B. L'ACCUEIL EN PROTECTION DE L'ENFANCE : UNE DÉGRADATION DE LA SITUATION MALGRÉ UNE PRISE DE CONSCIENCE SALUTAIRE SUR L'ACCUEIL DANS LES HÔTELS

1. La saturation globale des dispositifs d'accueil de la protection de l'enfance

Le nombre de mesures d'aide sociale à l'enfance a augmenté de 28 % de 2007 à 2021. En particulier, la croissance de l'effectif des enfants accueillis à l'ASE, notamment dans le cadre des mesures judiciaires de placement, a été particulièrement soutenue (+ 39,3 %), passant de 146 851 en 2007 à 204 492 en 2021. Les actions éducatives, à domicile ou en milieu ouvert, ont également augmenté en nombre mais diminué en proportion.

Dans ce contexte d'accroissement continu du nombre d'enfants accueillis par les services départementaux, l'application des réformes touchant la protection de l'enfance est d'autant moins aisée qu'il existe, selon les mots de Charlotte Caubel « une triple pression sur les dispositifs de protection de l'enfance » liée à l'augmentation des enfants protégés, à l'arrivée importante de MNA et à la pénurie des professionnels du travail social.

Évolution du nombre d'enfants accueillis à l'ASE de 2007 à 2021

Source : Commission des affaires sociales, données de la Drees

Une hausse particulièrement dynamique des placements à l'ASE ces derniers mois a été soulignée en audition sans que cette tendance ne puisse encore être quantifiée. Il semblerait que cette augmentation sensible concerne particulièrement des enfants en très bas âge. La secrétaire d'État Charlotte Caubel fait état d'une « augmentation des placements d'enfants habitant sur notre territoire - avec une hausse de 30 % dans certains départements -, sous l'effet probable de la crise de la covid-19, ainsi que d'une meilleure prise en compte des violences intrafamiliales et de la politique des mille premiers jours, qui entraîne de nombreux placements de nourrissons »41(*).

La saturation des dispositifs d'accueil de la protection de l'enfance est exacerbée par la reprise des flux migratoires, avec une arrivée en grand nombre de jeunes mineurs non accompagnés. Cette reprise s'est amorcée en 2021 et, les chiffres consolidés pour 2022, qui ne sont pas encore disponibles, devraient rendre compte d'une hausse beaucoup plus brutale. L'Assemblée des départements de France (ADF) a annoncé, début mai 2023, le chiffre de 5 000 MNA arrivés en France depuis le 1er janvier42(*). Cette situation contribue à l'embolie des dispositifs départementaux de protection de l'enfance et, selon l'ADF, ne laisse pas d'autres possibilités que de recourir à l'hôtel, au moins pour la mise à l'abri d'urgence.

Nombre de personnes déclarées MNA portées à la connaissance de la cellule nationale

Source : Rapport d'activité de la cellule MNA du ministère de la justice

2. L'inadaptation de l'offre d'accueil au panel de situations des enfants
a) L'accueil des fratries en protection de l'enfance : une prise de conscience

L'article 5 de la loi du 7 février 2022 a réaffirmé le principe selon lequel l'enfant est accueilli avec ses frères et soeurs sauf si son intérêt commande une autre solution. Cette obligation légale43(*) est tributaire de la disponibilité des places adaptées à l'accueil des fratries. La circulaire du garde des sceaux de mai 2022 note que « dans la mesure où la violation de cette disposition n'est pas sanctionnée, il est utile que le juge des enfants et l'ASE s'accordent sur les modalités de mise en oeuvre de cette obligation »44(*).

Les auditions du rapporteur ont fait ressortir qu'il est encore très fréquent que les fratries soient séparées faute de place. L'accueil de l'enfant avec ses frères et soeurs, précisé par les juridictions, s'avère trop souvent un « voeu pieux », selon la formule de Frédéric Chevallier, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Chartres. Le département des Hauts-de-Seine précise que s'il arrive que l'accueil conjoint de fratries ne soit pas possible pour exécuter une ordonnance de placement provisoire (OPP) faute de place disponible à ce moment, le service de l'ASE recherche par la suite à regrouper la fratrie sur un même lieu.

