TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. COMPTE RENDU DE L'AUDITION
EN RÉUNION PLÉNIÈRE DE MME CHARLOTTE CAUBEL, SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUPRÈS DE LA PREMIÈRE MINISTRE, CHARGÉE DE L'ENFANCE

(Mercredi 24 mai 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons cet après-midi Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, sur l'application des lois réformant la protection de l'enfance. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo.

Madame la secrétaire d'État, il y a trois semaines, j'ai souligné toute l'importance que notre commission attache au suivi de l'application des lois. Le Sénat a d'ailleurs modifié son règlement en 2019 pour confier une mission de suivi aux rapporteurs des projets et propositions de loi examinés par le Sénat et a préconisé récemment, par la voix du groupe de travail piloté par Pascale Gruny de conforter encore cette mission par le contrôle approfondi de l'application des lois emblématiques.

C'est ainsi que cette année Bernard Bonne a été chargé d'une mission d'information relative à l'application des nombreuses lois réformant la protection de l'enfance. Vous pouvez voir dans cette désignation à la fois l'importance qu'ont à nos yeux ces textes, donc le secteur dont vous avez la charge, et notre préoccupation face à l'ampleur des mesures qui restent à prendre pour bien appliquer la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Comme je l'ai indiqué à la commission, seulement 37 % des mesures réglementaires attendues ont été prises ; 17 textes réglementaires sont encore en attente de publication, auxquels s'ajoutent une ordonnance dont le délai d'habilitation a expiré et un rapport au Parlement qui n'a pas été rendu.

Madame la secrétaire d'État, je vais vous laisser la parole afin que vous nous précisiez les raisons de ces retards et l'action du Gouvernement pour y remédier au plus vite. Le rapporteur Bernard Bonne puis l'ensemble des commissaires qui le souhaiteront pourront ensuite vous interroger.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance. - Je suis heureuse d'être reçue cet après-midi pour échanger avec vous sur la protection de l'enfance et sur l'application de ce texte ambitieux, la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Ce texte fait suite à deux lois importantes, de 2007 et de 2016, dont l'entrée en vigueur peut également soulever quelques questions.

L'application de la loi recouvre deux réalités : la déclinaison réglementaire et la prise en compte des textes sur le terrain par les opérateurs, qui constitue une ambition encore plus importante.

Je l'ai déjà indiqué, je suis très attachée à la mise en oeuvre de la loi du 7 février 2022 ; je m'y suis attelée dès mon arrivée au Gouvernement. Néanmoins, cette loi ayant été adoptée à la fin du précédent quinquennat, les administrations se sont retrouvées dans la période particulière des élections et il a fallu attendre la nomination d'un nouveau gouvernement pour que le processus puisse s'enclencher.

Ce texte très ambitieux comportait beaucoup de renvois au pouvoir réglementaire et nombre de ses dispositions avaient fait l'objet d'études d'impact un peu rapides, y compris du point de vue financier pour les départements. J'ai donc repris des discussions approfondies avec les conseils départementaux, dans un contexte tendu pour la protection de l'enfance. Cela explique une partie des délais.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je me permets de rappeler les cinq chantiers prioritaires qui m'ont été assignés par la Première ministre, dans le cadre du comité interministériel des droits de l'enfance de novembre 2022 :

- la lutte contre les violences faites aux enfants - j'annoncerai en juin prochain la continuité du plan de lutte contre ces violences, tant cette réalité reste prégnante - ;

- l'égalité des chances et la priorité accordée à deux publics : les enfants protégés et les enfants handicapés - je vous renvoie à la convention nationale du handicap que le Président de la République a présidée voilà quelques semaines - ;

- la protection des enfants face au numérique ; la Haute Assemblée a examiné hier un texte sur ce sujet et il se penchera sur le projet de loi de Jean-Noël Barrot en juin prochain ;

- la santé des enfants - nous attendons les conclusions des assises de la santé des enfants, avec notamment une attention portée à la santé mentale des mineurs, qui nous inquiète particulièrement en ce moment - ;

- et le service public de la petite enfance ; Jean-Christophe Combe vient d'indiquer en séance publique des annonces de la Première ministre à ce sujet.

Ces cinq chantiers prioritaires donnent lieu à un travail interministériel important et, le 15 juin prochain, je présiderai le comité interministériel de l'enfance pour faire un point d'avancement.

