N° 306

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 janvier 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) relatif aux entreprises face à la pénurie de foncier économique,

Par MM. Christian KLINGER et Michel MASSET,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : M. Olivier Rietmann, président ; M. Pierre Cuypers, Mme Laurence Garnier, MM. Christian Klinger, Michel Canévet, Patrick Chauvet, Mme Marion Canalès, MM. Simon Uzenat, Martin Lévrier, Ian Brossat, Michel Masset, Guillaume Gontard, Emmanuel Capus, vice-présidents ; M. Michel Bonnus, Mmes Else Joseph, Brigitte Devésa, M. Jérôme Darras, secrétaires ; MM. Yves Bleunven, Denis Bouad, Jean-Luc Brault, Alain Cadec, Mmes Catherine Conconne, Nathalie Delattre, MM. Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Fabien Gay, Mme Antoinette Guhl, M. Olivier Jacquin, Mme Lauriane Josende, MM. Daniel Laurent, Pierre-Antoine Levi, Mme Pauline Martin, MM. Franck Menonville, Serge Mérillou, Damien Michallet, Mme Anne-Marie Nédélec, MM. Cyril Pellevat, Clément Pernot, Sebastien Pla, Mme Anne-Sophie Romagny, M. Dominique Théophile, Mme Sylvie Valente Le Hir.

L'ESSENTIEL

v La raréfaction du foncier à vocation économique est réelle : plusieurs territoires se trouvent déjà en situation de quasi-pénurie. Cette dynamique va, avec certitude, s'accentuer sous l'effet des objectifs de « zéro artificialisation nette » et de la hausse des prix du foncier.

v Il s'agit déjà d'une menace tangible pour le développement de dizaines d'entreprises, PME et ETI, implantées de longue date au coeur des territoires. Les exemples de « déménagements contraints » d'entreprises ou d'abandons de projets se multiplient. Pourtant, la prise de conscience n'est pas encore là.

v En effet, la réaction de l'Etat se limite à des actions en faveur des « grands projets » de gigafactories, de l'« industrie verte » ou d'investissement étranger en France. Elle néglige les TPE, PME et ETI qui constituent la majeure partie du tissu économique français. Celles-ci ne bénéficient pas des mêmes facilités, des mêmes moyens ni du même accompagnement.

v Alors que l'écosystème administratif national et local s'est complexifié, les entreprises n'ont pas de vision claire du partage des rôles entre différents services et opérateurs.

v L'État a nettement réduit, au cours des années écoulées, les effectifs de l'administration déconcentrée chargée d'accompagner et d'instruire les projets. C'est l'un des principaux facteurs de blocage et de délais additionnels, en dépit des efforts de simplification des textes. Les règles sont appliquées différemment, voire inégalement, selon les territoires.

v Les entreprises restent aussi insuffisamment associées à la planification locale, et leurs besoins sont insuffisamment anticipés, alors que les documents d'urbanisme, de plus en plus rigides et complexes, sont source d'une forte inertie.

v En conséquence, le temps administratif ne correspond plus au temps économique. La durée cumulée des procédures d'autorisation d'un projet et des recours n'est souvent plus compatible avec les contraintes de la compétition économique mondiale à laquelle font face les entreprises.

(Exemple recueilli lors des auditions)

v Les grands objectifs de réindustrialisation, de transition environnementale et énergétique de l'industrie, de plein emploi, ne se traduisent pas par une meilleure acceptabilité des projets de création de sites d'activité. Environnement et entreprises sont, à tort, trop souvent opposés, alors que ces dernières joueront un rôle incontournable dans les grandes transitions.

v La complexité du droit accroît le risque juridique qui pèse sur les projets, et joue un rôle extrêmement désincitatif. Rares sont aujourd'hui les projets qui ne sont pas attaqués en justice à toutes les étapes de leur réalisation, ce qui peut les retarder de plusieurs années. En particulier, les études d'impact relatives à la biodiversité sont perçues comme source d'une grande insécurité.

v L'action publique pour protéger et développer le foncier économique est insuffisante, alors même qu'il fait l'objet d'un effet d'éviction documenté. En outre, la réhabilitation des friches ne sera pas, seule, à la hauteur des enjeux, et la rénovation des zones d'activités n'en est encore qu'à ses débuts. Ces dynamiques conduisent à un « grignotage » du foncier économique existant en France au profit d'autres usages.

v La forte contrainte posée par les objectifs de « zéro artificialisation nette » doit aller de pair avec une amélioration des dispositifs de compensation et de mutualisation de l'impact des projets, notamment la compensation environnementale, dont les critères sont aujourd'hui extrêmement rigides, et les possibilités de mutualisation des impacts au titre du « ZAN ».

v L'évolution vers des modes d'aménagement économique plus durables impliquera des efforts de densification de la part des entreprises, mais suppose aussi de lever les freins réglementaires contre-productifs et d'accentuer l'accompagnement.

v LISTE DES RECOMMANDATIONS

À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs formulent quinze recommandations ayant pour objectif de :

MESURER L'IMPACT ECONOMIQUE RÉEL des difficultés d'accès au foncier :

1. Collecter annuellement, via l'administration centrale, des données relatives au nombre de projets d'implantation d'activité économique refusés ou abandonnés en France.

ANTICIPER ET ACCOMPAGNER LES PROJETS DES ENTREPRISES à toutes les étapes :

2. Veiller à l'association des acteurs économiques à l'élaboration des documents d'urbanisme et de planification, notamment en systématisant l'association des CCI et CMA à l'élaboration des SRADDET.

3. Sécuriser le financement des efforts d'identification du foncier économique en veillant à leur complémentarité au niveau national comme local ; et assurer la disponibilité de l'information au profit des acteurs économiques des territoires.

4. Au niveau local, veiller à une répartition claire des rôles des acteurs publics en matière de projets d'implantation, par exemple en identifiant de manière concertée un interlocuteur privilégié à l'échelle de chaque intercommunalité ou région.

5. Mettre en place, sur le modèle de Business France pour les investisseurs étrangers, un interlocuteur privilégié au niveau national pour l'ensemble des entreprises françaises portant un projet d'implantation pouvant potentiellement concerner plusieurs territoires.

6. Acter, dans le cadre des prochaines lois de finances, un effort financier significatif et durable en faveur des effectifs de l'administration déconcentrée chargés de l'instruction des projets d'implantation.

PRÉSERVER, RÉNOVER, REPENSER le foncier économique :

7. Sanctuariser une partie des financements du Fonds friches dans une enveloppe réservée au profit de projets d'activité économique, et d'adapter pour ce volet les règles de financement.

8. Adapter le degré d'exigence des textes français et, au besoin, européens, notamment en matière fiscale et environnementale, pour rendre plus incitative la réhabilitation des friches.

9. Initier un programme de soutien dédié à la rénovation des zones d'activités économiques, ouvrant le bénéfice d'outils juridiques nouveaux en matière d'aménagement et de maîtrise foncière et prévoyant des aides financières dédiées.

10. Élargir le programme « sites clés en main » en créant et en finançant un volet territorialisé piloté par les régions et les EPCI, permettant d'accompagner les collectivités territoriales vers la mobilisation d'un plus grand nombre de sites.

LIMITER LE RISQUE JURIDIQUE qui pèse sur les entreprises :

11. Étudier l'option d'un encadrement des études d'impact et d'une certification des bureaux d'études en écologie, afin de garantir la qualité et la solidité juridique des études réalisées dans le cadre des procédures d'implantation.

12. Étudier la possibilité d'une procédure d'admission préalable des recours contre les projets d'implantation, dès la première instance, visant à identifier les recours présentant un caractère abusif.

13. Confier explicitement à l'administration, dans les textes législatifs et réglementaires, le rôle d'information et d'accompagnement des porteurs de projets dans le cadre des procédures régissant l'implantation d'activité.

DE SOUTENIR L'EVOLUTION VERS DES MODELES DURABLES d'aménagement économique :

14. Veiller à l'accès des entreprises, notamment des PME, aux dispositifs de compensation environnementale, dans le cadre des mesures d'application de la loi Industrie verte.

15. Poursuivre la sensibilisation des acteurs économiques et des élus locaux aux modèles plus durables des zones et des bâtiments d'activités.

AVANT-PROPOS

Alertée par les chefs d'entreprises sur les difficultés grandissantes d'accès au foncier qu'ils rencontrent, mettant en péril la création d'entreprise et la croissance des PME et ETI françaises, la délégation sénatoriale aux Entreprises a lancé, en octobre 2023, une mission d'information « flash » confiée aux sénateurs Christian Klinger et Michel Masset.

Les travaux de la délégation mettent en évidence une difficulté croissante des collectivités territoriales et de l'Etat à répondre aux besoins fonciers exprimés par les entreprises, aboutissant à de nombreux abandons de projets. C'est une perte nette pour l'emploi, l'économie et l'aménagement du territoire dans notre pays, car les activités productives sont une source de richesse à de multiples points de vue.

Une réglementation de plus en plus complexe et, parfois, contradictoire, vient encore réduire les chances de faire aboutir les projets, exposant les entreprises à un risque juridique parmi les plus élevés d'Europe et pénalisant particulièrement les petites et moyennes entreprises. Le temps administratif correspond de moins en moins au temps économique.

Pourtant, il n'y aura ni réindustrialisation, ni transition environnementale si les sites de production ne sont pas en mesure de se réorganiser, de se rénover, de se repenser.

À l'issue de leurs travaux, nourris par les témoignages concrets de dizaines d'entreprises, les rapporteurs formulent 15 recommandations visant notamment à accentuer l'accompagnement des projets d'implantation des entreprises, à mieux les intégrer à la planification foncière, à soutenir et financer la transformation des zones d'activité, et à simplifier la réglementation et l'organisation de l'administration.

PREMIÈRE PARTIE
UN FONCIER QUI SE RARÉFIE, DES IMPLANTATIONS DE PLUS EN PLUS DIFFICILES : VA-T-ON VERS UNE « FRANCE SANS USINES » ?

Les grandes transitions numériques et environnementales, ainsi que le besoin renouvelé de souveraineté, bouleversent l'économie mondiale et réorientent les politiques économiques. Dépassé le mythe de la « France sans usines » : le mot d'ordre est la réindustrialisation, et l'objectif est la croissance des PME et ETI françaises, pour renouer avec la production de nos biens stratégiques et rapatrier l'activité et l'emploi.

Si les stratégies économiques des dernières années ont fait la part belle à l'allègement de la fiscalité de production et aux réformes du droit du travail, elles ne se sont pas encore attaquées à un obstacle majeur au développement des entreprises françaises : la difficulté d'accès au foncier économique.

Pour les chefs d'entreprises, il est aujourd'hui de plus en plus difficile de mener à bien un projet d'ouverture de site, de déménagement, voire même d'extension. Avec l'accès aux compétences et la hausse des coûts des matières premières, le manque de foncier est cité parmi les risques les plus importants pesant sur l'activité. Faute de foncier pour implanter les activités économiques, courrons-nous aujourd'hui encore le risque d'une « France sans usines » ?

I. UN FONCIER ÉCONOMIQUE PLUS RARE, EN VOIE D'OBSOLESCENCE ET MOINS ACCESSIBLE : UN OBSTACLE SÉRIEUX AU DÉVELOPPEMENT DE L'ACTIVITÉ ET DE L'EMPLOI

A. LA RARÉFACTION DU FONCIER ÉCONOMIQUE DISPONIBLE

De nombreux territoires français connaissent aujourd'hui une forte tension sur le foncier économique : malgré des variations selon les bassins géographiques, la situation générale se dégrade et les emplacements dédiés à l'activité se raréfient.

Trois facteurs se conjuguent pour expliquer cette tension accrue :

 

Une impulsion réglementaire plus nette en matière de sobriété foncière, notamment par les objectifs de zéro artificialisation nette, ou « ZAN », adoptés en 2021 et qui sont en passe d'être traduits dans chaque territoire, amenant certaines collectivités à reconsidérer les projets d'aménagement de foncier économique ;

 

Les mécanismes de marché, qui orientent le foncier disponible vers des projets jugés plus rentables et moins risqués que les activités productives (logement, activité commerciale, data centers...) ;

 

Des arbitrages politiques moins souvent favorables à l'activité économique, en lien avec les difficultés d'acceptabilité des projets, et l'urgence de la crise du logement.

Entreprises comme élus locaux anticipent une nette aggravation de la situation à court terme, alors que la demande foncière s'accroît dans un contexte propice à la réindustrialisation, que le « ZAN » n'a pas encore produit tous ses effets, et que les gisements de foncier seront progressivement consommés.

La raréfaction des terrains disponibles se traduit déjà par une hausse des prix du foncier économique, parfois amplifiée par des phénomènes de rétention.

« Avec les prix qui montent, on passe d'une compétition entre petits,
arbitrée par les élus locaux, à une guerre des gros »

Dans certains cas, c'est même la réglementation en vigueur qui accentue la hausse des prix.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise industrielle cherche un nouveau terrain sur la zone d'activité où elle est déjà implantée, afin d'étendre son activité. Apprenant la liquidation judiciaire d'une entreprise voisine, elle exprime le souhait d'acquérir le terrain ainsi libéré.

Toutefois, dans le cadre d'une liquidation judiciaire, la vente doit obligatoirement se faire à l'acheteur le plus offrant : une autre offre d'implantation commerciale, au prix supérieur, l'a emporté. L'entreprise n'a pas pu réaliser son projet pourtant cohérent.

L'éviction de l'activité économique en dehors des centres-villes, mais aussi en dehors des zones qui lui étaient auparavant dédiées (zones industrielles, zones commerciales), est déjà à l'oeuvre, et la concurrence des usages joue à plein régime.

L'éviction par la hausse des prix : un phénomène qui touche aussi
le commerce de proximité et l'artisanat

Dans certains centres-villes dynamiques, la densification des centre-ville, tension sur l'offre de locaux et la hausse des prix de l'immobilier a conduit à l'éviction des entreprises commerciales, artisanales ou de services.

Selon CCI France, dans de nombreux secteurs, la croissance des loyers ne permet pas l'installation ou le maintien de l'activité en zone urbaine. CMA France relève aussi que la capacité financière des entreprises artisanales se retrouve en décalage croissant avec les prix pratiqués sur le marché. Selon une enquête de la CMA Centre-Val-de-Loire (2022), un artisan sur dix envisage un déménagement hors du centre-ville dans un avenir proche, dont 33% afin de diminuer le coût du loyer.

Il ne faut pas oublier que certains types d'activités artisanales partagent certaines caractéristiques des activités industrielles (besoin de surface et de hauteur sous plafond, besoin de desserte en poids lourds, éventuels impacts sonores...) qui font qu'ils ne peuvent pas s'implanter au coeur des villes.

Or, dans le même temps, l'offre de foncier dans les zones d'activités se réduit rapidement. La priorité donnée au logement ou aux bureaux dans le cadre de la réalisation d'opérations d'aménagement ou d'extension urbaine ne permet plus aux artisans et commerçants de trouver une offre foncière ou immobilière adaptée à leurs besoins.

B. UNE OFFRE OBSOLÈTE OU INADAPTÉE

Même lorsqu'une offre foncière existe, elle n'est pas toujours adaptée aux besoins des entreprises.

Le bassin d'emploi doit disposer des compétences nécessaires et du logement destiné aux salariés ; l'aménagement du site doit être adapté en termes de raccordement électrique, d'infrastructures de transport, de services ; et l'état de pollution du site doit être compatible.

Or, les délais de mise à niveau ou de réhabilitation des emprises, en particulier en cas de pollution, peuvent être dissuasifs, surtout dans les secteurs économiques soumis à forte concurrence : le foncier n'est alors que théoriquement disponible pour les besoins des entreprises françaises.

PAROLES D'ENTREPRISES

En 2020, une entreprise cherchant à s'implanter a identifié un site adéquat. Son activité nécessite un raccordement au réseau électrique et la fourniture d'une puissance significative.

Après avoir contacté le gestionnaire du réseau, on l'informe que le raccordement de l'emprise foncière à la puissance électrique nécessaire ne pourra pas être réalisé avant l'année 2027.

L'entreprise n'est pas certaine de pouvoir poursuivre son projet dans ces conditions.

Y compris dans les régions disposant déjà d'une forte empreinte économique et d'importants gisements fonciers, l'évolution des besoins et les exigences normatives accrues accélèrent l'obsolescence des parcs, et impliquent le renouvellement du foncier et des locaux d'activité : c'est le cas par exemple des obligations de performance énergétique liées au « décret tertiaire » pour les bâtiments de bureaux, ou encore des besoins nouveaux en matière de desserte en réseaux des anciens parcs d'activité.

Dans un contexte de tension foncière, les propriétaires des terrains d'activité peuvent être réticents à les céder ou préférer la location. Or, assurer la propriété de leur emprise reste encore une condition importante pour les entreprises, notamment industrielles, car elle offre davantage de garanties à long-terme.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise implantée dans un territoire français était locataire, pour le terrain sur lequel elle exerçait son activité depuis de nombreuses années, d'un grand groupe français de transport ferroviaire. Ce groupe leur a annoncé soudainement souhaiter résilier le bail, afin de le transférer à l'une de ses filiales.

Or, aucun autre terrain n'était disponible sur le même territoire. Elle a envisagé de déménager, mais a finalement pu se maintenir à la faveur de l'abandon du projet par le groupe bailleur.

C. DES PROCÉDURES D'ACCÈS LONGUES, COMPLEXES ET RISQUÉES

L'implantation d'une entreprise sur un site est soumise à un empilement de législations et de réglementations ayant trait à l'urbanisme, à la protection de l'environnement, de l'eau, de la faune et de la flore, aux risques industriels, aux autorisations commerciales...

Malgré les récentes tentatives de simplification (lois dites « ASAP », « 3DS », « Industrie verte »), la situation reste extrêmement complexe pour les entreprises, en particulier les plus petites, moins outillées pour y faire face.

« En France, la complexité administrative est tout autant un obstacle
que la disponibilité de foncier elle-même ! »

Les services et autorités chargés de ces autorisations souffrent d'un manque de moyens et de réactivité chronique, qui aggravent les délais d'instruction et entraînent l'abandon de projets.

« Le temps administratif est de moins en moins compatible
avec le temps économique »

La pluralité de régimes et de décisions nécessaires à chaque projet démultiplie aussi les risques contentieux, chaque étape pouvant faire l'objet d'une contestation devant le juge. Les entreprises témoignent d'un réel problème d'acceptabilité des projets, ceux-ci souffrant d'une « présomption de nuisances » souvent erronée.

PAROLES D'ENTREPRISES

La délégation a recueilli le témoignage de deux entreprises porteuses de projets d'implantation d'activité, dont les procédures d'autorisation se sont étendues sur plusieurs années. L'accumulation des étapes administratives et des différents régimes d'autorisation, ainsi que les délais liés aux différents échelons de contentieux, est un véritable obstacle.

L'une a renoncé à son projet, l'autre tente de le faire aboutir mais pourrait être contrainte de l'abandonner s'il n'aboutit pas dans les mois à venir. Les deux chronologies ci-après retracent les étapes de ces deux projets.

Chronologies du « découragement foncier » des entreprises :
deux exemples recueillis lors des auditions

II. L'IMPACT ÉCONOMIQUE GLOBAL DES ÉCHECS ET ABANDONS DE PROJETS D'IMPLANTATION EST ENCORE TROP PEU APPRÉHENDÉ

Si certaines entreprises sont en mesure d'adapter leurs projets ou leurs attentes pour surmonter les obstacles décrits plus haut, celles qui ne peuvent le faire sont contraintes à l'abandon de leurs projets, voire au déménagement de leurs activités hors de France. C'est une perte nette pour l'économie française.

Or, ces projets, notamment industriels, visent aujourd'hui en majorité des territoires ruraux et des villes moyennes : ils pourraient représenter un véritable levier de dynamisme économique et d'aménagement du territoire, y compris en dehors des grandes métropoles.

« La majeure partie de la demande en foncier économique est endogène :
elle provient de PME et TPE très ancrées dans la vie économique de leur territoire »

Même les entreprises qui parviennent à faire aboutir leurs projets font face à des procédures et des délais supérieurs à ceux qui s'appliquent à leurs homologues européennes ou américaines : de manière croissante, les difficultés d'accès au foncier représentent un désavantage compétitif pour les entreprises françaises. C'est aussi un coût supplémentaire : pour une PME française, le MEDEF estimant que le surcoût lié aux procédures et délais peut être chiffré jusqu'à 700 000 euros pour un projet d'investissement de 10 millions d'euros, soit jusqu'à 7% du coût total.

Si l'enjeu du foncier économique a fait l'objet d'une véritable prise de conscience pour les entreprises, pour qui il figure au rang des préoccupations principales, il n'est pas encore suffisamment identifié au plus haut niveau de l'État.

« Il faudrait que l'État prenne conscience du nombre important d'échecs de projets, mais il ne consolide aucune donnée en la matière ».

L'administration ne collecte pas, à ce jour, de données qui permettraient de mesurer l'ampleur réelle du phénomène d'abandon de projets face aux obstacles liés à l'accès au foncier économique. Seuls certains cas emblématiques, largement relayés par la presse, ont permis au grand public et aux autorités d'en prendre connaissance.