L'accueil des fratries représente un défi de taille pour les services départementaux de l'ASE qui doivent maintenir suffisamment de places inoccupées dans une même structure pour accueillir simultanément plusieurs enfants. Selon les chiffres de la Drees, au 31 décembre 2021, 72 départements n'accueillaient aucun enfant en village d'enfants, structure spécialisée dans l'accueil des fratries.

La stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance (2018-2022) portée par Adrien Taquet prévoyait la construction de 600 nouvelles places dans des établissements accueillant des fratries par un financement de l'État dans le cadre de la contractualisation avec les départements. En l'absence de données précises quant aux résultats de la contractualisation, il est difficile d'apprécier si l'objectif a été atteint. Le secrétariat auprès de la Première ministre chargée de l'enfance précise pour autant que cette action a rencontré un réel succès et a permis d'engager des crédits budgétaires de l'État à hauteur de 7,8 millions d'euros en 2020, 14,6 millions d'euros en 2021 et 15,9 millions d'euros en 2022.

La Cnape confirme la volonté des départements de créer des places dédiées à l'accueil de fratries et leur appétence pour développer le modèle du village d'enfants ; les appels d'offres des départements paraissent se multiplier. En dehors de certains acteurs (SOS Villages d'enfants, Fondation Action enfance, Fondation Apprentis d'Auteuil...), peu d'opérateurs sont actuellement en mesure de proposer cette modalité d'accueil dès lors que « la création d'un village d'enfants prend du temps et, par ailleurs, réclame un savoir-faire qui ne permet pas à tout nouveau venu de s'investir aisément dans ce secteur »45(*).

Les villages d'enfants ne détiennent toutefois pas le monopole de l'accueil des frères et soeurs, lesquels peuvent être confiés à des assistants familiaux disposant d'un nombre suffisant d'agréments ou même être accueillis au sein d'une maison d'enfants à caractère social (Mecs). Gautier Arnaud-Melchiorre, dont la mission a pu rencontrer de nombreuses fratries accueillies dans une même famille d'accueil ou dans une même structure, insiste : « Si les villages d'enfants présentent des modalités spécifiques d'accueil, ces modalités ne sauraient convenir à l'ensemble des enfants, il pourrait être maladroit de considérer qu'en développant une modalité d'accueil, les difficultés des mineurs et des professionnels pourraient être résolues. » Le rapporteur ne peut que souscrire à ces propos.

En dehors de l'accueil sur un même lieu, l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles, issu de l'article 12 de la loi du 14 mars 2016, donne à l'ASE la mission de veiller au maintien des liens d'attachement noués entre l'enfant protégé et ses frères et soeurs, là encore si l'intérêt des enfants le demande. Les départements entendus en audition ont décrit au rapporteur tout un panel de modalités pour respecter cette disposition légale - droits de visite, médiatisations par des techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF), séjours courts entre fratries par un organisme de colonies de vacances, financement de projets vacances d'assistants familiaux permettant la réunion de fratries... Gautier Arnaud-Melchiorre indique que les témoignages recueillis d'enfants protégés ont mis en évidence une meilleure prise en compte ces dernières années des relations qu'ils peuvent entretenir avec leurs frères et soeurs. Il existe toutefois encore des cas dans lesquels les enfants ne rencontrent que très peu, si ce n'est jamais, leurs frères et soeurs en raison de contraintes matérielles (difficultés de transports ou manque d'accompagnement).

b) L'accueil des enfants en situation de handicap : une mission de l'ASE au-delà de la loi