J'en viens à l'application de la loi du 7 février 2022. Cette loi est intervenue après des mois de concertation. Elle répond à de nombreuses attentes de nombreux acteurs : associations, élus, acteurs institutionnels. Ce texte très riche porte sur de nombreux sujets et renvoie à de nombreux décrets. Je le répète, il a été adopté en fin de quinquennat et son impact financier a sans doute été évalué un peu trop rapidement, c'est pourquoi, à mon arrivée, j'ai pris attache avec les présidents de conseil départemental et avec l'Assemblée des départements de France (ADF), pour discuter de la mise en oeuvre de certaines dispositions.

Tout d'abord - cela ne relève pas d'un décret, mais c'est important -, j'ai consacré beaucoup d'énergie au baptême du groupement d'intérêt public (GIP) France Enfance protégée. Même si cela relève d'une convention, cette mesure faisait partie, selon moi, de l'application de ce texte. Ce GIP est une originalité administrative, puisque la gouvernance est partagée entre un collège de l'État - des services des ministères de la justice, de l'éducation nationale et de la santé, coordonnés par la direction générale de la cohésion sociale -, un collège des départements - il se trouve que les dispositifs de protection de l'enfance varient beaucoup d'un département à l'autre - et un collège d'associations engagées, gestionnaires, de premiers concernés et de familles.

Cet organe administratif a comme ambition d'appuyer l'ensemble des politiques publiques nationales et territoriales, mais aussi d'apporter des données chiffrées, d'être centre de ressources. Par ailleurs, ce GIP héberge le numéro d'appel 119 et l'Agence française de l'adoption. Il fallait donc mettre au monde ce GIP et établir son budget ; cet exercice m'a pris une bonne partie de l'été 2022.

Deuxième priorité : la mise en place des comités départementaux pour la protection de l'enfance (CDPE). Le texte prévoit une expérimentation en la matière et je considère cette institution comme indispensable, parce qu'elle est pilotée par le préfet et le président du conseil départemental, en présence de l'autorité judiciaire, et qu'elle a un impact important. Ces comités départementaux font un état des lieux des besoins et définissent une stratégie en matière d'offre et de contrôle. De manière générale, ils se saisissent de tous les sujets pertinents, qui peuvent être très concrets : les cas complexes - zéro enfant sans solution -, l'accompagnement à l'autonomie à la sortie des dispositifs ou encore l'accompagnement des professionnels. Le décret relatif à ces comités a paru et j'en ai déjà installé quatre ou cinq. J'ai pu mesurer l'attente des acteurs à cet égard et j'y place beaucoup d'espoirs. Il s'agit à mes yeux d'une politique éminemment territoriale. J'espère élargir cette expérimentation à d'autres départements, avec, si possible, un département ultramarin.

Je vais maintenant entrer dans le détail des mesures à prendre ou prise par décret. J'ai consulté sur ces décrets les conseils départementaux lors de mes déplacements ; j'en ai vu plus de trente. Par ailleurs, ne l'oubliez pas, nous devons consulter certaines instances, notamment le Conseil national de la protection de l'enfance, qui a été renouvelé par la loi et qui devait également faire l'objet d'un décret.

Très légitimement, ce conseil prend du temps pour examiner ces décrets ; il n'est pas toujours possible de leur appliquer les délais très brefs que l'on impose au Conseil d'État.

Sur les quarante-deux articles de la loi, quatorze prévoyaient des renvois à des mesures d'application par voie réglementaire. Cela couvrait vingt-huit dispositions législatives au total. Au 1er mars 2023, vingt-quatre de ces dispositions étaient entrées en vigueur, une mesure a une entrée différée au 1er février 2024, une mesure renvoie à un décret à titre éventuel et il ne nous paraît pas nécessaire, et deux dernières mesures nous semblent hors compteur, parce qu'il ne s'agit pas d'un décret d'application de la loi ou que le décret n'est pas requis.

De nombreux décrets sont en cours de procédure et doivent être publiés avant l'été, ce qui portera à 75 % le taux d'application de la loi ; nombre d'entre eux sont en cours d'examen au Conseil d'État.

Six décrets d'application ont été publiés, correspondant à neuf des vingt-quatre dispositions législatives identifiées. L'un de ces décrets porte sur les informations préoccupantes ; un autre porte sur l'accroissement de la qualité de l'évaluation de ces informations, fondé sur le référentiel de la Haute Autorité de santé (HAS), auquel vous avez souhaité donner une portée législative ; un troisième précise le retour d'informations à tous ceux qui ont transmis des signalements à la cellule de recueil.

