CHAPITRE I

PERSPECTIVES MACROÉCONOMIQUES À MOYEN TERME

I. PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS D'UNE PROJECTION DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE À L'HORIZON 2002 (réalisée par l'OFCE)

L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a réalisé, à la demande du Service des Etudes du Sénat, une projection de l'économie française à l'horizon 2002, à l'aide de son modèle macro-économique MOSAÏQUE (voir Annexe n° 1 , page 63).

Cet exercice est de nature essentiellement macroéconomique, mais il a été demandé aux experts de l'OFCE d'en tirer le maximum d'indications sur l'évolution des finances publiques.

Votre Délégation rappelle une nouvelle fois qu'en présentant les principales conclusions de ces travaux, elle n'a d'autre souci que de mettre à la disposition du Sénat une illustration - grâce à l'éclairage que peut donner une projection à cinq ans - des choix et des questions de politique économique, et de baliser ainsi les cheminements possibles de l'économie française à l'horizon 2002.

A. LA DEMANDE ÉTRANGÈRE ET LES ÉCHANGES EXTÉRIEURS

1. L'environnement monétaire et international de l'économie française

Les résultats d'un exercice de projection réalisé à l'aide d'un modèle macroéconomique national sont étroitement liés aux hypothèses relatives aux taux de change, aux taux d'intérêt et à la croissance des économies partenaires. Celles qui ont été retenues par l'OFCE sont assez optimistes, du moins pour le court terme :

· Les auteurs de la projection ont tout d'abord considéré que la hausse du dollar depuis son point bas de la mi-1995 n'obéissait ni à des mouvements à caractère spéculatif, ni au décalage de conjoncture entre les Etats-Unis et l'Europe, mais à une amélioration fondamentale de la confiance des détenteurs mondiaux de capitaux dans la capacité de l'économie américaine à rembourser ses dettes (en raison notamment de la réduction structurelle du déficit public aux Etats-Unis).

Ainsi sur l'ensemble de la période 1997-2002, le cours du dollar est supposé s'établir en moyenne aux alentours de 6 francs, au lieu de 5,30 francs au cours des six années précédentes. Cette hypothèse a une incidence très favorable sur la compétitivité et la croissance en Europe.

Une variante réalisée à l'aide du modèle MIMOSA, présentée et discutée dans le chapitre 2 de ce rapport, montre qu'une dépréciation de 10 % des monnaies européennes se traduit par une augmentation du taux de croissance de l'économie européenne comprise entre 0,3 et 0,9 point pendant deux ans (selon la réaction des autorités monétaires à une accélération de l' inflation consécutive à l'augmentation du prix des produits importés).

· Par ailleurs, les taux d'intérêt à court terme fluctueraient autour de 2 % en termes réels (c'est-à-dire les taux d'intérêt nominaux moins l'inflation), sur l'ensemble de la période de projection. Les taux d'intérêt réels à court terme seraient ainsi inférieurs au taux de croissance potentiel 1( * ) des économies européennes, ce qui correspondrait à une politique monétaire nettement plus accommodante que celle qui a été suivie depuis le début des années quatre-vingt-dix.

· Le ralentissement de l' économie américaine, que nombre d'économistes prévoyaient pour 1997, n'interviendrait véritablement qu'en 1999. Encore ce freinage de l'activité serait-il d'ampleur modérée et de durée limitée selon l'OFCE, contrairement aux épisodes de ralentissement cyclique que l'économie américaine a connus par le passé. La croissance des économies européennes , stimulée par la hausse du dollar et soutenue par la reprise de leur demande intérieure, s' accélérerait significativement en début de période (+ 3,1 % en 1998 et + 2,9 % en 1999 pour la moyenne européenne), avant de ralentir par la suite (+ 2 % en moyenne de 2000 à 2002).

Au total, la demande étrangère adressée à la France serait soutenue jusqu'en 1999 (+ 7,6 % par an en moyenne), avant de ralentir en fin de période (+ 5,5 % de 2000 à 2002).

ENCADRÉ N° 1

QUEL IMPACT DES INCERTITUDES ASIATIQUES
SUR LA CROISSANCE EN EUROPE ?

Pour schématiser les conséquences possibles sur la croissance européenne, des récentes difficultés apparues dans certains pays asiatiques jusqu'alors en forte expansion, on peut décrire trois types d'enchaînements : effets d'un ralentissement de la croissance économique en Asie, effet des dévaluations des monnaies asiatiques, effets d'un affaiblissement du dollar.

1. D'après une simulation, réalisée en 1996 à l'aide du modèle INTERLINK de l' OCDE , le ralentissement d'un point de pourcentage de la croissance en 1997 et 1998 dans les pays d'Asie non membres de l'OCDE (à taux de change nominal et taux d'intérêt fixes), a pour conséquence que le niveau du PIB serait en 1998 plus faible de 0,2 % dans l'Union européenne et aux Etats-Unis, et de 0,4 % au Japon.

L'impact sur l'économie française pourrait être proche de la moyenne européenne : d'un côté, la France exporte relativement peu vers l'Asie (en 1995, 32 milliards de francs vers le Japon, et 87 milliards de francs vers les pays d'Asie en développement rapide - Chine comprise -, soit respectivement 1,8 % et 4,8 % de nos exportations) ; de l'autre, nos exportations (biens de consommation de luxe, services touristiques, biens d'équipement de haute technologie) pourraient être particulièrement sensibles aux variations du revenu réel dans les pays d'Asie. Les crises de change en Asie pourraient donc avoir un impact marqué sur certains secteurs (vins fins et spiritueux notamment).