Entre 20 et 25 % des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance seraient en situation de handicap selon les chiffres avancés dans le débat public46(*). Certains bénéficient, en parallèle, d'un accompagnement ou une prise en charge par une structure médico-sociale spécifique comme un institut thérapeutique éducatif et pédagogique (Itep) ou un institut médico-éducatif (IME). Tous, cependant, n'ont pas cette chance et les services de l'ASE doivent souvent mettre en place des accueils dans des structures qui ne sont pas adaptées ou chez des assistants familiaux qui n'ont pas été spécifiquement formés pour ce type d'accueil, voire sont mis devant le fait accompli. D'autres difficultés sont fréquentes telles que l'éloignement géographique entre le lieu d'accueil en protection de l'enfance et la structure spécialisée rendant complexes l'accompagnement du mineur ou les sorties brutales des enfants des IME ou des Itep en périodes de fermeture des structures. Là encore, les enfants sont confiés à l'ASE qui doit organiser en urgence un accueil mal adapté.

Anne Devreese, présidente du CNPE, a souligné au rapporteur le désengagement de l'État dans l'offre médico-sociale en faveur des enfants porteurs de handicap qui aboutit à un transfert silencieux de responsabilité vers les dispositifs départementaux de l'ASE. Le rapporteur ne peut que regretter que ce point, qui avait été souligné lors des débats parlementaires de la loi du 7 février 2022, n'ait pas trouvé de solution et qu'ainsi les enfants protégés en situation de handicap ne disposent pas, en dépit de lois prévoyant une répartition claire des compétences, d'une prise en charge répondant à leurs besoins fondamentaux.

Le Gouvernement avait érigé en priorité la situation des enfants protégés porteurs d'un handicap au sein de la stratégie nationale de la protection de l'enfance. À cette fin, il était prévu la « création de dispositifs souples, croisés entre la protection de l'enfance et le médico-social et qui répondent à l'enjeu de la prise en compte des besoins éducatifs particuliers des enfants ». Les conseils départementaux en lien avec les agences régionales de santé (ARS) devaient notamment mettre en oeuvre une équipe mobile par département et prévoir la création de 50 nouveaux dispositifs ou structures d'ici 2022.

La DGCS fait valoir que 8 417 nouvelles solutions d'accompagnement (dont 4 564 places en IME et 3 415 en Itep) ont été créées, entre 2019 et 2023, soit une augmentation de 5 %. Les difficultés de coordination sont cependant encore importantes entre les acteurs et il est difficile de faire émerger une politique globale en faveur des enfants handicapés confiés à l'ASE.

Lors de son déplacement en Eure-et-Loir, le rapporteur a pu constater les différences d'appréciation entre le conseil départemental qui demande la création d'une structure spécialisée et cherche à mobiliser l'ARS, laquelle privilégie la création d'une équipe mobile.

3. L'accueil chez les tiers dignes de confiance : une solution sans moyens réels ?

En 2021, 13 357 placements directs auprès d'un tiers digne de confiance avaient été décidés par le juge des enfants sur le fondement de l'article 375-3 du code civil. Ce chiffre fait état d'une progression en valeur absolue depuis 2010 (+ 19,9 %) mais, en proportion de l'ensemble des enfants accueillis par l'ASE, les enfants confiés à un autre membre de la famille ou à un tiers ont décru de 7,4 % à 6,5 % en onze ans47(*).

L'article 1er de la loi du 7 février 2022 renforce la priorité donnée à l'accueil de l'enfant par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance en rendant obligatoire l'évaluation, par le service compétent, de cette option préalablement à tout placement judiciaire. En effet, le rapporteur notait en 2021 que « les juges disposent souvent de peu d'informations pour apprécier l'opportunité d'une solution d'accueil chez un tiers digne de confiance ou un membre de la famille »48(*). Cette expertise peut être menée par le service de l'ASE qui a procédé à l'évaluation de la situation de danger du mineur, le service de la PJJ ou un service associatif habilité, dans le cadre d'une mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE) demandée par le juge ou, enfin, le service en charge de la mesure d'AEMO, si la requête concerne le renouvellement de ce type de mesure.