Un décret important, qui aura un impact financier non négligeable pour les départements, concerne la rémunération des assistants familiaux. Ce décret est essentiel, car la courbe démographique des assistants familiaux s'écrase. Je ne suis pas sûre que ce décret inverse la courbe du nombre de familles s'engageant dans l'accueil des enfants en danger, mais c'était un souhait du législateur et le décret a été pris. Reste à le mettre en application et à s'assurer que les assistants familiaux soient rémunérés conformément aux nouvelles garanties légales et réglementaires. Ils le sont bien quand ils sont salariés des départements, mais la question du financement de ces mesures quand les assistants familiaux sont rémunérés par des associations entraîne quelques délais de mise en oeuvre, car les départements prennent du temps pour négocier les conventions de financement.

Le décret prévoyant l'expérimentation des comités départementaux pour la protection de l'enfance a été publié, de même que les deux décrets instituant l'un le Conseil national de l'adoption, l'autre le Conseil national de la protection de l'enfance. La constitution de ces instances exige des concertations, des discussions, des équilibres et entraîne parfois des réclamations, du reste tout à fait légitimes.

Quinze mesures actives sont en attente de décrets d'application. Sur ces quinze mesures, neuf soit ont déjà fait l'objet de concertations avec les parties prenantes, soit sont en instance de publication, soit sont en cours d'examen par le Conseil d'État.

Le premier est le décret qui encadre l'accueil en hôtel des mineurs protégés. Ce sujet est extrêmement sensible et le contexte de la protection de l'enfance est en forte tension ; je vous renvoie à la prise de position publique de François Sauvadet. Il y a une triple pression sur les dispositifs de protection de l'enfance : d'abord, l'augmentation des placements d'enfants habitant sur notre territoire - avec une hausse de 30 % dans certains départements -, sous l'effet probable de la crise de la covid-19, d'une meilleure prise en compte des violences intrafamiliales et de la politique des mille premiers jours, qui entraîne de nombreux placements de nourrissons ; ensuite, la reprise des flux migratoires, avec l'arrivée de jeunes mineurs non accompagnés ; et, enfin, la pression du travail social. L'impact financier de ce décret très sensible n'a pas été bien pris en compte.

Sont également sensibles le décret relatif à la durée de l'accueil provisoire d'urgence des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés (MNA) et celui qui a trait à la clef de répartition des jeunes reconnus comme MNA entre les départements.

Deux décrets ont fait l'objet de concertations de fond et sont sur le point de sortir du Conseil d'État : il s'agit du parrainage-mentorat et du tiers de confiance. J'associe ces deux décrets parce qu'il me paraît important d'avoir une réflexion partagée avec les acteurs, dont les départements, sur la fameuse politique de l'adulte référent et de l'accompagnement des mineurs au-delà de la protection de l'enfance par des adultes. Parmi les regrets des jeunes sortant des dispositifs à 18 ans se trouve l'isolement social et affectif dans lequel ils sont plongés. La question du parrain ou mentor et du tiers digne de confiance, du référent de l'aide sociale à l'enfance (ASE) a fait l'objet de beaucoup de réflexions.

Le décret modifiant les projets d'établissement sur la maltraitance a été beaucoup discuté dans le cadre des travaux sur la maltraitance.

Sur les trois décrets portés par le ministère de la justice - sur la médiation familiale, les modalités de recours à la collégialité en assistance éducative et les droits accordés à l'administrateur ad hoc par le juge des enfants -, nous avons eu une légère complication : les consultations des comités ministériels ont été réalisées auprès des anciens comités techniques, antérieurs à la réforme. Le Conseil d'État nous a demandé de reconsulter les nouveaux comités sociaux d'administration (CSA). Ces conseils ont été réunis, nous en attendons les résultats et les décrets seront publiés rapidement. Ces décrets sont essentiels et très attendus, notamment en matière de collégialité en assistance éducative.

Sur les six mesures restantes, deux relèvent d'un décret unique relatif à la création d'une base de données nationale des agréments des assistants familiaux et des assistants maternels. Les travaux en cours avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) sont riches. Nous en sommes au stade de l'analyse d'impact relative à la protection des données (AIPD). Le nouveau GIP portera les deux bases de données.

