CHAPITRE III

IL EST NECESSAIRE DE DEFINIR
UN SYSTEME DE VALEURS
DANS LA NOUVELLE SOCIETE DE L'INFORMATION

Quelles sont les valeurs sur lesquelles se fonde la nouvelle société de l'information ?

La réponse à cette question s'avère d'une redoutable complexité.

Les termes employés comportent en effet une part de polysémie (à l'instar de " valeurs " ) ; ils prêtent, ensuite, à une certaine confusion (qu'est-ce qui différencie le concept d'information de celui de communication ?) ; ils sont marqués, enfin, par une ambiguïté centrale (en quoi réside la nouveauté de la société de l'information ?)

" Etre au coeur d'une mutation profonde n'en facilite pas la compréhension, ni l'analyse " - écrivent les auteurs d'un récent rapport d'une mission sénatoriale consacrée à la société de l'information. En effet, l'entrée dans celle-ci, " qui vient à la suite de la société industrielle et en bouleverse les données, constitue une révolution culturelle, économique et sociale sans précédent car elle touche simultanément toutes les parties du monde et toutes les activités ".


I. NOUVEAUTES ET EFFETS DE LA SOCIETE
DE L'INFORMATION EN PREMIERE ANALYSE
Situer ce processus dans le temps n'est, tout d'abord, pas si facile.

S'il est évident que " l'entrée de la France dans la société de l'information est en cours " - comme le fait observer le rapport précité -, ce qui signifie qu'elle n'est plus devant nous et qu'il nous faut donc désormais non pas nous y préparer, mais nous y adapter, il est tout aussi certain qu'il s'agit d'une évolution de long terme, à peine entamée (s'agissant surtout de la France qui se trouve en retard par rapport à d'autres pays) et largement inachevée.

Nous avons tenté de montrer, d'autre part, qu'au moins dans une certaine mesure, " tout a commencé avec Gutenberg " et que l'histoire a souvent tendance à se répéter.

Les auteurs du rapport de la mission d'information commune reconnaissent du reste que " l'information occupe, certes, depuis longtemps, une place centrale dans les sociétés contemporaines marquées par une recherche de productivité et de rationalisation qui suppose la détention et la bonne utilisation de l'information économique, scientifique, sociale et politique ".

Selon eux, ce sont " l'accélération récente de l'innovation technologique et sa mondialisation [qui] apportent une nouvelle dimension ".

En fait, nous l'avons vu, la principale accélération technique, celle décrite par la loi de Moore selon laquelle le nombre de transistors intégrés dans une puce double environ tous les 18 mois, a commencé il y a plus de 25 ans. Et les grandes découvertes, qui constituent aujourd'hui nos principaux acquis (le transistor, le micro-processeur, la fibre optique) ne datent pas non plus d'hier.

L'augmentation des performances des systèmes d'information et de communication ainsi que leur tendance simultanée à la diversification et à la convergence en sont des caractéristiques originelles.

Nous sommes aujourd'hui encore sur la lancée d'un mouvement initié, il y a longtemps déjà, par la création de l' électronique , appliquée ensuite au traitement de l'information (avec l'apparition, après guerre, de l'ordinateur devenu d'abord, communicant ; puis, plus tard, dans les années 70, personnel).

L'accélération technique n'est donc pas nouvelle, la mondialisation de l'innovation non plus : au fur et à mesure de leur apparition, les liaisons permises par les nouvelles techniques de communication et d'information (télégraphe, téléphone, radio, télévision...) ont toujours tendu à s'internationaliser aussi rapidement que possible.

Cependant, il est indéniable que la période récente a été marquée par des percées décisives, provoquant des bouleversements profonds :

n La mise au point d'algorithmes puissants de compression des données a ainsi rendu possible l'informatique multimedia et permis la généralisation de l'utilisation des techniques numériques.

Il en est résulté une accentuation de la tendance à la convergence des secteurs des télécommunications, de l'audiovisuel et de l'informatique, sous l'égide de cette dernière. De sorte qu'il est désormais possible d'envisager de transporter tout type de données, à travers des supports uniques ou variés, vers des récepteurs universels ou combinant, de différentes façons, des fonctions audiovisuelles, informatiques ou de communication.

Autrefois limités à des réseaux locaux ou à des liaisons spécialisées, les échanges entre ordinateurs, de données désormais multimedia, à travers le réseau téléphonique commuté, ont effectivement été révolutionnés et se sont mondialisés.

Ce phénomène est illustré par l'essor fulgurant d'Internet.

n D'un point de vue technique, le succès du " réseau des réseaux " s'explique par celui de son protocole informatique, qui permet à des routeurs placés aux noeuds des réseaux de télécommunication du monde entier, d'acheminer des paquets de données, grâce à un système d'adressage approprié, vers n'importe quelle destination.