Les auditions ont révélé que l'introduction de ces dispositions dans le droit n'avait pas induit un accroissement des mesures de placement dans l'entourage de l'enfant, qui demeurent très marginales. Elles ne semblent pas avoir induit de retard dans les décisions de placements judiciaires : la circulaire précitée du 3 mai 2022 du ministre de la justice interprète cette disposition légale de telle sorte que l'absence d'évaluation préalable de l'option d'accueil par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance n'est pas sanctionnée par une nullité de procédure mais pourrait toutefois constituer un moyen à l'appui d'un appel interjeté contre une décision de placement.

Pourtant, l'ancien ministre Adrien Taquet, entendu par le rapporteur en audition, a insisté sur l'importance de ces dispositions ; selon son appréciation, l'article 1er est « le plus transformatif de la loi du 7 février 2022 ». L'article 1er demande en effet un changement de pratique des juges mais également une montée en compétence des services évaluateurs qui semble ne pas pouvoir être obtenue à court terme. L'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) estime que « cette nouvelle obligation entre en vigueur alors que le système de protection de l'enfance est déjà sous tension, tant au niveau des évaluations initiales réalisées par les services départementaux de l'ASE qu'au niveau des délais de prise en charge des mesures d'AEMO et MJIE »49(*). La DPJJ fait toutefois état d'une durée d'exécution des MJIE conforme aux objectifs assignés aux services50(*) en s'établissant à 6,4 mois au 30 avril 2023 dans un contexte d'une très légère hausse du nombre de MJIE au civil : 13 128 MJIE civiles au 30 avril 2023 contre 12 956 au 30 septembre 2021.

Florence Dabin, présidente de France enfance protégée, a exprimé, dans sa contribution écrite aux travaux du rapporteur, la même inquiétude : « les études d'impact [...] n'ont pas traité du sujet du premier article de la loi visant à désinstitutionnaliser la protection de l'enfance en obligeant à la recherche de toute solution intrafamiliale ou chez un tiers digne de confiance avant de prendre une mesure judiciaire de placement. Cela nécessite une capacité d'évaluation rapide des situations, un changement “culturel” dans les pratiques de la justice et des services de l'aide sociale à l'enfance, qui pourraient structurellement modifier les modalités d'accueil en protection de l'enfance. Ces effets ont sans doute été souhaités par le législateur, mais insuffisamment appréhendés dans les modalités d'application, ce qui explique peut-être qu'aucune déclinaison actuelle n'est recensée. »

Cette crainte des conséquences financières, ainsi qu'il a été dit plus en amont, a retardé la parution du décret devant définir les conditions dans lesquelles le membre de la famille ou la personne digne de confiance est accompagné par un référent ASE. Pourtant, ces personnes accueillant des enfants protégés peuvent se sentir délaissées par les services de l'aide sociale à l'enfance comme par la justice. Il est donc regrettable que le renforcement de leur nécessaire accompagnement ne soit pas érigé en enjeu prioritaire au niveau national : le GIP France enfance protégée pourrait se saisir de cette question. Certains départements semblent cependant avoir pris la mesure de la difficulté. Selon Anne Troadec, directrice générale adjointe du pôle social du conseil départemental de la Savoie, son département, volontariste sur ce sujet, cherche actuellement à mettre en place les services d'accompagnement des tiers dignes de confiance que la loi impose.

4. L'hébergement hôtelier : une interdiction législative qui commence à produire des résultats
a) La situation antérieure à la loi

Jusqu'à la promulgation de la loi du 7 février 2022, l'hébergement hôtelier des enfants protégés n'était, selon la formule du tribunal administratif de Toulouse, « ni prévu, ni rendu obligatoire par les dispositions du code de l'action sociale et des familles »51(*) sans être non plus interdit. De fait, il était couramment utilisé par les services départementaux de l'ASE selon le rapport de l'Igas de 202052(*) qui, estimait que, fin 2019, la proportion moyenne de mineurs accueillis à l'hôtel s'élevait à 5 % des jeunes pris en charge par l'ASE, ce qui, par extrapolation, représentait entre 7 500 et 10 500 jeunes protégés. Ces chiffres globaux cachaient cependant une grande variabilité : les départements avaient recours à l'hôtel pour une proportion de mineurs variant de 1 % à 18 %. La durée de la prise en charge en hôtel s'établissait en moyenne à 3 mois. Elle pouvait s'étirer pour des délais bien supérieurs de six mois à un an pour les MNA qui sont, le plus souvent, hébergés à l'hôtel le temps qu'une place se libère dans une autre structure.