Je suis pleinement engagée. À la demande de la Première ministre, j'ai été attentive à mener un dialogue construit avec l'ADF, avec le GIP France Enfance protégée et avec les associations, qui sont très attachées à l'écoute qu'on leur accorde, dans un contexte de forte pression sur la protection de l'enfance. À l'été prochain, nous n'aurons pas à rougir des travaux qui auront été menés cette première année.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Merci de vos propos. Nous vous avions envoyé, madame la secrétaire d'État, un questionnaire, ce qui vous a permis de répondre à un certain nombre de nos questions pour suivre l'application des lois de 2007, de 2016 et de 2022. Lors de nos auditions, la plupart des acteurs nous ont dit que les trois lois suffisaient et qu'il était indispensable d'évaluer leur application avant d'envisager toute nouvelle réforme législative.

Les départements ont le sentiment que les décrets ne sont pas publiés et appliqués assez rapidement. Il faut certes attendre l'avis du CNPE, mais il faut aussi aller vite.

Madame la secrétaire d'État, sur les cinq enjeux que vous avez évoqués, il y en a deux pour lesquels la loi de 2022 a apporté des améliorations, notamment la lutte contre les violences. En Eure-et-Loir, département très volontaire et assez vertueux en matière de protection de l'enfance, nous avons constaté, à l'occasion d'un déplacement avec ma collègue Chantal Deseyne que les choses fonctionnent plutôt bien, mais que les moyens manquent pour les hébergements hôteliers ou pour les jeunes de 18 à 21 ans. Comment ont été répartis les 50 millions d'euros prévus par la loi de finances pour 2023 ?

Nous avons rencontré les services de l'État. Les services déconcentrés sont-ils aussi diligents dans tous les départements qui mènent des expérimentations ? Pour la réussite du comité départemental de protection de l'enfance, il faudra une incitation forte de la part des ministères pour que la participation des juges pour enfants soit presque systématique et plus homogène sur le territoire, au regard de la diversité de leurs pratiques. Un autre département entendu en audition regrettait les placements systématiques décidés par un juge ainsi que les difficultés relationnelles qu'il pouvait exister entre l'ASE et l'autorité judiciaire.

Beaucoup de départements ont déjà pris des mesures pour accueillir des enfants en dehors des hôtels. Il faudra résoudre le problème des mineurs non accompagnés (MNA), qui complique la tâche des départements, sur le plan tant financier qu'organisationnel. Il faudra clarifier la situation pour les départements : le flux augmente considérablement depuis un an, des départements sont en grande difficulté.

Concernant les tiers dignes de confiance, la solution de l'accueil chez un tiers est-elle systématiquement évaluée préalablement à une mesure judiciaire de placement comme l'article 1er de la loi de 2022 le prévoit ? De même, l'est-il systématiquement proposé aux enfants protégés de désigner une personne de confiance de leur choix ? Ces mesures sont très importantes. Nous avons beaucoup parlé également de la présence des avocats. Nous avons le sentiment que les juges sont de plus en plus favorables à la présence systématique de l'avocat pour l'enfant discernant, l'âge du discernement devra être précisé.

En Eure-et-Loir, la lenteur des services de l'État pour répondre aux demandes de titre de séjour des MNA accueillis à l'ASE et pour déterminer la situation légale de ces jeunes a été signalée. L'État devrait aller plus vite.

Le CDPE, comité de pilotage, est un ajout très important du Sénat. Il faut que les départements s'engagent dans cette voie, pour que tous les services de l'État puissent participer à la protection de l'enfance. Il faudra veiller à ce qu'il n'y ait pas de différend entre les préfets et les présidents de conseil départemental qui coprésident ces comités.

La protection de l'enfance est très importante pour le Sénat ; elle n'est pas assez prise en compte dans certains départements. Il est agaçant de dépenser autour de 9 milliards d'euros par an pour des résultats très moyens : voyez les pourcentages de jeunes à la rue ou drogués qui sortent de l'ASE.

Mme Chantal Deseyne. - Certains connaissent des problèmes de drogue... voire basculent dans le terrorisme dans le pire des cas.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - D'où l'intérêt d'appliquer les lois. La dernière a été adoptée il y a un an et demi. Il faut avancer rapidement, malgré le changement de gouvernement.