La délégation recommande...

... que l'administration centrale collecte annuellement des données relatives au nombre de projets d'implantation d'activités économiques refusés ou abandonnés en France.

DEUXIÈME PARTIE
MIEUX ACCOMPAGNER L'ÉVOLUTION DES BESOINS FONCIERS DES ENTREPRISES À TOUTES LES ÉTAPES DE LEUR DÉVELOPPEMENT

I. PROMOUVOIR L'ASSOCIATION DES ACTEURS ÉCONOMIQUES À LA PLANIFICATION EN MATIÈRE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET D'URBANISME

Le dialogue avec les acteurs économiques, notamment les entreprises, est insuffisamment ancré dans la culture administrative française. Il en résulte des défauts d'anticipation problématiques, les délais de mobilisation du foncier économique restant particulièrement longs.

Pis, cela peut entraîner des décisions dommageables pour des entreprises déjà implantées, faute d'appréhension concrète des situations ou de consultation préalable : certains chefs d'entreprise ont déploré le manque de contact direct avec les responsables à l'échelon local, en particulier lorsque des évolutions prescrites affectent leurs implantations ou leurs projets.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise avait acquis il y a plus de vingt ans deux terrains contigus à vocation économique, alors constructibles. Elle s'était implantée sur le premier terrain, réservant le second à une extension dès que la croissance de son activité et ses capacités d'investissement le permettraient.

En 2023, alors qu'elle contacte la collectivité pour lancer le projet d'extension, elle apprend que le plan local d'urbanisme a évolué et que, sans qu'elle n'en soit avertie ou qu'elle ait été consultée à ce sujet, le deuxième terrain a été classé inconstructible.

L'entreprise est dans l'incapacité d'étendre son activité comme cela était pourtant prévu depuis plusieurs années. Une révision du PLU durerait environ 4 ans et il n'est pas certain que la commune accède à sa demande de révision, en particulier dans le contexte du « ZAN ».

Des évolutions législatives sont intervenues récemment (loi Climat-résilience, loi Industrie verte) afin de renforcer les volets industriel et logistique de la planification de l'aménagement dans les SCoT et SRADDET.

Mais ces obligations nouvelles n'interviendront pas avant 2027 pour certaines : or, il faut enclencher dès maintenant une nouvelle dynamique.

De plus, la loi n'impose aujourd'hui que dans certains cas l'association des chambres de commerce et d'industrie (CCI), des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) et des chambres d'agriculture à l'élaboration des documents de planification. La montée en puissance des SRADDET, et le rôle central des régions qui l'élaborent, justifierait une association systématique.

PAROLES D'ENTREPRISES

Le MEDEF a alerté la délégation sur l'absence d'évaluation précise des dispositions du nouveau PLU « bioclimatique » de la ville de Paris : « aucune étude d'ensemble ou analyse de marché n'a été réalisée pour mesurer les conséquences de ce nouveau document, et les entreprises ne peuvent pas se projeter ».

Au total, 450 sursis à statuer pour des projets auraient été opposés depuis que le projet a été arrêté en juin dernier, avec entre 200 et 400 000 emplois en jeu.

Certaines des personnes entendues ont avancé l'idée de systématiser la réalisation « d'études de marché » autour des besoins des entreprises et de l'adéquation des zones d'activité réservées dans les documents d'urbanisme, au moment de leur élaboration. Certaines chambres consulaires réalisent déjà ces études et seraient en mesure de participer à une meilleure information des élus si elles étaient plus systématiquement associées.

« Il arrive trop fréquemment que les collectivités se demandent pourquoi
un programme artisanal ne trouve pas preneur, et que l'on se rendre compte
qu'il existe un problème de prix, de surface, ou de caractéristiques bâties
non adaptées aux activités ciblées »

Au-delà des obligations légales et des aspects formels, la délégation appelle à un changement de paradigme, en associant plus régulièrement et plus qualitativement les acteurs économiques à la conception des projets de territoire.

Un tel dialogue permanent sera essentiel pour anticiper correctement les besoins en matière d'aménagement économique au sein de chaque territoire, et pour fixer des objectifs partagés concourant à une meilleure acceptabilité des projets d'activité économique.

« Si les schémas abordent bien l'offre en foncier et immobilier d'entreprise,
la demande actuelle et future des entreprises, elle,
n'est pas systématiquement évaluée, qualifiée et intégrée »

La délégation recommande...

... de veiller à l'association des acteurs économiques à l'élaboration des documents de planification, notamment en systématisant l'association des CCI et CMA à l'élaboration des SRADDET.

II. AMÉLIORER LA QUALITÉ ET LA DISPONIBILITÉ DE L'INFORMATION AUX ENTREPRISES RELATIVE AUX SITES DISPONIBLES

Certaines collectivités territoriales, en lien avec les agences de développement économique, ont déployé des solutions innovantes pour améliorer la qualité et la disponibilité de l'information relative au foncier économique disponible sur leur périmètre.

Certaines chambres de commerce et d'industrie ont mis en oeuvre des « bourses aux locaux d'entreprises », ou des prestations d'accompagnement des entreprises cherchant à s'implanter.

Ces initiatives, nombreuses mais disparates, doivent être soutenues, articulées entre elles, financées et évaluées dans la durée : elles sont essentielles pour identifier des gisements fonciers et pouvoir trouver rapidement des solutions d'accueil pour les projets. Mais elles se heurtent encore à une tendance au travail en silo et au manque d'outils communs.

Parmi les obstacles relevés par la délégation figure la difficulté rencontrée par beaucoup de collectivités territoriales pour réaliser l'inventaire des zones d'activités économiques (ZAE) prévu par la loi Climat-résilience, faute de moyens (humains comme techniques) et d'ingénierie.

Les données transmises par l'État dans le cadre de l'exercice de recensement de la vacance sont très complexes à utiliser par les collectivités, tel le ficher LocomVacX, considéré par de nombreux interlocuteurs comme illisible.

Au niveau national, seul l'outil « DataViz Sites clés en main », orienté vers les investisseurs étrangers et ne concernant qu'une centaine de sites environ, existe pour l'instant.

Le Cerema et la Banque des Territoires travaillent à l'élaboration d'un portail national du foncier économique, dont la mise en oeuvre prévue en 2023 a néanmoins pris du retard. Entendu par les rapporteurs, le Cerema a notamment souligné le manque de moyens financiers pour développer les outils nécessaires, et la difficile coordination des nombreux acteurs impliqués. A été soulignée l'absence de participation financière quelconque de l'État aux travaux autour du portail national en 2023.

Un exemple de mobilisation générale en faveur de la connaissance du foncier économique : l'application « Sud Foncier Eco » développée par la région Sud

En 2017, la région Sud a lancé les travaux visant à disposer d'une vision « en un clic » du foncier économique régional. Ont été associés à ces travaux les réseaux consulaires (CCI et CMA), les services déconcentrés de l'État, l'établissement public foncier, l'agence de développement économique risingSud, l'agence régionale de la biodiversité et de l'environnement et les agences d'urbanisme.

Mise à jour annuellement, l'application (disponible en ligne) permet de visualiser l'ensemble des zones d'activité et établissements. Elle met notamment en valeur le foncier théoriquement disponible, en lien avec l'outil UrbanSimul du Cerema, ainsi que les friches. À chaque zone identifiée est associée une fiche d'information détaillée présentant les réseaux, les transports, le nombre d'entreprises implantées, le foncier disponible, le nombre d'emplois...

En parallèle, l'agence de développement économique risingSud a développé un site Internet dédié aux entreprises cherchant à s'implanter dans la région, qui propose notamment des offres de foncier à l'achat ou à la location, avec une fiche détaillée pour chaque site identifié.

Plus généralement, la délégation appelle à veiller à la disponibilité directe de l'information au profit des entreprises, concernant les sites d'implantation possibles pour leurs activités. La création de nouveaux outils de connaissance du territoire pilotés par les acteurs publics est une première étape indispensable, qui devra dans un second temps bénéficier à l'ensemble des acteurs du territoire, collectivités, entreprises et citoyens. Les agences de développement économique et les réseaux consulaires, notamment, ont un rôle important à jouer dans ce cadre.

La délégation recommande...

... de sécuriser le financement des efforts d'identification du foncier économique en veillant à leur complémentarité au niveau national comme local ; et assurer la disponibilité de l'information au profit des acteurs économiques des territoires.

III. FAVORISER LA MISE EN PLACE D'INTERLOCUTEURS PRIVILÉGIÉS POUR LES ENTREPRISES AUX NIVEAUX LOCAL COMME NATIONAL, Y COMPRIS POUR LES PETITS PROJETS

L'ensemble des personnes entendues a insisté sur le caractère indispensable du « travail d'équipe » autour des projets d'implantation, et sur la nécessaire coopération entre acteurs.

Mais la multiplicité d'intervenants est source de complexité pour les chefs d'entreprises, notamment de PME, ignorant parfois la répartition des rôles au sein des administrations et ne disposant pas en interne de moyens humains suffisants. Selon les territoires, l'organisation des acteurs publics et leur « doctrine » en matière de projets d'implantation peut varier de manière considérable, générant incompréhension et frustration pour les entreprises.

La nébuleuse des interlocuteurs

Or, les dispositifs d'accompagnement mis en oeuvre semblent aujourd'hui insuffisants.

· Les « référents uniques aux investissements » (RUI) placés auprès des préfets de région, ne semblent pas jouer pleinement leur rôle. Il manque toujours un animateur, un facilitateur au sein des services de l'Etat. La mise en place de « sous-préfets régionaux à l'investissement et à l'attractivité », déjà préconisée par le rapport Guillot en 2022, n'est pas effective, et est à nouveau recommandée par député Charles Rodwell, auteur d'un rapport remis au Gouvernement en décembre 2023. La formation des équipes déconcentrées aux enjeux économiques et à l'accompagnement des projets est insuffisante.

La majorité des dirigeants d'entreprise entendus par la délégation estime que l'échelon à privilégier pour mettre en place un accompagnement cohérent, articulé, et une « animation » du projet est celui du bassin d'emploi, correspondant à l'échelon intercommunal, voire celui de plusieurs intercommunalités (par exemple le périmètre SCoT).

La délégation recommande...

... au niveau du bassin d'emploi, de veiller à une répartition claire des rôles des acteurs publics en matière de projets d'implantation, par exemple en identifiant de manière concertée un interlocuteur privilégié à l'échelle de chaque intercommunalité ou de chaque SCoT.

· L'action des agences de développement économique est saluée par les entreprises, celles-ci offrant une information structurée et permettant d'orienter les porteurs de projet vers les interlocuteurs appropriés. Il n'en reste pas moins que les entreprises envisageant plusieurs territoires d'implantation doivent se tourner vers une multiplicité d'agences régionales voire intercommunales ;

· Tandis qu'un accompagnement renforcé et un pilotage unique est assuré par Business France pour les entreprises étrangères souhaitant s'implanter en France, il n'existe pas d'équivalent pour les projets d'implantation des entreprises françaises.

« Business France accompagne très bien les entreprises étrangères,
alors que les entreprises françaises n'ont pas vraiment de porte d'entrée
et doivent aller frapper auprès de chaque agence de développement économique »

En vue d'accompagner les grands projets industriels (visés par la loi Industrie verte), le Gouvernement semble avoir acté la mise en place d'une « task force » administrative nationale. Mais celle-ci ne concernerait qu'un nombre très limité d'implantations : elle ne changera pas la situation des PME et ETI françaises actives sur d'autres segments d'activité ou pour des projets d'ampleur plus restreinte.

Pour ne pas oublier les projets de plus petite ampleur ou d'autres secteurs d'activité, il conviendrait donc de mettre en place une « porte d'entrée » ou un interlocuteur privilégié au niveau national pour l'ensemble des porteurs de projets concernant potentiellement plusieurs territoires, chargé de les orienter vers les bons interlocuteurs et de garantir l'avancée des démarches.

La délégation recommande...

... de mettre en place, sur le modèle de Business France pour les investisseurs étrangers, un interlocuteur privilégié au niveau national pour l'ensemble des entreprises françaises portant un projet d'implantation pouvant potentiellement concerner plusieurs territoires.

IV. DOTER LES ADMINISTRATIONS DÉCONCENTRÉES DE MOYENS À LA HAUTEUR DE LEURS MISSIONS D'INSTRUCTION ET D'ACCOMPAGNEMENT

Au-delà de l'enjeu d'orientation des porteurs de projets vers les bons interlocuteurs, et d'animation du dialogue entre différentes autorités, les personnes entendues par la délégation ont souligné un manque chronique de moyens humains au sein des administrations déconcentrées chargées de l'instruction des projets, en particulier les DREAL (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement).

« Pour réduire les délais, le travail a été fait en ce qui concerne la réglementation.
L'obstacle aujourd'hui, ce sont les moyens de l'administration »

Leur rôle est pourtant déterminant, mais la saturation des services et l'allongement des délais de réaction des DREAL est aujourd'hui perçu comme l'une des principales sources de retards dans la réalisation des projets.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise a relaté que l'absence non remplacée d'un agent de la DREAL, chargé de l'instruction et du suivi d'un projet d'implantation, a mis à l'arrêt pendant plusieurs mois le dossier, entraînant d'important délais et surcoûts.

Dans un autre cas, le manque de réactivité de la DREAL a conduit à la péremption de l'étude « faune-flore » qui avait été réalisée par le porteur de projet. Ce dernier a été contraint de la faire une nouvelle fois réaliser à ses frais.

La délégation recommande...

... d'acter, dans le cadre des prochaines lois de finances, un effort financier significatif et durable en faveur des effectifs de l'administration déconcentrée chargés de l'instruction des projets.

TROISIÈME PARTIE
PRÉSERVER, RÉNOVER ET REPENSER LE FONCIER ÉCONOMIQUE

I. PRÉSERVER LE POTENTIEL ÉCONOMIQUE DE LA FRANCE, C'EST D'ABORD PRÉSERVER LE FONCIER PRODUCTIF

À l'issue de quarante ans de désindustrialisation, une très faible part du territoire français est aujourd'hui consacrée aux activités productives. L'industrie, par exemple, représente environ 4 à 5% de l'artificialisation ancienne et nouvelle, alors qu'elle compte pour 13,1% du PIB.

Comment la France se situe-t-elle en matière de
consommation de foncier économique ?

Entre 2009 et 2018, la France est l'un des rares pays de l'Union européenne à avoir consommé de l'espace au profit des activités manufacturières, selon les données d'Eurostat.

Mais cela s'explique en partie par le fait que la part du territoire national déjà artificialisée pour l'activité économique est plus faible qu'ailleurs, reflétant une moindre industrialisation : il existe moins de sites et moins de friches à vocation économique. Ainsi, en France, 4% des surfaces seulement sont consacrées à l'activité industrielle, 14% aux surfaces commerciales et économiques ; contre 42% à l'habitat ou 28% aux transports par exemple. La consommation nouvelle de foncier est, elle aussi, très majoritairement portée par l'habitat.

Alors que la crise du logement s'aggrave et que le foncier se raréfie, l'activité économique pourrait être sacrifiée au profit de projets jugés plus urgents ou rentables. Or, préserver le potentiel économique de la France, et donc la création d'emplois et de richesses, implique de protéger le foncier économique et de lutter contre l'effet d'éviction des activités productives.

De plus, le foncier à vocation économique est soumis à des contraintes plus fortes : il est souvent contraint par la loi ou le règlement à des distances minimales d'éloignement des zones habitées, ou doit prendre en compte les enjeux de raccordement et de desserte.

Une fois la vocation économique d'une emprise perdue, par exemple lorsqu'une zone d'activité est remplacée par des programmes de logement, il est souvent difficile de retrouver ailleurs des sites permettant d'accueillir une activité productive similaire. C'est particulièrement le cas pour les installations ICPE (classées pour la protection de l'environnement) ou logistiques.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une zone industrielle, présentant des avantages intéressants en termes de desserte ferroviaire, et répondant à la réglementation applicable aux sites « Seveso », est implantée de longue date à bonne distance de l'agglomération.

Mais l'extension progressive de la ville, et notamment de récents quartiers de logements, a fortement réduit la distance entre ce site et les habitations. Face à l'opposition des nouveaux riverains et en raison des contraintes de leur activité, les entreprises de la zone vont devoir déménager et retrouver des zones d'implantation compatibles avec la réglementation applicable, plus en dehors de la ville. De telles zones n'existent pas aujourd'hui.

Les entreprises sont prises dans un étau, entre l'amenuisement des surfaces déjà artificialisées dédiées au foncier économique, et les objectifs de « ZAN » qui contraignent l'extension nouvelle.

« Les évolutions des documents d'urbanisme liées au ZAN pourront rendre
brusquement inconstructibles des terrains mis en réserve depuis longtemps
pour des extensions industrielles des PME et ETI locales »

Alors qu'il existe pour le logement ou pour les terres agricoles des dispositifs juridiques visant à protéger les emprises (emplacements réservés, préemption par les collectivités compétentes ou par la SAFER), il n'existe aucun mécanisme protecteur pour le foncier économique, qui est entièrement soumis aux règles du marché.

« Il y a un vrai retard dans la prise en compte des besoins de l'activité économique
dans la répartition des enveloppes foncières entre territoires »

La planification de l'urbanisme et de l'aménagement doit tenir compte de cette double contrainte, et tendre à préserver les emprises existantes à vocation économique, pour lutter contre la concurrence des usages, qui joue bien souvent en défaveur des entreprises. La réhabilitation des zones d'activité vieillissantes, mais aussi la celle des friches, doivent donc être encouragées.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise artisanale du secteur du BTP est implantée de longue date sur un site éloigné du centre-ville. Avec l'extension des zones d'habitation, elle acquiert de nouveaux riverains.

Faisant l'objet de plaintes pour nuisances, bien qu'implantée antérieurement, l'entreprise est priée de déménager. Face à son refus, la collectivité classe son terrain d'installation comme inconstructible, afin d'empêcher tout développement de l'activité et de la contraindre à un départ de la zone.

Préserver le foncier économique à vocation industrielle signifie aussi amplifier l'effort de revitalisation des centres-villes et l'utilisation du tissu urbain, afin que puisse s'y implanter à nouveau et en priorité l'activité commerciale et artisanale, soumise à moins de contraintes urbanistiques. Déjà, certaines collectivités entendues ont fait le choix d'interdire toute implantation commerciale dans les zones d'activité, pour les réserver en priorité aux activités productives.

Les besoins logistiques engendrés par la réindustrialisation et la recomposition des chaînes de valeur sont importants, et ce dans l'ensemble des secteurs d'activité productifs. Or, l'acceptabilité des projets logistiques est aujourd'hui très faible. Cela pose question quant à la capacité de l'entreprise de demain à organiser son approvisionnement et celle de notre pays à déployer le réseau d'infrastructure nécessaire.

La logistique : des projets particulièrement touchés par le manque d'acceptabilité

Dans le secteur de la logistique, le nombre de projets autorisés marque une forte baisse depuis environ cinq ans. De l'avis des personnes entendues, les difficultés à faire émerger des projets dans le secteur de la logistique relève principalement d'un manque d'acceptabilité auprès des riverains, ceux-ci craignant nuisances et circulation routière, mais aussi de la société en général, vis-à-vis de projets perçus comme consommateurs d'espace et à faible plus-value économique.

Pourtant, les besoins sont importants, évalués à 2500 hectares d'ici 2030 seulement par le rapport Mouchel-Blaisot. Le parc actuel est vieillissant, avec plus d'un quart des installations ayant plus de vingt ans. Les besoins devraient augmenter à moyen-terme, à hauteur de 12% supplémentaires de flux de marchandises d'ici 2050 selon une étude du ministère des transports publiée en 2023. Les besoins sont aussi spécifiques, puisque les sites logistiques doivent s'implanter à des carrefours précis, desservis par plusieurs modes de transport et à proximité des pôles d'activité et des villes. Or, le secteur atteint déjà un niveau de saturation élevé, avec moins de 2% de vacance en moyenne en France.

Mettre en lumière la tension sur le foncier économique ne signifie pas renvoyer à l'arrière-plan l'enjeu majeur du logement, et notamment du logement des salariés. L'entreprise ne s'implante ni ne prospère sans bassin dynamique, au sein duquel les salariés peuvent facilement se loger à proximité de leur lieu de travail. À l'inverse, un territoire ne peut se développer sans développement économique, clef de voûte de l'emploi.

Pénurie de logement pour les salariés : le revers de la médaille

Tension sur le foncier économique et difficultés de logement des salariés vont souvent de pair : dans un contexte de crise du logement généralisée, les entreprises portent une attention particulière à la capacité d'accueil du territoire où ils s'implantent. En zone tendue, le défi est souvent double pour les chefs d'entreprise : certains se mobilisent désormais pour trouver eux-mêmes des solutions pour leurs salariés et saisonniers. La capacité d'action d'Action logement a, de surcroît, été largement obérée par les récentes ponctions sur ses ressources.

