux ont augmenté depuis le lancement de l'obligation faisant l'objet d'une nouvelle émission.

En contrepartie des primes d'émission, la charge d'intérêt qui pèse sur le budget de l'État est plus élevée puisque l'État s'engage à régler un coupon plus élevé que ce qu'exigerait aujourd'hui le marché à travers la création d'une nouvelle obligation.

L'existence de primes et décotes résulte de la nécessité, pour assurer une certaine liquidité au marché des obligations, de réémettre des titres assortis des mêmes caractéristiques de coupon et de maturité, plutôt que d'émettre de nouveaux titres aux caractéristiques différentes.

Pour autant, rouler la dette dans des conditions favorables et sans difficulté nécessite de maintenir en permanence un environnement favorable aux investisseurs, et de faire la preuve que la dette reste soutenable à long terme, faute de quoi on peut s'exposer à une remontée des taux, provenant d'un resserrement de la politique monétaire, ou d'une prime de risque qui peut augmenter, indépendamment de la politique monétaire menée par la banque centrale. Elle impose donc de rechercher la stabilisation, voire la réduction du ratio dette/PIB. Toute dérive suscite une inquiétude susceptible de remettre en cause la facilité à rouler la dette, à travers une détérioration de la crédibilité de la trajectoire des finances publiques.

La dynamique de l'endettement public dépend de trois paramètres liés entre eux :

- la croissance : lorsque le PIB s'accroît rapidement, le rapport dette/PIB s'améliore mécaniquement. À l'inverse, en cas de récession, le ratio dette/PIB peut se dégrader tout aussi mécaniquement. C'est ce que nous avons connu en 2020 ;

- le taux d'intérêt réel : s'il est faible, la dette s'autoalimente peu, à l'inverse, s'il est élevé, le refinancement de la dette est coûteux et l'on entre dans l'effet « boule de neige » : on emprunte de plus en plus pour faire face non pas au remboursement du capital de la dette, mais pour pouvoir payer les intérêts ;

- enfin, le solde public a un impact majeur sur l'évolution de la dette d'une année sur l'autre. Un déficit public important alimente la croissance de la dette.

Tous ces paramètres se combinent. Une annexe au rapport Arthuis 79 ( * ) explique bien la relation entre eux : « pour que le ratio de dette sur PIB soit stable, le solde public primaire en % du PIB doit être égal à (r-g) multiplié par D/Y, avec r le taux d'intérêt apparent de la dette, g la croissance économique, et D/Y le ratio de dette sur PIB ». Lorsque le taux d'intérêt réel est inférieur à la croissance nominale, on peut stabiliser la dette tout en enregistrant un déficit public. À l'inverse, si le différentiel est positif (taux d'intérêt supérieur au taux de croissance), alors la dette peut connaître une trajectoire explosive.

Naturellement, plus le niveau d'endettement est élevé, plus l'équilibre des finances publiques est sensible à une modification de ces paramètres de soutenabilité de la dette.

L'OFCE a développé un modèle économique 80 ( * ) destiné à analyser la soutenabilité à long terme de la dette publique en prenant en compte ces paramètres. Dans son programme de stabilité 2021-2027 présenté en avril 2021 81 ( * ) , le Gouvernement avait estimé que le solde stabilisant 82 ( * ) dans un contexte de croissance nominale du PIB de 3 % et en retenant une remontée des taux longs jusqu'à 2,7 % en 2027 avec une inflation moyenne de 1,75 % par an sur la période, se situerait autour d'un déficit public contenu à environ 3 ½ % du PIB.

Une stratégie consistant à « rouler la dette » impose donc de combiner plusieurs leviers. Selon le premier sous-gouverneur de la Banque de France, Denis Beau, entendu par les rapporteurs, aucun de ces leviers ne suffit à lui seul :

- connaître une situation de croissance ;

- poursuivre une stratégie de maîtrise de l'endettement sur le long terme ;

- rechercher une meilleure maîtrise de la dépense publique.

Ce constat rejoint les conclusions du rapport Arthuis : « une stratégie de désendettement rapide qui fixerait un horizon pour la baisse de la dette d'ici 2025 est largement inatteignable. L'horizon de 2030 est plus réaliste, tout en étant exigeant sur le ralentissement de l'évolution des dépenses. Plus qu'un reflux rapide de notre endettement, le véritable enjeu, pour assurer la soutenabilité de notre dette et notre crédibilité vis-à-vis de ceux qui la financent, est plutôt de démontrer notre capacité à contenir dans le temps le rythme des dépenses en deçà des recettes et de garantir l'efficience de chaque dépense publique ».

Pour rouler la dette, il faut donc davantage maîtriser le déficit public que ce que nous avons connu sur la dernière décennie. C'est le chemin proposé aujourd'hui par le gouvernement dans le programme de stabilité 2021-2027.

Source : Programme de stabilité 2021-2027

2. Cantonnement de la dette, mutualisation de la dette : des pistes intéressantes ?

La progression rapide de l'endettement public lors de la crise du Covid-19 a conduit à mettre dans le débat public une série de propositions visant à faire face à la question de la dette, en sortant du cadre actuel privilégiant le roulement de la dette.

a) Le cantonnement de la dette

L'idée de cantonner la dette publique issue de la crise du Covid-19 avait été avancée dès la mi-2020 par le Gouvernement. Lors de la séance du 2 mars 2021 au Sénat 83 ( * ) , Bruno Le Maire déclarait : « nous estimons aujourd'hui la dette Covid à 215 milliards d'euros, dont 75 milliards d'euros pour la sécurité sociale et 140 milliards d'euros pour l'État. Je suis favorable à un cantonnement de la dette. Il y en a déjà eu un pour la dette sociale, et je crois qu'il en faut un aussi pour la dette de l'État, tout simplement dans un souci de transparence à l'égard des Français. Il s'agit de marquer la singularité de la part de la dette liée à la crise et de garantir que celle-ci sera effectivement remboursée, en réfléchissant [...] à des ressources spécifiques ».

La France a déjà procédé à un cantonnement de dette publique issue des déficits des régimes sociaux, en créant en 1996 la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).

La mise en place d'un système de cantonnement de la dette s'accompagne nécessairement de l'affectation d'une ressource , permettant de régler les intérêts de la dette cantonnée, et permettant aussi de rembourser progressivement le capital. C'est le cas de la CADES, qui dès sa création s'est vu affecter une recette, la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS). L'objectif de cette affectation de ressource est d'apporter des garanties aux investisseurs sur la trajectoire d'endettement sur le long terme.

Le cantonnement de la dette ne change toutefois rien aux montants globaux de la dette publique et à l'appréciation du niveau de la dette publique française au regard des traités européens (critères de Maastricht). Il s'agit donc davantage d'un enjeu d'affichage et de communication , visant à identifier une part de dette publique devant faire l'objet d'un traitement particulier. Le financement de la dette « cantonnée » ne présente pas non plus d'intérêt économique car elle passe aussi par l'émission d'emprunts. Or, les conditions des emprunts rendus nécessaires par la dette « cantonnée » sont les mêmes que pour la dette « banale » de l'État. Au demeurant, en France, la gestion de la dette sociale de la CADES est effectuée par les mêmes équipes, intégrées au sein de l'AFT.

Le cantonnement de la dette Covid pourrait conduire à augmenter le niveau des prélèvements obligatoires, à travers la création d'une nouvelle taxe affectée, ou à retirer à l'État une recette pour la transférer à la structure chargée de gérer la dette ainsi cantonnée. Dans une note de l'Institut Rousseau, Gaël Giraud indique que le cantonnement constitue un instrument de culpabilisation du corps social, permettant de renforcer l'injonction à la maîtrise des dépenses publiques 84 ( * ) .

b) La mutualisation des dettes publiques à l'échelle de l'Union européenne

Une autre piste est avancée : celle de la souscription d'emprunts à l'échelle de l'Union européenne, créant ainsi une dette mutualisée. La proposition de créer un « emprunt européen » n'est pas totalement nouvelle et avait déjà été avancée au début des années 2010, alors que les taux applicables aux emprunts des pays fortement endettés étaient très supérieurs à ceux constatés en moyenne dans l'Union.

Un tel dispositif aurait un double intérêt :

- il permettrait de financer des dépenses publiques indispensables pour faire face à la crise et pour répondre aux engagements pris par l'Europe en matière de transition écologique sans alourdir la dette publique individuelle de chaque État-membre et donc sans être freiné par les capacités nationales d'emprunt, très variables selon les taux d'endettement atteints par chacun des États membres de l'Union européenne. Les pays déjà endettés pourraient donc s'engager davantage dans la transformation de leur économie et de leur système énergétique ;

- ces emprunts se feraient aux taux les plus faibles , puisque l'ensemble des États se porteraient garant, faisant diminuer voire disparaître le risque de défaut. L'emprunt européen serait celui ayant la meilleure signature et il mettrait fin aux écarts de taux ( spread ) entre États membres. L'emprunt mutualisé est donc une manière de bénéficier des conditions d'emprunt les plus favorables et de se prémunir contre le retour des écarts de taux.

Mais l'emprunt mutualisé européen a aussi d'autres conséquences :

- il constituerait une étape importante vers le fédéralisme budgétaire et l'intégration des politiques budgétaires . Il imposerait également de trouver de nouvelles ressources au budget européen, aujourd'hui limité à moins de 1,2 % du PIB européen, pour financer le service de la dette et son amortissement. La mise en place d'une véritable fiscalité européenne pourrait être ainsi accélérée et l'utilisation du budget européen comme un outil contracyclique pourrait désormais être envisagée ;

- il ouvrirait le débat sur la nature des dépenses publiques à financer et la manière de répartir les interventions budgétaires entre États membres . Les dépenses à mutualiser seraient d'abord les dépenses publiques d'intérêt commun (infrastructures de transport, réseaux d'énergie), qu'il conviendrait de définir. Il faudrait aussi, beaucoup plus que nous le faisons aujourd'hui à travers les fonds structurels, moduler les dépenses publiques européennes en fonction des besoins d'investissements des États membres, avec l'objectif de rattraper les retards de développement, et non pas de distribuer les soutiens budgétaires de manière aveugle selon une clef de répartition par habitant ou en fonction du PIB ;

- enfin, dans le but d'éviter que certains États membres profitent de conditions de financement plus avantageuses pour retarder le redressement de leurs finances publiques, la mutualisation des emprunts pourrait s'accompagner d'une discipline budgétaire plus stricte au sein de l'Union européenne . Il est en effet probable que les États « frugaux », qui aujourd'hui ont des niveaux d'endettement faibles, conditionnent leur acceptation d'un dispositif pérenne de mutualisation à un durcissement du pacte de stabilité et de croissance (PSC), suspendu pendant la crise du Covid mais qui était déjà largement obsolète auparavant, avec des États qui ont allégrement franchi les plafonds de 3 % de déficit public et 60 % d'endettement public.

La mutualisation des dettes de l'Union européenne est désormais mise en oeuvre à travers le financement du plan de relance européen baptisé NextGenerationEU. Doté de plus de 800 milliards d'euros, dont près de la moitié seront distribués aux États membres sous forme de prêts, donc remboursables, ce plan doit être financé essentiellement par la souscription d'emprunts directement par la Commission européenne, ce que permettent les traités. Ce sont environ 150 milliards d'emprunts par an qui devraient être émis entre 2021 et 2026 85 ( * ) .

3. L'annulation ou la restructuration de la dette : arme utile ou dangereuse ?
a) L'annulation de dette : une arme de crise

Lorsqu'un État emprunte de l'argent pour se financer, il prend un double engagement :

- verser au prêteur un intérêt, qui s'analyse comme une sorte de loyer de l'argent prêté, selon des modalités définies au contrat très variables, l'ingénierie financière pouvant être inventive (paiement des intérêts à échéance régulière, au moment du remboursement de l'emprunt, prépaiement des intérêts) ;

- rembourser la somme d'argent empruntée à l'arrivée à échéance de l'emprunt souscrit.

Comme pour tout agent économique, lorsque la capacité à tenir l'un ou l'autre de ces engagements est remise en cause, se pose alors la question de la cessation de paiement de l'État et de la restructuration voire de l'annulation de la dette. Mais à l'inverse des acteurs privés, la cessation de paiement n'aboutit pas à la liquidation et oblige à intervenir pour trouver des solutions.

Les annulations ou restructurations de dettes souveraines interviennent alors, dans l'urgence, pour sortir de l'impasse, et peuvent être très douloureuses sur le plan macroéconomique pour les États concernés à qui les créanciers internationaux imposent des plans d'ajustement structurel (PAS). Prêteurs en dernier ressort des États désargentés, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) ont mis en oeuvre de nombreux « sauvetages financiers » échangeant le rééchelonnement voire l'annulation de dettes contre des réformes structurelles sensées rendre la situation des finances publiques de ces États plus saine. Il existe des exemples d'annulations de dette « réussies », ayant permis un redressement économique spectaculaire : l'accord de Londres en 1953 a ainsi conduit à l'effacement des deux tiers de la dette allemande, contribuant à son redressement économique spectaculaire.

b) La proposition d'annuler partiellement la dette publique française

La France n'est pas, au sortir de la crise du Covid-19, qui a pourtant considérablement détérioré les comptes publics, dans une situation d'urgence nécessitant une annulation ou une restructuration de dette. Mais certaines voix d'économistes s'élèvent depuis le début de l'année 2021 pour préconiser cette solution, au moins partiellement 86 ( * ) .

La proposition d'annulation de la dette porte non pas sur l'ensemble de celle-ci mais sur la part détenue par le système européen des banques centrales (SEBC). En effet, à travers les achats massifs de titres de dette publique effectués auprès des banques venues se refinancer au guichet de la banque centrale, la BCE détient désormais par l'intermédiaire des banques centrales des pays de l'eurogroupe, environ 25 % de la dette publique des États de la zone euro 87 ( * ) . Les défenseurs de l'annulation partielle de la dette souveraine détenue par les banques centrales de la zone euro soutiennent que celle-ci est à la fois possible et souhaitable :

- elle est techniquement possible car la dette souveraine française est détenue par la Banque de France, dont l'État est le seul actionnaire . Contrairement à l'annulation d'une dette publique détenue par un créancier privé, celle-ci ne lèserait personne. L'annulation de dette à l'actif de la Banque de France la conduirait comptablement à avoir des fonds propres négatifs, mais cette situation est considérée comme non problématique. Lors de son audition au Sénat du 7 octobre 2021, Jézabel Couppey-Soubeyran expliquait ainsi « qu'une banque centrale n'étant ni une entreprise ni une banque commerciale, elle peut tout à fait fonctionner en ayant à son bilan des fonds propres négatifs [...]. Pourquoi les fonds propres négatifs ne sont-ils pas un problème pour une banque centrale ? Pour la raison suivante : la banque centrale n'a de passif qu'en monnaie centrale ; or, cette monnaie centrale, elle peut la créer autant que de besoin dès lors que la confiance dans la monnaie est maintenue ». Elle ajoutait « qu'il est possible, le cas échéant, d'être innovant sur le plan comptable en créant un poste d'actifs non exigibles où imputer cette annulation » ;

- les économistes qui défendent l'annulation de la dette vont même plus loin, estimant que celle-ci est souhaitable car, portant essentiellement sur les dettes émises récemment pour faire face aux conséquences économiques de la crise du Covid-19, elle permettrait de réduire le ratio dette/PIB et d égagerait ainsi des marges de manoeuvre nouvelles pour financer (par de nouveaux emprunts) les investissements publics indispensables à la transition écologique et sociale. La réalisation d'investissements publics est considérée comme essentielle pour respecter les engagements internationaux pris en matière de lutte contre le changement climatique. En outre, l'annulation de dette réduirait l'exposition au risque de remontée des taux d'intérêt en cas de durcissement de la politique monétaire de la banque centrale. Des taux plus élevés renchérissent en effet mécaniquement le refinancement de la dette lorsque l'on adopte la stratégie classique consistant à « rouler » la dette.

c) L'annulation des créances de la banque centrale sur l'État : une fausse bonne idée ?

Plusieurs arguments sont toutefois opposés à l'idée de l'annulation pure et simple de la fraction de dette publique détenue par les banques centrales. Tout d'abord, la faisabilité juridique et politique d'une telle opération est douteuse. L'article 123 du TFUE dispose en effet qu'il est « interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite ». Cet article interdit toute monétisation directe de la dette publique. Elle ne prohibe pas formellement l'annulation des créances sur l'État détenues par les banques centrales mais on peut raisonnablement penser qu'il faudrait un accord politique au moins à l'échelle de l'eurogroupe pour contourner cette règle.