Mme Michelle Meunier. - France Télévisions diffusera bientôt, en faisant le portrait de Marie Rabatel, un documentaire sur les enfants victimes d'abus sexuels dans le domaine médico-social qui va susciter beaucoup d'émotion. En novembre 2022, je vous avais déjà interrogée sur le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais), à la suite de nos travaux sur la pédocriminalité en institution. Nous avions été très étonnés d'entendre que le domaine du handicap ne se sentait pas concerné : quel déni ! Les enfants sont des proies faciles pour les prédateurs. Certains auteurs de violences sont des bénévoles ou des professionnels, qui passent à travers les mailles du filet. Je vous avais alors interpellée. Quelle est la situation ? Le domaine médico-social gère avant tout la pénurie de professionnels, mais il faut être exigeant et rester attentif à l'honorabilité des professionnels recrutés. Pour les chauffeurs et transporteurs d'enfants porteurs de handicap, les choses ont-elles avancé ?

Lors des auditions, nous constatons qu'il faut avant tout mettre en oeuvre les lois. Quel contrôle peut-on mettre en place ? Quels sont les moyens de contrôle pour vérifier que les enfants sont traités de manière correcte ?

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Les données posent problème. Le nouveau GIP pourra les faire remonter. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress) a récupéré une partie d'entre elles ; elle doit désormais mieux les ordonner. Les départements et les autorités judiciaires ont des données qui ne font pas partie du plan numérique du ministère de la justice, qui a fort à faire en la matière. Les données de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont aussi concernées. Nous pourrons ainsi mieux évaluer l'entrée en application des trois lois. Nous constatons que 80 % des dossiers de protection de l'enfance sont judiciarisés. De plus, le ratio est de 60 % de placements pour 40 % de milieu ouvert ; cette répartition est constante, voire se dégrade. Les données sont essentielles, nous devons y travailler.

La cohérence de l'action doit se définir à l'échelon du département, d'où l'importance du CDPE. Les services déconcentrés de l'État, sont peu dotés en moyens humains dans le champ de l'enfance. La préfecture des Bouches-du-Rhône compte 0,80 équivalent temps plein travaillé (ETPT) dédié à l'enfance. J'avais demandé dans le projet de loi de finances pour 2023 des effectifs pour les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) en matière de contrôle. Je renouvellerai ma demande pour 2024. Nous n'avons obtenu que très peu d'effectifs, que nous sommes en train de répartir. Les départements qui expérimentent doivent avoir des moyens.

Concernant l'autorité judiciaire, nous avons aussi renouvelé la demande de renforcer les directions territoriales de la PJJ, pour renforcer leur implication institutionnelle auprès de l'autorité judiciaire en matière d'enfance.

Les magistrats de la jeunesse ont des pratiques riches, certes, mais le décret est très clair : le procureur de la République est chargé de la protection de l'enfance et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) est chargée du pilotage des parquets en matière de protection de l'enfance. J'ai donc oeuvré pour qu'au niveau réglementaire, le procureur de la République soit le vice-président du CDPE ; le Parlement en avait décidé autrement. Par définition, le procureur de la République est distancié des pratiques individuelles des magistrats du siège, y compris des présidents des tribunaux pour enfants, qui ont aussi des cabinets, ce qui peut conduire à des situations un peu « schizophrènes ». J'ai tenu à ce que le parquet reprenne sa place. Le procureur de la République est l'interface indispensable entre les autorités publiques et l'autorité judiciaire du siège, qui doit conserver son office du juge. Il lui appartient de faire appel en cas de décisions non éclairées. Le procureur doit jouer un rôle de coordonnateur pour cette politique publique. La PJJ est très engagée dans son dialogue avec les magistrats, en particulier avec le parquet, pour développer les CDPE.

Concernant les 50 millions d'euros consacrés au soutien de la politique des départements, les CDPE devraient être le lieu où l'on détermine les projets soutenus. Il faut des stratégies collectives dans les territoires, pour prioriser les actions - jeunes majeurs, prostitution, offre pour les personnes handicapées - et abonder correctement la contractualisation, en évitant les saupoudrages. En la matière, l'implication des préfets est essentielle. Stratégie, finances et évaluation doivent aller de pair.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Cette somme n'a pas encore été répartie.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Elle l'a été en partie : nous soutenons déjà des projets Jeunes majeurs. Les départements sont peu capables d'évaluer le coût du dispositif, l'évaluation n'est faite qu'a posteriori. Les demandes vont nous parvenir pour la contractualisation en 2024. Nous voulons dépenser cette ligne budgétaire, qui reste assez réduite, et nous restons vigilants à ce que les demandes de 2023 soient bien traitées. Nous laissons les départements prendre l'initiative, puis nous soutenons les projets. Nous préparons un jaune budgétaire pour évaluer ce que l'État attribue à la protection de l'enfance. Les départements investissent des sommes considérables - j'en ai bien conscience -, mais l'État aussi contribue : des postes sont créés au ministère de la justice et l'éducation nationale contribue tout autant. Nous constatons un défaut de coordination entre la santé, l'éducation, la justice, les départements ou encore les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).