Ce protocole, constitue, avec le progrès déjà évoqué des techniques de compression, l'innovation la plus marquante de ces dernières années. Il est, cependant, beaucoup plus ancien, puisqu'il a été mis au point dès les années 70 aux Etats-Unis, alors que les algorithmes compressifs sont une conquête des années quatre vingt dix.

Ainsi, la compression de données constitue la seule percée vraiment tout à fait récente dans l'évolution d'ensemble des techniques à la base d'Internet et de la société de l'information. Ni le codage numérique binaire, déjà utilisé par l'informatique, par la production audiovisuelle et par les réseaux téléphoniques, ni la commutation par paquets, permettant d'acheminer des données numérisées, à travers les infrastructures de télécommunications, ni même les protocoles TCP/IP, ne sont nés d'hier.

Autrement dit, il faut accentuer l'idée selon laquelle plus encore que l'avancée technique qu'il traduit, c'est donc le phénomène de société illustré par l'explosion d'Internet qui en constitue l'aspect le plus remarquable.

Situer dans le temps l'irruption de la société de l'information et en caractériser la nouveauté s'avèrent de ce fait d'une redoutable complexité. De même qu'en mesurer les apports ramifiés.

L'évolution technologique correspondante annonce, on l'a vu, le triomphe de l'informatique, science du traitement de l'information, au coeur du processus de convergence, déjà décrit, qui l'associe aux télécommunications et à l'audiovisuel.

Le fait que les deux percées les plus décisives des trente dernières années (si l'on excepte l'invention du microprocesseur) soient de nature immatérielle (protocole Internet et compression de données) illustre, par ailleurs, une certaine tendance à l'accroissement du rôle de l'intelligence et du savoir par rapport à celui de la technologie brute et de l'industrie, dans l'évolution des techniques d'information et de communication.

Enfin, le microprocesseur étant le composant essentiel qui a permis de personnaliser les ordinateurs déjà rendus communiquants, les principales découvertes de l'après-guerre ont en commun de permettre non plus seulement l'accélération et l'intensification, mais encore la décentralisation du traitement d'informations de plus en plus abondantes et variées.

Ce traitement peut s'effectuer à plusieurs, en réseau, et cela dans des conditions qui tendent à abolir les contraintes de durée et de distance.

Traditionnellement, les progrès des techniques d'information tendaient à permettre à davantage de personnes de transmettre toujours plus de données, de meilleure qualité, plus vite et plus loin, tout en bénéficiant de moyens diversifiés de création et de communication.

L'évolution récente a offert, en outre, à tous les usagers des réseaux, d'autres possibilités nouvelles : l'ubiquité (avec le développement des terminaux portables et mobiles), l'interactivité (entre diffuseurs et demandeurs d'informations) la multilatérisation des échanges simultanés (vidéoconférences, forums de discussion), le multimédia enfin (variété de combinaisons de textes de sons et d'images à tous les stades : production, transport, réception).

On pressent que ces nouvelles facultés techniques et la réticulation qu'elle permettra sont susceptibles d'entraîner des conséquences importantes sur les plans économiques, culturels et sociaux. Il s'agit d'abord d'effets d'ordre relationnel affectant les liens entre personnes morales ou physiques (clients et fournisseurs, donneurs d'ordre et sous-traitants, maisons mères et filiales, partenaires associés à différents projets).

Les liens de subordination hiérarchique sur les lieux de travail, l'accès au savoir et à la culture, les relations entre enseignants et élèves peuvent, ensuite, s'en trouver radicalement modifiés, de même que les relations entre l'Etat et les citoyens et, en définitive, le lien par excellence : le lien social.

Bien entendu, les enjeux de ces profondes mutations sont majeurs : la compétitivité de nos entreprises, l'efficacité de notre enseignement et la cohésion de notre société sont notamment concernés.

Mais s'il est vrai que l'introduction de techniques nouvelles comporte toujours, on l'a vu, plusieurs possibilités d'usages sociaux (comme le montre la comparaison entre la Chine et l'Europe, des effets de l'imprimerie), il importe d'être vigilant : car on ne peut exclure des réactions de rejet, des échecs ou des risques d'inégalités entre pays pour l'implantation de ces nouveaux moyens d'information et de communication et l'exploitation de leurs avantages.

Cependant, aller plus avant dans l'analyse de ces différents effets possibles nécessite un approfondissement préalable de la notion " d'information ", sur laquelle est fondée la société du même nom, et de ses " valeurs ", auxquelles doivent adhérer ceux qui veulent y entrer.