L'agression homicide d'un jeune confié à l'ASE dans un hôtel, le 11 décembre 2019, par un de ses pairs, a conduit à une prise de conscience collective de la situation, étayée par la saisine de l'Igas sur l'ASE dans les Hauts-de-Seine, et dont a résulté l'article 7 de la loi du 7 février 2022.

À compter de février 2024, hors périodes de vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs, l'accueil des enfants protégés ne sera possible que dans des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) autorisés, sauf à titre exceptionnel dans des structures d'hébergement « jeunesse et sport »53(*) pour répondre à des situations d'urgence ou assurer la mise à l'abri des mineurs et dans une limite de deux mois maximum. Selon les informations communiquées par le Gouvernement, le décret d'application attendu précisera également que les mineurs atteints d'un handicap physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant, reconnu par la maison départementale des personnes handicapées, ne pourront être hébergés dans ces structures.

b) Les effets produits par la loi de 2022

L'interdiction complète de l'accueil à l'hôtel n'interviendra qu'à compter de février 2024, ce délai d'entrée en vigueur porté à deux ans par un amendement du présent auteur de ce rapport avait pour objectif de « donner aux départements le temps de s'adapter à cette interdiction ». La perspective a, comme il était anticipé, déjà conduit les départements à prendre leurs dispositions pour éviter l'hébergement hôtelier. L'afflux de nouveau soutenu de personnes arrivant en France et se déclarant MNA entrave toutefois la mise en oeuvre de l'interdiction et a retardé la parution du décret d'application, compte tenu de « l'impact financier de ce décret très sensible [qui] n'a pas été bien pris en compte » selon les mots de Charlotte Caubel.

Dorénavant, « la question de l'hôtel touche en fait dix départements, qui connaissent une forte pression migratoire ; les autres se sont mis en règle avant l'entrée en vigueur du décret » selon la secrétaire d'État. Les auditions du rapporteur n'ont pas démenti ce constat. L'ADSEA 02 a confirmé au rapporteur que depuis un an dans le département de l'Aisne, plus aucun mineur n'avait été hébergé en hôtel. De même, le département de la Somme indique ne plus avoir recours aux hôtels depuis décembre 2021, grâce à la création de 100 places supplémentaires dédiées aux MNA dans des hébergements habilités.

En Eure-et-Loir, un appel à projets a été lancé pour la construction d'une nouvelle structure adaptée à l'accueil des MNA. Le recours à l'hôtel par le département est, en outre, devenu très marginal : lors du déplacement du rapporteur, seuls huit jeunes se présentant comme MNA en attente d'évaluation étaient hébergés dans un hôtel, ce qui, au demeurant, ne sera pas prohibé par l'article 7 de la loi en 2024 puisque l'interdiction ne vaut que pour les mineurs et ne concerne pas les personnes se prétendant MNA dont la mise à l'abri d'urgence est, en principe, financée par l'État.

Dans le département des Hauts-de-Seine, particulièrement mis en avant en raison du drame qui s'y est produit, le conseil départemental a pris la mesure de la situation en investissant dans la construction de places (voir encadré ci-dessous). La concrétisation des appels à projets prend toutefois du temps et se trouve freiner par les « difficultés [tenant] à l'acquisition de locaux, ou au recrutement des professionnels par les organismes gestionnaires » selon le département. Ce point a été soulevé à plusieurs reprises lors des auditions : la loi de 2022 sera moins aisément applicable dans les départements densément peuplés où la pression immobilière est forte, lesquels sont, par ailleurs, davantage susceptibles d'être concernés par un afflux de MNA.