Les partisans d'une annulation de dette soulignent toutefois qu'en matière de politique monétaire, l'esprit, sinon la lettre des traités européens, a déjà fait l'objet d'importantes entorses : en achetant massivement aux banques des titres de dette publique sur le marché secondaire, la BCE procède bien à de la création monétaire pour répondre aux besoins financiers des États. En assumant au grand jour une politique de monétisation de la dette publique, on agirait ainsi de manière plus transparente et intellectuellement plus honnête. C'est néanmoins oublier que les achats de titres de dette publique sur le marché secondaire par les banques centrales constituent une opération temporaire et réversible et que c'est seulement à ce titre qu'elles ont été considérées comme acceptables.

Une autre solution, moins radicale, pourrait consister à transformer la dette publique actuellement détenue par les banques centrales en une dette perpétuelle , ce qui allégerait la contrainte de son refinancement à échéance. Mais l'avantage d'un tel dispositif est probablement faible : si la dette perpétuelle est assortie d'un taux d'intérêt élevé, elle peut aisément être cédée par la banque centrale lorsque celle-ci souhaite mener une politique de resserrement monétaire, mais des taux élevés pénalisent les finances publiques. À l'inverse, si le taux de la dette perpétuelle est faible, il est probable qu'elle intéresse peu les investisseurs et que le marché d'échange de la dette soit très étroit. En enterrant dans leurs comptes une dette perpétuelle, assortie ou non d'intérêt - ce qui n'a pas d'importance car l'intérêt versé par l'État constitue un bénéfice pour la banque centrale qui est ensuite reversé à l'État - les banques centrales se priveraient alors de la possibilité d'influer sur la création monétaire, en ne pouvant pas vendre leurs titres.

En tout état de cause, toutes ces solutions ne pourraient être mises en oeuvre de manière unilatérale, sauf à prendre le risque de voir les pays du Nord de l'Europe, moins endettés et dont les comptes publics sont plus équilibrés, remettre en question l'appartenance à l'euro.

Au-delà des considérations juridiques et politiques, l'annulation de dette se heurte à des arguments économiques forts . D'abord, couplée à la réémission de montants importants de dette publique, l'annulation peut conduire à une création monétaire trop forte, relançant les tensions inflationnistes et, potentiellement, faisant baisser la valeur de l'euro sur le marché des changes. Un tel risque apparaît aujourd'hui faible mais ne peut être totalement exclu.

Ensuite, certains économistes soulignent l'absence d'intérêt aujourd'hui des opérations d'annulation de dette : l'État s'endette actuellement à des taux très bas, voire négatifs pour l'endettement à court terme, et n'a aucune difficulté à trouver des financements sur les marchés. Pire, si l'annulation de la dette détenue par la Banque de France conduisait les investisseurs à imaginer la possibilité d'annulation ultérieure de la part de dette qu'eux-mêmes détiennent, ils pourraient intégrer dans leurs calculs une « prime de risque de défaut », qui ferait remonter les taux auxquels ils acceptent de prêter à l'État. Le risque serait alors de déclencher une crise de confiance dans la dette souveraine de la France et de s'exposer à une remontée des taux, renchérissant rapidement le service de la dette.

4. Une alternative radicale : la monétisation de la dette
a) La monétisation de la dette : une pratique dangereuse interdite

La monétisation de la dette publique (ou des déficits publics) intervient lorsque la banque centrale prête de l'argent à l'État et émet ainsi les liquidités qui lui manquent pour boucler son besoin de financement .

La mise en oeuvre de la monétisation de la dette publique, expérimentée dans l'histoire par de nombreux pays connaissant des difficultés financières, est considérée dans la théorie monétaire classique comme vecteur de risques inflationnistes, voire comme l'une des causes principales de l'hyperinflation . La monétisation alimente en effet la défiance dans la valeur de la monnaie qui fait l'objet de nouvelles émissions massives, enclenchant, si la monnaie est librement convertible sur le marché des devises, une baisse des cours qui entretient l'inflation par le renchérissement des produits importés.

Afin de se prémunir contre le retour de l'inflation et la tentation d'utiliser la banque centrale comme un instrument de financement des déficits publics, l'Union européenne s'est dotée d'un arsenal verrouillant les possibilités de monétisation de la dette publique :

- d'abord, sur le modèle de la banque centrale allemande et à l'instar des réformes entreprises pour les banques centrales nationales avant la création de l'euro, la Banque centrale européenne (BCE) s'est vue dotée d'un statut garantissant son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Avec une banque centrale indépendante, la politique monétaire n'est plus placée sous la responsabilité des Gouvernements, ni même des organes de gouvernance de l'Union européenne, Commission, Conseil ou Parlement européen. La monétisation de la dette ne peut pas être imposée d'une quelconque manière à la banque centrale. La création monétaire relève de sa seule initiative et de sa seule responsabilité ;

- ensuite, l'article 123 du TFUE interdit formellement à la BCE de prêter aux États par l'acquisition directe auprès d'eux de titres de dette publique.

Cet édifice a cependant été sérieusement ébranlé à la suite de la crise financière de 2008, et plus encore avec la crise du Covid.

b) Le retour en grâce de la monétisation de la dette ?

Le 26 juillet 2012, lors d'une conférence à Londres, Mario Draghi, alors Président de la BCE, indique que celle-ci interviendra pour sauvegarder l'euro « quoi qu'il en coûte » ( whatever it takes ), alors que les marchés financiers, ayant une confiance limitée dans la capacité de la Grèce, mais aussi de l'Italie, de l'Espagne ou encore du Portugal à faire face à leurs engagements, exigeaient des taux de plus en plus élevés sur leurs titres de dette publique (7,5 à 10 %). Les écarts de taux ( spread ) avec l'Allemagne étaient à leur plus haut. L'intervention de la BCE, consistant à baisser les taux directeurs et à racheter des titres publics aux banques, a mis fin à la crise de confiance. Le maintien d'une politique monétaire très accommodante, permettant de financer les déficits publics importants dus à la crise du Covid, a eu le même effet positif en 2020.

Mais ces achats massifs de titres publics par la BCE, même s'ils le sont sur le marché secondaire, constituent une sérieuse entorse au principe de non monétisation des dettes publiques , conforme à la lettre des traités européens mais absolument pas à l'esprit initial.

Cette pratique a été considérée comme acceptable car elle est présentée comme temporaire et réversible : la BCE pourrait à l'avenir vendre les titres publics achetés durant la crise, qui n'ont pas vocation à figurer indéfiniment dans son bilan.

Faut-il s'en inquiéter ou à l'inverse s'en réjouir ? La peur d'une reprise de l'inflation ne s'est pas concrétisée. Malgré l'injection massive de liquidités dans l'eurozone depuis presque une décennie, l'inflation sur les biens et services est restée faible. En revanche, les prix des actifs ont considérablement augmenté, si bien que la politique monétaire accommodante peut être soupçonnée d'alimenter une bulle financière dont l'éclatement en cas de resserrement de la politique monétaire dans les années qui viennent pourrait causer d'importants dommages. Cette perspective laisse donc penser que les titres de dette publique acquis par la BCE à travers l'Eurosystème ne seront pas massivement remis sur le marché et resteront dans son bilan , la BCE ne pouvant prendre un tel risque. Nous aurions alors monétisé la quasi-totalité de la dette publique supplémentaire émise par les Etats de la zone euro en une dizaine d'années.

Certains économistes, adeptes de la théorie monétaire moderne (MMT), soutiennent d'ailleurs que la monétisation des déficits est une solution pertinente pour tout État disposant de la souveraineté monétaire. Dans son ouvrage Le mythe du déficit, la théorie monétaire de la monnaie et la naissance de l'économie du peuple , Stéphanie Kelton souligne qu'à l'inverse d'un ménage ou d'une entreprise, qui doit disposer de monnaie avant de dépenser, un État crée de la monnaie à travers toute dépense publique, et peut donc être en déficit. La taxation n'intervient qu'ensuite. Mais ce schéma n'est possible que dès lors que l'on dispose de la souveraineté monétaire. Ce n'est pas le cas au sein de l'eurozone, où une monnaie unique a été créée sans gouvernance étatique. Une monétisation de la dette publique en Europe n'est donc juridiquement pas possible. Accepter un tel principe nécessiterait une révision des traités .

C. LES SCÉNARIOS : ÉVITER LE PIRE, SANS RENONCER AU MEILLEUR

Prospective et prévision

L'exercice de prospective sur la dette publique n'est pas un exercice de prévision économique. Il consiste à identifier les différents chemins que nous pourrions prendre, selon nos capacités à générer de la croissance, à approfondir la solidarité européenne, à maîtriser les comptes publics, dans un environnement économique mais aussi écologique et géopolitique que nous ne maîtrisons pas.

Un paramètre apparaît en tout état de cause fondamental pour permettre de faire face à la question des dettes publiques dans les années qui viennent : la confiance . C'est essentiellement parce que les détenteurs de capitaux ont confiance dans l'euro que la BCE a pu mener une politique du « quoi qu'il en coûte » tout en ne connaissant pas de remontée rapide des taux d'intérêt. C'est parce que l'on a confiance dans la capacité de la zone euro à rester solidaire que les attaques spéculatives contre les dettes publiques des Etats membres les plus endettés n'ont pas réapparu. C'est parce que l'on a confiance dans la capacité de l'Europe à retrouver le chemin d'une croissance plus forte et plus vertueuse, s'appuyant notamment sur la transition écologique, que la question de la dette nous paraît aujourd'hui parfaitement gérable et surmontable.

Mais pour que la confiance résiste, il faut oser débattre publiquement de la dette, en posant toutes les options sur la table, en évitant le catastrophisme mais aussi en sortant du déni. Les trois scénarios imaginés ci-après visent à alimenter ce débat plus que jamais nécessaire.

1. Le scénario espéré : la stabilisation réussie

La sortie de la crise du Covid se caractérise par une r eprise économique vigoureuse mais assortie d'une interrogation sur son caractère durable . Une partie de cette croissance correspond à un effet de rattrapage. Et ce rattrapage pourrait ne pas être total : dans certains secteurs d'activité, les niveaux d'avant la crise ne seront pas forcément atteints voire dépassés rapidement. Ainsi, le secteur automobile continue de voir ses ventes reculer, l'aéronautique, secteur industriel clef en France et en Europe, pourrait aussi ne pas retrouver le même dynamisme qu'avant 2020.

La crise du Covid a mis en évidence une dépendance forte de l'Europe à des approvisionnements extérieurs dans des secteurs clefs , comme par exemple l'industrie pharmaceutique, encourageant à un mouvement de relocalisation industrielle et à la recherche d'une localisation des activités d'avenir sur le territoire français et européen 88 ( * ) . Quelle sera l'ampleur de ce mouvement et son effet réel sur la croissance ? De nombreuses incertitudes planent sur les possibilités de relocalisation industrielle. Il ne faut pas oublier au passage que tous les pays européens ne sont pas logés à la même enseigne en matière de déficit de la balance commerciale. La balance commerciale européenne est ainsi globalement excédentaire avec le reste du monde, de l'ordre de 200 milliards d'euros par an 89 ( * ) , ce qui n'est pas le cas de la France, dont le commerce extérieur est depuis plus de 10 ans constamment déficitaire, entre 50 et 70 milliards d'euros par an. La capacité de la France à mettre en oeuvre un mouvement de relocalisations n'est donc pas garantie et passe vraisemblablement par la recherche d'une meilleure compétitivité .

La reprise économique pourrait alléger mécaniquement le ratio de dette/PIB, par le simple effet de l'accroissement du PIB. Dans un tel contexte, la poursuite d'une politique de taux bas par la banque centrale est nécessaire , pour conserver les conditions d'emprunt particulièrement favorables que nous connaissons aujourd'hui. Plus l'écart est important entre croissance et taux d'intérêt, plus les efforts de stabilisation voire de réduction du déficit publics ont un effet rapide sur le niveau de dette. L'Allemagne est parvenue à se désendetter très rapidement durant la dernière décennie en bénéficiant d'un taux de croissance supérieur aux taux d'intérêt et en menant parallèlement une politique de réduction des déficits publics.

Dans un tel contexte, la France pourrait se contenter de « rouler la dette » comme elle l'a fait jusqu'à présent, en profitant du contexte pour allonger autant que possible la maturité de la dette publique et en recourant, pour financer les investissements publics d'avenir, aux crédits issus de l'endettement de l'Union européenne.

Mais l'amélioration de la situation économique du pays en contexte de taux bas ne peut pas avoir d'effet sur l'endettement si, en parallèle, il n'y a pas de recherche de réduction des déficits publics . Un solde primaire trop dégradé conduirait tout juste à une stabilisation de la dette, voire encore à une augmentation de celle-ci. La question qui se pose est donc bien de savoir si nous pouvons nous engager dans une telle voie, et ce de manière durable.

Or, il existe de forts besoins d'investissements publics , en particulier dans la transition écologique, dont le secteur privé ne peut pas être le seul financeur. L'impulsion de la puissance publique paraît indispensable pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat. Le maintien de mécanismes de solidarité pour faire face aux conséquences sociales de la crise rend aussi difficile la réduction de nombreuses dépenses de solidarité, auxquelles les citoyens sont attachés. Toute stratégie de coupe massive dans les dépenses publiques entraîne une réaction vigoureuse du corps social. La réduction du déficit public ne pourra donc pas être massive et rapide.

Finalement, seule la conjonction d'une croissance forte, de taux faibles et d'une maîtrise des comptes publics pourrait permettre de rouler la dette de plus en plus facilement.

Mais une telle stratégie ne peut fonctionner que si elle est mise en oeuvre sur la durée, pendant de nombreuses années, et pas seulement de manière transitoire. Rouler la dette sans accroc ne sera possible que si les trois conditions restent réunies en même temps, et sur une période longue.

Scénario espéré : la stabilisation réussie

C'est le scénario le plus optimiste. Grâce à une croissance forte, des taux d'intérêt faibles et une maîtrise des comptes publics, il permet une réduction progressive du taux d'endettement public, indolore économiquement et socialement, il renforce par la preuve la confiance des partenaires européens de la France et des marchés, et auto-entretient la facilité à emprunter pour faire rouler la dette.

2. Le scénario redouté : la perte de confiance des marchés et l'éclatement de la solidarité européenne

S'il est établi que le niveau de la dette n'est pas le déterminant premier de sa soutenabilité, il est évident que le risque de crise de dette se renforce lorsque la dette publique s'accroît . Lorsqu'un pays doit refinancer chaque année des montants croissants de dette, les variations de faible ampleur des paramètres déterminants comme la croissance, l'inflation ou le solde primaire, peuvent avoir un très fort impact.

Or, les conditions actuelles particulièrement favorables de refinancement des dettes publiques en Europe pourraient se dégrader rapidement. Les taux bas ont habitué les pays fortement endettés, notamment la France, à supporter une charge d'intérêt de plus en plus réduite. On pourrait en conclure qu'il ne faut rien changer, voire s'endetter davantage. Comme dans la « fable de la grenouille » 90 ( * ) , l'endettement croissant pourrait être considéré comme indolore, mais finir par être insupportable faute d'avoir su mettre en oeuvre les bonnes mesures avant d'atteindre une situation explosive.

Un premier risque réside pourtant dans une remontée durable des taux pour faire face à des tensions inflationnistes. La Réserve fédérale américaine envisage dès 2022 de réduire ses achats d'actifs et remonter ses taux. Si la BCE n'envisage pas de faire de même avant 2023, il est difficile d'imaginer des taux nuls ou négatifs sur longue durée. Les programmes exceptionnels d'achats d'actifs devraient aussi prendre fin. La remontée des taux n'a d'effet que sur la fraction de dette publique remise sur le marché, mais elle renchérit progressivement le coût de son refinancement. Le mouvement de réduction continue de la charge de la dette pourrait être stoppé puis inversé, obligeant à consacrer des montants d'intérêts de plus en plus importants, ce qui dégraderait mécaniquement le déficit budgétaire.

Un autre risque réside dans une croissance économique peu vigoureuse , qui installerait l'Europe dans une période de reprise molle, voire d'absence de reprise économique, entraînant une stagnation des recettes fiscales.

L'équilibre des comptes publics serait aussi particulièrement observé. Le rapport Arthuis montre que sur la période 2011-2019, malgré l'objectif sans cesse affiché de réduire la dépense publique, les dépenses primaires de l'Etat avaient augmenté en volume de 1 % par an en moyenne. Il indique qu'avec une croissance annuelle moyenne de 1,35 %, l'endettement de la France ne serait stabilisé à l'horizon 2030 que si les dépenses publiques ne progressaient que de 0,65 % par an, toutes choses égales par ailleurs. Le rapport Arthuis considère par ailleurs que le niveau des prélèvements obligatoires ayant atteint en France 45 %, contre 40 % en moyenne dans l'Union européenne, il n'est pas envisageable de jouer sur ce levier pour améliorer le solde public. Il met également en garde contre la tentation de couper dans les dépenses publiques qui soutiennent la croissance et préparent l'avenir, ce qui limite l'éventail des possibilités en matière d'amélioration du solde public.