Le sujet des MNA mériterait une audition spécifique. Des textes sont en cours de discussion. À nouveau, la situation des MNA met en tension tout le dispositif de la protection de l'enfance. Près de l'Italie, il faudrait créer un foyer par jour. Des discussions sont en cours avec l'Italie et à l'échelon européen. Certains sujets dépassent ma compétence, mais je souhaite fluidifier le parcours des MNA, une fois qu'ils sont pris en compte en protection de l'enfance ou par la PJJ. Il y a aussi un enjeu de sortie du dispositif des MNA.

Le criblage des antécédents judiciaires des professionnels en contrat avec des enfants est essentiel. La loi est bien en vigueur. Nous sommes en train de finaliser une équipe centralisée pour le territoire national, pour fluidifier ce criblage grâce à un certificat de probité demandé électroniquement. Si le certificat n'est pas délivré automatiquement, une action humaine est nécessaire : l'équipe centralisée pourra traiter à la chaîne les cas de remontée du Fijais ou du casier judiciaire.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Cela demande de contrôler toutes les personnes qui travaillent déjà.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Pas dans la fonction publique.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Tous ceux qui interviennent dans les établissements ne sont pas nécessairement contrôlés. Les préfectures se contentent de gérer les flux entrants sans exhaustivité et sans encore s'attaquer aux stocks.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Les entreprises d'intérim ont trouvé dans le contexte actuel une source lucrative de profits. Les grandes associations et les départements doivent pouvoir exiger un criblage avec tout contrat d'intérim.

J'appelle votre attention sur le fait que l'on m'a proposé, à la suite d'une affaire tragique sortie dans les médias, de cribler aussi tous les baby-sitters. Devrions-nous cribler tous les adultes ? Et même toutes les familles ? Jusqu'où aller ? En matière de violences sexuelles, je travaille plutôt sur une campagne extrêmement choc, pour savoir si nous n'avons pas perdu le nord. Je suis estomaquée face aux chiffres de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Il faudrait en fait cribler toute la population, y compris ceux qui ont des accidents de la route parce qu'ils regardent des images pédocriminelles ! Toute la population devrait s'interroger sur sa relation à la sexualité et avec les enfants. Médias et enquêteurs nous livrent des informations écoeurantes : les enquêteurs tiennent un an maximum face à ce qu'ils découvrent. Certes, il ne faut rien lâcher sur le criblage, mais on se demande s'il ne faudrait pas cribler la totalité des adultes de ce pays. Sur les violences sexuelles faites aux enfants, il faut me soutenir, pour crier haut et fort que cela suffit. J'en viens parfois à me demander si cela n'est pas structurel dans le cerveau reptilien des humains. Nous nous interrogeons aussi avec les pays étrangers pour évaluer l'ampleur du phénomène en France. On ne peut pas banaliser les problèmes liés à la pornographie et à la pédopornographie. En Outre, sur le criblage, il faut industrialiser la gestion du problème.

Le tiers digne de confiance fait l'objet de travaux, à la PJJ, dans des groupes de travail avec les magistrats et les principaux acteurs, pour identifier et développer les pratiques innovantes. Le tiers digne de confiance et la place des familles d'accueil font l'objet de fortes réflexions.

J'espère que les pratiques de placement à la PJJ pourront influencer les pratiques de placement en protection de l'enfance. Nous travaillons de manière transversale. Des placements en urgence empêchent le travail d'évaluation serein sur la solution d'un accueil par un tiers qui doit aussi être criblé de manière rigoureuse. Nous avons 30 % de placements en plus, en pleins travaux sur la violence intrafamiliale. De toute évidence, sur cette thématique, la loi n'est pas appliquée. Un travail approfondi est nécessaire.

Le parrainage de proximité et le mentorat sont des sujets plus simples. Nous allons établir des conventions pour avancer avec les départements, car nous oublions souvent de construire les parcours des enfants, en raison des urgences.

M. Laurent Burgoa. - La loi de février 2022 avait repris un certain nombre de nos recommandations sur les MNA. Il faut traiter ce sujet avec humanité, mais aussi avec fermeté. Pour éviter le nomadisme administratif des jeunes dont nous ne savons pas s'ils sont mineurs ou majeurs, cette loi a prévu un fichier national. Or certains départements ne veulent pas collaborer et refusent de communiquer les informations aux services préfectoraux. Qu'en est-il aujourd'hui ?