II. LA RÉHABILITATION DES FRICHES SERA UN LEVIER ESSENTIEL, MAIS PAS LA RÉPONSE UNIQUE À L'ENSEMBLE DES BESOINS

Pour autant, la revitalisation des zones d'activité économiques obsolètes et la réutilisation des friches industrielles ne pourront pas, seules, pallier la forte tension sur le foncier économique.

A. LES FRICHES OFFRENT UN POTENTIEL LIMITÉ ET INÉGAL

Selon le rapport au Gouvernement remis par la préfet Rollon Mouchel-Blaisot, 10 000 ha pourraient être mobilisés d'ici 2030 grâce à la réhabilitation des friches : or, le besoin est estimé à plus du double pour l'industrie et la logistique d'ici là (22 000 ha).

De plus, le gisement de friches en France, qui ne fait pas l'objet d'estimations précises (elles varient entre 90 000 et 150 000 hectares environ), est très inégalement réparti sur le territoire : la carte des besoins et celles du potentiel ne se superposent pas.

B. LES AIDES PUBLIQUES NE PALLIENT PAS LE DÉSÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE

Les personnes entendues par la délégation ont confirmé qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de modèle économique viable pour la réhabilitation (et notamment la dépollution) des friches en vue de leur réutilisation pour de l'activité économique.

« La réhabilitation des friches se heurte à une impasse de financement »

Lancé en 2020, le Fonds Friches, dont la vocation était justement d'équilibrer les opérations de réhabilitation et de libérer ainsi des gisements fonciers, n'a pas été utilisé au profit de projets d'implantation économique.

Selon les professionnels entendus, les taux de co-financement des opérations soutenues par le Fonds ne sont pas assez élevés pour équilibrer les projets à vocation d'activité économique, et ont donc pour effet d'en exclure ce type de projets. Le pré-aménagement est aussi trop peu financé en vertu des règles actuelles du fonds.

La délégation recommande...

... de sanctuariser une partie des financements du Fonds friches dans une enveloppe réservée au profit de projets d'activité économique, et d'adapter pour ce volet les règles de financement.

C. DES OBSTACLES PERSISTANTS

Il persiste encore des obstacles juridiques à la réhabilitation des friches, en dépit des efforts de simplification menés dans les lois Climat-résilience et Industrie verte. Par exemple :

 

Les mêmes règles et procédures (y compris fiscales) s'appliquent aux projets d'implantation visant une friche ou un terrain non artificialisé, ce qui signifie qu'il y a une absence d'incitation à réutiliser les friches, le coût des opérations étant pourtant bien supérieur ;

 

Au regard du droit de l'environnement, une friche ancienne végétalisée est regardée comme un milieu naturel, devant faire l'objet d'études de biodiversité ou de compensations, pouvant fonder des refus d'implantation, alors même qu'il s'agit d'un terrain ayant été préalablement artificialisé ;

 

La durée supérieure des travaux d'aménagement d'une friche et la complexité de l'instruction des projets peut entraîner parfois la caducité des études et autorisations déjà réalisées et obtenues. Un manque de stabilité des règles applicables est souvent relevé.

« Du point de vue juridique, les friches sont un terrain extrêmement sensible,
alors qu'elles sont la voie d'avenir : c'est contradictoire »

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise prévoit de s'implanter sur une friche industrielle. Après avoir acquis le terrain, elle engage d'importants frais de dépollution, de désamiantage, et d'aménagement.

La qualification ultérieure de zone humide d'une partie de la friche, pourtant déjà artificialisée et ayant vocation économique, a mis fin au projet.

La délégation recommande...

... d'adapter le degré d'exigence des textes français et européens, notamment en matière fiscale et environnementale, pour rendre plus incitative la réhabilitation des friches.

III. RÉNOVER ET RESTRUCTURER LES ZONES D'ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES, UN ANGLE MORT DES POLITIQUES PUBLIQUES

L'effort de réhabilitation d'ensemble des zones d'activités économiques, lourd et coûteux, n'est aujourd'hui pas encore enclenché en France. De récentes études estiment que seul un quart des opérations de requalification de ZAE menées par les intercommunalités compétentes s'attellent à la requalification des sols et du bâti, les autres se concentrant sur des actions plus cosmétiques (signalisation, stationnement...).

Les 32 000 ZAE françaises représentent pourtant une surface de près de 450 000 hectares, dont jusqu'à 30% serait insuffisament exploitée.

À la différence des politiques publiques ambitieuses lancées pour revitaliser le commerce et l'artisanat des centre-bourgs et centres-villes, grâce à la réfaction des locaux et équipements et un effort d'attractivité, il n'existe pas aujourd'hui de politique de réhabilitation pour les zones d'activités ou les emprises industrielles situées en périphérie des villes françaises.

Une application limitée des programmes existants
à la réhabilitation des zones d'activités

Les programmes « Action Coeur de ville » et les opérations de revitalisation de territoire (ORT), dotés d'outils urbanistiques, fiscaux et d'ingénierie spécifiques, visent principalement le commerce et l'artisanat de proximité implantés dans les centres-villes et centres-bourgs.

Les projets partenariaux d'aménagement (PPA) ne concernent quant à eux que d'importantes opérations d'aménagement réalisées en relation contractuelle avec l'Etat, et n'ont trouvé aujourd'hui que peu d'applications concrètes.

Ces deux dispositifs, qui dépendent en outre d'un dispositif contractuel entre l'Etat et les collectivités, n'ont donc pas vocation à être déployés à grande échelle au coeur des territoires pour la réhabilitation des zones d'activités économiques vieillissantes.

Le Gouvernement a par ailleurs annoncé le lancement d'un « programme de transformation des zones commerciales périphériques » en septembre 2023, consistant en une expérimentation dotée d'un budget de 24 millions d'euros, concernant une trentaine d'opérations environ. Il ne concerne toutefois que les activités commerciales.

Enfin, si la deuxième vague de « Territoires d'industrie » a pour notamment objectif de soutenir les actions de pré-aménagement et d'apporter une ingénierie supplémentaire aux collectivités sur les enjeux fonciers, elle ne concerne que 183 intercommunalités en France : de nombreux projets ne bénéficieront pas de cet appui, ni de ces aides financières, à hauteur de 100 millions d'euros issus du Fonds vert, pourtant pertinent.

Lancer un programme dédié de soutien à la rénovation et à la restructuration des zones d'activités économiques présenterait l'avantage de pouvoir y adosser des outils nouveaux qui font aujourd'hui défaut, notamment en matière de maîtrise foncière. Les établissements publics fonciers, traditionnellement concentrés sur le logement, et les aménageurs publics (SEM, SPL), pourraient aussi développer une expertise accrue en matière d'aménagement économique.

La délégation recommande...

... d'initier un programme de soutien dédié à la rénovation des zones d'activités économiques, ouvrant le bénéfice d'outils juridiques nouveaux en matière d'aménagement et de maîtrise foncière et prévoyant des aides financières dédiées.

De nouveaux modèles d'organisation des zones d'activités, ainsi que de nouveaux modèles de maîtrise foncière, émergent : ainsi, les foncières tournées vers les activités productives ou l'immobilier d'entreprise se multiplient, à l'initiative des réseaux consulaires, des régions (en lien avec les établissements publics d'aménagement ou fonciers), ou via des opérateurs tels que la Banque des territoires. Le portage public de l'aménagement semble devoir être amené à prendre de l'ampleur dans les années qui viennent (voire une forme de dissociation durable du foncier et du bâti dans les ZAE), sans qu'il soit certain que ce modèle corresponde tout à fait aux besoins exprimés par les entreprises, qui privilégient encore la propriété de leurs emprises.

IV. ANTICIPER LES BESOINS ET LES PROCÉDURES POUR FACILITER LES IMPLANTATIONS : ÉLARGIR L'APPROCHE « CLÉS EN MAIN » AU BÉNÉFICE DE TOUTES LES ENTREPRISES FRANÇAISES

Pour réduire les délais de réalisation des projets et faciliter les implantations, les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer dans la préparation du foncier à vocation économique et l'anticipation des procédures d'autorisation (désamiantage, dépollution, archéologie préventive, études environnementales, capacités de raccordement ferroviaire ou fluviale...).

A. LES DOCUMENTS D'URBANISME RESTENT TRÈS RIGIDES

Faciliter l'évolution des documents d'urbanisme reste un véritable enjeu pour débloquer plus rapidement les projets d'implantation. Les mesures de simplification sectorielle portées, notamment, par la loi Industrie verte, ne concerneront qu'un nombre réduit de projets, le plus souvent menés à l'initiative de l'État ou soutenus par lui.

Même lorsqu'un projet est soutenu par l'ensemble des acteurs locaux, par les élus comme par la population, il arrive que les documents d'urbanisme ne puissent pas être modifiés en temps utile : ainsi, la révision d'un plan local d'urbanisme dure en général deux à trois ans (voire plus en cas de document intercommunal). Ces délais s'ajoutent alors aux temps d'instruction des demandes d'autorisation et aux éventuels délais contentieux. Les modifications des documents sont elles-mêmes parfois attaquées en justice, ajoutant un échelon possible de recours.

Il sera crucial de faciliter et d'accélérer la modification des documents d'urbanisme, à tous les échelons, pour permettre d'accueillir l'activité économique. En particulier, il doit être possible de reconnaître plus facilement l'intérêt général des projets de nature économique, lorsqu'ils sont significatifs pour l'emploi ou le dynamisme d'un territoire, et bénéficier de procédures simplifiées.

B. EN L'ÉTAT, LES « SITES CLÉS EN MAIN » NE RÉPONDENT PAS AUX BESOINS

L'un des programmes phares portés par le Gouvernement à partir de 2020 a été l'identification et la labellisation de 127 « sites clés en main », capables d'accueillir dans de brefs délais des activités économiques (notamment industrielles), grâce à l'anticipation et au portage public de la réalisation d'un certain nombre d'actions et d'études préalables (pré-aménagement, dépollution...).

Mais cette politique n'a offert que peu de résultats. Elle visait principalement de grands sites, orientés en priorité vers les investisseurs étrangers. Elle n'a pas apporté un accompagnement suffisant aux collectivités manquant d'ingénierie ou de ressources pour mettre en valeur leurs sites. La méthode de sélection des sites a été critiquée, et beaucoup de sites n'ont pas trouvé preneur.

« Les sites « clés en main » se sont souvent avérés n'être pas totalement apurés
des démarches administratives et autorisations nécessaires »

Une deuxième vague de « nouveaux sites clés en main » a été annoncée par le Gouvernement en octobre 2023, en lien avec la loi Industrie verte. Mais elle est à nouveau orientée vers 50 grands sites industriels d'ampleur nationale, qui seront sélectionnés par appel à candidatures, représentant un total d'environ 2 000 hectares et mobilisables d'ici 2027.

Cette vision est trop restrictive à double titre. Le nombre de 50 sites est faible, au regard de la forte demande des collectivités et des entreprises (plus de 190 sites candidats ont été relevés). D'autre part, car la réindustrialisation de la France ne passera pas uniquement pas des gigafactories, mais aussi par le développement des PME et ETI déjà implantées au coeur des territoires et qui devront étendre leur activité.

 

La démarche d'anticipation et de soutien aux collectivités locales doit être élargie et appliquée, aussi, à de petits sites à portée plus locale que nationale. Pour cela, un volet territorialisé des « sites clés en main », piloté par les régions et les EPCI, devrait être mis en place ;

 

Une relève périodique des nouveaux sites candidats doit être assurée, afin de proposer en permanence une offre nouvelle et d'éviter les « creux de la vague » pour les collectivités exprimant de nouveaux besoins ;

 

L'accompagnement, y compris financier, de la préparation des sites (études préalables, pré-aménagement) doit être intensifié et garanti dans le temps, tant par l'État que par les opérateurs concernés (Banque des Territoires) ;

 

Enfin, la communication autour de ces sites doit être assurée tant auprès des investisseurs internationaux que des entreprises françaises projetant de nouvelles implantations, en élargissant notamment l'outil DataViz.

La délégation recommande...

... d'élargir le programme « sites clés en main » en créant et en finançant un volet territorialisé piloté par les régions et les EPCI, permettant d'accompagner les collectivités territoriales vers la mobilisation d'un plus grand nombre de sites.

À plus longue échéance, certaines des personnes entendues par la délégation ont plaidé pour la mise en place de mécanismes pérennes de mutualisation ou de portage du coût des études préalables, en vue d'inciter à leur réalisation anticipée et de réduire les délais d'implantation.

De nombreux travaux parlementaires récents ont avancé l'idée d'un « certificat » visant à geler le droit applicable durant plusieurs années - qui ne serait pas réservé qu'aux friches - afin de permettre aux projets de se réaliser dans un terrain juridique stabilisé. Cependant, les récents textes d'initiative gouvernementale récents n'ont pas fait droit à ces demandes, citant des obstacles liés au droit européen et aux limites du pouvoir réglementaire.

QUATRIÈME PARTIE
EN FINIR AVEC UNE OPPOSITION INJUSTE ENTRE ENTREPRISES ET ENVIRONNEMENT, POUR PROMOUVOIR UN MODÈLE ÉCONOMIQUE DURABLE ET RENOUER AVEC L'ACCEPTABILITÉ DES PROJETS

I. LES ENTREPRISES FRANÇAISES JOUERONT UN RÔLE INCONTOURNABLE DANS LA CONDUITE DES GRANDES TRANSITIONS

L'acceptabilité des projets d'implantation de nature économique au sein des territoires est de plus en plus faible. Si certains types d'activité, comme les entrepôts logistiques ou les activités classées pour la protection de l'environnement concentrent les oppositions, l'ensemble des projets est aujourd'hui concerné par la multiplication des recours.

« La perception des entreprises est qu'il est aujourd'hui impossible
de faire sortir de terre un projet sans que celui-ci ne soit contesté ».

Ce sentiment de rejet croissant, et ce problème d'image, sont perçus comme extrêmement problématiques par les dirigeants d'entreprises, car ils semblent nier la contribution importante des PME et ETI françaises à l'emploi et la croissance, mais surtout leur rôle incontournable dans les grandes transitions à venir.

La modernisation des sites de production, vers des sites plus propres, moins consommateurs de ressources et organisés plus efficacement, passera, bien souvent par l'ouverture de nouveaux sites. L'organisation de circuits d'approvisionnement et de distribution plus courts modifiera les flux et entraînera de nouveaux besoins logistiques. La mutation de la filière économique, des véhicules thermiques vers des véhicules électriques, ne pourra se faire sans l'ouverture de gigafactories de batteries sur le territoire européen.

Les objectifs de transition de la France et de l'Europe ne pourront être atteints sans la participation active et sans le développement des entreprises françaises : il faut réfuter le mythe d'une France sans usines, qui sous-traiterait sa pollution, délocaliserait son empreinte carbone et effacerait tout besoin de foncier économique nouveau. Sans économie dynamique, les ressources considérables nécessaires aux grandes transitions ne pourront être mobilisées.

La délégation estime qu'il est essentiel de mieux sensibiliser, à court-terme, le public et l'ensemble des acteurs à ce rôle essentiel des entreprises : il faut cesser d'opposer injustement activité économique et environnement. D'ailleurs, le site d'activité d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier : de manière croissante, les entreprises se sont saisies de leurs engagements en matière de responsabilité sociale et environnementale.

II. RÉDUIRE LE RISQUE JURIDIQUE QUI PÈSE SUR LES PROJETS EST UNE PRIORITÉ

Le risque juridique, notamment lié à la complexité du droit de l'environnement, est désormais perçu par les dirigeants d'entreprise comme l'un des principaux obstacles aux projets d'implantation, qui accentue encore les difficultés d'accès au foncier économique.

Alors que les entreprises engagées dans une démarche d'implantation déploient des efforts importants, notamment financiers (une étude d'impact pouvant coûter de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers d'euros par exemple), le risque et les délais liés au contentieux peuvent conduire certaines à renoncer à leurs projets.

Ce risque n'est plus à démontrer, ayant été souligné par l'ensemble des travaux parlementaires et gouvernementaux relatifs aux implantations d'activité au cours des dernières années (rapport Kasbarian, rapport Guillot, rapport Mouchel-Blaisot...). Pourtant, seules des réformes à la marge ont été apportées, alors que le droit applicable est devenu de plus en plus lourd et complexe.

A. UN CONTENTIEUX DÉSORMAIS CENTRÉ SUR LE DROIT DE L'ENVIRONNEMENT, COMPLEXE ET LOURD

À l'impulsion du droit européen, le droit de l'environnement en particulier s'est fortement étoffé au cours des vingt dernières années. Complexe, il fait intervenir de nombreuses polices administratives et évolue en permanence.

« Du point de vue du droit, la situation s'aggrave :
les règles sont de plus en plus complexes. »

De plus, lors de la transposition des directives européennes, la France a opéré plusieurs choix pouvant s'apparenter à des surtranspositions, par exemple en matière de contentieux pénal ou en matière de responsabilité du maître d'ouvrage pour les études d'impact.

Il en résulte que le contentieux environnemental représente aujourd'hui la majeure partie des recours dirigés contre les projets des entreprises, se cristallisant sur deux volets : la dérogation à la protection des espèces protégées, et la qualité de l'étude d'impact.

Les études biodiversité, notamment, sont perçues comme trop peu sécurisantes. Aucun texte juridique ni réglementaire n'encadre leur contenu ou la méthode présidant à leur établissement, conduisant dans les faits à des exigences très divergentes selon les territoires et les équipes des services déconcentrés.

L'administration estime en général que les études doivent être réalisées sur une période d'au moins un an (quatre saisons), mais elles ne sont ensuite valables que pour une durée de trois ans seulement - régulièrement dépassée en raison des longueurs de procédures d'autorisation ou de recours contentieux.

Si le Gouvernement s'est engagé à prolonger sa durée d'un an par voie réglementaire, cette promesse n'a pas pour l'instant été suivie d'effet.

En outre, les études d'impact ne sont jamais considérées comme complètes : il n'existe ainsi aucune garantie pour le porteur de projet, y compris durant la période d'instruction. Elles peuvent devoir être complétées à tout moment en cas de nouvelles découvertes, engendrant d'importants impacts en matière de compensation.

B. S'ASSURER DE LA RECEVABILITÉ DES RECOURS

À la différence d'autres types de contentieux, les recours dirigés contre les implantations d'activité sont souvent portés par des associations. Leur traitement est aussi plus long, et il est plus souvent fait usage de l'ensemble des échelons de recours.

La question de la recevabilité de certains recours, ou à l'inverse de leur caractère abusif, est donc fréquemment posée dans le cadre des travaux parlementaires et gouvernementaux, soulevant l'enjeu de l'équilibre entre droit légitime au recours et liberté d'entreprendre.

Elle est d'autant plus légitime que seule une faible part des recours dirigés contre les projets d'implantation conduit à une annulation pure et simple. Le contentieux est néanmoins source de délais et de coûts importants, ainsi que d'une insécurité juridique se traduisant souvent en insécurité financière, les investisseurs craignant de s'engager sans certitudes sur l'issue du projet.

« Le recours contre un projet n'est pas suspensif en droit,
mais il le devient dans les faits ! Tant que les recours ne sont pas purgés,
les financements ne sont pas accordés et rien ne sort »

La loi Industrie verte a tenté d'apporter une réponse en permettant au juge de condamner pour dommages et intérêts l'auteur de recours abusifs causant un préjudice au porteur de projet ; mais certains appellent aussi à un contrôle plus rigoureux de la recevabilité des recours dès la première instance, notamment via une procédure préalable d'admission des recours (comme elle existe déjà au stade de la cassation), à supprimer un échelon de juridiction pour ce type de contentieux, à rendre obligatoire le recours préalable à la médiation, ou à contrôler plus strictement les moyens invoqués.

Face à ces constats, de nombreuses mesures sectorielles ont été adoptées dans des précédentes lois, comme la suppression d'échelons de recours pour les énergies renouvelables ou le logement collectif, mais aucune mesure spécifique à l'activité économique n'est venue appuyer l'objectif de réindustrialisation porté par le Gouvernement.

« Face à la complexité, on réagit par des dérogations spécifiques ou sectorielles
et par du compromis juridique, qui sont finalement
incompréhensibles et donc inappliqués »

La délégation recommande...

... d'étudier la possibilité d'une procédure d'admission préalable des recours contre les projets d'implantation, dès la première instance de recours, visant à identifier plus tôt les recours présentant un caractère abusif.

C. MUSCLER L'ACCOMPAGNEMENT JURIDIQUE DES ENTREPRISES

Les entreprises, notamment les plus petites, ne disposent que rarement en interne de l'expertise juridique applicable aux projets d'implantation. De nombreux acteurs sont mobilisés pour les accompagner et orienter leurs recherches (réseaux consulaires, agences de développement économiques), mais elles peuvent se trouver démunies face aux exigences juridiques des dossiers de demandes d'autorisation.