Un quatrième risque est à prendre en compte : il s'agit de la possibilité de divergence des trajectoires des pays de l'eurozone en matière de comptes publics. Si en sortie de crise du Covid, certains se désendettaient tandis que d'autres continuaient à voir progresser leurs ratios de dette/PIB et leurs déficits, sans pour autant bénéficier d'une croissance plus forte, des doutes pourraient de nouveau apparaître sur la pérennité de l'eurozone.

Dans un tel contexte, une nouvelle crise des dettes souveraines, telle que celle connue par la Grèce à partir de 2008, pourrait apparaître, mais cette fois, touchant de grands Etats européens fortement endettés : Espagne, Italie, France. La dette deviendrait insoutenable, ou en tout cas non finançable par les marchés financiers, et pourrait poser la question de la survie de l'euro, qui ne serait sauvé que par une volonté politique forte des « Etats frugaux » de sauvegarder la zone euro, combinée à l'acceptabilité des plans de sauvetage des Etats concernés par la crise de leur dette publique.

La réalisation de ce « scénario catastrophe » mettrait les pays européens devant un dilemme : accepter de garantir les dettes des autres Etats membres et mettre en place un véritable fédéralisme budgétaire, ou alors accepter l'explosion de l'eurozone.

De son côté, la France aurait aussi un choix difficile à faire pour surmonter une crise de dette majeure :

- soit choisir de faire défaut sur tout ou partie de la dette publique, reprendre son autonomie monétaire, mais s'exposer à des conditions dégradées d'accès aux marchés financiers et de devises. Or, la France étant un pays importateur net, ayant besoin de recourir à des approvisionnements extérieurs, et son économie étant fortement internationalisée, cette voie paraît totalement impraticable, sauf à risquer une crise économique sans précédent ;

- soit se lancer dans un désendettement massif à travers des politiques d'austérité, dont les conséquences sociales voire politiques sont potentiellement explosives.

Clairement, ce scénario est un épouvantail, mais la crainte de la perte de contrôle n'a aujourd'hui pas disparu . Il est mis en avant pour insister sur la nécessité de rechercher un meilleur équilibre des comptes publics et en particulier une réduction des dépenses publiques, qui ont encore augmenté avec la crise sanitaire.

Scénario redouté : la perte de confiance des marchés

et l'éclatement de la solidarité européenne

C'est le scénario catastrophe de la perte de contrôle. Une remontée durable des taux d'intérêt liée à de fortes tensions inflationnistes, une croissance économique en berne, un équilibre des comptes publics de plus en plus dégradé, une divergence accentuée des trajectoires des pays de l'eurozone conduisent à la faillite et à l'éclatement européen.

Pour faire face à cette crise de la dette, il n'y aurait que deux mauvais choix : faire défaut et s'enfoncer dans une crise économique sans précédent, ou bien se désendetter massivement par une politique d'austérité aux conséquences sociales et politiques redoutables.

3. Le scénario rêvé : la dette vertueuse

Il apparaît en réalité que le jugement sur la soutenabilité de la dette publique est largement subjectif . Il n'existe pas de consensus sur des critères objectifs permettant de statuer sur le caractère excessif de l'endettement public . Avec la crise du Covid, la dette a même été une solution, pour maintenir à flot entreprises et ménages. La dette peut donc être vertueuse.

C'est la confiance que l'on a à la fois sur l'utilité de la dette et sur ses perspectives de remboursement, qui font qu'elle demeure acceptable. Et ces deux aspects sont liés : si l'endettement est pertinent car il permet de garantir la solidité des structures économiques et sociales d'un pays, les craintes quant à une incapacité à faire face aux échéances futures sont vite balayées. On peut continuer à s'endetter pour financer des dépenses publiques utiles voire nécessaires. La stabilité sociale d'un pays pourrait être la meilleure garantie dont disposent ses créanciers.

L'endettement peut être considéré comme utile lorsqu'il contribue à la création d'un capital collectif, qui constitue l'actif de la nation. On peut retenir une approche patrimoniale de la question : la dette (passif) de l'Etat a comme contrepartie un patrimoine (actif) qui est retracé dans les comptes de l'Etat. Pour 2020, l'actif net de l'Etat était estimé à l'occasion de la présentation de la loi de règlement mi-2021 à 1 169  milliards d'euros, pour un passif évalué à 2 705 milliards d'euros. La dette a donc pour contrepartie, à hauteur d'environ 40 %, un patrimoine. Mais l'approche patrimoniale est assez approximative car l'évaluation de l'actif de l'Etat reste difficile, celui-ci étant notamment composé d'actifs inestimables (oeuvres d'art, monuments historiques). Par ailleurs, cette approche patrimoniale peut être restrictive quant à l'appréciation de l'utilité de la dette : ainsi, on pourrait considérer que seules les dépenses publiques d'investissement contribuent à alimenter l'actif. C'est ce schéma qui est retenu pour les finances locales. Or, comme le notait Jean-Marc Daniel lors de son audition au Sénat le 7 octobre 2021, la distinction entre ces catégories est assez artificielle, et certaines dépenses classées comme dépenses d'investissement (par exemple la construction de ponts au-dessus de rivières qui n'existent pas) peuvent ne pas être très utiles.

L'endettement peut en réalité être considéré comme utile lorsqu'il permet de financer des dépenses collectives assurant un meilleur niveau d'éducation, ou offrant un environnement favorable au développement des entreprises et de leurs activités. Or, ces dépenses sont comptabilisées essentiellement comme des dépenses de fonctionnement : les crédits en faveur de l'éducation et de la recherche contribuent pourtant à l'accumulation d'un capital immatériel utile au développement du pays.

On peut encore élargir l'approche en considérant que l'endettement est utile lorsqu'il permet de réduire des déséquilibres autres que financiers , notamment sociaux ou environnementaux. Ainsi, assurer un haut niveau de protection de la santé des populations, réduire les atteintes à l'environnement ou encore assurer une plus grande cohésion sociale pourraient être considérés comme des causes légitimes d'une augmentation de l'endettement des Etats. C'est précisément pour éviter les tensions sociales et politiques qui auraient pu conduire à l'éclatement de l'euro puis de l'Union européenne qu'une politique monétaire nouvelle a été mise en place par la BCE au début des années 2010, afin de rassurer les marchés financiers sur la soutenabilité de la dette publique des pays fortement endettés, à commencer par la Grèce.

Finalement, c'est moins le niveau de la dette qui interroge, que l'utilité de celle-ci, la pertinence des dépenses publiques qui sont permises par la souscription d'emprunts, et l'équilibre recherché entre les différents modes de financement de la dépense publique : par la taxation ou par l'emprunt. Ces questions doivent être tranchées dans le cadre d'un débat démocratique le plus transparent possible, portant sur les conséquences de nos choix collectifs. Il convient donc de renforcer les outils démocratiques de contrôle de notre stratégie d'endettement .

Ce débat doit aussi être mené au niveau européen, puisque la gestion des dettes publiques est intimement liée à la question de la politique monétaire, confiée à la BCE. Une nouvelle approche des dettes publiques ne peut fonctionner que si elle est partagée avec les partenaires de l'eurozone et la BCE . La période récente a montré que, devant une situation nouvelle et non prévue par les traités, la BCE pouvait faire preuve d'inventivité et aller plus loin que ce que permet la lecture stricte des textes. Or, il n'est pas certain que l'ensemble des parties prenantes partage une approche de la dette allant au-delà des seules considérations financières. Entre les tenants de l'orthodoxie, pour qui un endettement élevé est le symptôme d'une mauvaise santé économique et ceux qui considèrent que la dette n'est plus un problème puisqu'elle est aujourd'hui facilement financée, le risque est celui du dialogue de sourd.

Si nous ne pouvons pas rester indifférents à l'augmentation récente des dettes publiques et au niveau élevé du déficit, le taux d'endettement ne nous semble en soi ni bon ni mauvais. La question fondamentale qu'il faut se poser est celle de l'utilité collective des dépenses publiques et de la pertinence du système fiscal et de la collecte par l'Etat de ses recettes.

Le scénario rêvé : la dette vertueuse

C'est le scénario de la dette utile qui permet de constituer un patrimoine collectif, de financer des dépenses collectives d'avenir, de réduire des déséquilibres autres que financiers, notamment sociaux ou environnementaux.

Ce scénario s'appuie sur une nouvelle approche des dettes publiques au niveau européen et sur un débat démocratique transparent au sujet de la stratégie nationale d'endettement et ses conséquences en termes de choix collectifs.

D. LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS : FAIRE DE LA DETTE UNE QUESTION POLITIQUE ET NON UNE QUESTION TECHNIQUE

Au final, deux approches s'opposent pour traiter la question de la dette publique sur le long terme.

Soit on retient une approche technique , en confiant le pilotage de l'endettement à des acteurs technocratiques qui définiraient une fois pour toutes le bon niveau d'endettement qu'il conviendrait de suivre. Cette démarche, qui avait abouti dans le passé à la fixation d'un seuil de 60 % de ratio de dette/PIB admissible au sein de l'Union européenne, est aujourd'hui obsolète, car les crises successives ont déplacé les curseurs et brouillé les repères. Quel que soit le seuil retenu, il n'aurait d'ailleurs pas de pertinence absolue, dans la mesure où la stabilisation de la dette dépend d'au moins trois autres paramètres : croissance, taux d'intérêt de la dette et déficit ou excédent primaire.

Soit on accepte une vision politique de la dette , faisant trancher la question du niveau de dette admissible de manière démocratique, mais en posant toutes les options sur la table et en présentant les choix de manière complète et transparente. Et une fois les choix collectifs faits, il convient de s'y tenir, plutôt que d'afficher des ambitions irréalistes et intenables en matière de désendettement qui décrédibilisent la parole publique.

Ces choix ne pourront être faits que dans la recherche d'une cohérence des stratégies économiques, allant même au-delà de la tenue des finances publiques des pays membres de l'Union européenne, et plus encore des pays de l'eurozone, car l'euro est l'outil commun de notre politique monétaire, et sa gestion devient impossible si les divergences s'accroissent sans cesse au sein des pays de la zone en matière de tissu économique ou encore de capacité à exporter.

Et la gestion de l'euro, qui a été menée par la BCE depuis près de dix ans en prenant de très grandes libertés avec les principes initiaux donnant pour mission première la lutte contre l'inflation, doit faire l'objet d'une renégociation à l'échelle de l'Union européenne , pour ne pas risquer la mise en oeuvre d'une politique monétaire ne prenant pas en compte l'objectif de soutien au redressement économique de l'Union , et revenant au critère prépondérant de la maîtrise de l'inflation.

Cinq propositions sont avancées :

Proposition n°1 : organiser un débat démocratique ouvert et transparent sur la stratégie d'endettement de la France à moyen terme, et définir des signaux d'alerte (taux d'intérêt, croissance) qui nécessiteraient un nouveau débat au Parlement ;

Proposition n°2 : mieux évaluer les actifs publics qui peuvent être mis en regard de la dette ;

Proposition n°3 : construire de nouveaux outils de suivi des détenteurs de la dette publique , résidents et non-résidents ;

Proposition n°4 : effectuer une veille approfondie des débats et stratégies relatifs à la dette dans tous les pays de l'Union européenne et peser pour une meilleure coordination visant à prévenir la défiance vis-à-vis de la dette souveraine d'un ou plusieurs Etats membres, qui pourrait rejaillir sur la crédibilité de l'euro.

Proposition n°5 : ouvrir le débat à l'échelle européenne sur les buts de la politique monétaire européenne : lutter contre l'inflation mais aussi soutenir la croissance et éviter les crises.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

I. AUDITION CONTRADICTOIRE SUR L'AVENIR DES DETTES PUBLIQUES

Réunie le jeudi 7 octobre 2021, la délégation à la prospective a procédé à une audition contradictoire sur le thème de l'avenir des dettes publiques.

M. Mathieu Darnaud , président . - Mes chers collègues, la délégation à la prospective va consacrer les semaines à venir à deux sujets : l'avenir du télétravail et l'avenir des dettes publiques, thème qui nous occupe aujourd'hui et pour lequel nous avons nommé deux rapporteurs, nos collègues Éric Bocquet et Sylvie Vermeillet, dont les travaux devraient aboutir d'ici à la mi-novembre.

J'ai le plaisir d'accueillir deux économistes ce matin : Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où elle enseigne l'économie monétaire et financière, et Jean-Marc Daniel, économiste, professeur émérite à l'ESCP Business School, auteur de nombreux ouvrages, dont le plus récent est intitulé Il était une fois l'argent magique , titre très évocateur.

La délégation à la prospective est une structure unique dans le monde parlementaire, puisque seul le Parlement finlandais dispose d'un organe similaire. Elle a une particularité : elle est un lieu de parole très libre, dont les membres aiment bousculer et voir leurs opinions remises en question. Notre horizon va bien au-delà de celui des mandats politiques. Cela nous permet de bâtir des scénarios à vingt ou trente ans, qui peuvent conserver une part de réalisme, mais aussi être parfaitement disruptifs.

Notre pays connaît depuis quarante ans un accroissement continu de sa dette publique, phénomène qui s'est encore accéléré avec la crise sanitaire. J'aurai deux questions. Premièrement, jusqu'où peut-on aller ? Le taux d'endettement s'élève à 120 % du produit intérieur brut (PIB) : peut-on imaginer atteindre 150 %, voire plus ? Deuxièmement, pourra-t-on et faudra-t-il rembourser cette dette ?

M. Jean-Marc Daniel, économiste, professeur émérite à ESCP Business School . - Monsieur le président, le livre paru cet été a pour sous-titre « Conte et mécomptes pour adultes ». On nous présente souvent la dette publique comme un fardeau pour les générations futures. Or les problèmes liés à l'endettement et à la dette publique sont moins financiers qu'économiques et politiques. Je vais donc très vite évacuer les problèmes financiers et les critiques associées, non pertinentes, en insistant sur trois éléments.

Premièrement, la dette n'est pas un fardeau pour la génération future. L'enjeu est de savoir comment la dette, au sein d'une même génération, répartit différemment les revenus. En effet, la dette publique française répartit les revenus entre plusieurs groupes sociaux au sein du pays, mais aussi entre la France et d'autres États.

Deuxièmement, il existerait une menace liée à une potentielle remontée des taux d'intérêt. Or nous assistons à une déconnexion entre les taux pratiqués pour les agents économiques traditionnels et ceux qui sont pratiqués pour l'État, car une partie de la dette publique, à savoir 20 %, est détenue par la banque centrale. Cette dette est gratuite. Le taux d'intérêt effectif sur une dette publique dépend du taux d'intérêt pratiqué sur le marché et de la part qui est détenue par la banque centrale, ce qui n'est pas le cas pour un agent privé, qui a un seul prêteur. L'État, lui, a deux prêteurs : le spécialiste en valeurs du Trésor (SVT) qui a acheté la dette, et la banque centrale qui a racheté la dette et qui reverse à l'État les intérêts perçus, rendant ainsi cette partie de dette gratuite. Comme le souligne Janet Yellen, ancienne gouverneure de la banque centrale des États-Unis et ancienne secrétaire au Trésor, l'enjeu porte donc sur les relations entre l'État et la banque centrale, car il s'agit de déterminer, au sein d'un rapport de force, la part de dette publique que la banque centrale se sent dans l'obligation d'acheter. Dans tous les cas, la banque centrale neutralise, pour l'État, l'augmentation des taux. L'enjeu est bien le bras de fer entre la banque centrale et l'État.

Troisièmement, je remets en cause l'idée selon laquelle il y aurait une bonne et une mauvaise dette, respectivement celle qui finance les investissements et celle qui finance le fonctionnement. Cela n'a de sens que pour une entreprise pour laquelle la dette doit correspondre à l'acquisition d'un actif. Mais l'État n'est pas dans une logique d'équipement. En Europe, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) fait une distinction entre déficit structurel et déficit conjoncturel, et non entre fonctionnement et investissement. Le rôle de l'État est bien d'amortir le cycle économique, par l'intermédiaire du déficit conjoncturel. Les comptes de l'État doivent être équilibrés sur la durée d'un cycle économique. Un déficit conjoncturel peut être accepté au cours d'une période défavorable si des excédents sont ensuite dégagés au cours d'une période favorable. Voilà quelle est la structure du TSCG. Je vous livre un exemple : le Japon est très endetté, à hauteur de 230 % de son PIB, et une partie de sa dette a permis de financer des investissements. Un groupe de BTP a construit des ponts, sur la base de crédits publics, qui ne traversent aucune rivière. Le même groupe a ensuite reçu mission de creuser des rivières, toujours sur crédits publics. Tout ceci est de l'investissement, mais est-ce l'avenir ? Je rappelle au passage que les crédits de recherche, qui eux préparent l'avenir, sont comptabilisés comme des dépenses de fonctionnement.