2. La dévaluation des monnaies des économies dynamiques d'Asie réduit la compétitivité des exportateurs européens. Ainsi, selon l'OCDE, une dépréciation de 10 % des monnaies de la Corée, de Hong-Kong, de Singapour, de Taïwan, de la Chine, de l'Inde, de la Malaisie, des Philippines et de la Thaïlande réduirait au bout de deux ans les exportations européennes de 1,5 % et le PIB européen de 0,3 %, ces effets s'inversant toutefois dès la quatrième année, les pertes de compétitivité étant peu à peu récupérées.

3. Les crises de change en Asie tendent à affaiblir le dollar, ce qui pénalise la reprise en Europe. En effet, le monde chinois d'un côté (Chine, Hong-Kong, Singapour, Taïwan), et la Thaïlande, la Corée, la Malaisie de l'autre, détenaient en stock en 1996 respectivement, 300 et plus de 100 milliards de dollars de réserves en devises, aux trois-quarts libellées en dollars, soit un quart des réserves mondiales en dollars. Ces pays sont devenus les premiers financeurs du déficit extérieur des Etats-Unis. La crise de change en Asie entraîne des ventes de dollars par les pays dont les monnaies sont attaquées d'une part, et hypothèque le financement futur des déficits américains d'autre part, ce qui concourt à déprécier le dollar.

Ces trois mécanismes pourraient toutefois être partiellement compensés par une détente des taux d'intérêt au niveau mondial : d'une part, la volatilité des marchés d'actions entraînerait un report des investisseurs vers les marchés d'obligations ; d'autre part, le ralentissement de la croissance réduirait les tensions inflationnistes aux Etats-Unis ; enfin, la fragilisation des systèmes bancaires et financiers inciterait les autorités monétaires à détendre les taux d'intérêt à court terme.

Au total, selon l'OCDE, l'effet négatif de la crise financière en Asie du Sud-Est sur la croissance serait de l'ordre de 0,1 à 0,2 point en Europe et aux Etats-Unis, cette année et l'an prochain, et le double au Japon.

2. Les échanges extérieurs : Quel excédent pour l'économie française ?

L'environnement monétaire et international, tel qu'il vient d'être décrit, est très favorable à notre commerce extérieur en début de période :

- l'hypothèse d'une poursuite de la hausse du dollar entraîne une amélioration de la compétitivité à l'exportation (de l'ordre de 2,9 points par an en moyenne sur 1997 et 1998).

- le dynamisme de la demande adressée à la France par ses partenaires en 1997 et 1998, entraîne une progression plus rapide des exportations que celle des importations.

- il en résulte une contribution élevée des échanges extérieurs à la croissance, surtout en début de période : ceux-ci expliqueraient 1,6 point de croissance en 1997 (pour une croissance totale de 2,1 %), 0,9 point en 1998 (pour une croissance de 3,2 %) et 0,5 point en 1999 (pour une croissance de 2,9 %).

L' excédent commercial passerait de 203 milliards de francs en 1997 à 288 milliards de francs en 2002 (soit de 2,5 % à 3 % du PIB) et la capacité de financement de la Nation s'accroîtrait : de 2,3 % du PIB en 1997 à 3,1 % en 2001.

L'augmentation des excédents commerciaux décrite par la projection est-elle réaliste ?

L'excédent commercial français, apparu au début des années 90, a souvent été interprété comme un " mauvais excédent ", c'est-à-dire un excédent consécutif à une croissance de l'économie française inférieure à celle de ses partenaires. Effectivement, la France a connu un taux de croissance inférieur de 0,6 point à celui de l'ensemble de ses partenaires entre 1990 et 1996, ce qui pourrait expliquer que ses importations aient augmenté moins rapidement que ses exportations.

Néanmoins, les résultats de la projection ainsi que des simulations réalisées par l'INSEE (à l'aide de son modèle AMADEUS) 2( * ) ne confirment pas ce diagnostic. En effet, même en comblant son écart de croissance avec ses principaux partenaires, la France continuerait, selon la projection de l'OFCE, à dégager d'importants excédents. Ceux-ci iraient même croissants à l'horizon 2002.

Semblable évolution est cependant liée à des hypothèses (hausse du dollar et dynamisme de la demande étrangère), qui peuvent être mises en cause, comme l'a montré la crise financière récente. Aussi, afin de neutraliser l'effet sur le solde commercial d'hypothèses de cette nature, l'INSEE a calculé une balance commerciale "structurelle", qui traduit en quelque sorte le niveau structurel de compétitivité de l'économie française, indépendamment des mouvements de change et du décalage conjoncturel entre la France et ses partenaires de l'OCDE 3( * ) . L'INSEE évalue ainsi à 2 % du PIB en 1996 l'excédent commercial structurel de la France. Ces travaux, combinés aux résultats de la projection réalisée par l'OFCE, appellent deux observations :

- cet excédent structurel traduit le niveau élevé de compétitivité de l'économie française (niveau de la compétitivité-prix, niveau de qualité des produits et de la compétitivité hors-prix...) ;

- même si l'environnement monétaire et international de l'économie française devenait moins favorable que celui décrit par la projection de l'OFCE (en raison d'une baisse du dollar par exemple), l'économie française continuerait à dégager, sur le moyen terme, d'importants excédents extérieurs.

Ces travaux dessinent donc une inversion durable de tendance depuis le début des années 90 : l'économie française accumule désormais des excédents par rapport au reste du monde.

D'un point de vue comptable, l'augmentation de la capacité de financement de la Nation correspond à un excédent de l' épargne nationale sur l' investissement.

Ainsi, la projection de l'OFCE met-elle en évidence un atout pour les prochaines années : la possibilité pour l'économie française de croître plus vite que son potentiel ou que ses partenaires sans buter sur des contraintes de financement. Elle n'indique pas, en revanche, comment cet atout pourrait être exploité...

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