On constate une recrudescence des hébergements de MNA en hôtel dans les Alpes-Maritimes ; or ils doivent être interdits en 2024. Comment faire, étant donné la dynamique actuelle ? Le sujet des MNA ne devrait-il pas être repris par l'État ? À cause de ce problème, les départements sont en train de perdre le bénéfice de cette belle compétence qu'est l'ASE.

Mme Élisabeth Doineau. - Dans la loi de 2016 était prévu un pécule pour les jeunes sortant de l'ASE grâce au versement de l'allocation de rentrée scolaire (ARS). Quel en est le bilan ?

Concernant les assistants familiaux, j'avais beaucoup insisté sur les week-ends de répit lors de l'examen de la loi du 7 février 2022. Ils ont besoin d'être soulagés. Où en sommes-nous désormais ?

Mme Corinne Féret. - Le décret sur les administrateurs ad hoc sera publié prochainement. L'Union départementale des associations familiales (Udaf) du Calvados m'interpelle : elle s'inquiète du manque de moyens pour exercer ses missions ; les indemnités de mandat sont très faibles. Les conséquences sont que plusieurs associations renoncent à exercer cette mission. Des moyens sont-ils prévus dans le décret ou faut-il en demander lors d'un futur budget ?

Mme Chantal Deseyne. - Le département d'Eure-et-Loir est engagé dans l'expérimentation des comités départementaux. Le département a été pilote pour traiter les situations complexes et éviter le travail en silo. La coopération avec la justice fonctionne bien, mais nous exprimons des réserves pour l'éducation nationale, notamment en matière de scolarisation des enfants de l'ASE.

L'accès au Fijais reste une source de complexité. En Eure-et-Loir, la préfecture collabore avec le département, mais elle ne peut traiter qu'une soixantaine de dossiers par semaine, car il faut des personnes habilitées.

Les personnes entendues en audition semblaient s'accorder sur la présence de l'avocat pour l'enfant. Pourtant, les magistrats ont des positions très différentes. Quel est votre point de vue ?

Mme Annick Jacquemet. - Selon un rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) de septembre 2022, seuls 15 % des élèves ont eu leurs trois cours d'éducation sexuelle à l'école. Or ce serait l'occasion de les informer sur les infections sexuellement transmissibles (IST), de les sensibiliser à la contraception, de construire une culture de l'égalité et de respect mutuel entre les garçons et les filles, et surtout de lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Le Gouvernement n'est pas resté inactif sur le sujet. Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 9 ans ont accès librement à des images pornographiques. Travaillez-vous avec l'éducation nationale sur ces sujets ?

Dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), j'ai été sensibilisé aux travaux du docteur Anne-Lise Ducanda sur la pollution lumineuse. Elle a mis en évidence que les écrans pouvaient causer des troubles proches de l'autisme aux enfants de moins de 6 ans, à savoir des troubles des interactions et de la motricité. Une campagne était prévue pour sensibiliser les parents sur leur gestion d'internet vis-à-vis de leurs enfants. Ne serait-ce pas l'occasion de les sensibiliser à certains dangers des écrans numériques, tels que la myopie précoce ?

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Le fichier des MNA est en place depuis un certain temps. Seuls dix départements n'y ont pas recours. Le texte de 2022 a rendu le recours à ce fichier obligatoire et a interdit les doubles évaluations. Le décret est au Conseil d'État. Se posait la question de savoir ce qui se passerait en l'absence de signature de la convention entre le département et le préfet organisant les modalités de présentation de l'enfant. La proposition du Gouvernement n'a pas été retenue par le Conseil d'État. Nous devons revoir les choses, mais la publication du décret ne va pas tarder. Ce fichier a permis de limiter la présentation de majeurs dans le dispositif : associer des majeurs et des mineurs est très problématique.

Le texte interdisant l'hébergement en hôtel ne concerne pas les personnes se prétendant MNA et est donc en cours d'évaluation. Par ailleurs, leur prise en charge est financée par l'État. L'interdiction ne vaut que pour les mineurs.

La question de l'hôtel touche en fait dix départements, qui connaissent une forte pression migratoire ; les autres se sont mis en règle avant l'entrée en vigueur du décret. Le décret sur le point d'être publié interdit, dans la période transitoire courant jusqu'en 2024, le placement à l'hôtel des enfants de moins de 16 ans ou des enfants en situation de handicap ainsi que l'accueil prolongé delà de deux mois pour les autres enfants.