Il faut en venir aux vrais problèmes que pose la dette publique, pour des raisons économiques. Nous substituons, avec le « quoi qu'il en coûte », de la dette au travail. Ainsi, Olivier Blanchard dit que nous devons craindre non pas la dette, mais la surchauffe, c'est-à-dire le décalage entre l'offre et la demande générée par la distribution d'argent sous forme de dette publique. L'enjeu n'est donc pas la dette en tant que telle mais que l'État assure à des personnes des revenus qui ne correspondent pas à la réalité productive du pays. Nous créons ainsi un gap inflationniste, qui se traduit en France par du déficit extérieur. La dette publique devient de la dette extérieure. Notre pays a franchi le seuil de 30 % d'endettement extérieur net, à hauteur de 700 milliards d'euros, ce qui, d'une part, dépasse les normes européennes, d'autre part, plombe réellement la génération future. Les jeunes Français auront à payer la retraite de leurs concitoyens, mais aussi celle des Norvégiens...

S'ajoutent des considérations politiques. La France a pris des engagements vis-à-vis de ses partenaires européens ; ils doivent être tenus. Le nier serait dangereux. Les pays frugaux, qui étaient quatre auparavant, Pays-Bas, Suède, Danemark et Autriche, sont passés à huit lors de la dernière réunion de l'Eurogroupe, les pays de l'Europe de l'Est les ayant rejoints. Ils ont vécu pendant quarante ans dans un régime qui les a appauvris et humiliés et ont fait des efforts pour s'en sortir. Nous devrions être capables de faire nous aussi des efforts.

Ce serait une erreur d'aborder la question des dettes publiques sous l'angle de la menace de hausse des taux d'intérêt et d'un potentiel non-financement de la part des marchés. La capacité d'endettement du marché est infinie. Le Japon se finance sans problème.

Mais je rejoins les thèses de Stephanie Kelton, figure de proue de la théorie monétaire moderne qui souligne qu'il n'y a certes pas de limite à la création de dette, car il n'y a pas de limite à la création de monnaie dès lors que l'or n'est plus l'étalon. Cependant, elle rappelle qu'une identité comptable s'impose à tous : « S-I + T-G = 0 ». Le déficit des uns génère de l'épargne, qui va se retrouver à l'extérieur du pays où est généré le déficit. Notre dette publique est en train de devenir l'épargne des Norvégiens, des Japonais et des Allemands, ce qui crée une pression sur notre pays.

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne . - Je ne remets en question ni la dépense publique ni le déficit public. Au contraire, il faut se donner les moyens de faire croître la dépense publique - c'est une absolue nécessité - notamment pour faire face à la crise écologique, dont la crise sanitaire n'est que le commencement.

En revanche, je mets en cause le mode de financement du déficit, à savoir le recours exclusif à l'émission de titres de dette publique sur les marchés financiers. La dette n'est pas qu'un cumul de déficits comptables, c'est aussi un mode de financement par le marché, alors qu'il y en a d'autres qui sont envisageables. Ce mode de financement, en l'occurrence, soumet les États à la pression des marchés, plus encore dans la zone euro, qui ne connaît pas d'union budgétaire, où 19 dettes sont émises dans une même monnaie sans partage du risque de défaut de remboursement. Cela oblige encore plus les banques centrales à une présence massive sur les marchés, au moyen de programmes d'achats d'actifs. C'est ce que fait la Banque centrale européenne (BCE), alors que la structure des économies de la zone euro se prête mal à ce type d'instrument de politique monétaire. La BCE agit pour réduire les écarts des taux souverains entre pays et les maintenir au plus bas, pour « fermer les spreads », selon les mots mêmes de Christine Lagarde. Cela n'est pas tenable.

Cette politique monétaire d'achats d'actifs présente trois inconvénients majeurs. D'abord, ces achats d'actifs font croître la valeur des patrimoines ; ils creusent donc les inégalités et la fracture sociale. Ensuite, cette politique peut nourrir des bulles financières et déstabilise donc les marchés. Enfin, ces achats modifient profondément la façon dont la BCE crée de la monnaie. La BCE elle-même achète des titres à des détenteurs variés. Cette politique accélère la financiarisation de la monnaie, car un grand nombre de détenteurs d'actifs éligibles, et non plus exclusivement les banques, ont désormais accès à la monnaie centrale. Ainsi, la monnaie centrale est de plus en plus accaparée par le secteur financier ; elle est de moins en moins au service du bien commun. Potentiellement, cela peut nourrir une certaine défiance envers la monnaie, engendrer une forme de crise monétaire et encourager les formes alternatives de monnaie, comme les crypto-monnaies.

La voie est sans issue. Soit nous maintenons la politique monétaire actuelle, en niant ses conséquences, et nous courrons le risque d'une crise sociale, économique et monétaire. Soit nous menons une politique de réduction d'achats d'actifs, malgré la nécessité d'investir pour la transition écologique. Nécessairement, si la BCE est moins présente sur le marché de la dette, les taux souverains vont remonter ; les États ne pourront plus financer leur dette en la faisant rouler, et surgira une nouvelle crise des dettes souveraines dans la zone euro.

Le scénario qui se profilerait serait alors celui de l'austérité budgétaire, au nom de la soutenabilité des finances publiques. Il impliquerait des coupes budgétaires et rendrait impossible la transition écologique. C'est suicidaire. Il faut donc des solutions alternatives pour le financement des déficits et pouvoir engager des dépenses massives en s'émancipant de ce mode de financement qu'est la dette de marché.

Il existe une première alternative : une opération ponctuelle d'annulation des dettes publiques acquises par l'Eurosystème, pour 3 500 milliards d'euros, soit le quart des dettes souveraines européennes de la zone euro. Cette proposition a été souvent caricaturée. Or, cette opération pourrait en fait être conditionnée au réinvestissement des montants effacés, notamment dans des programmes d'investissement ambitieux au service de la société, par exemple pour la transition écologique. La définition des projets concernés par ces réinvestissements doit être issue d'un accord politique de haut niveau, entre la BCE, les banques centrales, la Commission européenne, les États et les parlementaires nationaux et européens. C'est la première alternative et la solution la moins disruptive.

Une autre solution alternative va plus loin : il s'agit de libérer la dépense publique de la dette de marché, solution plus pérenne et radicale. Cela implique de revenir sur l'interdiction d'accorder des découverts aux États ou d'acquérir directement les instruments de leur dette, c'est-à-dire de s'émanciper de l'article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Plusieurs degrés d'émancipation sont imaginables.

Le premier degré est la possibilité pour la BCE d'intervenir sur le marché primaire de la dette, plutôt que sur le marché secondaire.

Le deuxième degré d'émancipation est la possibilité d'accorder des découverts sur la ligne de crédit du Trésor. La Banque d'Angleterre l'a fait au début de la crise sanitaire. Les partisans de la théorie monétaire moderne, dont je ne fais pas partie, défendent l'idée d'un cordon permanent et sans limites.

Le troisième degré d'émancipation - vous allez me trouver bien rêveuse, mais c'est la voie qui m'intéresse dans mes travaux universitaires - est la possibilité de transfert de la BCE au Trésor, sans intérêts, ni contrepartie financière, ni emprunts remboursables, ni titres à céder. Pour réaliser les programmes d'investissement, nous aurons besoin de dons de la part des banques centrales. Il s'agirait d'une monnaie hélicoptère au service des États. Il faudrait certes limiter ce don à certaines catégories de dépenses, pour des projets définis de la manière la plus démocratique possible, selon une gouvernance nouvelle. Ces dons seraient consacrés à des dépenses de gestion de la crise sanitaire ou de prévention de la crise climatique. C'est une façon de réaliser ces dépenses nécessaires sans se soumettre aux pressions du marché et en mettant la monnaie centrale au service du bien commun.

Vous m'avez interrogée sur la dette publique : je vous ai en fait répondu sur la nécessité de s'émanciper de ce mode de financement si l'on veut augmenter la dépense publique et ainsi enclencher la transformation écologique et sociale de nos sociétés.

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure . - Je partage plusieurs de vos réflexions, notamment l'accent mis sur la qualité de la dette plutôt que sur sa quantité. La dette doit en effet être dédiée à la décarbonation et à la croissance verte, et être réellement au profit des générations futures. Pensez-vous que la progression de la dette soit inéluctable ? S'il suffit d'une création monétaire illimitée pour trouver des liquidités, pourquoi ne pas financer dès maintenant l'ensemble de la misère du monde ?

La confiance est au coeur de la question de la dette. M. Daniel a évoqué le Japon, dont la dette atteint 230 % du PIB : si le pays ne s'écroule pas, c'est que ses créanciers ont confiance. Cela induit une autre question : qui détient la dette ? Pensez-vous que la part de dette française détenue par les Français - environ la moitié - soit suffisante ? La banque centrale doit-elle acheter des actifs ? Pourriez-vous préciser votre pensée sur la monnaie hélicoptère ? De même, que pensez-vous des coupons monétaires, à l'instar des 1 400 dollars que distribuent les États-Unis à chaque foyer ? La monnaie hélicoptère permet certes de contourner la dette, mais quelles sont ses limites ?

Enfin, j'aimerais comprendre le mécanisme comptable d'une annulation de la dette détenue par la Banque centrale européenne. S'il s'agit d'annuler une créance et de produire des fonds propres négatifs, en quoi est-ce une annulation ? Équilibrer un poste de détention de titres par un emprunt ou par des fonds propres négatifs, c'est toujours du passif.

M. Jean-Marc Daniel . - La dette n'est pas une fatalité, c'est le cumul des déficits. Or, le budget de l'État doit-il être toujours en déficit ? La réponse est non : plusieurs pays dégagent des excédents. En France, le budget a été en excédent des années 1920 jusqu'à 1934, puis en déficit jusqu'en 1959, et de nouveau en excédent jusqu'en 1974. Depuis, il est en déficit systématique. Or ce sont les parlementaires qui votent le budget. Depuis la Magna Carta de Jean sans Terre, le rôle du Parlement est de voter le budget et de vérifier l'usage qui est fait de l'argent des contribuables. Il s'agit donc d'un enjeu autant politique qu'économique.

Il me semble indispensable d'équilibrer le budget et de respecter les traités européens qui prévoient que le déficit structurel doit être égal à 0, avec une marge d'erreur de 0,5. Le budget pour 2022 présente un déficit structurel de 4,3 % du PIB, encore plus important que celui de 2019. Si j'étais sénateur ou député, je refuserais même d'examiner le projet de loi de finances, lequel est en totale contradiction avec les traités que nous avons signés et nuit à notre crédibilité.

Sur le plan strictement économique, on peut laisser filer la dette publique à l'infini. Dans leur livre « Cette fois c'est différent », Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff reviennent sur l'histoire des États qui s'endettent et qui finissent toujours par faire banqueroute, que celle-ci soit assumée, à travers l'annulation d'une partie de la dette publique, ou honteuse, à travers l'annulation de la dette de la banque centrale. Comme vous l'avez souligné, madame la rapporteure, l'État est alors actionnaire d'une banque à fonds propres négatifs... À cet égard, les Anglo-saxons font une différence entre dette et borrowings : ces derniers, les emprunts, peuvent être supprimés, mais pas la dette.

Les États faisaient banqueroute parce qu'ils s'engageaient à fournir de l'or à leurs créanciers. Mais l'or, en quantité limitée, n'est plus dans le système depuis 1971. Aujourd'hui, la quantité de monnaie est potentiellement illimitée. Des élections vont avoir lieu au Japon dans trois semaines et la question de la dette n'y est même pas évoquée. Le gouvernement japonais n'a pas réagi non plus à certaines projections du Fonds monétaire international (FMI), selon lesquelles l'endettement public japonais pourrait atteindre 600 % en 2050. Certes, la banque centrale du Japon détient environ 50 % de la dette publique et son bilan représente 110 % du PIB national, tandis que le bilan de la BCE ne représente que 40 % du PIB européen.

Il s'agit donc davantage d'un enjeu de politique budgétaire que de politique monétaire. Le Quantitative easing , qui consiste à acheter systématiquement des actifs, au risque de faire monter leur prix, est malsain. Aujourd'hui, le fameux « Whatever it takes » de Mario Draghi constitue une véritable garantie du prêteur contre la banqueroute de l'État en dernier ressort. Quel est le rôle d'une banque centrale quand il n'y a plus d'étalon-or et que le principe d'indépendance a été totalement balayé ? Doit-elle avoir des plafonds de dette, remplir un rôle de conseiller de l'État, garantir sans limite les dettes de l'État ?

Selon moi, une bonne dette, ça n'existe pas : le rôle du budget de l'État est de lisser le cycle, pas forcément de réaliser tous les investissements nécessaires dans l'économie. Le secteur privé peut prendre en charge la transition écologique et le changement climatique. Ce pays a été pourvu en chemins de fer grâce à des compagnies privées. Avant la création d'EDF, 363 compagnies d'électricité avaient fait de la France le pays le plus en avance sur le plan de l'électrification. La transition écologique demande un investissement, des efforts et un travail que le secteur privé est à même de fournir.

Pour finir, j'estime qu'on doit équilibrer le budget de l'État, même si aujourd'hui on peut s'endetter à l'infini.

Une remarque enfin sur la question de l'identité des détenteurs de la dette publique. Il est faux de dire que les Japonais détiennent leur dette. Les banques japonaises achètent la dette et en font des outils financiers, essentiellement placés auprès de fonds de pension étrangers, car les épargnants japonais veulent un certain rendement de leur épargne. L'épargne japonaise est aux États-Unis et la dette japonaise en Indonésie : l'acheteur indonésien accepte le risque, parce qu'il est persuadé que le yen va monter par rapport à sa propre monnaie, et l'acheteur japonais profite du rendement de la dette américaine.

La France connaît une situation inverse de celle du Japon avec une position extérieure nette négative de 700 milliards d'euros. Nous sommes donc rachetés chaque année par des fonds de placement. Est-il préférable que les fonds de placement rachètent notre dette ou l'avenue Montaigne et nos entreprises ? Je préférerais qu'ils rachètent notre dette qui n'est malheureusement pas assez internationalisée. Mieux vaudrait placer notre dette publique auprès d'épargnants étrangers et profiter de l'argent récupéré pour renforcer les fonds propres de nos entreprises. Je lisais encore récemment dans un grand quotidien économique que 80 % de l'avenue Montaigne appartenait à des étrangers. Cela pose un problème de souveraineté. La première forme de souveraineté est d'être maître de son appareil productif.

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran . - La question de la qualité de la dette est complexe. Il me semble que les États devraient essentiellement emprunter pour se tourner vers la transformation écologique et sociale. Cela étant, distinguer entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement n'est pas toujours facile : si l'on investit dans des hôpitaux et des écoles, il faut payer les infirmiers et infirmières et les instituteurs et institutrices... De même, la bonne dette est-elle forcément celle qui produit de la croissance ? L'augmentation du PIB est-elle vraiment un bon critère pour juger de la qualité de la dette ? Quelle croissance veut-on ?

Concernant la question des limites à l'endettement, il me semble, quitte à paraître simpliste, que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Personne ne peut aujourd'hui déterminer un seuil de dette à ne pas dépasser, mais elle devient forcément insoutenable à un moment. La question essentielle est de savoir si la stabilisation de la dette sera compatible avec des niveaux de déficit suffisamment élevés pour engager les dépenses dont nous avons besoin.

Je crains que cet acharnement à rechercher une dette soutenable nous amène à couper dans la dépense et réduire les déficits, ce qui compromettra les programmes d'investissement. Contrairement à M. Daniel, je ne pense pas que la transition écologique puisse reposer sur le seul investissement privé. Si tel était le cas, la réalisation de ces programmes serait déjà bien avancée : l'excès d'épargne mondial n'est pas récent, mais le secteur privé ne s'est absolument pas dirigé vers ce type d'investissements. Il va falloir que la puissance publique s'engage beaucoup plus résolument. C'est aussi la raison pour laquelle il faut trouver des solutions alternatives à la dette. Par ailleurs, les comparaisons avec des pays comme le Japon, beaucoup plus souverain sur le plan monétaire que ceux de la zone euro, n'ont pas lieu d'être.