La qualité des prestations fournies en matière d'étude d'impact reste variable, dans un secteur encore jeune et peu encadré par la loi et le règlement. À l'inverse du secteur de la dépollution, au sein duquel les bureaux d'études font l'objet d'une certification et pour lequel il existe des normes précises, les bureaux d'études en écologie, à qui les entreprises confient notamment la réalisation des études biodiversité, ne font l'objet d'aucune certification et il n'existe aucune méthodologie unifiée. Cette situation est source de fragilité juridique pour les entreprises qui ont recours à ces bureaux et réduit la confiance en l'étude d'impact.

« Aujourd'hui, il y a un code de l'environnement par DREAL... »

La délégation recommande...

... d'étudier l'option d'un encadrement des études d'impact biodiversité et d'une certification des bureaux d'études en écologie, pour garantir la qualité et la solidité juridique des études réalisées.

D. DIFFUSER LA CULTURE D'ACCOMPAGNEMENT AU SEIN DE L'ADMINISTRATION

Débordée et ne disposant pas des moyens humains nécessaires, l'administration, notamment déconcentrée, est aujourd'hui incapable d'assurer un rôle de conseil ou d'accompagnement des porteurs de projets. Dans certains cas, l'incapacité de l'administration à instruire de manière appropriée les dossiers accroît le risque juridique.

« Le législateur n'a jamais établi clairement la mission de l'administration : contrôler ou accompagner ? Selon les territoires, l'interprétation est différente... »

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise portant un projet d'implantation sur un site a interrogé l'administration déconcentrée de son territoire sur le droit applicable au projet, notamment en matière d'espèces protégées.

L'administration a conseillé à l'entreprise de ne pas solliciter de dérogation à la législation espèces protégées, car ses services ne disposaient pas des moyens humains pour l'instruire dans les temps. Un recours a par la suite été déposé, conduisant à l'invalidation du projet pour défaut de sollicitation de dérogation.

La délégation recommande...

... de confier explicitement à l'administration, dans les textes législatifs et réglementaires, le rôle d'information et d'accompagnement des porteurs de projets dans le cadre des procédures régissant l'implantation d'activité.

III. L'ENJEU MAJEUR DE L'ACCÈS À LA COMPENSATION FONCIÈRE ET ENVIRONNEMENTALE

Au regard des objectifs de lutte contre l'artificialisation nette des sols et du renforcement du droit de l'environnement, les mécanismes de compensation doivent impérativement être améliorés et rendus plus efficaces. Ils seront déterminants pour l'implantation de nouveaux sites d'activité.

A. FACILITER LA MISE EN oeUVRE DE LA COMPENSATION ENVIRONNEMENTALE

Tous les projets ayant un impact sur la biodiversité n'ayant pu être évités ni réduits doivent faire l'objet d'une compensation environnementale. Dans les faits, elle est souvent mise en oeuvre de manière individuelle par les porteurs de projets, qui peinent à trouver des sites adaptés.

« En 2023, l'offre de compensation biodiversité, nécessaire à
quasiment tous les projets, est presque inexistante »

Insuffisamment développés en France les dispositifs collectifs de compensation ont fait l'objet d'une tentative de rénovation dans le cadre de la loi Industrie verte. Mais le seul changement de régime juridique ne sera pas gage d'une offre plus importante de sites de compensation.

Pour faciliter l'émergence de cette offre collective, les rapporteurs de la délégation appellent à veiller au bon calibrage du régime applicable à ces sites : l'accès au dispositif doit notamment être garanti pour les porteurs de « petits » projets, par des seuils surfaciques d'accès adéquats, et en évitant des obligations de suivi excessives. Les services déconcentrés devront aussi disposer des moyens humains et techniques nécessaires au suivi.

Certaines personnes entendues ont aussi appelé à mieux proportionner les obligations de compensation selon l'état du foncier : la réutilisation des friches pourrait ainsi faire l'objet d'obligation allégées, car elle est une alternative à la consommation de foncier non artificialisé.

Enfin, la notion de proximité du site de compensation pourrait être assouplie, afin d'offrir davantage d'options aux porteurs de projet, aujourd'hui très contraints dans leurs recherches. Une information consolidée, par exemple par le biais d'un registre des sites de compensation disponibles, pourrait être offerte.

Dans le cadre fixé par la politique de « zéro artificialisation nette », il sera aussi pertinent de développer et de faciliter les opérations de renaturation, visant les emprises ne pouvant être réutilisées pour d'autres usages, car elle pourra « compenser » l'impact d'autres opérations artificialisantes. Les aides financières à la renaturation, prévues notamment par le Fonds friches, doivent donc être pérennisées.

La délégation recommande...

... de veiller à l'accès des entreprises, notamment des PME, aux dispositifs de compensation environnementale, dans le cadre des mesures d'application de la loi Industrie verte.

B. FACILITER LA MUTUALISATION DES PROJETS AU REGARD DU « ZAN »

La logique de limitation de l'« artificialisation nette » portée par la loi Climat-résilience aura des impacts différents sur les territoires, selon qu'ils disposent de nombreuses emprises artificialisées, ou qu'ils soient au contraire majoritairement constitués d'espaces naturels et forestiers.

Il importe donc de mettre en place des souplesses réglementaires permettant de mutualiser l'artificialisation résultant des projets d'activité économique à l'échelle de plusieurs collectivités : les rapporteurs se félicitent donc des améliorations apportées par la proposition de loi d'origine sénatoriale adoptée le 20 juillet 2023, mais appellent à poursuivre ce travail d'anticipation et de solidarité foncière au niveau local, en ne négligeant pas les projets à nature économique.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise prépare la réunion de ses deux sites de production obsolètes sur un site unique à proximité, plus dense et permettant diverses améliorations de sa performance environnementale. Ce projet, remontant à 6 ans, est soutenu de longue date par la collectivité, qui devait modifier en ce sens le document d'urbanisme.

Mais l'adoption du « ZAN » a gelé la situation, la commune hésitant à mobiliser son « enveloppe foncière décennale » au profit de ce projet à portée intercommunale, dès lors que son impact n'est pas mutualisé. L'adoption d'un document intercommunal ne serait pas compatible avec les délais du projet. L'entreprise envisage de déménager ses activités dans une autre région, sans certitude d'y trouver les compétences nécessaires.

IV. ÉVOLUER VERS DES MODÈLES D'AMÉNAGEMENT ÉCONOMIQUE PLUS DURABLES

A. REPENSER L'ORGANISATION DES SITES D'ACTIVITÉ

Bien que les bâtiments accueillant de l'activité économique soient soumis à des contraintes opérationnelles spécifiques (sécurité, poids des équipements, contraintes logistiques ou d'infrastructure), il existe encore de nombreuses marges de manoeuvre pour accroître l'efficacité foncière des implantations d'entreprises et leur intégration au sein des paysages urbains comme ruraux.

Les rapporteurs appellent à poursuivre les efforts de sensibilisation des entreprises aux possibilités de densification, soit par la mutualisation de certains services à l'échelle d'une zone d'activité (parkings, espaces de restauration), soit par l'optimisation de certains sites (construction en hauteur, réduction des espaces « improductifs »). Les entreprises françaises sont à l'origine d'initiatives inspirantes, par exemple en vue de « compacter » d'anciennes emprises de production automobiles afin de libérer du foncier, ou par l'accueil de petites entreprises innovantes dans les locaux de grandes entreprises.

Il faut surtout lever les obstacles réglementaires à la densification et à l'adoption de formes plus durables de construction : certaines règles d'urbanisme fixées par d'anciens documents pourraient être révisées, comme celles relatives par exemple aux hauteurs maximales, aux obligations de parking ou aux surfaces minimales d'espaces verts. Certaines exigences, parfois spécifiques à la France, conduisent à une surconsommation d'espace.

Des programmes d'accompagnement des entreprises et collectivités, pilotés par le Cerema notamment, sont mis en place pour apporter l'ingénierie et les financements spécifiques en faveur de la transformation des zones d'activité vers des modèles plus durables. Ils doivent être élargis.

PAROLES D'ENTREPRISES

Plusieurs entreprises ont cité l'exemple de certaines règles en matière de sécurité incendie, qui ont conduit à augmenter la surface de terrain nécessaire.

Par exemple, l'une a été contrainte de créer un grand bassin de rétention des eaux, alors même qu'elle avait équipé la totalité de son bâtiment en « sprinklers » (gicleurs automatiques).

Une autre entreprise a indiqué que les règles de sécurité l'ont contrainte à « écarter » les bâtiments les uns des autres, afin qu'il puisse en être fait le tour, alors qu'elle aurait pu compacter son installation et consommer ainsi moins de foncier.

Enfin, les règles applicables aux bâtiments à étage sont perçues comme particulièrement contraignantes et donc désincitatives aux projets « verticaux ».

B. LES NOUVEAUX SITES SONT AUSSI PLUS PERFORMANTS EN TERMES DE RSE

Il ne faut pas opposer nouvelles implantations d'activités et environnement : bien souvent, la construction d'un nouveau site d'implantation permet à l'entreprise d'intégrer l'ensemble des évolutions technologiques et organisationnelles permettant d'atteindre un haut niveau de performance en matière de responsabilité sociétale et environnementale (RSE).

Nombre des entreprises entendues par les rapporteurs ont rappelé ce fait, soulignant l'exemplarité des nouveaux projets, qui rencontrent néanmoins des difficultés d'acceptabilité bien plus forte que les sites déjà en activité. N'ouvrir aucun nouveau site d'activité en France, c'est condamner le pays à fonctionner avec un outil économique vieillissant, qui sera de moins en moins compatible avec nos engagements environnementaux.

La délégation recommande...

... de poursuivre la sensibilisation des acteurs économiques et des élus locaux aux modèles plus durables de zones et des bâtiments d'activité.

ANNEXE 1
TÉMOIGNAGES RECUEILLIS PAR LA MISSION

Dans le cadre de leurs travaux, les rapporteurs Christian Klinger et Michel Masset ont pris connaissance de nombreux cas d'entreprises, implantées au coeur des territoires français, dont les projets sont retardés, voire remis en cause, par la difficulté d'accès au foncier économique.

Certains de ces cas concrets sont présentés, de manière synthétique, dans la présente annexe. Ils sont symptomatiques des nombreux obstacles que rencontrent les dirigeants d'entreprises pour développer leur activité.

LA GUERRE DES PRIX

Une entreprise industrielle cherche un nouveau terrain sur la zone d'activité où elle est déjà implantée, afin d'étendre son activité. Apprenant la liquidation judiciaire d'une entreprise voisine, elle exprime le souhait d'acquérir le terrain ainsi libéré.

Toutefois, dans le cadre d'une liquidation judiciaire, la vente doit obligatoirement se faire à l'acheteur le plus offrant : une autre offre d'implantation commerciale, au prix supérieur, l'a emporté. L'entreprise n'a pas pu réaliser son projet pourtant cohérent.

LES DÉLAIS DE RACCORDEMENT

En 2020, une entreprise cherchant à s'implanter a identifié un site adéquat. Son activité nécessite un raccordement au réseau électrique et la fourniture d'une puissance significative.

Après avoir contacté le gestionnaire du réseau, on l'informe que le raccordement de l'emprise foncière à la puissance électrique nécessaire ne pourra pas être réalisé avant l'année 2027.

L'entreprise n'est pas certaine de pouvoir poursuivre son projet dans ces conditions.

LE MANQUE DE DIALOGUE

Les représentants des entreprises ont alerté la délégation sur l'absence d'évaluation précise des dispositions du nouveau PLU « bioclimatique » de la ville de Paris : « aucune étude d'ensemble ou analyse de marché n'a été réalisée pour mesurer les conséquences de ce nouveau document, et les entreprises ne peuvent pas se projeter ».

Au total, 450 sursis à statuer pour des projets auraient été opposés depuis que le projet a été arrêté en juin dernier, avec entre 200 et 400 000 emplois en jeu.

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Une entreprise avait acquis il y a plus de vingt ans deux terrains contigus à vocation économique, alors constructibles. Elle s'était implantée sur le premier terrain, réservant le second à une extension dès que la croissance de son activité et ses capacités d'investissement le permettraient.

En 2023, alors qu'elle contacte la collectivité pour lancer le projet d'extension, elle apprend que le plan local d'urbanisme a évolué et que, sans qu'elle n'en soit avertie ou qu'elle ait été consultée à ce sujet, le deuxième terrain a été classé inconstructible.

L'entreprise est dans l'incapacité d'étendre son activité comme cela était pourtant prévu depuis plusieurs années. Une révision du PLU durerait environ 4 ans et il n'est pas certain que la commune accède à sa demande de révision, en particulier dans le contexte du « ZAN ».

L'INCERTITUDE

Une entreprise implantée dans un territoire français était locataire, pour le terrain sur lequel elle exerçait son activité depuis de nombreuses années, d'un grand groupe français de transport ferroviaire. Ce groupe leur a annoncé soudainement souhaiter résilier le bail, afin de le transférer à l'une de ses filiales.

Or, aucun autre terrain n'était disponible sur le même territoire. Elle a envisagé de déménager, mais a finalement pu se maintenir à la faveur de l'abandon du projet par le groupe bailleur.

LES SERVICES DE L'ETAT DÉBORDÉS

Une entreprise a relaté que l'absence non remplacée d'un agent de la DREAL, chargé de l'instruction et du suivi d'un projet d'implantation, a mis à l'arrêt pendant plusieurs mois le dossier, entraînant d'important délais et surcoûts.

Dans un autre cas, le manque de réactivité de la DREAL a conduit à la péremption de l'étude « faune-flore » qui avait été réalisée par le porteur de projet. Ce dernier a été contraint de la faire une nouvelle fois réaliser à ses frais.

LE FONCIER ÉCONOMIQUE GRIGNOTÉ

Une zone industrielle, présentant des avantages intéressants en termes de desserte ferroviaire, et répondant à la réglementation applicable aux sites « Seveso », est implantée de longue date à bonne distance de l'agglomération.

Mais l'extension progressive de la ville, et notamment de récents quartiers de logements, a fortement réduit la distance entre ce site et les habitations. Face à l'opposition des nouveaux riverains et en raison des contraintes de leur activité, les entreprises de la zone vont devoir déménager et retrouver des zones d'implantation compatibles avec la réglementation applicable, plus en dehors de la ville. De telles zones n'existent pas aujourd'hui.

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Une entreprise artisanale du secteur du BTP est implantée de longue date sur un site éloigné du centre-ville. Avec l'extension des zones d'habitation, elle acquiert de nouveaux riverains.

Faisant l'objet de plaintes pour nuisances, bien qu'implantée antérieurement, l'entreprise est priée de déménager. Face à son refus, la collectivité classe son terrain d'installation comme inconstructible, afin d'empêcher tout développement de l'activité et de la contraindre à un départ de la zone.

LES RÈGLES CONTRE-PRODUCTIVES

Une entreprise prévoit de s'implanter sur une friche industrielle. Après avoir acquis le terrain, elle engage d'importants frais de dépollution, de désamiantage, et d'aménagement.

La qualification ultérieure de zone humide d'une partie de la friche, pourtant déjà artificialisée et ayant vocation économique, a mis fin au projet.

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Plusieurs entreprises ont cité l'exemple de certaines règles en matière de sécurité incendie, qui ont conduit à augmenter la surface de terrain nécessaire.

Par exemple, l'une a été contrainte de créer un grand bassin de rétention des eaux, alors même qu'elle avait équipé la totalité de son bâtiment en « sprinklers » (gicleurs automatiques).

Une autre entreprise a indiqué que les règles de sécurité l'ont contrainte à « écarter » les bâtiments les uns des autres, afin qu'il puisse en être fait le tour, alors qu'elle aurait pu compacter son installation et consommer ainsi moins de foncier.

LA CONTRAINTE DU « ZAN »

Une entreprise prépare la réunion de ses deux sites de production obsolètes sur un site unique à proximité, plus dense et permettant diverses améliorations de sa performance environnementale. Ce projet, remontant à 6 ans, est soutenu de longue date par la collectivité, qui devait modifier en ce sens le document d'urbanisme.

Mais l'adoption du « ZAN » a gelé la situation, la commune hésitant à mobiliser son « enveloppe foncière décennale » au profit de ce projet à portée intercommunale, dès lors que son impact n'est pas mutualisé. L'adoption d'un document intercommunal ne serait pas compatible avec les délais du projet. L'entreprise envisage de déménager ses activités dans une autre région, sans certitude d'y trouver les compétences nécessaires.

LE MANQUE D'ACCOMPAGNEMENT

Une entreprise portant un projet d'implantation sur un site a interrogé l'administration déconcentrée de son territoire sur le droit applicable au projet, notamment en matière d'espèces protégées.

L'administration a conseillé à l'entreprise de ne pas solliciter de dérogation à la législation espèces protégées, car ses services ne disposaient pas des moyens humains pour l'instruire dans les temps. Un recours a par la suite été déposé, conduisant à l'invalidation du projet pour défaut de sollicitation de dérogation.

LES DÉLAIS

L'impact du ZAN

La menace des recours

ANNEXE 2
TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

Recommandation

Acteurs concernés

Support

1

Collecter annuellement, via l'administration centrale, des données relatives au nombre de projets d'implantation d'activité économique refusés ou abandonnés en France

Administrations centrales (DGE, DGALN)

Véhicule réglementaire

2

Veiller à l'association des acteurs économiques à l'élaboration des documents d'urbanisme et de planification, notamment en systématisant l'association des CCI et CMA à l'élaboration des SRADDET

Administrations déconcentrées

Collectivités territoriales et leurs groupements

Véhicule législatif

Véhicule réglementaire

3

Sécuriser le financement des efforts d'identification du foncier économique en veillant à leur complémentarité au niveau national comme local ; et assurer la disponibilité de l'information au profit des acteurs économiques des territoires

Administrations centrales (DGALN, DGE)

Collectivités territoriales et leurs groupements

Budgets de l'Etat (loi de finances) et des collectivités territoriales

Véhicule réglementaire

4

Au niveau local, veiller à une répartition claire des rôles des acteurs publics en matière de projets d'implantation, par exemple en identifiant de manière concertée un interlocuteur privilégié à l'échelle de chaque intercommunalité ou région

Administrations déconcentrées (préfectures)

Collectivités territoriales et leurs groupements

Véhicule réglementaire

5

Mettre en place, sur le modèle de Business France pour les investisseurs étrangers, un interlocuteur privilégié au niveau national pour l'ensemble des entreprises françaises portant un projet d'implantation pouvant potentiellement concerner plusieurs territoires

Administrations centrales ou Business France

Véhicule législatif

Véhicule réglementaire

6

Acter, dans le cadre des prochaines lois de finances, un effort financier significatif et durable en faveur des effectifs de l'administration déconcentrée chargés de l'instruction des projets d'implantation

Gouvernement

Loi de finances

7

Sanctuariser une partie des financements du Fonds friches dans une enveloppe réservée au profit de projets d'activité économique, et d'adapter pour ce volet les règles de financement

Gouvernement

Loi de finances

Véhicule réglementaire

8

Adapter le degré d'exigence des textes français et, au besoin, européens, notamment en matière fiscale et environnementale, pour rendre plus incitative la réhabilitation des friches

Institutions de l'Union européenne

Gouvernement

Véhicule législatif européen

Véhicule législatif

9

Initier un programme de soutien dédié à la rénovation des zones d'activités économiques, ouvrant le bénéfice d'outils juridiques nouveaux en matière d'aménagement et de maîtrise foncière et prévoyant des aides financières dédiées

Gouvernement

Véhicule législatif

Loi de finances

10

Élargir le programme « sites clés en main » en créant et en finançant un volet territorialisé piloté par les régions et les EPCI, permettant d'accompagner les collectivités territoriales vers la mobilisation d'un plus grand nombre de sites

Gouvernement

Agence nationale de la cohésion des territoires

Administrations centrales (DGE)

Collectivités territoriales et leurs groupements

Budgets de l'Etat (loi de finances) et des collectivités territoriales

Véhicule réglementaire

11

Étudier l'option d'un encadrement des études d'impact et d'une certification des bureaux d'études en écologie, afin de garantir la qualité et la solidité juridique des études réalisées dans le cadre des procédures d'implantation

Gouvernement

Administrations centrales et déconcentrées

Association française de normalisation

Branches professionnelles

Véhicule réglementaire

12

Étudier la possibilité d'une procédure d'admission préalable des recours contre les projets d'implantation, dès la première instance, visant à identifier les recours présentant un caractère abusif

Gouvernement

Véhicule réglementaire

13

Confier explicitement à l'administration, dans les textes législatifs et réglementaires, le rôle d'information et d'accompagnement des porteurs de projets dans le cadre des procédures régissant l'implantation d'activité

Gouvernement

Administrations centrales et déconcentrées

Véhicule réglementaire

14

Veiller à l'accès des entreprises, notamment des PME, aux dispositifs de compensation environnementale, dans le cadre des mesures d'application de la loi Industrie verte

Gouvernement

Administrations centrales

Véhicule réglementaire

15

Poursuivre la sensibilisation des acteurs économiques et des élus locaux aux modèles plus durables des zones et des bâtiments d'activités

Administrations centrales et déconcentrées

Collectivités territoriales et leurs groupements

Entreprises

Programmes de communication et d'accompagnement

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 31 janvier 2024, la délégation aux Entreprises a autorisé la publication du présent rapport.