Anticipation de l'interdiction de l'hébergement hôtelier dans les Hauts-de-Seine

Selon les informations du conseil départemental des Hauts-de-Seine, de 2022 à 2026, un plan d'action pluriannuel permettra d'augmenter de près de 50 % la capacité du département en structures d'accueil en protection de l'enfance.

Un appel à projet de 300 places, visant à augmenter les capacités d'accueil par la création de places au sein d'établissements habilités (MECS, foyers, services d'accueil d'urgence) a été lancé en juillet 2022. Dix opérateurs ont été retenus dans ce cadre avec 50 places dédiées à des enfants et jeunes confrontés à des parcours complexes (rupture de prise en charge liée à des difficultés d'ordre psycho-affective, enfants avec des besoins spécifiques d'accompagnement en lien avec le secteur médico-social..). Au 1er mai 2023, 109 places ont déjà été ouvertes. En 2023, 430 mineurs confiés à l'ASE étaient toutefois encore en hébergement hôtelier.

Source : Réponses du département des Hauts-de-Seine au questionnaire du rapporteur

5. L'accueil par les assistants familiaux : des efforts encore à produire pour pallier le manque d'attractivité du métier

Les assistants familiaux constituent le premier mode d'accueil des enfants confiés à l'ASE avec 76 000 enfants accueillis fin 2019. Au 31 décembre 2021, la Drees recensait 35 519 assistants familiaux directement employés par les départements. En moyenne, les effectifs d'assistants familiaux diminuent chaque année de 1,4 % depuis 2017. Ce déclin démographique devrait se poursuivre dans les années qui viennent en raison du vieillissement de la profession et du défaut de renouvellement.

Ce défi, dont les pouvoirs publics et les départements ont pris conscience depuis longtemps, a sous-tendu les articles de la loi de 2022 ayant pour objectif de rehausser les rémunérations et indemnisations des assistants familiaux dans l'optique d'accroître l'attractivité de la profession.

a) La rémunération des assistants familiaux : des dispositions de la loi dont l'application doit être bien contrôlée

L'article 28 a augmenté la garantie minimale de rémunération des assistants familiaux en la plaçant au niveau du salaire minimal interprofessionnel de croissance (Smic) dès l'accueil d'un enfant. Il a également prévu le maintien de la rémunération en cas de suspension de l'agrément. Enfin, en vertu de cet article, lorsque le nombre d'accueils réalisé est inférieur au nombre d'accueils prévu, l'assistante familiale reçoit une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à 80 % de la rémunération prévue par le contrat, hors indemnités et fournitures.

Le pouvoir réglementaire est intervenu rapidement pour l'application de ces dispositions, ainsi qu'il a été dit plus en amont. Le nouveau régime de calcul est entré en vigueur dès le 1er septembre 2022. Le secrétariat d'État chargé de l'enfance a souligné au rapporteur que ces dispositions avaient bien été annoncées de longue date en amont du projet de loi de telle sorte que les départements ont pu anticiper leur entrée en vigueur : « Aucun élément, ni signalement d'aucune sorte n'est parvenu au Gouvernement laissant entendre que ces dispositions ne sont pas appliquées. »

La loi n'a pas demandé à tous les départements de modifier leur politique salariale dès lors que beaucoup d'entre eux dispensaient des rémunérations ou indemnisations supérieures aux nouvelles garanties légales. Le conseil départemental de la Somme a ainsi mis en place les dispositions en décembre 2022, s'agissant du salaire pour l'accueil d'un seul enfant, avec un effet rétroactif au 1er septembre 2022. À partir de deux enfants, la rémunération du département était déjà supérieure au minimum prévu par la loi. Il convient de noter que, les minima rattrapant les montants versés, la loi a eu pour effet d'amoindrir les efforts des départements vertueux qui proposaient des rémunérations attractives pour assurer un recrutement important d'assistants familiaux.