Le rôle de la banque centrale doit-il évoluer ? Oui, me semble-t-il. Les banques centrales, en particulier la BCE, doivent assumer pleinement le rôle qu'elles jouent dans le financement des États. Les programmes actuels d'achats d'actifs sont une forme d'assistance financière aux États qui ne dit pas son nom. Il faut rendre cette assistance transparente, non pas en maintenant des programmes d'achats d'actifs qui ont les conséquences distributives, financières et monétaires indésirables que j'ai mentionnées, mais en rétablissant un cordon de financement entre la banque centrale et les États. Oui, cela nous oblige à repenser le traité ; mais tenir notre engagement européen ne veut pas dire laisser intact un traité qui n'est plus adapté. Respecter notre engagement européen, c'est oeuvrer pour le bien-être des peuples européens.

Je reviens sur la monnaie hélicoptère, qui pourrait être un nouvel instrument de politique monétaire. Les objectifs aujourd'hui assignés à la politique monétaire sont la stabilité monétaire, la stabilité économique et la stabilité financière. De ce point de vue, la monnaie hélicoptère serait un bien meilleur instrument de politique monétaire que ne le sont les achats d'actifs. Avec la monnaie hélicoptère, en effet, la monnaie centrale va directement dans l'économie réelle et se traduit directement par une augmentation de la dépense globale, donc agit sur le prix des biens et des services. Or, actuellement, les banques centrales ont perdu toute capacité de pilotage de l'inflation, car la monnaie qu'elles créent tourne en boucle dans la sphère financière, faisant monter le prix des actifs, mais n'a pas d'incidence sur le prix des biens et des services.

Les tensions inflationnistes que nous sommes en train d'observer n'ont strictement rien à voir avec la politique monétaire : elles viennent des marchés de matières premières et d'une désorganisation des chaînes de valeur - la banque centrale n'y peut absolument rien. La monnaie hélicoptère n'est pas un instrument de politique budgétaire, mais de politique monétaire, qui permettrait à la banque centrale de retrouver une capacité de pilotage. Au passage, aux États-Unis, ce sont des transferts budgétaires qui ont été pratiqués, avec des effets très positifs sur l'économie américaine. Le décalage que l'on constate entre les reprises respectives de l'économie américaine et des économies européennes tient sans doute en partie à cette action budgétaire beaucoup plus directe dans le premier cas.

Vous vous interrogez sur l'annulation : une annulation des dettes publiques à l'actif de l'Eurosystème se traduirait inéluctablement, dites-vous, par des fonds propres négatifs. Vous avez tout à fait raison ! Je vous réponds qu'une banque centrale n'étant ni une entreprise ni une banque commerciale, elle peut tout à fait fonctionner en ayant à son bilan des fonds propres négatifs, comme l'explique très bien la Banque des règlements internationaux (BRI) dans un manuel intitulé Les finances des banques centrales .

Pourquoi les fonds propres négatifs ne sont-ils pas un problème pour une banque centrale ? Pour la raison suivante : la banque centrale n'a de passif qu'en monnaie centrale ; or, cette monnaie centrale, elle peut la créer autant que de besoin dès lors que la confiance dans la monnaie est maintenue. Certes, comme l'indique la BRI, une telle situation peut être mal comprise par les parlementaires et par les citoyens et susciter une défiance envers la monnaie. Reste qu'il est possible, le cas échéant, d'être innovant sur le plan comptable en créant un poste d'actifs non exigibles où imputer cette annulation. On n'enregistre alors aucune perte : le bilan reste équilibré.

C'est exactement le même traitement comptable qui s'appliquerait, d'ailleurs, si la banque centrale procédait un jour à des dons sans contrepartie de monnaie centrale aux États. Derechef, les fonds propres de la banque centrale deviendraient négatifs, à moins que soit créé un poste d'actifs ad hoc permettant de conserver la mémoire de ces dons. Tout cela est parfaitement imaginable ; quant à savoir si c'est politiquement envisageable, à vous de le dire.

Mme Christine Lavarde . - À vous écouter, la dette publique n'est pas un problème. Cette affirmation ne revient-elle pas à envoyer un mauvais signal aux particuliers pour qui la dette privée est un problème ? Un particulier ne peut pas faire ce qu'il veut : il est contraint par les ressources dont il dispose. Et le dépôt d'un dossier de surendettement auprès de la Banque de France est loin d'être un long fleuve tranquille...

Par ailleurs, on constate aujourd'hui que l'État, lui, a les moyens de baisser les impôts tout en augmentant la dépense, donc de n'envoyer que des messages « positifs », ce qui lui permet de ratisser large, comme il se doit en période électorale. Les collectivités locales, en revanche, n'ont pas du tout cette marge de manoeuvre : elles ont l'obligation de financer l'ensemble de leurs dépenses de fonctionnement par leurs ressources propres, avant même de pouvoir commencer à investir. Ne serait-il pas utile d'imposer les mêmes règles à l'État ? Une question reste de toute façon pendante : quid de la différence, pour un État, entre fonctionnement et investissement ? Les salaires des professeurs relèvent-ils du fonctionnement ou de l'investissement ?

Vous disiez que c'est le Parlement qui vote le budget ; mais, quoi que nous disions, la majorité présidentielle fait ce qu'elle veut. Le droit d'initiative des parlementaires est extrêmement limité.

Pour ce qui concerne la détention de la dette, M. Daniel s'est ému que l'avenue Montaigne soit détenue à 80 % par des investisseurs étrangers. Mais la nature précise des agents qui détiennent aujourd'hui la dette publique française n'est pas connue. Récemment, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, le Sénat a voté un amendement visant à obliger l'État à rendre publique l'identité des détenteurs de la dette dès lors qu'ils en possèdent au moins 2 %. Le Gouvernement et la direction du Trésor, pour justifier leur forte aversion à faire appliquer cette disposition, arguent qu'elle risquerait de nuire à l'attractivité de la dette française auprès des investisseurs étrangers. Croyez-vous vraiment à ce risque ?

Mme Cécile Cukierman . - L'un et l'autre vous avez évoqué la question des dépenses, mais sans dire un mot des recettes. Je soulignerai, peut-être un peu naïvement, qu'en tant que parlementaires, dans le cadre du débat budgétaire, nous commençons par voter les recettes avant de voter les dépenses. N'y a-t-il pas, dans un pays riche comme le nôtre, des perspectives du côté des recettes ?

Quoi qu'il en soit, l'enjeu est de garantir le bien-être de chacun, d'assurer le développement du pays et de relever le défi de la transition écologique.

M. Jean-Marc Daniel . - La Constitution de la V e République est certes exigeante pour ce qui est de l'action des parlementaires ; mais, à la fin des fins, c'est vous qui votez. Le problème est politique : pourquoi aucune majorité ne se considère-t-elle comme responsable vis-à-vis de ses électeurs plutôt que du Président de la République et du Gouvernement ? Je parle en tant que citoyen : ce qui m'a frappé, c'est que le TSCG, texte fondateur de la procédure budgétaire - beaucoup plus que le traité de Maastricht, dont les critères relèvent de l'histoire ancienne -, est le texte qui a été le mieux approuvé par le Parlement lors de la précédente mandature, ce qui suggère une forme d'adhésion de la part de la classe politique. Or il n'est jamais appliqué ! Comme le disait Mme Thatcher dans un discours célèbre prononcé à Bruges, la différence entre les Français et les Britanniques est que les seconds négocient pied à pied mais, une fois l'accord signé, respectent leur parole, quand les premiers ne se soucient guère de respecter ce qu'ils ont pourtant signé sans difficulté...

Un mot sur la différence entre les collectivités locales et l'État. Les ménages, les entreprises, les collectivités, d'un côté, et l'État, de l'autre, n'ont pas les mêmes missions économiques ni n'agissent, d'ailleurs, dans le même environnement. Le rôle de l'État est de lisser le cycle : quand l'économie va mal, on consent, par l'action des stabilisateurs automatiques, à laisser filer le déficit budgétaire afin de ne pas s'enferrer dans la récession ; en revanche, en phase favorable, les stabilisateurs produisent normalement des excédents budgétaires et un remboursement de la dette. Il est des pays, comparables au nôtre, où cela fonctionne ! Les critiques du Premier ministre néerlandais sur la gabegie budgétaire française sont tout aussi légitimes que nos enthousiasmes pour la dette. L'État, qui est donc là pour gérer le cycle, ne doit accepter que des déficits conjoncturels, et non des déficits structurels.

Par ailleurs, l'État, lui, a accès à un financeur, la banque centrale. À l'heure actuelle, par le système des rachats sur le marché secondaire, on obtient les mêmes résultats que dans une situation où la banque centrale prêterait directement aux États - ce sont simplement les tuyaux qui diffèrent. La banque centrale fait office de garantie.

Je rappelle la règle permettant de distinguer fonctionnement et investissement, énoncée par Paul Leroy-Beaulieu sous la III e République. Le véritable enjeu, disait-il, est qu'à tout moment le préfet doit pouvoir imposer aux collectivités locales l'équilibre de leurs comptes, ce qui ne peut passer que par l'arrêt des investissements - on ne peut pas arrêter de payer les fonctionnaires. Pour que le préfet ait un pouvoir effectif sur la collectivité locale, il faut que celle-ci ne puisse financer par de l'emprunt que des investissements. À l'époque, Leroy-Beaulieu débat avec un nommé Wagner, économiste allemand, qui reproche à l'auteur du Traité de la science des finances de faire du droit et non de l'économie... Et, certes, l'investissement au sens économique n'est pas l'investissement au sens juridique : on peut arrêter tout de suite le second, pas le premier. Un pont construit sur une rivière qui n'existe pas permettant à une route qui ne mène nulle part d'accueillir des voitures qui ne passeront pas, ce n'est pas porteur d'avenir ; en revanche, l'instituteur qui apprend à lire et à écrire aux enfants est porteur d'avenir. Mon sentiment, à vrai dire, est que ces distinctions n'ont pas grand sens...

Quant à savoir qui détient notre dette, cela n'a aucune importance. Celui qui détient notre dette n'a pas de pouvoir sur l'État. Celui qui détient l'avenue Montaigne a un pouvoir sur nous, celui d'orienter la vie économique. Quand vous détenez une entreprise, vous pouvez la délocaliser ; quand vous détenez de la dette publique, vous attendez simplement que les intérêts tombent. Les données générales sont à peu près disponibles. Pour savoir où exactement est détenue la dette, il faudrait entrer dans les détails de la gestion des banques, mais ça n'a pas beaucoup d'intérêt. En revanche, la dette publique, parce qu'elle est le symptôme d'une distorsion entre travail et pouvoir d'achat, est à l'origine d'une dette extérieure : c'est cela qui est déterminant pour l'avenir du pays.

On évoquait le succès de la politique américaine de distribution d'argent par le canal budgétaire - mais le canal de la banque centrale aurait donné le même résultat. Il faut malgré tout rappeler certains chiffres : le déficit de la balance des paiements courants des États-Unis est passé, depuis 2019, avant même le vote du dernier plan Biden, de 375 milliards à 820 milliards de dollars. Donald Trump s'était plaint de la présence de voitures allemandes sur Park Avenue, à New York. Dans un tweet, il avait affirmé : « si les Allemands et les Japonais n'ont pas compris en 1945, on remettra le couvert ». Bref, la concentration de l'épargne dans certains pays et la répartition entre pays « détenteurs » et pays « détenus » posent un réel problème.

Pour conclure, l'avenue Montaigne est plus importante que les titres publics.

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran . - Qui détient la dette ? Cette question est fondamentale. La dette, c'est aussi un rapport social : elle met en relation un créancier et un emprunteur. Il y a une différence notable entre la dette détenue par la banque centrale et celle qui est détenue par des investisseurs financiers. Il convient aussi de distinguer entre investisseurs résidents et investisseurs non-résidents - l'horizon de placement et la volatilité de la détention ne sont pas du tout les mêmes. L'État, depuis plusieurs décennies, accepte de se soumettre au marché, c'est-à-dire à des investisseurs privés. Cela pourra-t-il perdurer si nous avons besoin d'investir davantage pour assurer la transformation écologique et sociale de nos sociétés ? Ces questions ne sont pas neutres.

Je n'ai pas affirmé que la dette publique n'était pas un problème. Ce que j'ai dit, c'est que nous avons besoin de dépense publique, donc de déficit public, sans avoir les yeux rivés sur la stabilisation de la dette. De ce point de vue, il nous faut réfléchir à des alternatives de financement pour parvenir à concilier la dépense publique et l'indépendance des États vis-à-vis de la pression exercée par les marchés. Cela éviterait aussi à la banque centrale d'avoir à calmer cette pression en menant des programmes d'achats d'actifs, qui ont des conséquences potentiellement très négatives sur les plans distributif, monétaire et financier.

Beaucoup assimilent utilité de la dépense publique et utilité de la dette publique. Pour ma part, je fais la différence entre les deux : nous aurons besoin de plus en plus de dépense publique ; en revanche, il va falloir trouver les moyens de s'émanciper d'une dette publique de marché ou revenir à une forme de dette publique directement contractée auprès de la banque centrale. Des propositions de réforme fiscale ou de lutte ambitieuse contre l'évasion fiscale auraient pour effet d'augmenter les recettes fiscales des États et, in fine , de limiter les déficits publics. Enfin, rendre transparente la détention de la dette me semble être une excellente initiative. La résistance en la matière est la preuve que l'État craint la pression du marché. Encore une fois, seule la banque centrale est en mesure de contenir cette pression.

M. Mathieu Darnaud , président . - Je remercie Mme Couppey-Soubeyran et M. Daniel d'être venus nous exposer leurs réflexions ce matin ; elles sont essentielles à la préparation de notre rapport.

II. EXAMEN DU RAPPORT D'INFORMATION

Réunie le mardi 9 novembre 2021, la délégation à la prospective a procédé à l'examen du rapport d'Éric Bocquet et Sylvie Vermeillet sur l'avenir des dettes publiques .

Mme Christine Lavarde , vice-présidente . - Mes chers collègues, j'ai l'honneur de présider notre séance, en l'absence temporaire de notre Président Mathieu Darnaud. Le rapport sur l'avenir des dettes publiques que nous allons examiner aborde un sujet majeur, à quelques jours de l'ouverture de deux débats sur des textes financiers importants : le second projet de loi de finances rectificative pour 2021 et le projet de loi de finances pour 2022. Ce calendrier justifie le choix de réunir notre délégation un mardi, à un moment inhabituel pour la délégation.

Nos collègues Éric Bocquet et Sylvie Vermeillet se sont interrogés sur l'avenir des dettes publiques alors que celles-ci atteignent des sommets, pas seulement en France. Notre délégation avait déjà entendu sur cette question deux économistes lors de l'audition contradictoire du 7 octobre dernier. Jézabel Couppey-Soubeyran et Jean-Marc Daniel développaient des approches antagonistes. Le rapport essaye de rapprocher les points de vue et d'apporter des éléments de réflexion. Ce n'est pas un rapport d'économistes effectuant des prévisions, mais un rapport de prospective, qui identifie dans sa troisième partie plusieurs scénarios, notamment un scénario positif et un autre plus sombre. C'est un rapport très didactique. Un étudiant en économie pourrait y retrouver un résumé des différentes théories et considérations historiques sur le sujet. Je laisse maintenant les rapporteurs présenter leur travail.

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure . - Je voudrais commencer par remercier mon collègue Éric Bocquet qui a eu la bonne idée de m'associer aux travaux qu'il souhaitait mener. Nous avons vécu des moments fort intéressants, et notamment assisté à une adjudication de l'Agence France Trésor (AFT).

Frappés par la crise du Covid-19, tous les pays développés du monde ont mis en place une stratégie de soutien à leur économie, qui est passée par une hausse de leur endettement.

Ce mouvement vers toujours plus de dettes publiques vient de loin. Depuis plus de 40 ans, le ratio d'endettement des États, exprimé sous forme du pourcentage de dette par rapport au PIB, n'a cessé de progresser dans l'OCDE, avec une accélération significative à partir de la crise financière de 2008.

La France s'est inscrite dans ce mouvement : elle est passée d'une dette de 20 % du PIB en 1980 à 40 % lors de la récession du début des années 1990, puis 60 % au tournant des années 2000, juste au bon niveau pour satisfaire les critères de Maastricht. La dette est ensuite montée à 80 % avec la crise financière de 2008 avant une augmentation graduelle jusqu'à presque 100 % avant la crise du Covid. Avec les derniers évènements, nous en sommes désormais à 115 %.