À compter de 2024, l'accueil en hôtel sera impossible et le décret continuera d'interdire l'hébergement des enfants protégés de moins de 16 ans ou handicapés dans des structures autres que celles autorisées par le code de l'action sociale et des familles, y compris pour une durée inférieure à deux mois. Cela ne résout pas fondamentalement l'enjeu des MNA...

Le débat sur les MNA est éminemment complexe. Il faut être très ferme sur les enjeux migratoires ; oui, les majeurs doivent bien rejoindre les dispositifs dédiés aux majeurs, et les enfants doivent être considérés comme des enfants. L'enjeu des MNA est très transversal, c'est aussi un sujet de relations internationales et de diplomatie - Mme Colonna est engagée auprès des pays de migration -, et un sujet européen et national. J'ai parfaitement conscience qu'il faudra être ferme sur les engagements internationaux et que l'État ne peut pas ne pas être aux côtés des départements. Cependant, si nous supprimons des hôtels, il faut aussi que les collectivités acceptent l'installation de centres éducatifs fermés ou d'autres structures. Pour les préfets, c'est la croix et la bannière pour trouver du foncier ou des bâtiments à reconvertir ; les riverains ne sont pas ravis. Je réfléchis à des véhicules législatifs et réglementaires qui permettraient aux collectivités et à l'État de ne pas avoir à négocier systématiquement. Mettre en exécution les réquisitions est difficile. La solidarité doit dépasser les départements, elle engage l'État et toute la société.

Le sujet des administrateurs ad hoc n'est pas nouveau. Le garde des Sceaux veut porter le sujet politiquement et changer le nom de cette fonction, pour la rendre plus lisible. Cela renvoie à la place de l'avocat en protection de l'enfance et au rôle des adultes qui entourent l'enfant.

L'avocat systématique en protection de l'enfance est peut-être une étape supplémentaire de la transformation du rôle du juge des enfants. Dans les audiences seront présents les avocats de l'enfant, ceux de la famille et ceux du département. Le juge des enfants ne sera plus tel que l'avait conçu les ordonnances de 1945 et de 1958 du Général de Gaulle; il deviendra juge arbitre des conflits et des droits de chacun. Il faut travailler sur cette évolution avec les magistrats eux-mêmes, avec la représentation nationale et avec les parties prenantes. Nous tenons tous au rôle du juge dans le parcours de l'enfant et au fait que ce juge soit le même au pénal comme au civil. C'est aussi le seul moyen de correctionnaliser la procédure pénale des mineurs, pour la rapprocher de celle des majeurs. Je ne peux être seule à porter un tel sujet, alors que le juge des enfants est une figure emblématique de notre système judiciaire. Il ne serait pas inintéressant de proposer un avocat quand une affaire pénale est en cours et que l'enfant est victime de violences familiales ou victime collatérale de violences conjugales. L'avocat assurerait une meilleure coordination. Le juge des enfants change de mission, il faut en tenir compte.

Le pécule est un vaste sujet : 48 % des enfants qui sortent de l'ASE y ont effectivement accès. Un grand nombre de jeunes ignorent qu'ils en disposent. Parfois, la Caisse des dépôts et consignations elle-même ne retrouve pas ces pécules. Les pratiques des CAF sont aussi très hétérogènes. La remise à plat du dispositif est justifiée. Le parcours scolaire des enfants de l'ASE est erratique et mal pris en compte par l'éducation nationale. Pourquoi ces enfants n'auraient-ils pas droit, comme les autres, à des baskets neuves et à un cartable à la rentrée scolaire ? L'allocation de ressources au pécule de l'enfant, y compris des autres allocations familiales, est un sujet à approfondir.

La proposition de loi relative à la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans de Mme Caroline Janvier, adoptée à l'Assemblée nationale, est assez complète et propose une vraie politique publique de santé en matière d'écrans. Elle vise à contraindre les vendeurs à mieux informer sur les risques. Elle prévoit une stratégie d'information pendant les mille premiers jours de la vie de l'enfant et dans les carnets de santé. Elle vise à sensibiliser et responsabiliser les familles et les enfants, ainsi que l'ensemble des professionnels.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci beaucoup, madame la secrétaire d'État, nous essayerons de planifier une audition spécifique sur les MNA.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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