B) DANS LE DOMAINE DE L'AUDIOVISUEL

En informatique, la rapidité des évolutions techniques rend délicate, on l'a vu, la définition d'une ligne de produits et d'une stratégie adéquats. Très vite, les ordinateurs sont devenus personnels, communicants, puis multimédia. Ce sont désormais des produits à la fois professionnels et grand public.

L'adaptation de l'audiovisuel à la diversification des techniques est plus lente, car l'inertie de " l'effet de parc " des récepteurs installés et des habitudes des téléspectateurs est forte.

La tâche n'en est pas moins difficile car le " technology push " ne rencontre pas nécessairement le " market pull " . A l'inertie évoquée ci-dessus s'ajoute, en effet, la difficulté de coordonner les actions de multiples intervenants (industriels, producteurs, éditeurs et distributeurs de programme, opérateurs de réseaux et de banquets, diffuseurs publics et privés, Etat et collectivités...).

Les exigences de compatibilité (entre normes de production, d'enregistrement et de lecture, de diffusion et de réception) sont, d'autre part, plus poussées pour l'audiovisuel que pour l'informatique. Les problèmes de transition entre anciennes et nouvelles techniques y sont donc, pour toutes ces raisons, encore plus ardus.

En outre, s'agissant des modes hertziens de transmission, les fréquences utilisées apparaissent comme des ressources rares et convoitées, difficiles à partager équitablement et fonctionnellement.

L'intervention de l'Etat, de ce dernier point de vue, peut se justifier. Elle a pourtant été, dans l'ensemble, tout aussi malheureuse que les initiatives prises en faveur de l'informatique, dès lors qu'il s'agissait de se mêler directement des conditions d'introduction de nouveaux supports (câble et satellite) ou de nouvelles normes de diffusion audiovisuelle.

1. Le plan câble

Avec dix ans de retard, la France décide, en novembre 1982, de s'équiper de réseaux câblés. Les objectifs fixés sont ambitieux :

n quantitativement : 10 millions de prises ;

n financièrement : 20 milliards de francs (plus de 3 milliards par an) ;

n techniquement : les premiers réseaux sont entièrement réalisés en fibre optique et en structure étoilée (théoriquement propice à l'interactivité). Des services de télécommunication autres que la télédiffusion devaient pouvoir y être intégrés grâce au numérique (téléphone, informatique).

Malgré les 3 milliards annuels d'investissements de la DGT, le démarrage est très lent. Dès 1986, l'objectif est ramené à 6 millions de prises sur une cinquantaine de sites. Les deux millions de prises raccordables commercialisées ne seront dépassés qu'en 1990, avec un nombre d'abonnés qui dépasse à peine 500.000.

Dès 1984, la construction des réseaux étoilés en fibre optique (1G) est abandonnée au profit de l'utilisation des techniques plus traditionnelles, mais beaucoup moins coûteuses et mieux maîtrisées, du câble coaxial (réseaux OG). On renonce, par la même occasion, à utiliser les réseaux câblés comme supports du RNIS (réseaux numériques à intégration de service).

Pourquoi un tel fiasco ?

Les raisons en sont à la fois techniques, organisationnelles, commerciales et financières.

n Techniquement, le support et l'architecture choisis s'avèrent rapidement obsolètes : les réseaux IG sont équipés en fibres multimodes dont la capacité de transmission est très inférieure aux fibres monomodes utilisées dès 1985.

Sur le plan de l'organisation, le maître d'ouvrage (les PTT) et les gestionnaires des réseaux (sociétés locales puis câblo-opérateurs) sont séparés, bien qu'ayant des activités ou des objectifs stratégiques par ailleurs assez proches, contrairement à ce qui se passe en Allemagne où la DBT (Deutsche Bundespost Telekom) cumule les deux fonctions.

Les changements de réglementation vont ensuite se succéder : en mai 1986, les câblo-opérateurs (Caisse des dépôts, Lyonnaise et Générale des eaux) sont autorisés à concurrencer la DGT en tant que maître d'ouvrage. Mais aucun nouvel élan particulier n'en résulte. Peu de sites restent disponibles pour les nouveaux maîtres d'ouvrage dont France Telecom (22( * )), qui contrôle déjà 50 grandes agglomérations et redoute la concurrence, à plus ou moins long terme, dans les services de télécommunications.