Or, dans le même temps, nous connaissons une période de taux extrêmement bas, proches de zéro, voire négatifs pour les taux à court terme. Nous n'avons rencontré aucune difficulté pour trouver des fonds auprès des marchés financiers. La dette française continue à être considérée comme sûre, et l'AFT, qui est le service du ministère des finances chargé de la gestion de la dette, a même réussi en janvier dernier à emprunter à 0,6 % sur 50 ans. Lors de cette émission de dette, la France avait besoin de 7 milliards d'euros et les marchés étaient prêts à apporter 75 milliards d'euros.

Nous avons souhaité comprendre ces phénomènes, les replacer dans le temps long, et avoir une réflexion prospective en prenant de la hauteur sur une question que nous abordons traditionnellement dans le cadre des discussions des projets de loi de finances ou des projets de loi de programmation financière.

Au sein de la délégation à la prospective, notre approche est différente. L'exercice de prospective sur la dette publique n'est pas un exercice de prévision économique. Il consiste à identifier les différents chemins que nous pourrions prendre, selon nos capacités à générer de la croissance, à approfondir la solidarité européenne, à maîtriser les comptes publics, dans un environnement économique mais aussi écologique et géopolitique que nous ne maîtrisons pas.

Il s'est agi pour nous de nous poser plusieurs questions : existe-t-il des limites à la progression de notre endettement public ? Ne risque-t-on pas de crise majeure en continuant à nous endetter ? Ou alors, n'entretenons-nous pas dans les débats publics une vision trop alarmiste de la dette ?

Nous avons mené une série d'auditions depuis le mois de juin pour interroger des spécialistes, en leur demandant de prendre à chaque fois du recul sur le sujet.

Car les interrogations sur la dette sont très anciennes. La dette est ce que l'on a appelé une « inquiétude historique ». À la fois nécessaire au développement de la production et des échanges, elle suscite dans le même temps méfiance et crainte. S'endetter, n'est-ce pas échanger le confort du présent contre la damnation dans le futur ? L'endettement public s'est d'ailleurs parfois mal terminé, par des banqueroutes ou des guerres. Et dans la période la plus récente, les défauts sur les dettes souveraines se sont traduits par des désordres économiques très pénalisants : inflation, récession, chômage, pauvreté.

Dans la première partie de notre rapport, nous avons mis en évidence cet aspect historique de la question de la dette. Il a donné lieu à l'élaboration d'un cadre théorique exigeant la maîtrise de nos finances publiques, qui s'est matérialisé dans l'Union européenne par les règles de Maastricht.

Dans la deuxième partie du rapport, nous avons voulu montrer en quoi la question de la dette se posait aujourd'hui dans des termes assez nouveaux : les dettes publiques ne cessent de progresser, avec ce qui semble être un effet de cliquet à chaque nouvelle crise. Rares sont ceux qui ont baissé leur endettement public : l'Allemagne, les Pays-Bas et quelques autres pays européens l'ont fait récemment, mais ce sont plutôt des exceptions. La dette publique du Japon atteint 260 % de son PIB, aux États-Unis 125 % soit 28 000 milliards de dollars. La France en est à 2 740 milliards d'euros. Mais grâce aux taux particulièrement bas, notre charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts que nous payons à nos créanciers, a baissé en 20 ans. L'année prochaine, nous paierons 38 milliards d'intérêts alors qu'on était à plus de 50 milliards au début des années 2010. Ne devrions-nous pas « arrêter de nous en faire et commencer à aimer la dette publique », comme le disait le sous-titre du film de Stanley Kubrick, Docteur Folamour , au sujet de la bombe atomique.

C'est là tout le sujet de notre troisième partie de rapport, au sein de laquelle, nous analysons les différentes solutions qui sont à notre disposition et leurs conséquences : rouler la dette, comme nous le faisons aujourd'hui, la mutualiser, la cantonner, voire l'annuler ou encore la monétiser. Dans cette troisième partie, nous imaginons trois scénarios, dont aucun n'est écrit d'avance. Et nous rappelons que la dette n'est pas une question technique, mais avant tout un choix politique. Et comme tout choix politique, il doit être débattu, devant nos concitoyens et avec eux. Nous évoluons certes dans un environnement économique et financier contraint, mais nous devons analyser tous les chemins possibles, les présenter et assumer des choix qui nous engagent collectivement.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - Je remercie à mon tour Sylvie Vermeillet. Nous avons réussi à mener nos travaux ensemble, dans le respect de notre diversité et dans un délai assez court car nous souhaitions présenter notre rapport avant la discussion au Sénat du projet de loi de finances. Ce sujet, hautement politique, sera débattu lors de cette discussion, mais aussi plus largement durant la prochaine campagne présidentielle.

Il y a deux manières d'aborder la question de la dette publique : en regardant les chiffres qui figurent dans nos documents budgétaires, ou en regardant ce qu'en ont dit les philosophes, les penseurs, depuis l'antiquité. Le prêt, l'échange, sont consubstantiels à la vie sociale. De ce point de vue, la dette a toujours existé. Elle a permis le développement économique.

Mais la dette était personnelle et non collective. Le prêt à l'État est une invention de l'Italie de la fin du Moyen-Âge.

Le développement de la dette et le développement de la monnaie se sont faits en parallèle. Plus il y a de dette, plus il y a de monnaie.

Mais s'endetter c'est aussi fauter. En allemand, le mot schuld désigne tant la dette matérielle que la faute morale. En devenant débiteur, on s'engage à rembourser. Mais on ne tient pas toujours parole, ce qui a pu conduire à des mesures radicales comme l'esclavage pour dettes dans les sociétés primitives ou à des guerres destinées à récupérer son dû. C'est seulement au début du XX e siècle avec la « doctrine Drago » qu'on a commencé à considérer qu'il n'était pas admissible de mener des guerres pour obtenir le recouvrement de dettes. L'endettement n'est pas interdit par les religions mais sérieusement encadré.

La méfiance vis-à-vis de la dette est nourrie par des expériences de défauts souverains : il y en a eu plus de 320 pendant le XX e siècle, et même encore récemment avec la crise argentine dans les années 1990 ou encore la banqueroute de la Russie en 1998.

L'histoire nous enseigne toutefois que la dette n'est pas toujours insurmontable. L'inflation a rogné fortement la valeur des dettes publiques de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1960, et certains pays, même en cas de faible inflation, ont su rembourser leur dette, comme le Royaume-Uni tout au long du XIX e siècle.

Ce que l'on craint, c'est surtout l'effet « boule de neige » de la dette, lorsque des intérêts élevés continuent à l'alimenter, entraînant une hausse sans fin de l'encours. Les réponses passent alors par des mesures drastiques comme la monétisation de la dette, entraînant souvent davantage d'inflation et pouvant conduire à la dévaluation de la monnaie.

En choisissant de faire une Union monétaire, les pays de l'Union européenne ont souhaité se donner un cadre monétaire solide, avec une monnaie unique devant être gérée pour empêcher toute reprise de l'inflation, mais ils ont voulu aussi se fixer des règles collectives destinées à éviter des divergences de politiques budgétaires susceptibles de remettre en cause ce cadre monétaire commun.

C'est ainsi que l'on a inventé les fameux « critères de Maastricht » : un maximum de 3 % de déficits publics et de 60 % de dette publique, rapportés au PIB, avec un montage juridique complexe visant à dissuader les transgressions de ces règles, grâce à un dispositif de sanctions.

Or, ce cadre a explosé après la crise financière de 2008 et la crise grecque de 2010-2011, plus grand monde ne respectant alors les critères de Maastricht. En forçant à mettre en oeuvre des politiques budgétaires restrictives, ces critères ont aussi amoindri la capacité à répondre à la violence de la crise économique du début des années 2010, alors qu'un niveau plus élevé de croissance aurait certainement pu être atteint si les États membres de l'Union européenne avaient procédé à une relance budgétaire coordonnée.

La crise du Covid a achevé de faire éclater les règles budgétaires strictes définies à Maastricht et, de toute façon, déjà bien peu respectées.

Concernant la dette publique, nous avons connu une hausse très forte, de l'ordre de 20 points de PIB dans les pays de l'OCDE, depuis la crise financière de 2008. Certains pays qui étaient peu endettés le sont devenus très fortement : c'est le cas de l'Espagne ou du Portugal. L'Italie aussi partait de haut et la progression de son endettement a continué pour dépasser les 150 % désormais.

L'accumulation des déficits publics explique aujourd'hui l'essentiel de l'augmentation des dettes. En effet, avec des taux de plus en plus bas, la charge de la dette pèse de moins en moins et le « solde stabilisant », c'est-à-dire le solde public qu'il faut dégager pour ne pas voir augmenter le ratio dette/PIB, ne cesse de baisser.

Cela pose-t-il problème ? Pas du tout, car on parvient à se financer. Avec une politique monétaire accommodante, la Banque centrale européenne a maintenu les taux à un niveau très bas et offert une garantie de fait aux titres publics, en acceptant à travers ses interventions non conventionnelles, de les acheter aux banques commerciales sur le marché secondaire en contrepartie des crédits qu'elle leur accorde. C'est le fameux « assouplissement quantitatif » ( quantitative easing ).

Dès lors, la hausse des dettes publiques et la baisse des taux ne viendraient-ils pas tout simplement répondre à des déséquilibres macroéconomiques mondiaux qu'il conviendrait de corriger ? L'excès d'épargne mondiale n'imposerait-il pas aux États de prendre le relais pour soutenir la demande, notamment par l'investissement public ?

Le nouveau contexte que nous connaissons nécessite de revoir notre approche des dettes publiques, de ne pas les considérer seulement comme un « fardeau » légué aux générations futures, ce qui est d'ailleurs très contestable sur le plan conceptuel, ne serait-ce que parce que la durée moyenne de la dette est d'un peu plus de huit ans, comme le montre un encadré qui figure dans le rapport.

Cette nouvelle approche de la dette publique oppose cependant deux écoles de pensée que nous avons essayé de caractériser :

Les « rassuristes » estiment que finalement la dette sera toujours finançable, et qu'on aurait tort d'en faire un critère déterminant de nos grands équilibres. Chercher à réduire la dette serait même contreproductif, risquant de mener la France à la récession et de nous entraîner dans un jeu perdant-perdant, la réduction de la dette étant absorbée par la stagnation voire la baisse du PIB, et le ratio dette/PIB restant quasi inchangé.

Les « inquiets », au contraire, partant des mêmes constats, craignent que la dette, devenue trop importante, soit un jour hors de contrôle du fait de la variation, même faible, de paramètres sur lesquels nous ne pouvons pas jouer beaucoup : inflation, taux d'intérêt, croissance. Ils soulignent au passage qu'au-delà d'un certain niveau de dépense publique, celle-ci a une efficacité économique limitée et ne contribue plus à la croissance.

Voici les termes du débat sur l'avenir de la dette publique en France.

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure . - Notre rapport fait le point sur la boîte à outils dont nous disposons pour répondre à la question de la dette. D'abord, il faut souligner à ce stade que la question de la soutenabilité ne peut être résumée à la question du niveau de dette. Ce qui compte, c'est la capacité à financer celle-ci. Or, nous avons toujours trouvé des financeurs de notre dette, soit résidents, soit non-résidents. Cela dit, nous connaissons mal les détenteurs non-résidents et l'appréhension du risque de défiance de cette catégorie justifierait qu'on ait une meilleure connaissance de leur identité.

Une dette peut être soutenable à un niveau élevé si les taux restent bas. Elle peut aussi être à un niveau bas, mais libellée en monnaie étrangère et à des taux élevés, ce qui peut la rendre rapidement insoutenable. Bref, il n'y a pas vraiment de critère simple pour dire à partir de quel niveau une dette est insoutenable.

Parmi les paramètres à surveiller, car pouvant avoir une influence sur notre appréhension de l'endettement, figure l'inflation. Celle-ci est faible depuis des années, malgré une politique monétaire très expansive. Plusieurs explications sont avancées : la persistance de surcapacités de production, notamment en Chine, la persistance du chômage et la modération salariale, ou encore le biais déflationniste du progrès technique, celui-ci se manifestant désormais davantage par des baisses de prix que par des augmentations de la valeur des productions. Mais une reprise de l'inflation par les coûts, notamment ceux de l'énergie, pourrait changer la donne.

Or, la reprise de l'inflation aurait un effet ambivalent sur la dette publique : dans un premier temps, elle rognerait la valeur réelle de la dette et ferait baisser le taux d'intérêt réel, mais dans un second temps, on s'exposerait à un durcissement de la politique monétaire et à une remontée des taux, ce qui renchérirait le coût de la dette. Le rapport économique social et financier qui chaque année accompagne le projet de loi de finances se livre d'ailleurs à l'exercice du calcul de l'impact d'une hausse des taux de 1 % sur la charge de la dette. Cet exercice montre qu'à un horizon de 10 ans (2031), un tel choc augmenterait la charge de la dette de 29 milliards d'euros, soit un quasi-doublement par rapport aux dépenses actuelles au titre des intérêts de la dette.

Nous disposons de plusieurs solutions pour, à l'avenir, traiter notre dette publique.

La première solution consiste à faire rouler la dette, comme nous le faisons depuis des années, c'est-à-dire à emprunter pour rembourser. On peut profiter d'un contexte de taux favorable pour allonger les durées de maturité de la dette et se prémunir contre d'éventuelles hausses futures des taux. Pour rouler la dette avec succès, il faut maintenir la confiance des marchés financiers afin de conserver des taux bas, ce qui suppose d'afficher et de tenir un objectif de maintien du ratio dette/PIB. C'est le scénario préconisé par le rapport Arthuis de mars 2021, qui l'estime tenable à l'horizon 2030, mais à condition de connaître une situation de croissance économique, de rechercher une meilleure maîtrise de la dépense publique et de poursuivre cette stratégie sur le long terme.

Une deuxième solution consiste à cantonner la dette, par exemple la dette Covid, ou à mutualiser nos dettes à l'échelle de l'Europe. Le cantonnement a déjà été expérimenté avec la dette sociale et la CADES. Il présenterait aujourd'hui un intérêt limité, si ce n'est d'affichage avec une dette de l'État qui serait diminuée, mais pas la dette au sens de Maastricht. La mutualisation des dettes en Europe est une piste plus intéressante, qui a commencé à être mise en oeuvre avec le programme SURE et désormais le programme NextGenEurope. Elle pourrait alléger la dette nationale et faire bénéficier les pays de ressources aux taux les plus faibles.

Une troisième solution a été lancée dans le débat public par des économistes, depuis environ un an : c'est celle de l'annulation des dettes, ou plutôt de la part des dettes détenues par la BCE et l'Eurosystème. L'annulation a été jusque-là un outil de crise, mis en oeuvre de manière contrainte et forcée, quand tout va mal.

L'idée des promoteurs de l'annulation serait de faire une annulation « en temps de paix », des seules créances détenues par la banque centrale. En effet, la BCE a racheté aux banques des quantités considérables de titres publics dans le cadre de sa politique monétaire non conventionnelle. En France, c'est la Banque de France qui détient les titres de dette française.

Il suffirait alors d'effacer ces dettes et le ratio dette/PIB serait réduit d'autant. La Banque de France ne toucherait plus les intérêts de la dette de l'État, qui sont toutefois reversés ensuite à l'État sous forme de dividendes, ce qui aboutirait à un jeu à sommes nulles. Or, si cette solution est techniquement possible - au prix cependant de fonds propres négatifs de plusieurs centaines de milliards d'euros pour la Banque de France - on peut se demander quel en serait l'intérêt économique.

Nous empruntons aujourd'hui à des taux bas. Certes, baisser ainsi, artificiellement, le taux d'endettement, pourrait donner de nouvelles marges de manoeuvre pour effectuer des dépenses publiques, notamment pour investir dans la transition écologique. Mais si nous perdions la confiance des marchés qui pourraient y voir le signe d'un possible défaut futur sur la dette publique globale et appliquer une prime de risque à notre dette souveraine, nos conditions d'emprunt se dégraderaient. En outre, une telle opération qui consisterait à monétiser le déficit est strictement interdite par les traités européens.

La quatrième solution consiste en un retour officiel et assumé à la monétisation de la dette publique. Cette pratique est elle aussi totalement interdite par les traités européens, essentiellement pour contenir tout risque inflationniste. Or, malgré des injections constantes et massives de liquidités dans l'économie, cette reprise de l'inflation ne s'est pas concrétisée. On pourrait donc monétiser sans crainte ? Cette conclusion est un peu hâtive car repartir dans cette voie nécessiterait de fixer de nouvelles règles en Europe, règles qui sont probablement inacceptables pour beaucoup de nos partenaires, et donc de remettre en cause l'euro.