M. Olivier Rietmann, président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le rapport de Christian Klinger et Michel Masset, à qui nous avions confié en novembre dernier une mission « flash » sur la pénurie de foncier économique. Ce sujet est abordé de façon récurrente par les chefs d'entreprise rencontrés sur le terrain, qui nous font part de leur désarroi. En effet, ils sont destinataires d'injonctions contradictoires du Gouvernement et de l'administration, qui d'un côté les incitent à se développer, mais de l'autre laissent se multiplier les contraintes. Il en va ainsi de l'accès au foncier, qui est devenu un obstacle aux projets de développement d'activité économique. Je remercie nos collègues pour l'important travail qu'ils ont mené.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Nous sommes très honorés de pouvoir vous présenter aujourd'hui les conclusions de notre rapport.

Entre fin novembre et fin janvier, nous avons conduit plus d'une vingtaine d'auditions, au Sénat et dans le cadre d'un déplacement en Ille-et-Vilaine. Pour ce rapport, nous avons souhaité adopter une approche particulièrement concrète prenant source dans la parole directe des chefs d'entreprise et s'appuyant sur le recensement concret de leurs difficultés. Cette approche se retrouve dans la structure de notre rapport, qui met en valeur les témoignages d'entreprises.

Notre constat est alarmant : aujourd'hui en France, des dizaines d'entreprises renoncent à développer leurs activités, voire quittent leur territoire, faute de terrain pouvant les accueillir. La situation se dégrade.

Les chiffres sont parlants. Les prix du foncier d'activité ont doublé en 10 ans dans certaines régions. 9 intercommunalités sur 10 signalent que leur parc de foncier économique sera déjà saturé en 2030. Les deux tiers d'entre elles ont déjà vu une entreprise abandonner un projet, ou ont dû en refuser, faute de foncier. En Ille-et-Vilaine, une entreprise sur deux a déjà renoncé à développer ses activités car elle ne trouvait pas d'espace pour s'implanter.

Cette réalité ne fait pas encore l'objet d'une prise de conscience des pouvoirs publics, alors qu'elle fait partie des préoccupations principales des chefs d'entreprise, au même titre que le recrutement ou la charge fiscale. L'impact économique de ces abandons et refus de projets n'est pas mesuré. C'est un angle mort, alors que les conséquences sur l'activité, l'emploi et la croissance sont réelles. C'est l'objet du premier axe de nos propositions, qui vise à mieux documenter et mesurer l'impact de la pénurie de foncier économique.

M. Michel Masset, rapporteur. - Nos travaux soulignent que l'enjeu n'est pas simplement celui de la disponibilité du foncier. Il est aussi celui de la simplification de l'accès au foncier - thème familier à notre délégation.

Même lorsqu'il existe des sites, la durée des procédures, leur complexité, la vulnérabilité aux recours abusifs et le manque de moyens de l'administration déconcentrée font que beaucoup d'entreprises abandonnent tout simplement leurs projets. Ainsi, nous avons entendu une entreprise qui, après 7 ans de procédure, a finalement décidé de jeter l'éponge. Elle souhaitait implanter un nouveau site de 500 emplois directs dans son territoire, avec une contribution réelle à la balance commerciale. Nous avons aussi entendu une entreprise qui s'est développée en parallèle sur deux sites anciens pour suivre la croissance de son activité, et qui n'est pas en mesure de réunir son activité sur un même site modernisé. En conséquence, cette entreprise risque de quitter son territoire historique, sur lequel elle est installée depuis plus de 70 ans.

Le temps administratif correspond de moins en moins au temps économique. C'est un problème de fond. La compétition économique internationale n'attend pas que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) recrute de nouveaux agents ou que les multiples recours d'associations soient purgés. Nous souhaitons vraiment insister sur ce point, car les quelques efforts menés dans le cadre des lois dites « ASAP », « Industrie verte » et autres sont trop sectoriels et fondés sur une logique de dérogation. Ils ne sont pas allés assez loin, et lorsque les textes ont été modifiés, la pratique n'a pas souvent suivi.

Les efforts récents du Gouvernement se sont concentrés sur les gigafactories, les investisseurs étrangers et les secteurs de l'énergie et de l'industrie verte. Ils ne concernent donc pas la grande majorité des très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI). Pourtant, ce sont elles qui forment le tissu économique de notre pays et qui ont un potentiel de croissance. Au lieu de dérogations, il faut simplifier la règle générale et offrir des solutions à tous, grands comme petits. Il y a urgence.

Le renchérissement des prix du foncier économique sera particulièrement pénalisant pour les TPE et les PME, qui ne peuvent faire face à une charge foncière trop élevée. Nous avons entendu, lors de nos auditions, que le prix du foncier d'activité, qui était plutôt un avantage comparatif de la France par rapport à ses voisins, s'était mué en boulet pour nos entreprises. Il y a donc un vrai enjeu d'attractivité et de compétitivité. Nous avons entendu des témoignages de pays voisins : il nous a été dit qu'à contrario, le foncier n'y était pas un élément bloquant.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Nous souhaitons aussi souligner l'enjeu majeur de l'accompagnement des entreprises, qui doit être amélioré. C'est le deuxième axe de nos propositions. Les chefs d'entreprise se retrouvent souvent seuls et perdus face à la nébuleuse des différents interlocuteurs : DREAL, intercommunalité, direction régionale des affaires culturelles (DRAC), Réseau de transport d'électricité (RTE), sous-préfets à l'investissement, agence de développement, services régionaux, réseaux consulaires... Il faut travailler à la lisibilité de cet écosystème pour les entreprises. Nous proposons qu'il soit systématiquement identifié, au niveau de l'intercommunalité ou du bassin d'emploi, un interlocuteur dédié qui jouera le rôle de porte d'entrée.

Au niveau national, nous souhaitons que le mandat d'accompagnement de Business France soit élargi aux projets d'implantation en France de l'ensemble des investisseurs, qu'il s'agisse de Tesla ou d'une ETI alsacienne qui cherche à se développer. Dans les services déconcentrés, il faut un engagement de long terme de l'État pour financer des postes. Les entreprises nous ont dit que le manque d'agents était parfois responsable de mois de délais supplémentaires. C'est inadmissible, mais pas surprenant après des années de suppression d'effectifs. Il faut muscler les services d'instruction de la DREAL pour répondre aux demandes d'implantation des entreprises.

En amont, il nous semble qu'il faut encore renforcer le dialogue social et mieux associer les entreprises à la planification de l'urbanisme et de l'aménagement. Les documents de plan local d'urbanisme (PLU), de schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou de schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) sont de plus en plus rigides et contraignants. Les acteurs économiques ne sont parfois même pas consultés avant leur adoption. Il faut y remédier formellement, mais aussi qualitativement. Il n'est pas admissible qu'une entreprise prévoyante qui avait acheté de longue date son terrain d'implantation découvre du jour au lendemain que celui-ci a été nouvellement classé en zone humide ou inconstructible, et qu'il faille ensuite attendre 5 ans pour modifier le document.

Nous avons pris connaissance avec intérêt de nombreuses initiatives innovantes visant à repérer et à inventorier le foncier disponible, puis à mettre cette information à la disposition des collectivités. Nous pensons qu'il faut veiller à ce que les différentes initiatives locales, régionales et nationales soient articulées entre elles et qu'elles aboutissent, in fine, à une meilleure information des entreprises elles-mêmes.

M. Michel Masset, rapporteur. - Un autre axe de nos propositions est de préserver, rénover et repenser le foncier économique. Parmi nos constats figure celui du grignotage du foncier économique par d'autres usages. Face aux enjeux d'acceptabilité et à la pression du logement, les zones d'activité existantes sont progressivement réduites, voire supprimées. Il n'existe pas, pour préserver les emprises économiques, l'équivalent de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) pour les terres agricoles. Au fur et à mesure que les zones d'activité perdent leur vocation initiale, il n'est pas recréé, en face, de capacités d'accueil équivalentes. Ce sera pourtant nécessaire si l'on veut réindustrialiser le pays et permettre à l'entreprise de demain de sortir de terre.

C'est aussi pour cela que nous pensons que la réhabilitation des friches sera une solution, mais pas la solution unique. Les friches ne sont pas équitablement réparties en France. Leur réemploi reste difficile et coûteux. Elles sont souvent captées pour d'autres usages : ainsi, le Fonds friches n'a servi que 16 % de projets à vocation économique. C'est trop peu, et nous proposons donc de sanctuariser un volet dédié à l'activité économique au sein du Fonds. Il nous paraît aussi que les règles françaises, et parfois européennes, doivent encore évoluer pour rendre les friches plus attractives. Une friche industrielle déjà artificialisée peut être considérée par l'administration comme un habitat naturel, qui exige alors de conduire des études environnementales aussi poussées que sur un site vierge : c'est contre-productif.

Nous proposons aussi de lancer un programme de soutien dédié à la rénovation des zones d'activités économiques, au nombre de 32 000 environ dans le pays. Beaucoup sont aujourd'hui obsolètes car mal raccordées, vieillissantes et peu optimisées. Les collectivités sont souvent laissées seules face à cet enjeu majeur d'aménagement, alors que leurs ressources fiscales s'amenuisent d'année en année. Il faudrait un équivalent du programme « Action Coeur de Ville » pour les zones d'activités périphériques. Nous recommandons aussi d'élargir le programme « Sites clés en main », qui est aujourd'hui concentré sur un petit nombre de grands sites, afin qu'il puisse aussi bénéficier à des PME et des ETI sur de plus petites surfaces. Un volet territorialisé au niveau de la région ou des intercommunalités serait le bienvenu.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Notre quatrième axe de propositions vise à limiter le risque juridique. Les activités économiques souffrent d'une crise aigüe d'acceptabilité, souvent fondée sur des préjugés qui ne rendent pas justice aux engagements pris par les entreprises en matière environnementale ou de limitation des nuisances. Nous avons entendu, lors de nos auditions, qu'il est aujourd'hui très rare qu'un projet, quel qu'il soit, ne soit pas attaqué. Cela pose la question de la cohérence de nos grands objectifs nationaux de plein emploi, de réindustrialisation, de transmission des savoir-faire et de transition de l'économie avec la réalité du terrain.

Ce manque d'acceptabilité se conjugue à la complexité administrative, pour aboutir à une situation d'extrême fragilité juridique des projets, qui peuvent être attaqués à toutes les étapes, pour chaque autorisation ou étude, à de multiples échelons de recours. Les retards se comptent en années. Même si le projet est in fine mis hors de cause, l'entreprise a souvent abandonné, ou les investisseurs se sont retirés. C'est pourquoi nous appelons à étudier l'option d'une procédure d'admission préalable des recours pour écarter les recours abusifs, et ce dès la première instance.

Nous souhaitons aussi un meilleur encadrement de l'étude d'impact des projets, qui est souvent réalisée par des bureaux d'études dont la qualité varie. Ainsi, aucun texte ou aucune certification n'encadre les prestations des bureaux d'études en écologie. De plus, le degré d'exigence est laissé à l'appréciation de chaque DREAL ou de chaque préfet. Le Gouvernement s'était notamment engagé à clarifier les choses concernant la durée de validité de l'étude biodiversité, ce qu'il n'a pas fait. Aujourd'hui, les entreprises passent au minimum 1 an à réaliser cette étude, dont la durée de validité est de 3 ans. Parfois, ce délai ne permet même pas d'obtenir toutes les autorisations nécessaires au projet... De manière générale, il faut offrir aux entreprises une visibilité et une sécurité véritables sur la norme qui s'imposera à elles dans quelques années. De nombreux rapports avant le nôtre l'ont dit, sans être suivis d'effets. C'est regrettable.

M. Michel Masset, rapporteur. - Enfin, notre dernier axe de propositions vise à encourager l'évolution vers des modes durables d'aménagement économique. Cela doit d'abord passer par un effort de simplification, afin de permettre plus facilement à de nouveaux modèles bâtimentaires de voir le jour, par exemple en levant certaines règles de hauteur dans les PLU, ou en supprimant des obligations en matière de parking ou d'espaces verts, qui consomment inutilement de l'espace au sein des zones d'activité et limitent la densification.

Surtout, il nous semble qu'il faut impérativement faciliter la mise en place de mécanismes de mutualisation ou de compensation. Nous visons par-là la compensation environnementale, qui est aujourd'hui nécessaire à la majorité des projets. Or il n'existe à ce jour qu'un seul site de compensation collective. Il faut développer l'offre, et veiller à ce que les petites entreprises y aient accès. Il faut également élargir la contrainte de proximité pour la mise en oeuvre de la compensation, afin que les entreprises puissent plus facilement trouver des sites adéquats.

Nous visons aussi les mécanismes de mutualisation au titre du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Certaines entreprises nous ont expliqué que des projets pourtant consensuels et validés par les élus avaient été gelés, voire remis en cause, car les communes ne voulaient pas en porter seules l'impact au titre du ZAN. Or, à ce jour, seuls les grands projets verront leur impact mutualisé (ce qui a été permis à l'initiative du Sénat). Il nous semble qu'il faudrait approfondir la réflexion afin de pouvoir plus facilement mutualiser, à l'échelle locale, les plus petits projets.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Voici les conclusions de notre rapport. Il nous semble important que nous, élus locaux, sensibles aux difficultés des entreprises, alertions sur cet enjeu économique majeur dans nos territoires comme auprès de nos collègues ou du Gouvernement. Cet enjeu prendra de plus en plus d'importance dans les années à venir. J'espère que nous aurons l'occasion de faire entendre nos propositions dans les textes de simplification annoncés pour le printemps par le Gouvernement.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour ce remarquable travail, très pertinent et percutant, qui méritera un suivi attentif. Vous êtes parvenus à dresser un constat très clair et à formuler des propositions utiles, sans pour autant limiter le champ de vos travaux au sujet du ZAN. Ce thème a déjà fait l'objet de nombreux travaux législatifs et de contrôle, au sein des commissions permanentes et des structures temporaires du Sénat. D'ailleurs, un groupe de suivi dédié au ZAN devrait être constitué dès la semaine prochaine, associant les membres de plusieurs commissions.

M. Clément Pernot. - Force est pourtant de constater que la problématique foncière est intimement liée au ZAN. Ces objectifs de ZAN génèrent une raréfaction du foncier pour tous : communes, entreprises, agriculteurs. Il faudra se débrouiller pour faire du développement économique et de l'habitat en dépit de ces contraintes.

Les grands penseurs me font remarquer qu'il y a des logements vides dans le centre-ville. Or ces logements ne sont pas vides sans raison, et ce n'est pas le ZAN qui y apportera des réponses. C'est dire la difficulté à laquelle font face ceux qui sont en charge de l'aménagement du territoire.

Avec la réindustrialisation se pose une nouvelle question. J'ai passé ma vie à accompagner des projets de développement d'entreprises, principalement de PME. Face aux objectifs de ZAN et à la volonté de développement industriel, il sera certainement nécessaire d'inventer de nouveaux outils de gestion du patrimoine foncier, notamment celui mis à disposition des entreprises. Avec la rupture que représente le ZAN, on ne peut pas imaginer un maintien de la situation telle qu'elle a été jusqu'alors.

Nous nous trouvons confrontés à des situations délicates. Qui doit aménager le territoire ? Qui doit décider de la localisation des zones industrielles et des zones économiques ? Cela ne peut pas se réaliser de manière anarchique. Cela doit être dirigé, et c'est à la collectivité de le faire. Si les acteurs économiques privés restent propriétaires de leur foncier, qui arbitrera au moment de la vente ? Je ne veux pas enlever la liberté aux entreprises, mais comment procéder si je n'ai plus, en tant qu'aménageur du territoire, la liberté suffisante pour continuer ?

Vous avez évoqué les cas d'entreprises auxquelles des refus ont été imposés. C'est bien légitime ! Un territoire de 66 communes auquel il ne reste que 10 hectares de foncier industriel consommable jusqu'en 2030 ne va pas donner 5 hectares à une entreprise dont le projet ne se traduira que par 2 embauches.

En matière de foncier industriel, nous aurons besoin de sortir du schéma actuel et d'inventer de nouvelles formes. Prenez ma ville-bourg de 8 000 habitants. Nous avons consommé 40 hectares ces 10 dernières années. Nous étions très fiers de ce dynamisme. Demain, cette ville n'aura plus que 3 hectares pour se développer. Croyez-vous que le maire répondra favorablement à la demande de terrain d'un industriel qui souhaitera étendre son activité ? Non, et il aura raison de refuser.

Prenons garde à ne pas nous inscrire dans une logique où nous réserverions des terres à l'économie. Du fait du phénomène de rareté, c'est aux aménageurs que la décision devra être laissée. Dans le Jura, nous réfléchissons à des solutions de mise en location, de sorte que l'industriel ne soit jamais propriétaire du foncier. L'élu doit pouvoir conserver la main. Ce sont les mentalités qu'il faut faire évoluer si l'on souhaite maintenir en vigueur la loi sur l'artificialisation des terres.

M. Olivier Rietmann, président. - Lorsque nous avons entendu deux experts en économie, la semaine passée, nos deux intervenants ont estimé que le développement économique n'était pas compatible avec un dispositif qui commence par le mot « zéro ». Le président de France Industrie a dit exactement la même chose ce matin lors de son audition au sein de la commission des affaires économiques.

Mon cher collègue Clément Pernot, nous sommes voisins de département. Il est un sujet que vous n'avez pas évoqué : la concurrence entre projets qui peuvent être perçus comme incompatibles par les collectivités concernées. Les clivages relatifs au foncier économique peuvent également être le fait des élus des territoires.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Le ZAN ne fait qu'exacerber la pénurie de foncier. Alors que nous n'en sommes qu'au début de la mise en oeuvre des objectifs de réduction de l'artificialisation, 93 % des intercommunalités estiment que leur parc d'activités sera saturé en 2030 ; 9 % ne sont déjà plus en mesure de libérer des sites d'une surface inférieure à 10 hectares ; et 64 % des entreprises craignent que le manque de foncier ne les conduise à renoncer à des projets dans les prochaines années.

Il y a aussi des enjeux fiscaux : avec des revenus réduits par la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la réduction de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), quel est encore l'intérêt pour une commune d'accueillir une usine, avec les aspects négatifs perçus par les habitants, par exemple la circulation de camions ? Tout cela entraînera probablement des réflexions nouvelles, par exemple tendant à partager les ressources financières tirées de l'attractivité d'une zone économique.

Effectivement, certaines collectivités ne vendent déjà plus leur foncier économique. Elles ont recours à des baux emphytéotiques pour rester maîtres du jeu dans le développement économique de leur territoire.

M. Michel Masset, rapporteur. - Vous soulevez aussi l'enjeu d'interconnexion, ou à l'inverse les divergences de vision, entre les territoires. Comment construire avec une vision plus large ? La réponse passe par la capacité à agir ensemble avec les collectivités voisines, qu'il s'agisse d'intercommunalités, de départements ou de régions. Nous devons avoir une vision beaucoup plus large de l'économie, qui inclut les enjeux de mobilité et d'habitat. Sans dépasser la compétence propre à un chacun, ce sera plus difficile. Il s'agit d'écrire ensemble un projet de territoire.

Les collectivités doivent-elles intervenir pour faire du portage immobilier, garder une main sur l'activité et maîtriser ce que sera l'économie de demain ? Déjà aujourd'hui, les entreprises ne sont pas toujours propriétaires : certaines passent par des sociétés civiles immobilières (SCI). Il y a là une réflexion à mener.

Les deux intervenants de grande qualité entendus la semaine dernière lors de l'audition plénière de notre délégation prouvent que l'on ne peut pas parler d'économie sans s'interroger sur les modes de consommation et de production d'aujourd'hui et de demain.

M. Gilbert Favreau. - Le problème qui se pose à nous ne concerne pas que le foncier utilisé pour l'implantation d'entreprises : c'est aussi un problème pour les infrastructures. Il y a, dans mon département, un hôpital neuf qu'il fallait relier à une route. Le département a décidé de construire une voie routière de 5 km. Les exigences de la DREAL et de la direction départementale des territoires (DDT) étaient telles que le prix a triplé par rapport aux prévisions initiales. Les directions ont notamment exigé du département qu'il construise une route suffisamment large, avec de part et d'autre des aménagements destinés à la protection de l'environnement.

Sur ces 5 km de voie, il a donc fallu mettre en oeuvre de chaque côté de la route des « crapauds-ducs », des viaducs à crapauds, pour permettre aux animaux de passer d'un côté à l'autre ; mais aussi des trous d'eau pour préserver certaines espèces aquatiques ; des fourrés pour protéger les serpents ; et des aménagements spécifiques pour les insectes. Nous marchons sur la tête. Malheureusement, les services déconcentrés sont complètement imprégnés d'une philosophie qui n'est pas compatible avec le fonctionnement ordinaire de l'économie.

M. Patrick Chauvet. - Ce qui arrive avec le ZAN créera de vraies difficultés, mais le coup était déjà parti avant. La loi dite « NOTRe » a obligé les intercommunalités de moins de 15 000 habitants à se réunir. Ces nouvelles intercommunalités doivent gérer la rareté, et composer avec trois stratégies de développement économique historique des intercommunalités préexistantes. On va donc diviser les élus au sein des territoires.