Les représentants d'assistants familiaux ont cependant fait état d'une mise en conformité avec la loi intervenue, pour certains départements, plusieurs mois après le 1er septembre 2022, sans mesure rétroactive. En dehors du délai d'application, d'autres difficultés ont été relevées en audition. Primo, la substitution d'une indemnité pour les accueils non réalisés du fait de l'employeur à l'indemnité d'attente aurait conduit à une précarisation de la situation des assistants familiaux. Les accueils non pourvus du fait de l'employeur ne représenteraient, selon les associations, qu'une partie minoritaire des accueils non réalisés, dont la majorité serait reconnue comme incombant aux assistants familiaux dès lors que ces derniers jugent ne pas pouvoir prendre en charge l'enfant dans de bonnes conditions. Secundo, cette indemnité pour accueil non réalisé aurait conduit certains départements à proposer des avenants au contrat de travail afin de baisser le nombre d'accueils prévus. Tertio, cette disposition inciterait les départements à ne prévoir qu'un accueil dans le contrat initial et, lorsqu'un nouvel enfant se trouve à confier, à proposer un avenant au contrat pour accroître les accueils.

Les travaux du rapporteur n'ont pas été en mesure ni d'infirmer ni de confirmer davantage ces remontées d'informations. Interrogé, le Gouvernement n'a pas eu connaissance de situations de la sorte. Le rapporteur ne peut toutefois que l'appeler à la vigilance sur ces questions. Les départements sont certes libres de leur contractualisation avec les assistants familiaux, dès lors que les contrats de travail ne sont pas modifiés unilatéralement et restent conformes aux obligations légales ou conventionnelles. Toutefois, des dispositions qui viendraient compenser excessivement les hausses de rémunération prévues par la loi de 2022 seraient, si ce n'est contraire à la lettre, au moins contraire à l'esprit des dispositions puisque le législateur a entendu sécuriser les ressources des assistants familiaux et renforcer l'attractivité de la profession.

b) La participation des assistants familiaux

En 2021, le rapporteur notait que le déficit d'attractivité de la profession était tel que les mesures tenant au rehaussement salarial ne seraient pas suffisantes : « Les assistants familiaux sont trop souvent mis à l'écart des décisions concernant l'enfant et subissent parfois les contrôles de l'aide sociale à l'enfance dans un climat de défiance à leur égard. » Ce déficit de reconnaissance et d'intégration aux équipes pluridisciplinaires de l'ASE avait conduit le rapporteur à proposer un amendement, retenu dans le texte promulgué, tenant à affirmer la place de l'assistant familial dans l'établissement et le suivi du projet pour l'enfant.

Les auditions de la mission d'information n'ont pas révélé d'amélioration sur ce point ; seuls les départements déjà exemplaires ont une politique d'intégration des assistants familiaux aux décisions concernant l'enfant. La loi, pour les autres, n'a pas conduit à une prise de conscience, ce que le rapporteur regrette.


* 41 Audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 42 Communiqué de presse de l'ADF du 11 mai 2023.

* 43 Laquelle préexistait à 2022 par l'application combinée des articles 371-5 et 375-7 du code civil.

* 44 Circulaire du 3 mai 2022, p. 5.

* 45 Cnape, Réponses au questionnaire du rapporteur.

* 46 Selon le document de présentation de la stratégie nationale, 25 % des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance bénéficient d'une reconnaissance de la MDPH.

* 47 Chiffres de la Drees, accessibles en ligne.

* 48 Rapport n° 74 (2021-2022) de M. Bernard Bonne , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 20 octobre 2021, p. 19.

* 49 ONPE, La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants : contexte, analyses et perspectives, note juridique, mai 2022, p. 11.

* 50 La note DPJJ du 23 mars 2015 relative à la MJIE indique que « quelle que soit la situation, le service réalise la MJIE dans un délai de 6 mois maximum suivant sa notification ».

* 51 Tribunal administratif de Toulouse, décision n° 1602857 du 12 mars 2019.

* 52 Igas, L'accueil de mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l'aide sociale à l'enfance, novembre 2020.

* 53 Relevant des articles L. 227-4 (accueil collectif de mineur à caractère éducatif) et L. 321-1 (régime de la déclaration).

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