Plutôt que de débattre du ratio dette/PIB, nos débats devraient plutôt se concentrer sur la stratégie à choisir et ce qu'elle implique.

Je terminerai par une remarque sur la politique monétaire. Celle-ci a une grande influence sur la manière dont on peut gérer la dette. Or, elle montre des signes d'essoufflement. Le canal monétaire classique par les banques ne permet pas des relances vigoureuses et rapides de l'activité. C'est donc la politique budgétaire qui doit supporter l'essentiel de l'effort en bas de cycle. Une idée est avancée par des économistes et mériterait d'être mise en discussion : la distribution directe de monnaie par les banques centrales aux agents économiques. C'est la piste de la « monnaie hélicoptère », qui nous a été présentée et qui est fort intéressante.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - En conclusion de notre rapport, nous avons identifié plusieurs scénarios et faisons quelques propositions.

Au préalable, je souligne que pour prévenir les crises de dette, un aspect est particulièrement important : la confiance. Les crises de dette s'apparentent en effet à des mouvements de panique collective, largement auto-réalisatrices. Donc garder confiance dans notre capacité à faire face à nos échéances et à vivre avec une dette publique élevée est essentiel.

Cette confiance pourrait se renforcer si le premier scénario que nous envisageons se réalisait. Ce scénario est celui de la stabilisation réussie. C'est celui que nos Gouvernements espèrent et annoncent depuis des années. Il passe par un petit peu plus de croissance, la poursuite d'une politique de taux bas par la BCE, et la recherche d'une réduction des déficits publics.

Il se heurte pourtant à des perspectives incertaines : la croissance ne se décrète pas, et il n'y a aucune garantie qu'elle soit forte si les politiques budgétaires sont restrictives. Les taux d'intérêt sont bas mais pourraient ne pas le rester si l'inflation repartait. Enfin, nous avons des besoins forts d'investissements publics et les dix dernières années ont montré que nous ne savons pas réduire rapidement les déficits. Dans ce scénario, on pourrait « rouler tranquille », mais cela ne sera possible que si de nombreux paramètres se combinent en même temps.

A l'inverse, le deuxième scénario est celui redouté : faible croissance, remontée des taux conduiraient à dégrader les conditions de financement d'une dette devenue très élevée. Pour maintenir le ratio dette/PIB, il faudrait alors un ajustement budgétaire massif, au double risque d'un effet récessif prononcé, rendant cette stratégie incapable de modifier le ratio dette/PIB, et de tensions sociales et politiques, du fait de la brutalité du plan d'austérité qui serait imposé au pays.

Si dans le même temps, les écarts s'accroissaient entre pays de la zone euro, certains connaissant une plus forte croissance et une amélioration de leurs comptes publics, se poserait à terme la question de la pérennité de l'euro, avec la perspective d'une crise de dette souveraine d'une ampleur bien plus importante que celle de la Grèce au début des années 2010. Dès lors deux choix seraient possibles : soit faire défaut sur une partie de la dette et reprendre notre autonomie monétaire, soit appliquer un « remède de cheval » à la grecque pour rétablir rapidement les comptes publics et dégager des excédents primaires.

Un troisième scénario est envisagé, c'est celui de la dette vertueuse. Il convient de rappeler que la dette publique n'est pas mauvaise en soi, bien au contraire. Lorsqu'elle permet de financer des dépenses collectives utiles, assurant un meilleur niveau d'éducation, un environnement favorable à l'activité, contribuant à la transition écologique, la dette est pertinente. Elle sert ainsi à réduire des déséquilibres autres que financiers. Les marchés peuvent financer jusqu'à de très hauts niveaux l'endettement des État si la solidité de ces derniers garantit globalement leur solvabilité à long terme.

Au final, nous insistons sur l'importance d'avoir un débat politique sur la question de la dette, en mettant au centre la notion de choix collectifs. Ce débat doit être porté à l'échelle de l'Union européenne, pour cesser le fétichisme des chiffres, les 3 % ou les 60 %, aujourd'hui totalement dépassés. La période récente a montré que la BCE pouvait s'affranchir de l'esprit des traités pour soutenir l'économie. On devrait pouvoir aussi le faire pour la politique budgétaire.

Pour finir, voici les propositions qui figurent à la fin de notre rapport :

Proposition n°1 : organiser un débat démocratique ouvert et transparent sur la stratégie d'endettement de la France à moyen terme, et définir des signaux d'alerte (taux d'intérêt, croissance) qui nécessiteraient un nouveau débat au Parlement ;

Proposition n°2 : mieux évaluer les actifs publics qui peuvent être mis en regard de la dette ;

Proposition n°3 : construire de nouveaux outils de suivi des détenteurs de la dette publique, résidents et non-résidents ;

Proposition n°4 : effectuer une veille approfondie des débats et stratégies relatifs à la dette dans tous les pays de l'Union européenne et peser pour une meilleure coordination visant à prévenir la défiance vis-à-vis de la dette souveraine d'un ou plusieurs États membres, qui pourrait rejaillir sur la crédibilité de l'euro.

Proposition n°5 : ouvrir le débat à l'échelle européenne sur les buts de la politique monétaire européenne : lutter contre l'inflation mais aussi soutenir la croissance et éviter les crises.

Mme Christine Lavarde , vice-présidente . - Merci pour cet excellent travail qui trouvera, j'en suis sûre, ses lecteurs. La question de la dette intéresse et inquiète nos concitoyens, j'en veux pour preuve cette enquête de l'IFOP pour l'Observatoire des politiques publiques publiée aujourd'hui même, dans laquelle 81 % des Français se déclarent inquiets du niveau de la dette publique, et 37 % jugent la situation du pays très inquiétante. Ce sujet est au coeur de notre actualité au Parlement : hier, nous discutions du mécanisme européen de stabilité (MES), auquel font écho les remarques d'Éric Bocquet sur la nécessité de coordonner nos stratégies ; et nous sommes en train d'examiner le PLF et le PLFSS, qui nous rappellent que chaque nouvelle dépense est une nouvelle augmentation de la dette.

M. Cédric Perrin . - Ce rapport nous concerne au plus haut point, et plus encore nos enfants et nos petits-enfants. Une question m'intéresse : lors de vos auditions, lequel des différents scénarios que vous présentez a semblé le plus probable à vos interlocuteurs ?

M. Éric Bocquet , rapporteur . - Avec Sylvie Vermeillet, nous avons volontairement souhaité que ce rapport ne soit pas conclusif, mais plutôt qu'il ouvre différents scénarios. Les auditions ont permis d'entendre des positions opposées, par exemple entre Jézabel Couppey-Soubeyran et Jean-Marc-Daniel...

M. Cédric Perrin . - Les optimistes et les pessimistes...

M. Éric Bocquet , rapporteur . - Disons plutôt que Jézabel Couppey-Soubeyran figure parmi les signataires d'une tribune parue dans Le Monde en février dernier appelant à annuler les dettes publiques, là où Jean-Marc Daniel estime cela inutile. Nous avons surtout essayé de desserrer l'étau idéologique, de sortir du discours « mécaniste » entendu depuis des années qui nous répète qu'il n'y a pas d'autre solution.

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure . - Tous les experts que nous avons entendus avaient un dénominateur commun, qu'ils soient parmi les « inquiets » prônant un contrôle vertueux des déficits ou parmi les « optimistes » voulant profiter des bonnes conditions de marché actuelles. Ce dénominateur commun est l'importance de la confiance : ce qui importe n'est pas tant le niveau de la dette que son flux, c'est-à-dire la manière de garder - ou non - la confiance des prêteurs. L'Allemagne ou le Japon empruntent facilement : imaginons un instant qu'ils perdent la confiance des investisseurs...

Reste que pour ma part, je suis plutôt de ceux qui pensent que l'annulation de la dette détenue par la BCE ne servirait à rien : ce n'est rien d'autre qu'un artifice comptable, un déplacement dans le bilan sous forme de fonds propres négatifs.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - Et pourtant, c'est bien un paradoxe assez sidérant qui a lancé nos travaux, et que résume le graphique qui figure dans le résumé de notre rapport, dénommé « l'Essentiel » : alors que le poids de la dette dans le PIB ne cesse d'augmenter, son coût moyen, lui, continue de baisser. Les courbes se sont croisées vers l'an 2000 et l'écart, depuis, se creuse. Nous avons assisté à une séance d'adjudication à l'AFT : cela permet de se rendre compte que les investisseurs se bousculent pour nous prêter de l'argent.

M. Philippe Dominati . - Le problème, tout de même, est que la confiance reste quelque chose d'aléatoire. À la limite, la dette ne serait pas un problème s'il y avait en face une capacité de remboursement. Mais le niveau de pression fiscale en France est déjà parmi les plus élevés au monde : nous n'avons pas de marge de ce côté-là. Ce qui m'inquiète, c'est donc bien le cumul d'un niveau de dette élevé et d'un niveau de prélèvements obligatoires élevé.

Mme Vanina Paoli-Gagin . - S'agissant de l'hypothèse du cantonnement, permettez-moi de rappeler le précédent de la CADES, créée en 1996 pour une durée qui ne devait en aucun cas excéder treize ans, et qui existe toujours aujourd'hui...

Par ailleurs, au-delà du montant de la dette, il convient de la rapporter au PIB, et surtout de regarder sa structure : les dépenses d'investissement et de fonctionnement ne se valent pas.

M. Patrick Chauvet . - La confiance est une belle valeur, mais reste aléatoire. Qui apporte la confiance ? Autrement dit : qui finance la dette publique française ? Ne pas savoir cela nous plonge dans un brouillard assez épais.

Mme Cécile Cukierman . - Bravo pour votre travail sur un sujet inévitablement complexe et technique, mais qui pourtant - nous nous rejoignons sur ce point, au-delà de nos différences - est un enjeu politique majeur, qui décide de notre avenir. Il faudrait effectivement distinguer, au-delà du mot « dette », ce qui relève de l'investissement et du fonctionnement. C'est ce que font les collectivités locales.

Je ne peux que souscrire à votre première proposition, organiser un débat démocratique ouvert et transparent sur la stratégie d'endettement de la France. Cela rejoint mon propos : on ne débat pas assez de la dette - mais peut-être n'est-ce pas un hasard, car cela pourrait permettre de la dédramatiser, de rappeler son rôle dans le financement des politiques de solidarité et d'égalité. Et pourquoi pas d'ouvrir une réflexion sur de nouvelles recettes à mettre en face.

M. Olivier Jacquin . - Ce débat est souvent victime d'une confusion sémantique. La dette publique d'un État n'a en réalité rien à voir avec la dette privée d'une entreprise. L'État, quasi-immortel, a la faculté de rouler indéfiniment sa dette ; le chef d'entreprise, lui, doit équilibrer ses comptes.

Je suis aussi choqué que l'on confonde la dette qui accroît le patrimoine de l'État, c'est-à-dire l'investissement, et celle qui ne couvre que des dépenses de fonctionnement. Comme si un banquier traitait de la même façon le client qui sollicite un emprunt immobilier et celui qui vient le voir pour un crédit revolving. S'endetter pour financer des infrastructures publiques ou rénover des logements qui, ensuite, génèreront des économies, cela ne me choque pas.

M. Philippe Dominati . - Il faut tout de même se poser une question importante : que se passe-t-il quand les choses tournent mal ? L'histoire est bien souvent la même : on prend l'argent des citoyens, on bloque leurs avoirs pendant des années. C'est ce qui est arrivé à l'Argentine, ce qui arrive au Liban. J'ai aussi connu le Brésil où, chaque année, l'inflation galopante dévaluait encore davantage la monnaie.

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure . - Nous avons parlé de la banqueroute : nous ne disons pas que c'est une solution, mais c'est bien quelque chose qui arrive.

Quand tout va mal, la première conséquence est la perte de souveraineté. Après la Première Guerre mondiale, l'Autriche, endettée, avait demandé la tutelle de l'Allemagne ; la SDN s'était interposée mais avait imposé au pays des efforts très difficiles, et nommé un gouverneur non-autrichien.

Philippe Dominati pose la question des marges de manoeuvre pour le remboursement de la dette : je pense que ce n'est pas le problème principal, car nous refinançons notre dette - à hauteur de 300 milliards d'euros par an. La question centrale, c'est celle de la manière dont on utilise cet argent.

Je rejoins Vanina Paoli-Gagin sur le cantonnement : oui, c'est clairement une mesure d'affichage. C'est ainsi que le PLF pour 2022, par exemple, annule visuellement la dette Covid.

La question de Patrick Chauvet sur les détenteurs de la dette publique française est légitime. On nous dit qu'elle est détenue à 49,5 % par des non-résidents, essentiellement des banques centrales et des investisseurs institutionnels, mais au-delà de ce chiffre, les choses sont floues... Du reste, cela change en permanence : quelque 20 milliards d'euros changent de main chaque jour, de sorte que la répartition au 31 décembre de chaque année ne veut pas dire grand-chose. Enfin, le fait que la moitié de notre dette soit détenue par des investisseurs étrangers est aussi bon signe, cela veut dire qu'ils ont confiance. Ce qui m'inquiète bien davantage, c'est que notre patrimoine industriel, notre patrimoine intellectuel, notre patrimoine tout court, soit détenu par des non résidents.

Je rejoins Cécile Cukierman : oui, il faut dédramatiser le débat sur la dette, en nous intéressant davantage au flux de la dette qu'à son niveau total. La dette n'est pas un mal nécessaire, c'est un outil nécessaire - et elle l'est depuis le Moyen-Âge, époque où la mise en place d'un système bancaire a permis une expansion économique très importante.

Olivier Jacquin a raison de rappeler qu'une dette publique n'est pas une dette privée, et que l'État-emprunteur est pour ainsi dire immortel, c'est ce qui explique les taux négatifs actuels. La France n'a pas fait défaut depuis la Banqueroute des deux tiers au lendemain de la Révolution. Cela dit, il ne faudrait pas pour autant oublier la nécessité d'afficher une gestion budgétaire saine.

C'est bien pour cela qu'il faut que la dette que nous contractons de nouveau soit utilisée pour financer des investissements au profit des générations à venir. Afin qu'à la remarque : « chaque Français vient au monde avec une dette de tel montant », on puisse répondre : « oui, mais il vient aussi au monde avec un actif ». De plus, l'investissement de l'État dans des secteurs importants pour l'avenir, cette « dette verte » liée à la décarbonation, est plus ou moins coûteux selon les secteurs. Un rapport estime ainsi qu'il suffit d'investir 150 euros dans l'industrie pour permettre l'émission d'une tonne de CO 2 en moins, alors qu'il s'agit plutôt de 500 euros dans le secteur tertiaire ou les bâtiments publics, comme les églises par exemple. Le Parlement est en droit d'exiger un retour sur investissement ; nous pouvons nous permettre d'être exigeants sur la qualité de notre dette, et non pas seulement sur sa quantité.

M. Éric Bocquet , rapporteur . - Je rejoins aussi les propos de Cécile Cukierman : les mots ne sont pas anodins. À cet égard, l'expression « dette souveraine » est presque un oxymore, car on n'est pas libre, donc pas souverain, lorsqu'on est endetté. Pour citer Gilles Deleuze, « l'homme n'est plus l'homme enfermé, mais l'homme endetté ».

L'hypothèse du cantonnement avait un temps été évoquée par certains, notamment Bruno Le Maire. À titre personnel, je n'y crois pas, car cela impose de trouver une ressource à mettre en face - mais, si le Gouvernement souhaite rétablir l'ISF, il aura bien entendu mon soutien... Bref, on sort difficilement de ce type de montage, comme le montre le précédent de la CADES.

Cette année, comme chaque année depuis 1975, la France va aisément refinancer sa dette tout en affichant un déficit budgétaire : cela montre bien qu'il faut en finir avec le discours catastrophiste, et c'est l'un des objectifs de notre rapport.

Qui détient la dette publique française ? Nous avons échangé sur cette question avec le nouveau directeur de l'AFT, et il est vrai qu'il est difficile d'y répondre, puisque cela change chaque jour à hauteur de 20 milliards d'euros. Il n'empêche : c'est une question d'indépendance, et j'en fais une question politique.

Je pense également qu'il faut cesser de comparer la dette de l'État à la dette d'une entreprise : c'est précisément ce type de discours, avec son vocabulaire installé de catastrophisme et de culpabilisation, qui nous bloque. On se dit : « c'est vrai, on ne peut pas dépenser l'argent qu'on n'a pas ». Pourtant, comme l'an dernier, le budget voté cette année sera financé par autant d'impôts que de dette.