J'ai vécu, dans mon département, une sélection des activités économiques. Les activités qui consomment du foncier sans apporter de plus-value, notamment en termes d'emplois, resteront à la rue. Or jusqu'à maintenant, les grandes agglomérations captaient les entreprises qui consommaient peu d'espace et qui apportaient beaucoup d'emplois. Les zones logistiques à l'inverse étaient installées en milieu rural, ainsi que les entreprises du bâtiment. C'est désormais un enjeu d'aménagement du territoire, car nous risquons d'aboutir à des territoires qui n'auront que de grands hangars et de grands bâtiments, sans emplois générés.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Personne ne veut de boîtes vides volumineuses qui génèrent peu d'emplois. Pourtant, il faut bien des plates-formes logistiques, puisque dès qu'il existe une activité de production, il faut trouver un emplacement pour stocker le produit final avant sa distribution. Personne ne veut voir ces plateformes, on préfère les voir chez le voisin.

M. Michel Masset, rapporteur. - La question fondamentale est la suivante : on nous a fait part d'une pénurie de foncier, de situations extrêmement complexes, mais si l'on résout ces problèmes, créerons-nous réellement davantage d'activité ? La réponse unanime que l'on nous a fait est que oui, nous pourrions créer davantage d'activité dans le pays si nous apportons les réponses nécessaires.

M. Clément Pernot. - La vérité d'un jour n'est jamais celle du lendemain.

En 2008, une communauté de communes du Jura avait décidé de créer une zone pour accueillir les entreprises sources de nuisances. Nous avons eu toutes les difficultés du monde à le faire, car nous étions éloignés de l'urbanisation. Il nous a fallu 1 ans. Nous avons affecté 20 hectares à cette zone industrielle, pour une petite dizaine d'emplois. C'est peu, mais nous avions besoin de ces activités économiques.

À présent, je dis « stop » à tous les projets. Nous « renaturons » actuellement 10 hectares afin de pouvoir en construire autant à proximité de la ville-bourg. C'est un monde de fous. Toutes ces manoeuvres coûtent extrêmement chères. Nos administrés ne comprennent pas, et la puissance publique n'en sort pas grandie.

Mme Pauline Martin. - Nous connaissons bien la logistique dans le Loiret, situé au coeur du réseau routier. Elle est productrice d'emplois dans nos territoires ruraux, dès lors que les zones d'activité sont bien positionnées. Nous vivons très bien avec ces activités, à la plus grande satisfaction de nos habitants.

Concernant les services de l'État et leur capacité à empêcher les entreprises de se développer, la situation s'est complexifiée depuis une quinzaine d'années. Je mesure mal notre capacité à faire bouger les lignes. Entreprises comme collectivités souhaitent que nous empêchions les DREAL et DDT de leur mettre des bâtons dans les roues. Les cabinets d'études auxquels nous faisons appel craignent tellement de se faire « retoquer » par les services de l'État qu'ils ajoutent des exigences et des contraintes : on ne s'en sort pas. Il faut que nous soyons proactifs en la matière.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Le ZAN est à l'origine de nos problèmes. En créant la rareté, on provoque la spéculation et on casse les dynamiques vertueuses. Tout le monde est sur la défensive. Le ZAN est au centre du sujet, or, nous ne sommes pas très offensifs en la matière.

Je fais partie d'une agglomération de 63 communes. Si nous affectons à chaque commune une enveloppe d'artificialisation minimale d'un hectare, comme le prévoit désormais la loi, il n'y a plus assez pour répondre au reste des besoins.

Par ailleurs, je déplore la logique du « quoi qu'il en coûte » à tous les étages. Les services déconcentrés ne prennent pas en compte le coût de revient des projets. Multiplier par trois le coût d'une route pour sauver un crapaud ou une couleuvre, c'est délirant, d'autant plus que les collectivités n'en ont pas les moyens. Est-ce bien raisonnable ?

L'argument phare que l'on nous oppose concernant les logements et les industries est celui du potentiel des friches et des reconversions. Or, les terrains ou les logements vacants ne se situent pas forcément à côté des besoins. Cela dépend beaucoup des activités. On peut répondre à certaines situations par des bâtiments en hauteur, mais on ne peut pas empiler des presses de 8 000 tonnes les unes sur les autres. Ces contradictions, les gens de terrain les connaissent par coeur, mais elles échappent à ceux qui font la loi. Ce n'est pas supportable.

Mme Sylvie Valente Le Hir. - Je souscris à l'ensemble des points que les rapporteurs ont soulevé dans le rapport. Il est vraiment handicapant de devoir choisir entre le foncier économique et le foncier habitable sur nos territoires. Il faudrait que nous prenions l'habitude de travailler avec les entreprises lorsque nous élaborons les PLU et PLUI (plans locaux d'urbanisme intercommunaux).

Le poids et la prolifération des normes sont perçus comme de véritables obstacles pour les porteurs de projets qui souhaitent s'installer. Les entreprises partent plutôt que d'attendre de pouvoir réaliser les études « quatre saisons ». Nous devons travailler sur les délais, beaucoup trop pénalisants pour nous tous.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Je voudrais témoigner de la possibilité d'avoir des territoires qui s'accordent sur la dynamique du développement économique. Je viens d'une commune située à côté de Reims, dont la communauté urbaine regroupe 143 communes. Il s'agit de la plus grosse communauté urbaine au niveau national. Ce territoire très diversifié a des enjeux très variés. Il n'est pas évident de promouvoir le développement économique à un endroit plutôt qu'à un autre. Chaque territoire a envie de dynamisme. Le consensus est donc difficile à trouver.

Ma commune dispose d'un gros pôle agro-industriel, implanté depuis longtemps. Les produits des uns sont les matières premières des autres, dans un cercle très vertueux. Sans avoir été encadrées, les entreprises se sont développées en fonction des opportunités. Cette activité agro-industrielle génère de nombreux emplois sur le territoire. Aujourd'hui, les industries ont besoin de se développer pour pérenniser leurs activités.

Nous souhaitons créer une zone d'aménagement concerté (ZAC). Elle ne pourra voir le jour que lorsque les trois communes concernées seront d'accord sur leur PLU. Dans un contexte où les gens sont las du trafic routier, il faudra créer une route supplémentaire. Le tout sera consommateur de foncier. Il faut de la pédagogie associée au développement économique. J'entends des habitants de communes voisines dire qu'ils ne souhaitent pas que la ZAC se développe, car cela engendrera du trafic de camions supplémentaire chez eux, donc une dévaluation de leur terrain. Ces personnes oublient que, si leur terrain vaut quelque chose, si la zone est attractive pour l'emploi et les commerces, c'est bien parce qu'il existe de l'activité et du dynamisme.

Je ne néglige pas les nuisances de certaines activités, mais les réflexions doivent être mises en commun. Face aux enjeux en matière de biodiversité et d'économie circulaire, nous essayons de rattraper en 20 ans ce qui ne s'est pas fait en 60 ans. Cela bouscule forcément les codes. Nous devons accompagner ces développements sur le plan politique et méthodologique, en pensant à notre environnement et nos populations.

M. Olivier Rietmann, président. - Je ne peux qu'appuyer votre propos. Nous ne faisons pas du développement économique sur nos territoires ruraux sans raison. Simplement, du développement économique naît le développement des services publics, en matière médicale, d'éducation... Tout tient au développement économique. Encore faut-il bien l'accompagner.

M. Damien Michallet. - J'ai été maire d'une petite commune qui a connu un développement économique fort. Nous comptons sur l'une des zones logistiques les plus grandes de France, avec 8 000 à 10 000 emplois et des milliers de camions en transit chaque jour. Nous le vivons plutôt bien, car la filière s'est organisée. Nous avions encore le potentiel foncier pour un développement de 300 hectares, que nous ne ferons finalement sans doute pas.

Je voudrais partager avec vous l'aberration qui résulte de l'application de certaines normes. Il a été imposé à tous les industriels, au cours des 40 dernières années, d'intégrer une forme de compensation en espaces verts. Chaque industriel doit disposer d'une surface d'espaces verts, souvent d'ailleurs complètement étanche, équivalente à celle de son hangar. Nous avons créé de nouveaux écosystèmes, mais à l'échelle d'un parking de zone d'activité... Ce mitage absolument aberrant. Le terrain est condamné et ne peut plus avoir de vocation industrielle. Il est question de centaines d'hectares ainsi immobilisés.

Par ailleurs, la loi sur l'eau impose des règles spécifiques en matière de bassins d'infiltration. Dans l'un des projets dont j'ai connaissance, quelqu'un a décidé un jour qu'il fallait prévoir, à un endroit précis, un bassin de 3 hectares sur 2,50 mètres, sans qu'aucune étude n'ait été faite sur les flux de la nappe souterraine ni les besoins en eau.

Cela démontre que les normes, si elles sont nécessaires, doivent être amendées face à la réalité. Davantage que les élus, c'est le préfet qui doit avoir la main sur ses services déconcentrés. Lorsque nous lui avons demandé de prendre position sur cette aberration relative aux bassins d'infiltration, que nous avons d'ailleurs refusé de construire, la décision ne lui appartenait pas. Il est complètement fou que ni les élus, ni l'État n'aient la main sur l'accompagnement économique.

M. Daniel Laurent. - Nous sommes tous concernés par les difficultés d'accès au foncier économique. La réutilisation des friches industrielles reste très difficile.

Les quinze propositions des rapporteurs déboucheront-elles sur une proposition de loi, ou attendons-nous l'évolution des règles relatives au ZAN ?

M. Michel Bonnus. - Dans une commune du Var, qui accueille Cadarache, centre de recherche et de développement du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), il n'y a plus aucun médecin, ce qui engendre le désarroi des habitants. Il y a ici un vrai décalage.

M. Olivier Rietmann, président. - Cela démontre que l'installation d'une entreprise ou d'une activité n'est pas à prendre à la légère et doit être pesée prudemment. Cadarache accueille notamment le projet ITER, de fusion nucléaire, à portée internationale et avec plusieurs milliards d'euros d'investissements à la clé.

Je retiens deux choses de nos échanges. Tout d'abord, le fait que la complexité de la norme et l'incertitude sur le degré d'exigence attendu poussent les services déconcentrés et les bureaux d'études à la surenchère. Ensuite, s'il est logique qu'il y ait des normes, le véritable problème est l'absence de sens à ces obligations.

Ainsi, dans mon département, une entreprise qui a construit un site de 5 hectares avait dû réaliser des fouilles archéologiques sur la totalité des 8 hectares de l'emprise, pour se préparer à une future extension. L'an dernier, cette société a annoncé sa volonté d'extension sur les 3 hectares ayant déjà fait l'objet de fouilles archéologiques, mais en débordant d'environ 20 ares supplémentaires. Il lui a été demandé de faire des fouilles non seulement sur ces 20 nouveaux ares, mais aussi sur les 3 hectares précédemment fouillés, au motif qu'il s'agit d'un nouveau projet et que 10 ans se sont écoulés depuis les dernières procédures. Cela lui coûtera près de160 000 euros.

En réponse à notre collègue Daniel Laurent qui s'interrogeait sur les suites de ce rapport, je vous précise qu'un certain nombre de lois seront bientôt présentées par le Gouvernement et examinées par notre assemblée sur des sujets connexes, et notamment la simplification des projets. Nous ne manquerons pas, par le biais de nos rapporteurs, de déposer des amendements traduisant leurs recommandations, plutôt que de présenter une proposition de loi dédiée qui devrait effectuer une navette complète. Cela permettra de réagir plus rapidement. Ces amendements vous seront alors envoyés pour cosignature.

M. Michel Masset, rapporteur. - Nous vous avons présenté notre constat, avec son lot d'interrogations et d'inquiétudes. Le manque de visibilité se traduit parfois, localement, par des tensions entre acteurs économiques et élus.

J'ai travaillé pendant longtemps dans un grand groupe régional. J'avais pour mission de gérer des points de vente. La vision de l'activité était alors complètement différente, puisque les collectivités territoriales venaient alors nous chercher pour nous demander de nous implanter. Aujourd'hui, la sélectivité des collectivités est plus forte : Quelle est votre activité ? Y aura-t-il des nuisances ? Combien génèrerez-vous d'emplois ?

L'économie répond toujours à un marché : elle nécessite de la flexibilité et de la réactivité. Tout cela est lié à notre mode de consommation mondialisé, et à une activité législative au niveau européen qui n'est pas sans créer de problèmes pour les producteurs, comme nous le rappelle aujourd'hui le monde agricole.

Que nous manque-t-il ? Certainement un rapprochement entre le public et le privé. Il faut mieux associer les acteurs économiques aux documents d'urbanisme, de manière à anticiper les choses. Le rapprochement de ces deux mondes permettrait de parfaire les projets de territoire, avec la flexibilité nécessaire.

On ne peut pas non plus tolérer que les prestations des bureaux d'études ou que les appréciations des préfectures soient aussi variables d'un territoire à un autre. Ce sont ensuite les élus qui doivent expliquer que l'on nous invite à ne pas entreprendre. Ce n'est évidemment pas notre rôle : notre rôle consiste à accompagner les acteurs économiques, dans le respect de l'environnement.

Je pense aussi qu'il faut rapprocher davantage les lieux d'habitation et de travail, en les reliant par des mobilités plus douces et par des formes bâtimentaires adaptées. Mais c'est là une réflexion plus profonde, qui dépasse le champ de nos travaux relatifs au foncier économique.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Plusieurs travaux avant nous ont suggéré que les sous-préfets s'emparent davantage de leur rôle en soutien au développement économique, et soient réellement les chefs d'orchestre de l'administration. Cela pourrait mettre de l'huile dans les rouages.

Les choix opérés par la France traduisent souvent une forme de surtransposition, par exemple en matière de compensation environnementale. Les normes françaises sont souvent maximalistes, là où nos voisins sont minimalistes. Le politique doit reprendre la main.

Nous n'allons pas déposer de proposition de loi dédiée. Le député Charles Rodwell, que nous avons rencontré, travaille également sur le sujet. Il a rendu un rapport au Gouvernement. Nous profiterons des différents textes de loi qui se présenteront à nous pour porter des amendements traduisant nos recommandations.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour votre travail. Nous allons maintenant porter votre rapport aux voix. Le titre choisi par les rapporteurs est « Difficultés d'accès au foncier économique : l'entreprise à terre ? ».

À l'unanimité, le rapport est adopté et sa publication est autorisée.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

JEUDI 16 NOVEMBRE 2023

Table ronde

- M. Jean-Thomas SCHMITT, directeur général d'Heppner ;

- M. François NOISETTE, ancien inspecteur général de l'environnement et du développement durable, contributeur au rapport « Stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel » présenté par Rollon MOUCHEL-BLAISOT en juillet 2023 ;

- M. Michel LEPRÊTRE, président de l'Établissement Public Territorial Grand Orly Seine Bièvre et administrateur d'Intercommunalités de France ;

- M. Thomas GOUZÈNES, sous-directeur de la politique industrielle à la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

MARDI 21 NOVEMBRE 2023

Table ronde

Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

- Mme Sophie GARCIA, co-présidente de la commission croissance et territoires, MEDEF ;

- Mme Marion UNAL, directrice du logement au sein du pôle Économie, MEDEF ;

Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI)

- M. Frédéric COIRIER, co-président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), président directeur général de Cheminées Poujoulat ;

- Mme Ophélie DUJARRIC, directrice des affaires publiques et réglementaires de Cheminées Poujoulat ;

Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

- M. Jean-Marc NATALI, chef d'entreprise et mandataire logement pour la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).

JEUDI 30 NOVEMBRE 2023

Audition

Cabinet Ancoris

- M. Guillaume GADY, directeur général du cabinet Ancoris ;

- Mme Céline BRUNET, directrice de missions, conseil en développement économique et territoires, cabinet Ancoris.

MARDI 5 DÉCEMBRE 2023

Audition

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires - Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP)

- M. Jean-Baptiste BUTLEN, sous-directeur de l'aménagement durable à la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

MERCREDI 6 DÉCEMBRE 2023

Audition conjointe

- M. Arnaud GOSSEMENT, avocat associé et gérant du cabinet Gossement, professeur associé en droit à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, docteur en droit ;

- Mme Christine MAUGÜÉ, Conseillère d'Etat, Présidente adjointe de la section de l'Intérieur du Conseil d'Etat, autrice du rapport « Propositions pour un contentieux des autorisations d'urbanisme plus rapide et plus efficace » présenté en janvier 2018.

JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

Audition

Cabinet EODD

- M. Laurent GALDEMAS, président du cabinet EODD, président du Syndicat des bureaux d'études en énergie et en environnement (SN2E), membre du collège des experts et scientifiques du Laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (LIFTI).

Audition

Chambres de commerce et d'industrie (CCI France)

- M. Philippe ROUSSY, président de la CCI Touraine et responsable de la mission Territoires au sein du réseau de CCI France ;

- Mme Adeline PADILLA, référente nationale aménagement durable des territoires de CCI France.

Audition

Territoires d'Industrie

- M. Jean-Baptiste GUEUSQUIN, directeur du programme Territoires d'industrie, co-porté par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

MARDI 12 DÉCEMBRE 2023

Table ronde

Agence d'attractivité et de développement économique de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (risingSUD)

- M. Bernard KLEYNHOFF, président de risingSUD, conseiller régional de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, président de la commission développement économique et digital, industrie, export et attractivité, cybersécurité ;

- Mme Audrey BRUN, directrice générale de risingSUD ;

- M. Grégory VARAGNOL, directeur filières et territoires de risingSUD ;

Région Provence-Alpes-Côte d'Azur

- M. Jean-Baptiste CHABERT, directeur de la délégation connaissance, planification, transversalité ;

- Mme Laurence CANTALOUBE KIM, chargée d'études en géomatique et responsable du projet Sud Foncier Eco ;

Agence d'urbanisme, de développement économique et technopole du Pays de Lorient (AudéLor)

- M. Pascal LE LIBOUX, président d'AudéLor et vice-président de Lorient Agglomération chargé du développement économique et de l'emploi ;

- M. Gilles POUPARD, directeur d'AudéLor.

JEUDI 14 DÉCEMBRE 2023

Audition

Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

- Mme Annabelle FERRY, directrice territoires et villes ;

- M. Nicolas GILLIO, chargé de mission appui socio-économique aux territoires ;

Audition

Caisse des dépôts et consignations - Banque des Territoires

- M. Gabriel GIABICANI, directeur adjoint de la direction de l'investissement, en charge de l'innovation et des opérations ;

- Mme Camille ETÉVÉ, responsable du programme Territoires d'Industrie à la direction de l'investissement ;

- M. Christophe CHARENTON, conseiller relations institutionnelles du groupe Caisse des dépôts.

MERCREDI 17 JANVIER 2024

Audition

- M. Charles RODWELL, député des Yvelines, auteur du rapport au Gouvernement « Pour une politique d'attractivité d'attaque au service de l'indépendance et de la sécurité économiques de la France », présenté en décembre 2023.

MARDI 23 JANVIER 2024

Audition

Entreprise Labbé

- M. Frédéric PAYNOT, directeur de l'entreprise Labbé.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES DANS LE CADRE DES DÉPLACEMENTS DE LA DÉLÉGATION

VENDREDI 19 JANVIER 2024

Visite de l'entreprise Bridor

- M. Benoît LOGEAIS, directeur industriel de Bridor ;

- M. Édouard DE TINGUY, directeur de cabinet du président, directeur de la communication et responsabilité sociale et environnementale (RSE).

Table ronde des acteurs du territoire

- M. Jean-Philippe CROCQ, président de la CCI Ille-et-Vilaine ;

- Mme Béatrice LACHALARDE-MONTAY, présidente de la délégation CCI de Saint-Malo ;

- M. Hervé KERMARREC, président du MEDEF Bretagne ;

- M. Vincent LEGENDRE, président du directoire du groupe Legendre, en représentation du Club ETI Bretagne ;

- M. Jérôme PHILIPPE, secrétaire général de la CPME 35 ;

- M. Sébastien SÉMERIL, vice-président de Rennes Métropole en charge de l'économie et de l'emploi ;

- M. Alain BÉNESTEAU, directeur de l'agence d'urbanisme et de développement intercommunal de l'agglomération rennaise (Audiar).

Visite de l'entreprise Alu Rennais

- M. Gérald GALLENNE, dirigeant d'Alu Rennais ;

- Mme Chrystèle GALLENNE, responsable ressources humaines d'Alu Rennais ;

- M. Frédéric BEGUIN, dirigeant de l'entreprise Domus ;

- M. Jean-Michel GALLE, dirigeant de l'entreprise Galle ;

- M. Jean-François ESNEE, dirigeant de l'entreprise Karys ;

- M. Sébastien VALLET, directeur général de la CCI Ille-et-Vilaine ;

- M. Bruno EPP, conseiller de la CCI Ille-et-Vilaine chargé du foncier ;

- Mme Corinne SAURA, responsable à la CCI Ille-et-Vilaine pour les entreprises du territoire de Rennes ;

- M. Robin ORTO, chargé de mission Vie institutionnelle à la CCI Ille-et-Vilaine.

- - LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Afilog ;

- Amazon ;

- Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA France) ;

- France Industrie ;

- France Logistique ;

- Union des entreprises de proximité (U2P) ;

- Union des entreprises de transport et de logistique de France (UTLF).

COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 16 NOVEMBRE 2023

M. Olivier Rietmann, président. - Nous sommes réunis ce matin pour aborder les difficultés des entreprises face à la pénurie de foncier économique, thème de l'une de nos deux missions « flash » de cette fin d'année 2023. Nous avons ainsi désigné, la semaine dernière, deux rapporteurs : Michel Masset - ici présent - et Christian Klinger, qui vous prie de l'excuser.

Nous nous inquiétons des chiffres frappants qui ressortent de récentes études : deux tiers des intercommunalités ont déjà été contraintes de refuser des projets d'implantation d'entreprises faute de foncier disponible ; en Ille-et-Vilaine par exemple, 190 entreprises ont déjà dû abandonner des projets de développement ; 93 % des zones d'activité seront saturées en 2030, et un quart le sont déjà ; or, 2 000 hectares seraient nécessaires d'ici 2030 uniquement pour remplir les besoins de la réindustrialisation.

On doit donc s'attendre à un impact économique majeur du manque de foncier. Pourtant si l'on souhaite réindustrialiser le pays, faire croître nos PME et ETI, accélérer la décarbonation de l'économie, de nouvelles implantations industrielles seront incontournables. Mais c'est aussi un sujet pour les activités commerciales, qui avaient été reléguées vers des zones d'activité périphériques et qui sont confrontées à la dégradation du bâti dans les centres-bourgs : dans ces conditions, où s'installer ?

L'enjeu du foncier économique fait par ailleurs directement écho à un objectif dont la délégation a fait l'une de ses priorités : la simplification des normes applicables aux entreprises. Nous entendons sans cesse que les régimes d'autorisation, les procédures, sont trop complexes et surtout trop longs pour que les entreprises s'installent : c'est dissuasif, et cela réduit réellement l'attractivité de la France comme terre de production. Lorsque des entreprises jettent l'éponge face à la multiplication des délais et des recours contentieux vis-à-vis de leurs implantations, c'est de l'emploi et du revenu en moins pour les territoires d'accueil.

Pour lancer nos travaux, l'audition plénière qui nous réunit vise à faire un premier état des lieux de la pénurie de foncier économique. Nous avons souhaité entendre l'ensemble des voix, des élus aux entreprises en passant par l'administration et les experts.

Nous accueillons donc, pour représenter Intercommunalités de France, M. Michel Leprêtre, président de l'Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre et administrateur d'Intercommunalités de France ; M. Thomas Gouzènes, sous-directeur de la politique industrielle à la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; M. Jean-Thomas Schmitt, directeur général d'Heppner, entreprise de transport et de logistique originaire d'Alsace ; et enfin, en sa qualité de contributeur à la mission pilotée par le préfet Mouchel-Blaisot qui a rendu un rapport au Gouvernement sur la mobilisation du foncier industriel, M.  François Noisette, ancien inspecteur général de l'environnement et du développement durable.

Je vous remercie tous, Messieurs, de votre présence aujourd'hui au Sénat.

M. Jean-Thomas Schmitt, directeur général d'Heppner. - Merci de nous accueillir pour écouter notre témoignage. J'interviens en tant que président de l'entreprise Heppner, mais je m'efforcerai aussi de vous apporter un aperçu global de la situation du secteur de la logistique. L'opposition entre la réindustrialisation de la France et la logistique ne peut que conduire à des erreurs d'analyse, car la réindustrialisation ne peut s'opérer sans une chaîne logistique performante pour l'approvisionnement en matières premières et la distribution des produits finis, en France comme à l'export.

La première difficulté que nous rencontrons réside dans la rareté du foncier logistique. D'après Afilog et l'Union des entreprises de transport et logistique de France, le taux d'occupation actuel du parc avoisine les 98 %. Cela engendre un éloignement par rapport aux barycentres idéaux, l'augmentation des distances parcourues et donc des coûts et des émissions de CO2. Il en résulte aussi des difficultés de développement pour les industriels, qui peinent à trouver des entrepôts pour stocker leurs marchandises, une augmentation des loyers et la hausse du coût des prestations logistiques. En dehors du Nord, de la Normandie et du Centre-Val de Loire, le foncier logistique présente un taux de vacance inférieur à 5 % alors qu'un taux de vacance de 8 % est considéré nécessaire pour assurer la fluidité du marché.

Le foncier logistique est très visible, mais ne représente qu'1 % du foncier artificialisé en France, contre 40 % pour le logement. La mise en oeuvre de l'objectif de « zéro artificialisation nette » engendre donc des inquiétudes, sachant que les bâtiments logistiques sont généralement très grands, avec une moyenne de 18 600 mètres carrés pour un entrepôt. Les 10 % des plus grands sites, qui dépassent 35 000 mètres carrés, représentent 40 % de la surface occupée par la logistique. Nous craignons donc une surreprésentation, dans la perception collective, des bâtiments logistiques qui seraient pointés du doigt en raison de leur empreinte sur le foncier disponible.

Les friches industrielles constituent une réponse inadaptée pour les projets logistiques en raison des coûts inhérents à leur dépollution, mais aussi de leur éventuelle proximité avec des zones résidentielles, qui pose un problème d'acceptabilité en raison des circulations de camions et engendre un éloignement par rapport aux centres expéditeurs actuels et aux zones de livraison. Le foncier disponible dans les friches industrielles n'est pas bien perçu par les investisseurs industriels : sur 1 000 projets financés depuis 2020 par le « Fonds friches », seuls 164 étaient industriels, la majorité étant résidentiels ou destinés à des équipements publics. La piste de la mobilisation des friches industrielles, souvent mise en avant, s'avère donc en réalité peu exploitée.

La localisation du foncier est un enjeu essentiel pour optimiser les flux, réduire le coût de la chaîne logistique, renforcer sa fiabilité et réduire les émissions de gaz à effet de serre liés au transport de marchandises. Les zones logistiques doivent être situées près des sites industriels pour optimiser leur approvisionnement et l'expédition des marchandises, mais également près des zones de distribution pour optimiser la logistique aval et la logistique retour, sachant que la loi dite « AGEC », relative à l'économie circulaire, obligera les transporteurs à reprendre la marchandise usagée. Elles doivent également se trouver à proximité des grands axes routiers pour faciliter l'accès et limiter les nuisances, et près d'un bassin d'emploi pour disposer de la main d'oeuvre nécessaire.

Une mauvaise localisation des entrepôts empêche les acteurs de la logistique de jouer leur rôle de groupeur, alors qu'ils ont vocation à assurer le transport en commun des marchandises pour générer des économies de coûts au bénéfice des industriels, tout comme des économies de CO2. Par conséquent, l'éloignement des zones logistiques engendre des externalités négatives bien plus importantes que la pollution créée localement. À Montpellier par exemple, le groupe Heppner, en l'absence de foncier, a dû organiser la livraison depuis Nîmes, ce qui engendre un surcoût opérationnel de 350 000 euros ainsi qu'une grande inefficacité sur les plans écologique et industriel.

Le secteur de la logistique souffre des délais administratifs comme l'ensemble des acteurs industriels cherchant à s'implanter, ainsi que d'un déficit d'acceptabilité par les riverains et les acteurs politiques locaux, particulièrement forte pour le secteur des transports de marchandises. Il est en effet traditionnellement mal vu, parce qu'il nécessite beaucoup d'espace tout en créant un nombre d'emplois au mètre carré relativement faible, qu'il génère des nuisances sonores et gêne la circulation. Dans de nombreuses villes de tailles très différentes, le voisinage se montre peu accueillant et nous incite à déménager ou à restreindre l'exploitation de nos sites.

Plusieurs arguments doivent amener à dépasser ces difficultés. Au-delà de l'utilité des projets logistiques, la problématique de la pollution locale ne devrait pas prévaloir sur celle de l'optimisation des flux. En outre, le déploiement d'entrepôts a des effets positifs sur l'emploi dans les territoires. Le secteur de la logistique est le cinquième acteur français en nombre d'emplois, avec 1,9 million de salariés, et couvre plus de 150 métiers, de la manutention et la conduite à l'informatique, l'intelligence artificielle, la direction et la stratégie. Le nombre important de postes peu qualifiés offre un accès à l'emploi facilité pour des populations fragilisées, vivant dans des zones prioritaires jouxtant des zones logistiques. Le secteur crée en moyenne 75 emplois pour 100 000 mètres carrés, mais génère un nombre beaucoup plus important d'emplois indirects. Heppner par exemple compte 3 000 emplois directs en France et 12 000 emplois indirects au travers de la sous-traitance. Il contribue à l'écosystème des quartiers prioritaires.

Nous proposons l'élaboration d'un schéma directeur du foncier logistique, au niveau national et mené par l'État en lien avec les régions. Dans le cadre d'une approche globale, ce schéma permettrait de bien identifier les infrastructures de flux et de transfert multimodal, les grandes zones de consommation, les grandes zones de production, les entrepôts existants et les besoins exprimés mais non satisfaits. Il semble par ailleurs nécessaire d'assouplir les règles relatives à l'artificialisation des sols, notamment la « zéro artificialisation nette » (ZAN) en prenant en compte l'ensemble des conditions d'une implantation réussie : infrastructures, services publics, logement et transport public... Pour une meilleure efficacité dans l'application du ZAN, il convient de distinguer l'emprise foncière de l'industrie de celle des secteurs du commerce et du logement, et de territorialiser l'approche et les objectifs en fonction de la densité des territoires.

Les efforts réalisés ces dernières années en matière de compétitivité pourraient être freinés par la rareté foncière. Indispensable à la réindustrialisation, la logistique est très consommatrice de foncier mais mérite d'être valorisée. Sa construction doit être facilitée. Les implantations logistiques sont indispensables pour stocker et organiser le transport des produits nécessaires à l'ensemble de notre économie. La crise sanitaire a démontré l'importance de cette chaîne logistique pour la distribution des produits pharmaceutiques et des dispositifs de santé. Disposer de ces implantations logistiques en France constitue un enjeu de souveraineté économique et industrielle.

M. Olivier Rietmann, président. - J'ai porté un amendement au projet de loi « Industrie verte », qui demandait l'octroi de facilités pour les gigafactories nécessaires à la réindustrialisation. Ces facilités doivent bénéficier également aux entreprises de la chaîne de valeur, dont les entreprises de logistique.

M. Michel Leprêtre, président de l'Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre et administrateur d'Intercommunalités de France. - L'Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre couvre une zone géographique comprenant l'aéroport d'Orly, le marché d'intérêt national (MIN) de Rungis et environ 50 000 entreprises. Il ne souffre pas de pénurie de foncier, puisqu'il dispose de 3 millions de mètres carrés disponibles, possédant une histoire industrielle qui est à réécrire aujourd'hui au regard du cap de réindustrialisation fixé par le Président de la République. Nous y sommes prêts et y travaillons, en développant le concept de « territoire d'industrie ».

Il me paraît important de nuancer l'approche en fonction des territoires, sachant par exemple que le territoire de Saint-Nazaire ne connaît pas le chômage alors que son taux atteint 17 % sur le territoire du Grand-Orly Seine Bièvre, voire 25 % dans certains quartiers. Il est donc souhaitable de tenir compte des particularités du paysage économique et industriel.

Pour sa part, l'Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre est confronté à des obstacles bien identifiés. Il travaille depuis neuf ans à l'identification des espaces disponibles, pour lesquels il définit actuellement des objectifs en lien avec les orientations de la réindustrialisation. Il est nécessaire de se doter d'outils pour sanctuariser des terrains et pour permettre aux institutions, aux entreprises, aux acteurs financiers et à l'État de définir ensemble leur utilisation.

Par ailleurs, la quasi-totalité des espaces possédant un passé industriel présente un état de pollution que personne n'assume, mis à part l'État dans une certaine mesure. Or, l'assainissement de ces sites constitue un préalable à la réindustrialisation. Nous devons en effet nous contraindre au même niveau de dépollution pour les terrains destinés à l'activité économique que pour les terrains destinés au logement, puisque ces terrains sont également occupés par des êtres humains.

Il est en outre nécessaire d'organiser l'intermodalité pour permettre le développement du transport fluvial et du transport ferroviaire. C'est particulièrement le cas sur le territoire Grand-Orly Seine Bièvre, où le marché de Rungis était autrefois desservi par dix trains par jour, et où la santé publique se dégrade, du fait notamment des pollutions de circulation.

En matière de gouvernance, il convient de donner des pouvoirs aux intercommunalités et aux entreprises, pour définir avec l'État et les autres acteurs économiques les projets de réindustrialisation des friches. Certains projets industriels du territoire Grand-Orly Seine Bièvre ont été rejetés à cause de la longueur du calendrier de réalisation. La durée des procédures d'autorisation est de 17 mois en France contre 4 mois en Allemagne. De même, l'autorisation d'un projet logistique dure 9 mois en France, contre 3 mois en Allemagne. Nous devons donc nous donner les moyens politiques de la réindustrialisation.

Enfin, il convient de créer un outil d'envergure pour discuter de l'orientation du foncier, vers le logement ou vers l'activité économique.

Nous devons être capables de sanctuariser un terrain pour l'activité économique, en définissant les modalités de sa gestion et en articulant les différentes réglementations.

M. Thomas Gouzènes, sous-directeur de la politique industrielle à la Direction générale des entreprises du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - L'enjeu de la réindustrialisation est désormais bien installé dans le débat public. La tendance s'inverse après plusieurs décennies de désindustrialisation, puisque le solde des créations et des fermetures d'usines est redevenu positif et que les indicateurs relatifs aux métiers industriels repartent à la hausse. Il convient aujourd'hui d'amplifier ce mouvement pour les décennies à venir.

La réindustrialisation est conditionnée par l'accès aux financements, et donc par la compétitivité et la rentabilité de l'industrie française. Ces conditions ne doivent pas dépendre des financements publics et des subventions de l'État, mais des conditions fiscales et salariales, qui doivent elles-mêmes être attractives pour les investisseurs industriels. L'État a notamment fourni des efforts pour alléger les impôts de production et l'impôt sur les sociétés, et a agi en faveur de la compétitivité des salaires.

Le financement peut également être accompagné d'interventions publiques, qui ne doivent pas relever du saupoudrage ou de la subvention généralisée, mais cibler les secteurs stratégiques tels que l'automobile, dont la transformation vers le véhicule électrique doit être accompagnée. Le plan France 2030 prévoit ainsi un investissement de 54 milliards d'euros sur cinq ans en faveur des secteurs de l'automobile, des batteries électriques, de la santé et des métaux critiques notamment, dans le cadre de programmes sectoriels qui peuvent être liés à des coopérations européennes, visant à soutenir l'implantation d'usines. L'État intervient également en orientant la commande publique, ou au travers des aides aux ménages telles que les primes à l'achat de véhicules électriques de fabrication française ou européenne.

La question du financement renvoie également au prix du foncier. Celui disponible en Île-de-France est parfois cher, parce qu'il intéresse d'autres acteurs que les industriels et appartient à des zones déjà denses.

La réindustrialisation dépendra également de la facilité des procédures administratives. Les délais d'implantation d'usine font en effet partie des critères de choix des investisseurs industriels. C'est l'objectif de la loi « Industrie verte ». Elle a eu pour objectif de simplifier les procédures en les organisant mieux et en renforçant les équipes instructrices, pour ramener les délais d'implantation d'usine de 17 à 9 mois sans dégrader les exigences environnementales. La loi porte ainsi sur les procédures relatives à l'environnement, l'urbanisme, l'aménagement et sur la planification relevant des territoires et des services déconcentrés.

L'enjeu du foncier renvoie au recyclage et à la dépollution de friches industrielles, mais aussi aux contraintes pesant sur l'artificialisation de terrains. Sur le premier point, nous faisons évoluer le Fonds vert pour qu'il puisse davantage financer les dépollutions de sites industriels en vue de leur réutilisation. En matière d'artificialisation, différents aménagements des règles relatives à l'objectif de « zéro artificialisation nette » sont en cours de mise en oeuvre.

La réindustrialisation dépendra enfin de la qualité de la formation professionnelle, puisque tout choix d'implantation industrielle tient compte des caractéristiques du bassin d'emploi et de la capacité à recruter les compétences nécessaires à l'ouverture de l'usine.

François Noisette, ancien inspecteur général de l'environnement et du développement durable. - Le préfet Rollon Mouchel-Blaisot aurait souhaité participer à la table ronde de ce matin, comme vous l'y aviez convié, mais est malheureusement retenu par ses fonctions et vous prie de l'excuser.

Une mission lui a été confiée par le Gouvernement sur la stratégie nationale de mobilisation du foncier industriel, portant sur l'offre, sur la qualification de la demande et sur la facilitation de l'accueil des projets. Environ 10 % du territoire national est artificialisé et nous consommons 25 000 hectares supplémentaires par an. L'industrie et la logistique représentent 5 % du stock et de la consommation de foncier artificialisé.

Nous avons estimé les besoins en foncier industriel sur la base d'une hypothèse de réindustrialisation, consistant en une hausse de 2 points de la part de l'industrie dans le PIB, ce qui la ramènerait à son niveau de 2008. Il en résulterait la création de 465 000 emplois industriels supplémentaires et un besoin de 18 500 hectares par an sur dix ans.

Nous ne manquons pas de foncier pour répondre à ce besoin. Sachant que l'industrie occupe à ce jour 225 000 hectares, une augmentation de la densité en emplois de 1,5% en dix ans, ce qui semble un objectif très réaliste, permettrait déjà d'absorber 45 000 emplois industriels supplémentaires à consommation foncière égale. Par ailleurs, les études menées sur certaines zones industrielles dont celles de Rouen, de Saint Nazaire et de Strasbourg montrent que 15 à 30 % du foncier n'y est pas ou mal utilisé. L'utilisation d'1 % de ce stock libérerait un gisement de 3 000 hectares. Il existe également entre 90 000 et 170 000 hectares de friches en France. L'utilisation de 10 % de ce stock libérerait donc 9 000 hectares. Enfin, l'utilisation de 7 % de l'enveloppe foncière autorisée au titre des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols pour les dix ans à venir, qui correspond à 120 000 hectares, en libérerait 7 500. L'ensemble de ces actions suffirait donc pour répondre aux besoins en foncier industriel des dix prochaines années.

Il s'agit néanmoins de données macroéconomiques. Certains territoires présentent des difficultés d'accès au foncier industriel. Dans le rapport, nos travaux intègrent le secteur de la logistique inféodée à l'industrie, qui représente un besoin en foncier additionnel de 10 % par rapport à celui des industriels. Il existe par ailleurs une problématique spécifique concernant les grands terrains, de plus de 100 hectares, dont on estime qu'un environ est nécessaire chaque année. C'est le cas pour les usines de batterie de Dunkerque, dont la première phase porte sur un besoin de 50 à 70 hectares, avec une cible supérieure à 100 hectares par la suite. Après discussions avec le port de Dunkerque, les industriels ont finalement obtenu un terrain 40 % moins grand que celui demandé initialement, sans que cela ne remette en cause de la rentabilité des projets. Par ailleurs, d'après les experts, l'électrification du parc automobile devrait entraîner la fermeture d'au moins une grande raffinerie avant 2030, ce qui libèrerait environ 450 hectares sur un site généralement bien desservi par le train, le bateau et la route, et éloigné des habitations.

Les données disponibles sur le foncier industriel ont souvent été produites par les collectivités pour leurs besoins propres : elles nécessitent d'être consolidées pour valoriser et promouvoir la France auprès des investisseurs industriels. L'identification des friches appelle une analyse locale, terrain par terrain, avec le propriétaire et l'industriel sortant. Nous estimons que le recyclage de 2 000 hectares de friches présente un besoin de financement de 1,6 milliard d'euros, dont 25 % pourraient être apportés par l'État et 75 % par les collectivités locales. La France accuse un retard dans ce domaine et a pris l'habitude d'utiliser les friches industrielles pour construire des logements, des commerces et des bureaux. Pourtant, ces deux derniers secteurs connaissent aujourd'hui des difficultés, et les friches industrielles ne constituent pas des terrains idéaux pour le logement.

La réindustrialisation nécessite des sites « clés en main », comme ceux annoncés dans le cadre de France 2030. Les industriels recherchent en effet des terrains susceptibles de répondre à des besoins spécifiques concernant l'approvisionnement en eau et en électricité ou la desserte ferroviaire. Pour mieux mobiliser ces sites clés en main, il convient par ailleurs d'optimiser l'organisation des services pour raccourcir les délais des procédures environnementales.

Par conséquent, nous disposons d'un foncier suffisant et nous sommes capables de l'utiliser pour la réindustrialisation. Nous avons néanmoins besoin de moyens financiers et d'administrations mobilisées.