Après le monopole et la concurrence, s'ouvre à partir de 1990, une ère de coopération fondée sur une communauté d'intérêts, entre les câblo-opérateurs et France Telecom qui prend des participations dans leur capital.

Selon un article publié par Patrick Yves BADILLO dans la Revue économique , "pour qu'une innovation se développe, il convient non seulement de trouver une organisation de ce secteur viable, mais aussi de la laisser en place suffisamment longtemps. Or, les changements de l'organisation du secteur ont été incessants ; jamais une organisation stable et satisfaisante n'a été trouvée".

La substitution aux collectivités locales d'opérateurs extérieurs va réduire l'exploitant public au rôle de simple installateur d'infrastructures. La déréglementation de 1986 le conduit ensuite à s'abstenir de lancer des téléservices, de peur de susciter une concurrence à ses propres activités dans ce domaine.

n D'un point de vue commercial, le câble subit l'inconvénient de devoir se développer en concurrence avec de nouvelles chaînes hertziennes en clair (la Cinq et la Six) ou cryptée (Canal Plus).

La nouveauté des contenus (chaînes thématiques), indispensable au succès de toute innovation en matière de contenants se fait attendre. La séparation entre installateur et exploitant de réseaux ne facilite pas la cohérence du marketing et de la politique tarifaire d'autant que se produisent des chassés-croisés entre gestionnaires (les trois principaux câblo-opérateurs précités, c'est-à-dire la Caisse des dépôts, la Lyonnaise et la Générale des eaux, succèdent aux sociétés locales d'exploitation ; France Telecom reprend en 1992 les réseaux en fibre optique).

En outre, les tarifs sont dissuasifs (130 à 175 F par mois pour le service de base contre moins de 100 F partout ailleurs à l'étranger), mais cela est lié au déséquilibre financier du plan câble.

n Sur le plan financier, en effet, les choix technologiques, trop ambitieux initialement effectués, ont renchéri les coûts d'investissement de la DGT. Celle-ci doit assumer seule, en outre, l'intégralité du risque, par suite de la défection des municipalités qui devaient en principe lui verser des avances remboursables. Le montant de la redevance (46 F par mois et par abonné), versée par les câblo-opérateurs, a été fixé sans référence aux coûts d'investissement. Inférieur à celui qui avait été prévu à l'origine, il est jugé insuffisant par la Cour des Comptes, compte tenu de celui des abonnements.

En outre, au lieu d'arrêter les frais, l'Etat, s'estimant politiquement engagé vis-à-vis des collectivités locales, malgré leur désengagement, oblige la DGT à passer avec elles des conventions de câblage jusqu'en 1988.

Les opérateurs justifient le montant élevé de leur tarif par celui de leurs charges (coûts d'acquisition commerciale des abonnés et des programmes, frais de gestion, redevance) et de l'obligation de fournir un canal local.

Ils dénoncent l'incohérence de la façon dont le câblage a été, selon eux, effectué, notamment à Paris (par fraction d'arrondissements, en commençant par les quartiers les plus pauvres, etc.).

France Telecom estime pour sa part que le service est vendu trop cher pour susciter des abonnements, les opérateurs semblent se contenter d'en gérer trop peu. Quoi qu'il en soit, le cercle vicieux tarifs trop élevés - faible nombre d'abonnés - offre insuffisante de programmes existera bel et bien pendant longtemps.

Au moment où, enfin, le nombre de chaînes s'étoffera, France Telecom renâclera à fournir davantage de canaux que les quinze prévus par les conventions pour des raisons compréhensibles (désir d'obtenir de meilleures conditions financières, crainte de la concurrence de nouveaux services comme le téléphone, coût des équipements supplémentaires nécessaires, etc.).

Le montant des fonds publics engagés dans les investissements du plan câble pouvait être évalué, en 1988, à 21,9 milliards de francs pour un nombre de prises raccordables approchant le million mais un total d'abonnés à peine supérieur à 100.000.

A la suite d'une relance en 1991, le million d'abonnés sera atteint et les 2 millions en 1994.

Mais le câble français demeure aujourd'hui en retard sur celui des pays concurrents (18,6 millions d'abonnés en Allemagne ; la Grande-Bretagne, malgré un engagement beaucoup plus récent, nous a rattrapés en quelques années, sans doute grâce à une ouverture plus précoce de la téléphonie à la concurrence).

Il subit, en outre, de plein fouet, la concurrence du satellite, domaine dans lequel des erreurs majeures ont également été commises.