Tous les pays n'ont pas cette chance. Je comprends à présent pourquoi Philippe Marini, alors président de la commission des finances, expliquait en 2011 que la Grèce aurait dû sortir de la zone Euro : elle se retrouve aujourd'hui avec un ratio dette/PIB insoutenable. Progressivement, une solidarité européenne se dessine, notamment avec le récent plan de 750 milliards d'euros - mais en la matière, tout reste à inventer.

À titre personnel, je pense que nous devrions à terme réfléchir à un nouveau mode de financement de l'État. Après tout, la BCE a d'ores et déjà outrepassé son mandat : dans les faits, en détenant plus de 20 % de notre dette, elle se comporte comme la Federal Reserve américaine ou la Banque d'Angleterre. Ensuite, pourquoi ne pas faire appel à l'épargne des Français ? C'est ce que font les Japonais. Le rapport n'évoque pas ces pistes, qui relèvent d'un choix politique.

M. Mathieu Darnaud , président . - Je remercie nos deux rapporteurs pour la qualité de leur rapport et des auditions qu'ils ont organisées, en particulier l'audition publique de Jézabel Couppey-Soubeyran et Jean-Marc Daniel. Si la prospective a un sens, alors le sujet de la dette publique mérite que l'on y regarde d'un peu plus près - ou devrais-je dire d'un peu plus loin, à l'heure où la crise sanitaire nous pousse à réfléchir à court terme. Les scénarios que vous proposez nous donnent de la matière, et l'on voit bien qu'au-delà de la technique, tout ceci est éminemment politique.

Notre délégation à la prospective autorise-t-elle la publication du présent rapport, intitulé : « L'avenir des dettes publiques : une question politique » ? Je ne vois pas d'opposition.

La délégation autorise à l'unanimité la publication du rapport.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Auditions des rapporteurs

• Université de Lille : M. Laurent Cordonnier, économiste et professeur (mardi 29 juin 2021)

• Institut Montaigne : M. Eric Chaney, conseiller économique (mardi 29 juin 2021)

• Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) : M. Benjamin Lemoine , sociologue et chercheur (mercredi 30 juin)

• Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) : M. Raoul Sampognaro, économiste (mercredi 30 juin)

• Fipeco : M. François Ecalle , Président de Fipeco et ancien conseiller maître à la Cour des Comptes (mercredi 30 juin)

• Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) : M. Xavier Ragot, Président de l'Observatoire des Conjonctures Économiques (mardi 6 juillet)

• Paris-Sorbonne : M. François Facchini , économiste et professeur (mardi 6 juillet)

• AF2I : M. Hubert Rodarie , essayiste et Président de l'AF2I (mardi 21 septembre)

• Cour des comptes : M. Jacques Rigaudiat , conseiller maître à la Cour des Comptes et essayiste (mardi 21 septembre)

• Sciences politiques de Bordeaux : M. Edwin Le Heron (mardi 28 septembre)

• Initiative-finance : M. François-Xavier Oliveau, Directeur associé (mardi 28 spetembre)

• Banque de France : M. Daniel Beau , Sous-Gouverneur (12 octobre)

• Paris-Sorbonne : M. Gael Giraud , professeur à la Sorbonne et chercheur au CNRS (jeudi 14 octobre).

• Université Paris 1 : Mme Jézabel Couppey-Soubeyran , économiste (jeudi 7 octobre)

• ESCP Business School : M. Jean-Marc Daniel , économiste français, professeur émérite à l'ESCP (jeudi 7 octobre)

Déplacement :

• Agence France-Trésor (lundi 25 octobre) : M. Cyril Rousseau , directeur général et Mme Julika Courtade-Gross , directrice générale adjointe.


* 1 Andreau, J., Beaur G., Grenier, J.Y.(2006) La dette publique dans l'histoire . « Les Journées du Centre de Recherches Historique » des 26, 27 et 28 novembre.

* 2 Ibid

* 3 Grenier, J. (2012). La longue durée des dettes publiques : l'Europe et les autres. Politique étrangère, 11-22. https://doi.org/10.3917/pe.121.0011 .

* 4 Lutfalla, M. ( 2017) Une histoire de la dette publique en France, Classiques Garnier Paris, (p.2).

* 5 Graeber, D. (2013) Dette 5000 ans d'histoire, traduit de l'anglais par Françoise et Paul Chemla, Paris, Les liens qui Libèrent, (p.263).

* 6 Graeber, D. , Dette 5000 ans d'histoire, traduit de l'anglais par Françoise et Paul Chemla, Paris, Les liens qui Libèrent, 201 (p 60)

* 7 Sarthou-Lajus, N. (2012). Le juste sens de la dette. Dans : , N. Sarthou-Lajus, Éloge de la dette (pp. 7-13). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.

* 8 Guérin, I. (2012). La dette est-elle bonne ou mauvaise ? : Les leçons du microcrédit. Multitudes , (p.49, p.192-197) https://doi.org/10.3917/mult.049.0192

* 9 Graeber , D. (2013) Dette 5000 ans d'histoire, traduit de l'anglais par Françoise et Paul Chemla, Paris, Les liens qui Libèrent, 201, (p 112)

* 10 Saint- Augustin , Les Confessions, I.13, chap.14, coll. « Folio » (p 309)

* 11 Sarthou-Lajus, N . (2012). Le juste sens de la dette. Dans : , N. Sarthou-Lajus, Éloge de la dette (pp. 7-13). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.

* 12 Sarthou-Lajus, N. (1997). La dette, le devoir, la faute. Dans : , N. Sarthou-Lajus, L'éthique de la dette (pp. 95-112). Paris, France: Presses Universitaires de France.

* 13 Thiveaud Jean-Marie. L'ordre primordial de la dette : Petite histoire panoramique de la faillite, des origines a` nos jours. In: Revue d'économie financière, n°25, 1993. Droit et finance. pp. 67-106.

* 14 Graeber, D. (2013) Dette 5000 ans d'histoire , traduit de l'anglais par Françoise et Paul Chemla, Paris, Les liens qui Libèrent, (p 148).

* 15 Tricaud, F . (2001) L'accusation, recherche sur les figures de l'agression éthique, Dalloz (p.121).

* 16 Thiveaud, J.-M. (1993) L'ordre primordial de la dette : Petite histoire panoramique de la faillite, des origines a` nos jours. In: Revue d'économie financière, n°25, Droit et finance (pp.67-106).

* 17 https://www.lesedc.org/wp- content/uploads/2017/05/cahier_le_chretien_et_la_dette_2016_web_0.pdf

* 18 Article 1er de la seconde Convention de La Haye

* 19 Toussaint, E. (2017 ) Le système dette, histoire des dettes souveraines er de leur répudiation, Les liens qui Libèrent

* 20 Graeber, D. (2013) Dette 5000 ans d'histoire, traduit de l'anglais par Françoise et Paul Chemla, Paris, Les Liens qui Libèrent (p 12-13).

* 21 Kiechel, A.-L. (2020) Dette et souveraineté in Le cercle Turgot : la dette, potion magique ou poison mortel, Télémaque.

* 22 Toussaint, E. (2017) Le système dette, histoire des dettes souveraines er de leur répudiation, Les Liens qui Libèrent.

* 23 Michel Lutfalla, Une histoire de la dette publique en France, Classiques Garnier, Paris, 2017,

p 42

* 24 C.-M. Reinhart et K.-S. Rogoff, This Time is Different. Eight Centuries of Financial Folly , Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2009, p. 99 et p. 100.

* 25 1953, la dette allemande est divisée par deux | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

* 26 Boudet, J. (2015). Essai sur le défaut souverain. Revue internationale de droit économique , XXIX, 373- 395. https://doi.org/10.3917/ride.293.0373

* 27 Quand la France remboursait sa dette (lemonde.fr)

* 28 L'après-1815 : un siècle de convalescence pour la dette britannique | Les Échos

* 29 Le cercle Turgot : la dette, potion magique ou poison mortel, Télémaque, 2020

* 30 Grjebine, T. (2021). III/ Comment (di)gérer des dettes publiques élevées ?. Dans : CEPII éd., L'économie mondiale 2022 (pp. 41-56). Paris: La Découverte.

* 31 Huart, F. (2016). 11. La dynamique de la dette publique. Dans : , F. Huart, Économie des finances publiques: Cours (pp. 231-245). Paris: Dunod.

* 32 https://www.touteleurope.eu/histoire/histoire-de-l-union-economique-et-monetaire-et-de-l-euro/

* 33 https://www.vie-publique.fr/fiches/21796-pourquoi-lunion-europeenne-t-elle-instaure-une-monnaie- unique

* 34 Pourquoi la BCE est-elle indépendante ? (europa.eu)

* 35 Fipeco - Fiche

* 36 Ducoudré, B., Plane, M., Ragot, X., Sampognaro, R., Saraceno, F. & Timbeau, X. (2018). Refonte des règles budgétaires européennes. Revue de l'OFCE , 158, 307-330. https://doi.org/10.3917/reof.158.0307

* 37 Blanchard, O., Leandro, A. & Zettelmeyer, J. (2021). Comment réformer la discipline budgétaire européenne ?. Commentaire , 174, 295-308. https://doi-org.acces-distant.sciencespo.fr/10.3917/comm.174.0295

* 38 Ducoudré, B., Plane, M., Ragot, X., Sampognaro, R., Saraceno, F. & Timbeau, X. (2018). Refonte des règles budgétaires européennes. Revue de l'OFCE , 158, 307-330. https://doi.org/10.3917/reof.158.0307

* 39 Source : https://data.oecd.org/gga/general-government-debt.htm

* 40 https://www.fipeco.fr/commentaire/Les%20finances%20publiques%20en%20France%20et%20en%20Allemagne%20de%201996%20%C3%A0%202020

* 41 https://www.oecd.org/daf/fin/public-debt/Sovereign-Borrowing-Outlook-in-OECD-Countries-2021.pdf

* 42 https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/11563335/2-22102021-AP-FR.pdf/63061764-1229-3ff0-3f30-f39e22880f63?t=1634889919043

* 43 https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/11563191/2-22072021-AP-FR.pdf/9eab0ce7-116f-8600-1dea-4873f2f09cb1?t=1626942673542

* 44 https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/11563335/2-22102021-AP-FR.pdf/63061764-1229-3ff0-3f30-f39e22880f63?t=1634889919043

* 45 Source : https://www.fipeco.fr/fiche/Les-d%C3%A9finitions-du-d%C3%A9ficit-et-de-la-dette-publics

* 46 Définition - Dette au sens de Maastricht (comptabilité nationale) / Dette publique notifiée / Dette publique notifiée | Insee

* 47 https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2189

* 48 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381402

* 49 https://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r2738.asp

* 50 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381414

* 51 https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/10474887/2-27022020-AP-FR.pdf/c5611035-670a-bfc2-7acd-80bbe9c1291c

* 52 Brender, A., Pisani, F. & Gagna, É. (2021). Économie de la dette. Paris: La Découverte.

* 53 https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note036v2.pdf

* 54 Le taux d'intérêt réel est le taux d'intérêt nominal minoré du taux d'inflation. Lorsque le taux nominal est à 2 % et l'inflation à 2 %, le taux d'intérêt réel est nul.

* 55 Le solde primaire est le solde budgétaire (excédent ou déficit calculé hors paiement des intérêts de la dette.

* 56 On peut distinguer 3 types de taux directeurs :

- Le taux de refinancement des banques commerciales qui est le taux auquel elles peuvent obtenir des liquidités auprès de la banque centrale.

- Le taux de rémunération des dépôts qui est le taux appliqué aux dépôts dont disposent les banques commerciales auprès de la banque centrale, notamment au titre des réserves obligatoires que les banques doivent détenir.

- Le taux d'escompte (ou taux de prêt marginal), qui est le taux auquel les banques commerciales empruntent des liquidités en échange d'apports de créances.

* 57 Source : https://www.banque-france.fr/intervention/les-taux-bas-quelles-causes-et-quels-effets-pour-la-france

* 58 https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/quel-bilan-tirer-de-la-mise-en-oeuvre-du-mecanisme-de-tiering

* 59 Pierre-Yves Cusset, Regards sur l'économie, 2015.

* 60 Pierre-Yves Cusset, Regards sur l'économie, 2015.

* 61 Les actifs financiers sont constitués des dépôts, du numéraire, des actions que détiennent les collectivités et les actifs non financiers sont les terrains, infrastructures, souvent évalués de manière imprécise et surtout incomplète.

* 62 Guerrien, B. (2003). 15. “L'endettement public est le fardeau des générations futures”. Dans : Les éconoclastes éd., Petit bréviaire des idées reçues en économie (pp. 152-160). Paris: La Découverte

* 63 Jérome Creel, Eric Heyer, Mathieu Plane, Côme Poirier, Xavier Ragot, Francesco Saraceno, Xavier Timbeau, Dette publique : un changement de paradigme et après, OFCE policy brief n°92, 6 octobre 2021

* 64 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5427345

* 65 Voir le rapport d'information n° 3124 sur la dette publique du rapporteur général de l'Assemblée nationale, Laurent Saint-Marti, publié en juin 2020 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b3124_rapport-information#_Toc256000032

* 66 https://www.vie-publique.fr/rapport/279092-commission-sur-lavenir-des-finances-publiques

* 67 https://laviedesidees.fr/Dette-publique-debat-confisque.html

* 68 https://www.aft.gouv.fr/files/medias-aft/7_Publications/7.2_BM/377_Bulletin%20mensuel%20octobre%202021.pdf

* 69 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4268033 et https://www.insee.fr/fr/statistiques/2854085

* 70 https://www.cae-eco.fr/que-peut-encore-faire-la-banque-centrale-europeenne

* 71 https://www.lesechos.fr/monde/europe/linflation-a-3-en-zone-euro-au-plus-haut-depuis-10-ans-1342026

* 72 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2021/10/05/publication-du-rapport-economique-social-et-financier-plf-pour-2022

* 73 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/4d8d835e-2d71-4467-8a46-28f83adef2e1/files/b70905e6-ff3a-4948-8710-be29862027b1

* 74 https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/la-bce-doit-elle-sinquieter-de-laugmentation-recente-de-linflation/#more-12462

* 75 https://publications.banque-france.fr/comment-expliquer-la-faiblesse-de-linflation-en-zone-euro-depuis-2013

* 76 https://www.institutsapiens.fr/wp-content/uploads/2019/04/Rapport-dividende-monetaire-1.pdf

* 77 Les emprunts à moyen et long terme sont souscrits sous la forme d'Obligations assimilables du trésor (OAT), titres négociables d'une durée supérieure à un an, tandis que la gestion de trésorerie à court terme est assurée par l'émission de Bons du Trésor à taux fixe et intérêts précomptés (BTF), d'une maturité inférieure à un an.

* 78 https://www.aft.gouv.fr/fr/rapports-activite

* 79 https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsP ublics/2021/PJ%20n%C2%B01%20- %20Trajectoires%20et%20soutenabilit%C3%A9%20de%20la%20dette%2Bcouv.pdf

* 80 https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2021/OFCEpbrief93.pdf

* 81 https://www.budget.gouv.fr/reperes/finances-publiques/articles/presentation-du-programme-de-stabilite-2021-2027

* 82 Le solde stabilisant (SPS) est le déficit ou l'excédent budgétaire qu'il faut dégager pour maintenir stable le ratio de dette/PIB d'une année sur l'autre. En prenant en compte le taux d'intérêt réel (i), le taux de croissance réel (g) et le stock de dette initial (d), il peut être ainsi calculé : SPS = (i-g)xd.

* 83 https://www.senat.fr/seances/s202103/s20210302/s20210302004.html

* 84 https://www.institut-rousseau.fr/dette-publique-qui-gardera-les-gardiens/?utm_source=briefeco&referrer=briefeco

* 85 https://ec.europa.eu/info/files/nextgenerationeu-funding-strategy_fr

* 86 https://annulation-dette-publique-bce.com/

* 87 https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/dettes-publiques-les-banques-centrales-a-la-rescousse/

* 88 Voir sur le sujet une note de la Fondapol : https://www.fondapol.org/etude/relocaliser-la-production-apres-la-pandemie/

* 89 https://ec.europa.eu/eurostat/documents/portlet_file_entry/2995521/6-15022021-BP-FR.pdf/a96fc403-0616-3111-22ef-d0635cecf19f

* 90 La fable de la grenouille postule qu'une grenouille jetée dans un bocal d'eau bouillante saute en dehors du bocal immédiatement pour sauver sa vie, alors que si elle est installée dans une eau froide portée progressivement à ébullition, elle s'habituera peu à peu à la chaleur et finira morte ébouillantée

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