La réussite de la réindustrialisation suppose par ailleurs que l'envie d'usine soit partagée par les élus et la population. Dans certains territoires, l'opposition de la population empêche l'implantation d'usines et d'entrepôts. Or, l'un des grands enjeux de la réindustrialisation consiste à redistribuer l'industrie sur l'ensemble du territoire national, notamment vers les zones rurales et moins denses, pour des raisons liées à l'emploi et à l'activité. Nous devons reconstruire les usines qui faisaient la richesse des territoires ruraux de la France de la fin du XIXème et du XXème siècle. En outre, cette démarche facilitera la réponse aux besoins logistiques.

Les collectivités locales, qui maîtrisent l'ensemble des procédures d'aménagement et d'urbanisme, doivent être encouragées à suivre ce cap, et être accompagnées par en matière d'ingénierie et de financement. Les industriels peuvent largement contribuer eux-mêmes à l'envie d'usine, à condition de présenter des stratégies de développement durable claires et de les mettre en oeuvre. Stellantis par exemple, qui libère du foncier en compactant ses usines, le vend aux collectivités en demandant qu'il soit réservé à l'installation d'autres industriels. La loi « Industrie verte » permettra par ailleurs à l'État de libérer les terrains mal utilisés, où un industriel maintient une petite activité pour éviter de remplir ses obligations de dépollution. De nombreux sites industriels ne sont pas utilisés de manière optimale, puisque la densité moyenne en emploi des sites existants est égale à moins de la moitié de celle d'un site neuf. Ramener tous les sites au niveau de la moyenne permettrait donc de créer bien plus que 465 000 emplois.

M. Olivier Rietmann, président. - Monsieur Noisette, certain de vos propos ont pu heurter les élus locaux que nous sommes.

Je partage une grande partie de vos analyses, mais votre approche de la disponibilité du foncier me paraît très théorique. De nombreux territoires, qui n'ont pas connu la « sinistrose » industrielle, ne possèdent pas de friches, et doivent néanmoins avoir la possibilité de se développer. Par ailleurs, l'opposition entre l'industrie et le logement ne nous paraît pas productive. Chaque territoire doit servir ces deux priorités, et la construction de logements sert également l'industrie en permettant aux travailleurs de se loger.

Les délais des procédures administratives ne dépendent pas uniquement de l'organisation et de la mobilisation des services locaux. Dans de nombreux cas, la longueur des délais est due au manque de moyens des services de l'État, notamment les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et les directions départementales des territoires (DDT).

Enfin, je regrette que la simplification apportée dans le cadre de la loi « Industrie verte » se limite aux 56 sites prioritaires désignés par le Président de la République, qui représentent une infime partie des entreprises françaises. La même démarche de simplification devrait être appliquée aux plus petites installations, qui demandent moins de moyens, afin de répondre aux attentes des centaines de milliers d'entrepreneurs souhaitant installer une entreprise en France.

Le délai de réalisation d'un projet industriel est effectivement très long. Il me paraît à ce titre incompréhensible qu'une décision administrative valant autorisation, fondée sur de nombreuses études environnementales, puisse encore être attaquée en fin de parcours, ce qui rallonge parfois le délai de plusieurs années.

M. Michel Masset, rapporteur. - Pour avoir oeuvré à la création de zones d'activité économique, je constate un fort décalage entre la demande émise par les entreprises et le temps de traitement de la demande, incluant la modification du document d'urbanisme, les autorisations applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) dans certains cas et les délais administratifs. Nous voyons par ailleurs croître la problématique de l'acceptabilité des projets industriels par les élus et les riverains. Quels freins avez-vous rencontrés et comment les lever tout en maintenant les mêmes exigences environnementales et architecturales ?

M. François Noisette. - Il existe en effet un écart entre le calcul macroéconomique et la réalité de chaque territoire, ce qui pose la question de l'allocation des enveloppes permises par le ZAN entre les territoires. Les régions développent des approches très différentes et ne montrent pas toutes la même volonté de répondre aux besoins spécifiques de l'industrialisation. Dunkerque par exemple s'est pleinement emparé des enjeux de l'afflux de population que provoquera la création des usines de batteries. D'autres régions adoptent une approche théorique qui ne produira pas une stratégie industrielle très solide. Il est donc nécessaire de décliner l'analyse des besoins localement. Ce volet n'était pas l'objet de nos travaux.

Les délais des procédures constituent en effet une préoccupation centrale pour les industriels, qui souhaitent pouvoir ouvrir une usine en un an. Cela suppose que les sites d'installation de ces usines soient prêts.

M. Michel Masset, rapporteur. - Nous ne pouvons financer la création d'un site à l'avance.

M. François Noisette. - Certains territoires le font dans une certaine mesure.

M. Michel Masset, rapporteur. - Je souhaite témoigner d'une situation rencontrée dans ma circonscription : la collectivité avait créé une zone d'activité économique de dix hectares, que nous avons commercialisée. Lorsque devait intervenir la vente des derniers lots, il nous a été demandé de procéder à de nouvelles études environnementales, alors que nous devions accueillir une entreprise qui souhaitait créer un site de 250 salariés.

M. François Noisette. - Nous avons proposé de créer un certificat environnemental, qui permettrait à un aménageur de traiter lui-même les besoins d'étude environnementale en amont de l'arrivée de l'industriel. Or le débat sur ce sujet dure depuis au moins une décennie : il nous a été opposé que le certificat nécessiterait un travail plus fin au niveau de la zone d'aménagement et que la définition des zones constructibles et des zones non constructibles pourrait ne pas convenir aux industriels. Néanmoins, les industriels qui souhaitent s'implanter sur un site existant trouvent des solutions, par exemple pour plier leurs lignes de production. Avec le certificat, l'industriel aurait le choix entre un terrain purgé de procédures environnementales (hormis celles relatives au classement ICPE) auquel il devra adapter son projet, et la réalisation du projet sans modification, mais nécessitant de renouveler toutes les procédures environnementales.

Nous avons rencontré un industriel qui a dû porter le budget de son projet de 120 à 130 millions d'euros pour s'adapter à une contrainte environnementale : il nous a expliqué que ce choix ne posait pas difficulté dès lors que l'agglomération lui garantissait le respect des délais.

M. Olivier Rietmann, président. - Il arrive néanmoins que soit réalisée l'intégralité des études environnementales relatives à un terrain et qu'au moment de sa commercialisation quelques années après, l'évolution de la loi nous oblige à les renouveler.

M. François Noisette. - Le certificat environnemental permettrait justement de geler le droit applicable pour trois à quatre ans. L'industriel bénéficierait ainsi d'un terrain purgé des procédures environnementales, hors ICPE.

M. Thomas Gouzènes. - L'élaboration de la loi « Industrie verte » a été précédée d'une période de concertation. Elle a notamment prévu de paralléliser, c'est-à-dire de rendre concomitantes, les procédures environnementales et d'urbanisme pour raccourcir les délais. La loi permet également de conduire des procédures groupées pour plusieurs projets situés sur une même zone. Nous devons par ailleurs préciser la durée de validité des études sur la faune et la flore : ce sujet est traité dans le cadre des décrets d'application de la loi, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, tout en veillant au respect du droit européen. En revanche, le droit européen et le droit national évoluent et la hiérarchie des normes nous empêche de garantir la stabilité du droit aux porteurs de projet. Le principal objectif doit donc être de raccourcir les procédures liées aux implantations industrielles.

Les 50 sites auxquels s'appliqueront les simplifications majeures de la loi « Industrie verte » sont ceux qui nécessitent un accompagnement dédié en raison de leur taille et de la complexité de l'aménagement. Il s'agit de sites emblématiques au niveau national. Les régions mènent par ailleurs un travail de même nature sur un nombre de sites bien plus élevé.

M. Michel Leprêtre. - Les 50 sites visés par les mesures de la loi « Industrie verte » représentent un niveau d'ambition et reflètent une priorité particulière. Nous sommes par ailleurs capables de dupliquer le modèle sur d'autres sites.

Que ce soit pour l'activité économique, le logement ou les équipements publics, nous sommes contraints à la vertu en termes de développement durable. Nous disposons néanmoins d'architectes, d'urbanistes et de chefs d'entreprise animés par la volonté de s'y conformer. La construction de logements présente la même problématique d'acceptabilité par la population que les projets d'activité économique. Nous devons donc organiser le débat et la confrontation d'idées pour répondre aux besoins des générations futures, en termes de logement et d'activité économique.

Nous devons par ailleurs densifier les installations logistiques on industrielles comme nous densifions les logements, afin de préserver des espaces verts. Nous développons notamment un projet d'entrepôt logistique sur cinq niveaux à Vitry-sur-Seine.

Enfin, Intercommunalités de France porte une proposition visant à affecter le solde de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) à l'aménagement des friches industrielles.

M. Michel Masset, rapporteur. - Nous devons également tenir compte du fait que l'installation sur une friche industrielle implique des coûts et des délais supplémentaires par rapport à l'installation sur un nouveau terrain.

M. Olivier Rietmann, président. - Les délais sont plus longs en France qu'en Allemagne parce qu'en France les procédures s'enchaînent chronologiquement, alors qu'en Allemagne elles sont réalisées concomitamment.

Quelle est la nature des difficultés rencontrées par le groupe Heppner à Montpellier ?

M. Jean-Thomas Schmitt. - Le groupe Heppner sous-louait des installations à la SNCF, qui a choisi de les réallouer à sa filiale Geodis. Aucune autre emprise foncière n'était disponible à proximité, et les projets envisagés ne se concrétisaient pas avant trois ou quatre ans. Finalement, Geodis a renoncé à son projet.

Notre syndicat professionnel a émis trois propositions concernant les démarches administratives, appuyées sur le rapport Guillot, consistant à réduire les délais d'instruction par la parallélisation des procédures, à mettre en place un service pilote chargé de coordonner les différents services et à modifier la durée de validité de l'étude faune-flore. Nous proposons également de plafonner les délais de jugement des recours contentieux, de réduire le nombre de recours successifs et de renforcer l'exigence quant à leur recevabilité.

S'agissant de l'acceptabilité, je citerai l'exemple de notre projet à Noisy-le-Sec. Nous sommes implantés depuis longtemps dans une zone industrielle lourde voisine de Romainville. Alors que l'intercommunalité Est Ensemble déclarait souhaiter modifier le plan local d'urbanisme (PLU), la municipalité communiste de Noisy-le-Sec souhaitait le développement de la zone industrielle pour soutenir l'emploi tandis que la municipalité écologiste de Romainville s'y opposait et a déclenché un contentieux. L'acceptabilité constitue un obstacle important et nous y sommes confrontés systématiquement.

Mme Pauline Martin. - Nous avons tendance en France à nous abriter derrière les normes européennes, et nous nous montrons parfois plus royalistes que le roi dans ce domaine.

Les élus locaux ont besoin d'être accompagnés par l'État et tous les territoires ne disposent pas de foncier disponible pour l'industrie.

Qu'en est-il des projets de l'État en matière de ferroutage, sujet sur lequel la France a peu progressé ces dernières décennies ? Comment percevez-vous la logistique de demain ?

M. Michel Leprêtre - Le président directeur général du marché de Rungis travaille à un projet de ferroutage à la suite du retour du train unique, en sachant qu'il n'est pas possible aujourd'hui de reconstruire les réseaux. Nous devons par ailleurs développer les interconnexions, qui permettent par exemple d'utiliser une barge sur la Seine pour recueillir un volume excavé équivalent à 80 camions dans le cadre d'un chantier de métro parisien et ainsi limiter les contraintes pour la ville.

M. François Noisette - Les sites industriels qui ferment sont en général très bien desservis par les transports, en électricité et en eau. Il convient donc de les sanctuariser en vue d'un usage adapté, afin d'éviter par exemple qu'un terrain desservi par le ferroviaire et le fluvial soit affecté à un logisticien qui n'utilise que la route.

L'artificialisation des sols fait partie des solutions face à la pénurie de foncier. La question porte sur leur affectation. Dans le cadre de l'application du ZAN, il convient notamment de veiller à ce qu'une enveloppe soit destinée à l'industrie, ce qui renvoie à la problématique de l'acceptabilité. Nous pouvons travailler en amont avec les associations de protection de la biodiversité pour éviter les recours. De même, il convient de sensibiliser les habitants et les élus aux enjeux économiques. Je connais par exemple le cas d'un projet d'usine d'explosifs qui n'a pu être réalisé sur le site souhaité à cause de l'opposition du maire concerné alors qu'il ne pouvait pas non plus l'être ailleurs en Europe.

La sensibilisation doit porter également sur l'attractivité des emplois industriels. Un soudeur par exemple peut obtenir une rémunération égale à quatre fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic). Or cela n'est jamais dit dans les lycées professionnels.

M. Olivier Rietmann, président. - La sanctuarisation n'est pas toujours possible en raison de l'évolution de la législation. Ainsi, j'ai connaissance d'un cas dans lequel une zone artisanale d'un secteur rural, qui était déjà pour partie commercialisée, a été qualifiée de zone humide lors de la révision du PLU, ce qui impliquait la mise en oeuvre de compensations. À ce sujet, il me paraît incompréhensible que l'artificialisation d'un hectare de zone humide implique une compensation à hauteur de deux hectares.

M. Michel Canévet. - Nous devons absolument étendre à l'ensemble des implantations économiques les mesures de simplification administrative auxquelles nous sommes parvenus dans le cadre de la loi « Industrie verte ». Cet enjeu est central pour l'aménagement du territoire.

Je crains par ailleurs que les besoins en matière de logement conduisent à privilégier l'habitat au détriment de l'activité économique, d'autant plus qu'il n'existe plus de lien fiscal entre l'activité économique et les collectivités locales.

Les propriétaires de foncier tendent à le conserver dans la perspective de sa raréfaction pour en obtenir un meilleur prix. Nous devons donc trouver des outils incitant à libérer le foncier pour permettre l'implantation d'activités nouvelles.

Il faut rationaliser l'approche des sujets environnementaux par les services déconcentrés de l'État, souvent trop drastique.

Enfin, la commande publique doit privilégier les produits fabriqués en France. L'application du seul critère du prix conduira toujours à choisir des concurrents moins chers que les industriels français.

M. Jean-Luc Brault. - En tant que Président de la communauté de communes du Val de Cher Controis, je pense qu'il appartient au préfet de coordonner les différents services de l'État autour des grands projets pour éviter les blocages dus à un arrêt maladie au sein de l'administration, ou à la qualification en zone humide d'un site qui possédait une autorisation de construire et où les travaux d'infrastructure avaient été réalisés.

Je reconnais avoir commis une erreur en refusant, à la demande des Controis, la création d'une installation logistique du groupe Andros. Cette installation a été créée à Blois et nous subissons désormais un flux quotidien de 50 véhicules qui assurent la liaison entre les deux sites, distants de 30 kilomètres.

M. Olivier Rietmann, président. - La logistique est indispensable au développement industriel d'un territoire.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Le droit européen n'explique pas tous les problèmes administratifs, puisque nos voisins parviennent à traiter les procédures dans des délais beaucoup plus brefs.

Je pense par ailleurs que le véhicule électrique ne constitue pas la solution unique vers laquelle concentrer tous nos efforts pour sauver la planète.

En outre, nous ne pourrons placer sur plusieurs niveaux des maxi-presses automobiles de 8 000 tonnes : la verticalité n'est pas une solution pour toutes les installations.

Enfin, les réflexions de la mission sur la mobilisation du foncier industriel me paraissent très mathématiques et théoriques. Tous les territoires ne présentent pas les mêmes besoins et tous les industriels ne dégagent pas des marges qui leur permettent de revoir le budget des projets à la hausse.

Avec les règles relatives à l'objectif ZAN, j'ai l'impression que nous sommes soumis à un système qui est obligé de créer de nouveaux règlements en permanence pour justifier son existence, ce qui conduit à des situations incohérentes. Comment répondre aux besoins des territoires ruraux et industriels qui redeviennent attractifs avec l'exode urbain, si la loi considère que le fait qu'ils aient consommé peu d'espace dans les dix ou vingt dernières années signifie qu'ils n'auront pas de besoin foncier à l'avenir ? Je le vis d'autant plus douloureusement dans ma commune que j'ai adopté une démarche d'économie foncière il y a dix ans, en encourageant la reprise de maisons inoccupées plutôt que la construction de lotissements.

Par ailleurs, un industriel n'a aucun intérêt à reprendre une friche industrielle compte tenu des coûts de dépollution et des délais induits. Les dérogations ne constituent pas une solution puisqu'elles-mêmes allongent les délais.

Enfin, la problématique de l'acceptabilité est qu'une minorité d'opposants impose sa vision au reste de la population. Sur mon territoire, la présence d'une espèce d'alouette, l'alouette lulu, a fait échouer un projet commercial qui induisait des centaines d'emplois, alors que l'alouette aurait probablement pu se réinstaller à proximité. Vos discours de ce matin sur les procédures administratives ne me rassurent pas.

M. Michel Leprêtre. -  Ce débat est utile et nécessaire.

La densification ne s'applique effectivement pas à toutes les installations industrielles. Il est néanmoins possible de garer des véhicules de transport, voire des semi-remorques sur plusieurs niveaux.

Nous ne devons jamais oublier d'associer les populations aux projets industriels. Au-delà de la résistance de certains acteurs, le débat est utile pour répondre aux préoccupations, notamment en matière d'emploi et de logement.

Mme Anne-Sophie Romagny. - C'est bien l'intelligence collective qui nous permet d'avancer. J'ai été choquée par les jugements à l'emporte-pièce que j'ai entendus ce matin sur certains sujets.

Une installation de logistique en hauteur pose également un problème d'acceptabilité parce qu'elle masquera le paysage à certains habitants. Certes, la réindustrialisation engendre la dynamisation de bassins d'emploi et alimente l'économie des villages, mais nous devons tenir compte de la réaction des populations face aux nuisances olfactives ou sonores ou liées au trafic routier.

L'enjeu consiste donc à faire concorder nos politiques. Or, la surenchère de règles conduit à empêcher la réalisation de tout projet : elle engendre une « usine à ne pas faire ».

M. François Noisette - La construction de chaque projet au niveau local prend du temps et les territoires qui réussissent à tirer profit de la stratégie de réindustrialisation sont ceux qui s'y préparent depuis au moins dix ans, équipés en sociétés d'économie mixtes suffisamment capitalisées. Le site de l'entreprise LISI à Grandvillars, que nous citons dans notre rapport, a bénéficié d'un investissement de 30 millions d'euros de la part de la SEM d'une intercommunalité de 25 000 habitants qui s'est mobilisée pour maintenir un industriel présent depuis 300 ans, en reconstruisant les deux usines et le siège de ce groupe international de 10 000 salariés. La mise en place d'une stratégie industrielle prend du temps et les territoires qui n'en possèdent pas encore doivent en trouver le chemin. Ils bénéficient néanmoins d'un partage d'expérience important.

La densification ne consiste pas uniquement à créer des installations en hauteur. Les Pays-Bas par exemple n'imposent aucun taux d'espaces verts autour des usines, ce qui permet de conserver davantage de terres agricoles. En France, la plupart des PLU imposent encore un taux d'emprise de 40 % d'espaces verts aux projets industriels, ce qui génère un coût et ne présente pas d'intérêt à leurs yeux, alors que la loi ne l'oblige pas.

Chaque territoire doit définir une solution adaptée à sa géographie et à son paysage. Il convient effectivement d'organiser l'intelligence collective en assurant la concertation au sein de chaque territoire sur la place à donner à l'industrie. Les solutions ne se définiront pas au niveau national mais au niveau local avec les acteurs économiques et les entreprises. À Corbigny par exemple, les industriels qui possèdent des espaces inutilisés se sont engagés à accueillir des créateurs d'entreprise.

M. Olivier Rietmann, président. - L'égalitaire va souvent à l'encontre de l'équitable. Dans le cadre de la mise en oeuvre du ZAN notamment, l'application d'un taux de réduction de l'artificialisation uniforme, qui conduira à des niveaux d'efforts différents selon les développements passés, défavorisera les territoires qui n'ont pas développé d'activité ces dernières années et qui souhaitent désormais le faire.

M. Jean-Thomas Schmitt. - J'apprécie le caractère pragmatique de nos échanges.

Les installations de logistique en hauteur constituent une bonne solution pour la logistique du dernier kilomètre et le petit colis, mais ne sont nullement adaptées aux semi-remorques. Au-delà de la problématique d'acceptabilité, les PLU ne permettent souvent pas de telles constructions.

Les investisseurs ont besoin de visibilité et donc de règles stables.

Par ailleurs, nous n'avons pas toujours la possibilité d'organiser le dialogue avec les associations parce qu'elles déposent un recours la veille de l'expiration du délai. Toutes les entreprises ne possèdent pas les moyens d'entretenir des relations institutionnelles sur leurs territoires.

Le foncier ne se limite pas à la disponibilité d'un terrain mais est lié à la main-d'oeuvre et aux infrastructures. Les industriels choisissent leurs implantations en fonction d'un ensemble de conditions. Or l'activité logistique est délocalisable, et se développera en Hollande et en Belgique si elle ne peut se développer en France, au détriment des industriels français.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci à tous pour votre participation à cette table ronde.

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